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Author: Manola Civiletti

Sources et littérature du droit romain médiéval

Les sources de droit romain médiéval

Le Corpus Iuris Civilis au Moyen Âge

Dans la seconde moitié du XIe siècle, apparaît un vaste et durable mouvement d’exhumation, de collationnement, d’interprétation et de diffusion de textes juridiques romains (Conte et Mayali, 2019). Ce mouvement s’inscrit dans le double contexte de la renaissance du XIIe siècle et de la réforme dite “grégorienne”. Il aboutit à l’apparition ou la réapparition en Europe occidentale des compilations de Justinien, immense recueil de droit romain mettant en forme un millénaire de tradition juridique romaine et réalisée dans l’Empire d’Orient au VIe siècle (529-565). Ces compilations justiniennes sont organisées en quatre volumes :

Au XIIe siècle, les étapes complexes de l’exhumation des manuscrits des Compilations imposent un nouveau découpage (Radding et Ciaralli, 2007). Les médiévaux connaissent ainsi les compilations justinienn es sous la forme de cinq volumes :

La version des compilations circulant communément au Moyen Âge et dans la première moitié du XVIe siècle est désignée sous le terme de « Vulgate ». Elle diffère sur quelques points des éditions modernes (différence de numérotation et/ou différences de lectures de certains passages), la Vulgate et les éditions modernes étant fondées sur deux traditions manuscrites distinctes.

Les éditions de référence du Corpus romain

Les éditions anciennes de référence sont l’édition « Fehius » [Corpus iuris civilis Iustinianei cum commentariis Accursii…, studio et opera Joannis Fehii, Lyon, 6 vol. in fol., 1627 (réimpr. Osnabrück, Otto Zeller Verlag, 1966)] et l’édition « Godefroy » ou « Godefroy et Elzévir » (en ligne : édition Lyon 1612, réédition 1828).

L’édition moderne critique de référence est l’édition « Mommsen » (ou « Mommsen Kruger ») : Corpus iuris civilis. Editio stereotypa, Berlin, 1872-1895 : t. 1 : Institutes, éd. Paul Krueger et Digeste, éd. Theodor Mommsen, 1872 ; t. 2. Code, éd. P. Krueger, 1877 ; t. 3. Novelles, éd. Rudolf Schoell, Willelm Kroll, 1895. Cette édition a fait l’objet de nombreuses rééditions (et réimpressions contemporaines) et se trouve facilement en ligne (par ex. ici).

Le site The Roman Law Library est particulièrement recommandé pour accéder à ces éditions (https://droitromain.univ-grenoble-alpes.fr/).

Les traductions du Corpus romain

Le latin des Compilations justiniennes étant un latin complexe, il peut être bon de consulter des traductions modernes, qui existent en plusieurs langues.

Traductions en français : Corps du droit civil en Latin et en Français, traduit par Henri Hulot et alii, Metz, 1803-1811, 14 vol., et 3 vol. de suppléments (réimpr. Aalen, Scientia, 1979), en ligne ; Les Institutes de Justinien, traduction par Philippe Cocatre-Zilgien et Jean-Pierre Coriat, Paris, 2021.

Traductions en anglais : Birks Peter, McLeod Grant, Justinian’s Institutes, Londres, 1987, réimpr. 2001 ; Thomas Joseph, The Institutes of Justinian. Text, Translation and Commentary, Amsterdam, 1975 ; Watson Alan, The Digest of Justinian, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 4 vol. 1985.

Traductions en allemand : Otto Karl Eduard, Schilling Bruno, Sintenis Karl, Das Corpus juris civilis ins Deutsche übersetzt von, 1831-1839 (réimpr. Aalen, Scientia, 1984-1985) ; Behrends Okko, Knütel Rolf, Kupisch Berthold, Seiler Hans Hermann, Corpus iuris civilis, Text und Übersetzung, Heidelberg. Traduction en cours depuis 1991. Plusieurs volumes déjà parus : Institutionen (1991), Digesten 1-10 (1995), Digesten 11-20 (1999), Digesten 21-27 (2005), Digesten 28-34 (2012).

Traductions en italien : Schipani Sandro, Iustiniani Augusti Digesta seu Pandecta. Testo e traduzione, vol. I : 1-4 ; vol. II : 5-11, Milan, 2005.

Traductions en espagnol : Garcia del Corral Ildefonso, Cuerpo de Derecho Civil Romano, Barcelona, 1898 (en ligne) ; Hernandez Tejeron Francisco, El Digesto de Justiniano, Pamplona, 1968.

Traductions en néerlandais : Corpus Iuris Civilis. Tekts en Vertaling, sous la direction de J. E. Spruit, R. Feenstra, K. E. M. Bongenaar , J. M. Chorus, L. de Ligt, 13 volumes, La Haye-Zutphen, 1993-2011. Plusieurs volumes : Vol. 1 Institutes (1993), vol. 2-6 Digeste (1994-2001), vol. 7-9 Code (2006-2010), vol. 10-12 Novelles (2011), vol. 12 addendum : Libri Feudorum (2011).

L’élaboration des œuvres doctrinales : repères chronologiques
Le XIIe siècle et l’émergence des centres d’enseignements

Dès la fin du XIe siècle, ou plus sûrement le début du XIIe siècle, les textes de droit romain deviennent objet d’enseignement dans le cadre scolaire. L’ampleur considérable prise par les textes de droit romain dans l’Occident médiéval à partir du XIIe siècle est fortement liée à ce phénomène d’école : dans les studia puis les universités, s’élabore un nouveau savoir, résultant de la volonté de comprendre et d’expliquer les compilations justiniennes à l’aune des réalités médiévales. En faisant du droit romain un objet de réflexion et d’apprentissage, les savants du Moyen Âge donnent peu à peu naissance à une version médiévale du droit romain, marquée par les cadres de réflexion logique, les préoccupations juridiques et l’univers mental des contemporains (Kantorowicz, 1938 ; Cortese, 1995 et 1996).

Dans les écoles juridiques du XIIe siècle, la préoccupation principale est celle de la compréhension des textes romains, guidée par un souci pratique. Les juristes étudient les textes romains au moyen de la méthode de la « glose » : les livres justiniens sont lus en chaire dans l’ordre du texte, avec, pour chaque fragment, une explication du vocabulaire et des notions juridiques qui y apparaissent, parfois accompagnés d’un rapprochement avec d’autres fragments traitant des mêmes notions, de questions pratiques dont la résolution met en jeu ce fragment, ou d’une opinion personnelle de l’enseignant sur la manière de comprendre ou d’utiliser le passage (Weimar, 1973 ; Lange et Kriechbaum, 1997 ; Cairns et Du Plessis, 2010). Ces gloses circulent pendant tout le XIIe siècle d’une école à une autre et d’une génération à une autre. Elles sont reportées dans les marges de manuscrits contenant le texte justinien (apparat) ou dans des recueils de gloses où le texte justinien n’apparaît pas (somme) (Dolezalek, 2021).

Les glossateurs, pour définir ces termes juridiques romains dont ils ne connaissent pas le sens, comparent les fragments des compilations (qu’ils appréhendent comme un ensemble cohérent) et reconstituent, à partir de raisonnements logiques (leur enseignement se déroulant dans un contexte de logique boécienne), le sens que pourrait prendre tel ou tel terme ou les situations dans lesquels un même terme est amené à recouvrer des sens différents. En définitive, la méthode des glossateurs repose sur le surgissement de la définition juridique au moyen de la reconstitution du sens du texte, adossé à un très grand souci de praticité qui les amène à rapprocher les institutions juridiques romaines des réalités de leur temps.

Ce travail aboutit à la constitution progressive d’une « colossale banque de données conceptuelles et notionnelles » (Krynen, 2009), qui réactive le droit romain justinien tout en en changeant profondément le sens.

Si Bologne est l’une des écoles les plus précoces et les plus importantes dans la naissance de ce mouvement d’enseignement juridique (peut-être dès la fin du XIe, de façon certaine dans la décennie 1120), la concurrence européenne se forme très rapidement. Quatre grandes zones se dessinent (avec des chronologies distinctes), au sein desquelles circulent les mêmes textes et les mêmes enseignants, et où s’élaborent des doctrines cohérentes qui témoignent de véritables spécificités :

  1. L’aire française méridionale : dès la décennie 1120, les centres d’enseignement du droit romain se multiplient dans la vallée du Rhône, la région de Valence, Saint-Gilles, Arles, Avignon, tout le long de la côte méditerranéenne française jusqu’à Montpellier, et en remontant vers l’intérieur des terres (Gouron, 1978, 1984, 1987, 1993, 2000, 2006). Les œuvres originales qui en proviennent (somme Iustiniani est in hoc opere, Exceptiones Petri, Brachylogus, Lo Codi, etc.) témoignent à la fois d’un savoir juridique réellement maîtrisé par des maîtres souvent restés anonymes, et des progrès de la diffusion de la culture juridique romaine dans le monde des praticiens de la région.
  2. L’aire anglo-normande : les premières traces d’enseignement du droit romain en Angleterre apparaissent dès la fin de la décennie 1130 (Vacarius, Liber pauperum) (Kuttner et Rathbone, 1951 ; Zulueta et Stein, 1990 ; Taliadoros, 2006).
  3. L’aire nord-italienne : à partir de la décennie 1160, l’école bolonaise est concurrencée par de nombreux centres d’enseignement du droit romain (à Modène, Reggio, Mantoue, Parme, Plaisance, Pavie, etc.).
  4. L’aire parisienne et franco-rhénane : si l’enseignement juridique privilégié de la zone franco-rhénane (Paris, Reims, Mayence, Cologne, Metz) est avant tout le droit canonique, les œuvres canonistes parisiennes de la fin du XIIe siècle et du début du XIIIe siècle témoignent d’une réelle et originale maîtrise du droit romain par leurs auteurs, probablement acquise dans des écoles locales (Coppens, 2009 ; Lefebvre-Teillard, 2019).

L’effervescence des écoles juridiques est bien pendant tout le XIIe siècle un phénomène massif, à l’échelle de toute l’Europe de l’Ouest. Cependant, les deux premières décennies voient s’éteindre un nombre important de ces structures d’enseignement juridique, sans que les raisons soient toujours connues.

L’épanouissement de la doctrine au XIIIe siècle

Le tissu scolaire du début du XIIIe siècle n’est plus celui du XIIe siècle. Bologne s’impose institutionnellement et doctrinalement comme la grande école du début du siècle. Ce moment correspond dans l’histoire de la science juridique à un vaste mouvement de synthèse des gloses accumulées depuis un siècle. Il se formalise par l’élaboration de la « glose ordinaire » sur les compilations de Justinien par Accursius – Accurse entre les décennies 1220 et 1260. Par son ampleur, la glose d’Accurse est un moment fondamental de l’histoire de la doctrine juridique : plus aucune partie des compilations justiniennes n’échappe au commentaire exégétique. C’est désormais accolé à la glose accursienne que circule le texte justinien. Surtout, la glose ordinaire réalise un véritable tri au sein des doctrines juridiques préexistantes, recueillant certaines traditions dans ce commentaire de référence mais en écartant d’autres. Bologne et les écoles nord-italiennes diffusent et perpétuent ainsi pour tout le XIIIe siècle une tradition doctrinale orthodoxe cristallisée dans la glose ordinaire, quand les nouveaux centres qui émergent dans les années 1230-1250 (Toulouse, Montpellier, Orléans, etc.) en sont plus éloignés.

Autour de ces écoles, les années 1260-1290 voient l’entrée dans la pensée juridique de nouvelles méthodes d’enseignement et de nouveaux modes de raisonnement (au moment où les guerres nord-italiennes conduisent étudiants et enseignants à se détourner de Bologne pendant près d’un quart de siècle), qui entraînent un changement considérable tant dans la manière d’enseigner que dans la doctrine produite (Meijers, 1959 et 1966 ; Feenstra, 1974, 1986, 1996). Une profonde rénovation de la pensée juridique se produit. L’école d’Orléans joue les premiers rôles (Waelkens, 1984 ; Bezemer, 1987, 1997, 2005 ; Bassano, 2023). Ce moment de transformation est traditionnellement présenté comme étant celui du passage des glossateurs aux commentateurs ; ces catégories historiographiques sont cependant trop rigides pour rendre compte de l’absence d’uniformité et de la fluidité avec laquelle s’opèrent les modifications (Lange et Kriechbaum, 2007).

Cette rénovation se caractérise par le recours à de nouvelles formes de logique juridique et à l’introduction dans le raisonnement juridique d’outils portés par la nova logica parisienne aristotélicienne (Brambilla, 1997 ; Errera, 2003 et 2007 ; Caprioli, 2006) : le raisonnement par syllogisme remplace progressivement le raisonnement par parallélisme ; la causalité est désormais perçue comme une notion métaphysique complexe, qui permet d’interpréter le texte justinien par sa cause finale et donc son but et sa raison d’être ; la dimension linguistique du texte justinien est désormais appréhendée comme susceptible d’interprétation et non plus seulement de définition (il s’agit moins de comprendre ce que dit le texte que de saisir comment il est susceptible d’interprétations différentes selon le contexte). Les outils traditionnels de raisonnement sont transformés par l’inscription dans ce nouveau cadre de pensée, à l’image de la distinctio : alors que la distinction sert traditionnellement aux civilistes à exposer les différents arguments contradictoires sur un même cas, elle se transforme vers 1260-1290 pour devenir un mécanisme d’exposition non plus des différentes solutions possibles à une même question, mais des différentes interprétations qui peuvent être données à la question, conditionnant ainsi des réponses distinctes, qui sont nuancées mais ne sont plus contradictoires. Ces nouveaux modes de raisonnement sont portés dans les écoles par des formes d’enseignements qui s’éloignent de la méthode exégétique de la glose au profit d’autres types d’exercice : la disputatio (discussion entre deux interlocuteurs échangeant des arguments juridiques pour apporter une solution à un cas pratique) et la repetitio (explication approfondie, sous une forme logique et synthétique, de toute une matière juridique à partir d’un fragment justinien) supplantent dans le dernier tiers du XIIIe siècle la lectura (le cours magistral lisant les fragments dans l’ordre du livre) comme lieu d’élaboration des doctrines les plus innovantes.

Ces nouveaux modes de raisonnements, qui débouchent sur des interprétations nouvelles des textes justiniens et nourrissent un grand renouvellement doctrinal, se diffusent dans toute l’Europe, jusqu’à servir de base à la reconstruction de l’Université de Bologne au début du XIVe siècle (Giordanengo, 1995a ; Waelkens, 1990).

Le triomphe du ius commune au XIVe et XVe siècles

Le début du XIVe siècle voit se produire d’importants changements dans les conditions matérielles d’élaboration de la doctrine civiliste. Les centres d’enseignements du droit se multiplient par l’action des autorités publiques, désormais conscientes de leur intérêt à encourager et protéger les études juridiques. La considérable augmentation du nombre d’universités (De Ridder-Symoens, 1992 ; Verger, 1986, 1997, 2013) et la grande mobilité qu’elle induit chez les enseignants conduisent à un relatif effacement de l’idée d’école et à un renforcement de l’idée d’universalité de la doctrine civiliste. Dans le Nord de l’Italie, le début du XIVe siècle voit la constitution d’un véritable groupe socio-professionnel autour du professorat universitaire (stratégies matrimoniales et dynastiques, constitution de fortunes familiales par l’université, accaparement des fonctions publiques) qui participe grandement au développement de l’idée d’acquisition de la noblesse par la pratique juridique (Ascheri, 1990 ; Gilli, 2003). Cette dynamique sociale n’est pas sans lien sur le renouvellement que connaissent au XIVe siècle les vecteurs de diffusion de la doctrine civiliste, avec l’explosion du genre des traités (qui correspondent à des œuvres de cabinet, quand les commentaria et lecturae antérieures avaient un lien plus prononcé avec l’enseignement) et des recueils de consilia (mêlant apports doctrinaux et pratiques professionnelles).

La doctrine civiliste produite au XIVe siècle et au début du XVe siècle est marquée par quelques grandes caractéristiques (Lange et Kriechbaum, 2007).

Le caractère synthétique des commentaires s’accentue, tout comme le détachement avec le texte romain dans les interprétations proposées. Cette doctrine est audacieuse dans ses constructions doctrinales et s’autorise un écart de plus en plus marqué avec la lettre du texte justinien, afin d’adapter le droit romain aux usages et institutions de l’époque. La doctrine romaniste est ainsi grandement revivifiée par des interprétations et des raisonnements de plus en plus audacieux qui débouchent sur une appréhension très concrète et pratique du droit romain. Cette doctrine aventureuse ne s’interdit aucun domaine de réflexion ni aucune source d’inspiration, et lorgne très largement du côté du droit canonique, tout particulièrement sous l’influence de Bartolus de Saxoferrato – Bartole (1313/4-1357) puis de Baldus de Ubaldi – Balde (c. 1327-1400). La science civiliste se veut englobante et interdisciplinaire. Le parfait exemple s’en trouve dans les traités De regulis iuris : les 210 règles insérées dans le livre 50 du Digeste avaient déjà retenu l’attention des juristes depuis le XIIe siècle ; mais à partir du début du XIVe siècle, des traités de nouvelle conception font leur apparition, qui mêlent sans distinction les regulae iuris du Digeste aux 88 règles contenues dans le Sexte de Boniface VIII (1298) et qui appellent de concert droit canonique et droit romain à l’appui de leurs analyses.

Un des grands pans de réflexion de la doctrine civilistes des XIVe et XVe siècles est la question des sources du droit, à travers les notions de ius commune (droit commun assimilé au droit savant romain) et de ius proprium (propre à un pays, une région, une ville). La doctrine romaniste développe l’idée que ius commune et iura propria font partie du même système juridique, et théorise l’idée que les dispositions locales ne sont que des exceptions et des dérogations aux dispositions générales. Ils en viennent ainsi à intégrer les droits locaux dans l’architecture du système romaniste. Rien n’échappe à l’unité et l’universalisme du droit romain ; les principes savants romains, élaborés par une doctrine se nourrissant de toutes les sources du droit, constituent un droit supérieur universel.

À travers l’enseignement universitaire, se diffuse auprès des esprits juridiques des XIVe et XVe siècle cette idée que le droit romain est un droit universel dont les principes s’imposent aux autres sources du droit.

Mais à la fin du XVe siècle, la doctrine romaniste s’enlise, les commentaires se noient dans de longs rappels d’innombrables divergences doctrinales sans plus proposer de créations et d’interprétations audacieuses. Iason de Maino (1435-1419) en est la parfaite illustration. Il laisse une œuvre prolifique témoignant de son incroyable connaissance de la doctrine antérieure, mais vide de presque toute opinion personnelle.

Dans un environnement intellectuel qui se transforme, la doctrine civiliste n’est plus porteuse d’innovation et de dynamisme. C’est vers d’autres méthodes que se tourneront les juristes de la fin du XVe siècle et du premier XVIe siècle pour renouveler la discipline.

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Repérer les juristes et leurs œuvres

Il n’existe pas de dictionnaire général des juristes médiévaux, à l’exception d’un répertoire du XVIe, à manier avec précaution (les informations doivent être corrigées à la lumière des connaissances actuelles). Il s’agit du Liber de claris iuris consultis (rééditions Berlin 1919, Bologne, 1928) de Thomas Diplovatatius (1468-1541). Les mêmes précautions s’imposent pour la consultation de Savigny, 1834-1851.

Plusieurs dictionnaires et répertoires spécialisés peuvent néanmoins être mis à contribution pour trouver des notices biographiques et bibliographiques sur les juristes du Moyen Âge, en particulier Halpérin, Krynen et Arabeyre 1995 ; Birocchi, Cortese, Mattone et Miletti, 2023 ; Stolleis, 1995. Peuvent également être mis à contribution Gauvard, De Libera et Zink, 1995 ou Lexikon, 1977-1999.

De nombreux articles et manuels proposent, en annexes ou notes, des notices biographiques et/ou bibliographiques de juristes médiévaux. On consultera avec intérêt les ouvrages suivants (et leurs index) pour démarrer une recherche : Coing, 1973 ; Lange et Kriechbaum, 1997 et 2007 ; Smith, 1975 ; Cortese, 1995 et 1996 ; Cavanna, 1982. Pour les juristes orléanais : Dyunstee, 2013, Bassano, 2023. Pour les juristes du Sud de la France : Meijers, 1959-1966 ; Gouron, 1984, 1993, 1996 et 2000. Pour les juristes canonistes (mais pouvant contenir d’intéressantes informations sur certains civilistes) : Condorelli et Domingo, 2011 ; Descamps et Domingo, 2019 et le Bio-Bibliographical Guide to Medieval and Early Modern Jurists.

La consultation de l’ensemble de cette documentation permet de proposer une liste chronologique succincte des juristes et œuvres de doctrine civiliste.

1078

Mort de Pepo (av. 1072 – ap. 1078)

1125

Mort de Irnerius (c. 1050/55 – c. 1125/30)

1130

Au cours de la décennie 1130 :

Summa Iustiniani est in hoc opere(c. 1130 ?)

Summa Trecensis(de Géraud le Provençal ? c. 1135-40 ?)

1149

Lo Codi (Raoul de Saint Gilles ?)

1150

Vers cette date : Exceptiones Petri (de Pierre de Cabannes ?),
livre de Tubingue, livre d’Ashburnham

1160

Dans la décennie 1160 : Epitome Exactis regibus

1162

Après cette date, mort de Rogerius (c. 1110 – ap. 1162)

1166

Mort de Bulgarus (c. 1100-1166)

Mort de Martinus Gosia (c. 1100 – c. 1166)

Vers cette date, Brachylogus juris civilis

1168

Vers cette date, mort de Hugo de Porta Ravennate (c. 1105 – c. 1168)

1170

Après cette date, mort de Anselmus de Orto (av. 1130 – ap. 1170)

1175

Mort de Obertus de Orto (c. 1100-1175)

1177

Ordo Olim edebatur (anglo-normand ?)

1178

Mort de Iacobus de Porta Ravennate (c. 1100-1178)

1180

Après cette date, mort de Géraud le Provençal (av. 1132 – ap. 1180)

Vers cette date, Summa Vindocinensis

1182

Mort de Placentinus (c. 1130 ? – 1182 ?)

1185

Avant cette date, mort de Raoul de Saint-Gilles (av. 1147-1183/85)

1186

Mort de Aubert de Béziers (av. 1148-1186 ?)

1190

Mort de Ranulf de Glanville (1120/30-1190)

1194

Après cette date, mort de Albericus de Porta Ravennate
(av. 1165 – ap. 1194)

1197

Mort de Iohannes Bassianus ( ?-1197)

Mort de Guillaume de Longchamp ( ?-1197)

Après cette date, mort de Vacarius (c. 1120 – ap. 1197)

1200

Après cette date, mort de Alexander de Sancto Aegidio ( ? – ap. 1200)

1201

Mort de Guillelmus de Cabriano (1130/35-1201 ?)

1204

Après cette date, mort de Gui Francesc

1210

Après cette date, mort de Pillius de Medicina (av. 1175 – ap. 1210)

1213

Après cette date, mort de Poncius de Ilerda (c. 1170/80 – ap. 1213)

1215

Après cette date, mort de Karolus de Tocco (av. 1161 – ap. 1215)

1220-30

Mort de Azon (c. 1160-1220/30 ?)

1234

Mort de Tancredus (c. 1185-1234/36)

1235

Mort de Iacobus Balduini (c. 1180-1235)

1243

Mort de Roffredus Beneventanus (c. 1170 – ap. 1243)

1244

Après cette date, mort de Iacobus de Ardizzone ( ? – ap. 1244)

1245

Mort de Guillelmus de Drogheda ( ?-1245)

Mort de Ubertus de Bobio (c. 1185-1245)

1246

Après cette date, mort de Bagarottus (c. 1175 – ap. 1246)

1248

Mort de Laurentius Hispanus ( ?-1248)

1252

Après cette date, mort de Benedictus de Isernia ( ? – ap. 1252)

1253

Après cette date, mort de Rainerius Perusinus (c. 1185 – ap. 1253)

1257

Après cette date, mort de Bernardus Dorna ( ? – ap. 1257)

1262

Mort de Accurse (c. 1181/86 – ap. 1262)

1265

Mort de Odofredus ( ?-1265)

Après cette date, mort de Guido de Cumis (c. 1210 – ap. 1265)

1266

Mort de Jean de Monchy ( ? – c. 1266)

1267

Mort de Henricus de Bracton (c. 1210-1267/68)

1269

Mort de Jean Blanc ( ? – c. 1269)

1271

Mort de Drouard de Hautvilliers (1197-1271 ?)

Après cette date, mort de Andreas Bonellus (av. 1260 – ap. 1271)

1272

Mort de Martinus de Fano (c. 1200-1272)

1273

Mort de Simon de Paris ( ?-1273)

1275

Mort de Raymundus de Pennaforte (v. 1175-1275)

1280

Mort de Salatiele (1210/20 – c. 1280)

1281

Mort de Jean de Blanot (c. 1230 – c. 1281)

1282

Mort de Thomas de Piperata (c. 1230 – av. 1282)

1285

Mort de Albertus Galeottus (c. 1220-1285 ?)

1286

Mort de Iohannes Fasolus (c. 1223-1286)

1288

Après cette date, mort de Iacobus de Arena (c. 1220 – ap. 1288)

1289

Mort de Egidius de Fuscarariis ( ?-1289)

1293

Mort de Franciscus de Accursio (1225-1293)

Mort de Guido de Suzaria (av. 1247-1293)

Après cette date, mort de Cervottus de Accursio (1240/41 – ap. 1293)

1295

Mort de Guillaume de Ferrières ( ?-1295)

1296

Mort de Guillaume Durand (1230-1296)

Mort de Jacques de Révigny (c. 1230-1296)

1297

Mort de Raoul de Chenevrières ( ?-1297)

1300

Mort de Rolandinus de Passageriis (c. 1215-1300)

1301

Mort de Jacques le Moiste de Bologne (1246/48 ? – 1301)

Après cette date, mort de Lambert de Salins ( ? – ap. 1301)

1303

Mort de Dinus de Mugello (c. 1253 – c. 1303)

1306

Mort de Pierre de Mornay ( ?-1306)

Mort de Martinus de Silimanis (c. 1250-1306)

1307

Mort de Raoul d’Harcourt ( ?-1307)

Mort de Pierre de Ferrières ( ?-1307)

1308

Mort de Pierre de Belleperche (1247 ?-1308)

1309

Mort de Albertus Gandinus (av. 1281-1309)

1312

Mort de Pierre de la Chapelle ( ?-1312)

Mort de Arnaud Arpadelle (1250 ?-1312)

Mort de Petrus de Anzola (1257/59-1312)

1313

Mort de Guido de Baysio ( ?-1313)

Mort de Jean le Moine ( ?-1313)

1314

Mort de Guillelmus de Accursio ( ?-1313/14)

1316

Mort de Andrea de Isernia (av. 1250-1315/16)

1328

Mort de Bartholomaeus de Capua (1248-1328)

1329

Mort de Hugues de Cairols ( ?-1329)

1335

Mort de Iacobus Belvisi (ap. 1270-1335)

1336

Mort de Cinus de Pistoia (c. 1270-1336)

Mort de Guillaume de Cunh ( ?-1336)

1337

Après cette date, mort de Oldradus de Ponte (c. 1270 – ap. 1337)

1338

Mort de Petrus Cerniti (c. 1270-1338)

1340

Mort de Jean Faure (c. 1275-1340)

1342

Mort de Amalvin de Caraigue ( ?-1342 ?)

Mort de Bertrand de Montfavez (1270 ?-1342)

1346

Après cette date, mort de Pierre Hélie ( ? – ap. 1346)

1347

Mort de Pierre Jacobi (c. 1270-1347)

1348

Mort de Iohannes Andreae (c. 1270/75-1348)

Mort de Iacobus de Butrigariis (c. 1274-1347/48)

1349

Mort de Pierre Bertrand l’Ancien (1280-1349)

1355

Mort de Bertrand de Deaux (1305 ?-1355)

1357

Mort de Bartolus de Saxoferrato (1313/14-1357)

Mort de Pierre Antiboul ( ?-1357)

1358

Mort de Rainerius de Forlivio (av. 1319-1358)

1360

Mort de Albericus de Rosate (c. 1290-1360)

1365

Mort de Iohannes Calderinus (c. 1300-1365)

1366

Mort de Angelus de Amelia (c. 1307-1366 ?)

1367

Mort de Thomas de Florentia (av. 1322-1367)

1379

Mort de Ricardus de Saliceto (av. 1310-1379)

1383

Mort de Iohannes de Lignano ( ?-1383)

Mort de Bertrand Chabrol (c. 1340 ?-1383 ?)

Mort de Jean Nicot (c. 1320-1383)

1390

Mort de Lucas de Penna ( ?-1390)

1399

Mort de Nicolaus Spinelli (1320/25-1399)

1400

Mort de Baldus de Ubaldi (1327-1400)

1407

Mort de Angelus de Ubaldi (1327-1407)

1408

Mort de Antonius de Butrio (c. 1338-1408)

1411

Mort de Bartholomaeus de Saliceto ( ?-1411)

1412

Mort de Petrus de Ubaldi ( ?-1412)

1416

Mort de Petrus de Ancharano (c. 1350-1415/16)

1417

Mort de Franciscus Zabarella (1360-1417)

1424

Mort de Dominicus de Sancto Geminiano (1375-1424)

Après cette date, mort de Baudet de Mâcon (av. 1393 – ap. 1424)

1425

Mort de Christophorus de Castellione (1345-1425)

1427

Mort de Raphael Fulgosius (c. 1367-1427)

Mort de Raphael Cumanus ( ?-1427)

Mort de Jean Noaillé (c. 1370 – c. 1427)

Après cette date, mort de Iohannes de Platea (c. 1380 – ap. 1427)

1428

Mort de Jacques Rebuffi (1332-1428)

1436

Mort de Iohannes de Imola (1370-1436)

1439

Mort de Ludovicus Pontanus (1409-1439)

1441

Mort de Paulus de Castro (1360/62-1441)

1444

Mort de Florianus a Sancto Petro ( ?-1441/44)

1445

Mort de Nicholaus de Tudeschis (Panormitanus) (1386-1445)

1446

Mort de Jean de Mâcon (1355 ?-1446)

1447

Mort de Angelus de Periglis ( ?-1447)

1461

Mort de Thomas Doctius (1401 ?-1461)

Mort de Angelus de Gambilionibus (1418 ?-1461)

1464

Mort de Iacobus de Puteo (av. 1423-1464)

1468

Mort de Iohannes de Turrecremata (1388-1468)

1471

Mort de Philippus Franchus (1420-1471)

1475

Mort de Alexander Tartagnus (1424-1475/77)

Mort de Bartholomaeus Caepolla (v. 1420-1475)

1477

Mort de Angelus de Castro ( ? – c. 1477)

1479

Mort de Andreas Barbatius ou Siculus (1400-1479)

Mort de John Fortescue (c. 1390 – c. 1479)

1481

Mort de Thomas Littleton (1415/22-1481)

1483

Mort de Franciscus de Accoltis dit l’Aretain (1416/18-1483/88)

1490

Mort de Baldus de Bartholinis (1409/14-1490)

1494

Mort de Iacobinus de Santo Georgio (1430-1494)

1496

Mort de Iohannes Baptista Caccialupus (c. 1425-1496)

1500

Mort de Lancellotus Decius (1444-1500)

1503

Mort de Felinus Sandeus (1444-1503)

1507

Mort de Bartholomaeus Socinus (1436-1507)

1517

Mort de Iohannes Crotus (c. 1475-1517)

1519

Mort de Iason de Maino (1435-1519)

1533

Mort de Philippus Decius (1454-1535)

Repérer les passages pertinents dans les œuvres doctrinales

Les auteurs médiévaux ont tendance, de l’un à l’autre et d’une époque à l’autre, à traiter d’un même sujet autour des mêmes fragments du corpus. Il convient donc de commencer son travail de recherche en repérant les sedes materiae, c’est-à-dire le ou les fragments du corpus autour desquels les auteurs vont discuter le sujet.

La recherche des sedes materiae peut se faire par plusieurs méthodes. La première méthode consiste à partir des textes du Corpus Iuris Civilis pour identifier les sedes materiae, la seconde méthode consiste à partir des textes doctrinaux commentant ce Corpus. La seconde méthode est incontournable et indispensable, mais la première n’est pas à négliger.

La première méthode consiste à identifier les sedes materiae à partir du corpus de droit romain lui-même. Il s’agit de repérer dans le Corpus Iuris Civilis les passages traitant d’un sujet précis, susceptibles d’avoir incité les auteurs médiévaux à produire des commentaires sur cet objet.

La localisation des sedes materiae dans le Corpus peut se faire au moyen des intitulés des titres du Corpus. Les éditions modernes du Corpus (en particulier l’édition Mommsen) présentent en début d’ouvrage des listes de l’ensemble des titres des différents ouvrages des corpus, par ordre alphabétique ou dans l’ordre du volume. Ces listes d’intitulés permettent de repérer les titres les plus susceptibles d’abriter des commentaires sur un sujet précis. Ces listes sont aussi accessibles en ligne (par ex. ici). Peuvent être aussi utilisés les index des titres et lois, en particulier Sinatti d’Amico (1964-1970).

La localisation des sedes materiae dans le Corpus peut se faire au moyen des thésaurus du Corpus. Ces outils ont été élaborés depuis la fin du XIXe siècle. Ils sont pratiques, mais doivent être maniés avec précaution (sur la prudence nécessaire dans leur utilisation : Sinatti d’Amico, 1968) : Thesaurus du Code de Justinien : Mayr, 1923-1925 ; Thesaurus du Digeste : Meinhart, 1933-1987 ; Thesaurus des Institutes : Ambrosino, 1942 ; Thesaurus des Authentiques : Bartoletti Colombo, 1977-1989.

Il existe également plusieurs thésaurus numériques qui permettent de rechercher les textes du Corpus romain par mot-clefs ou par emplacement ; Amanuensis est particulièrement recommandé.

La seconde méthode consiste à identifier les sedes materiae à partir des textes doctrinaux anciens. Cette méthode est incontournable. Elle est la seule qui permette réellement de constituer un ensemble pertinent et cohérent de sedes materiae.

Les index thématiques des éditions anciennes des textes doctrinaux doivent être compulsés systématiquement. Les éditeurs du XVIe siècle se sont livrés à un effort considérable d’indexation des textes doctrinaux qu’ils éditaient. Ces index alphabétiques sont situés au début ou à la fin de l’ouvrage, ils constituent parfois un tome séparé (en général, le dernier tome de la série). Ils fonctionnent par mots-clés classés par ordre alphabétique. Il convient donc, pour les utiliser de manière efficace, d’établir une large liste de termes liés à la recherche en cours.

Il existe également des dictionnaires doctrinaux anciens, qui pour chaque entrée, indiquent les sedes materiae habituels dans la doctrine médiévale ou donnent la localisation précise du commentaire d’un auteur sur le sujet. Le dictionnaire incontournable est celui d’Etienne Daoyz (Esteban, Estevan, Stephanus Daoyz, Daoys, Daois, Daoiz, mort en 1619). Une bonne édition en est : Stephanus Daoyz, Corpus juris civilis Justinianei cum commentariis Accursii, scholiis Contii et D. Gothofredi lucubrationibus ad Accursium […]. Tomus sextus : Index Iuris Civilis. Totius iuris civilis maxima distinctione contextus, Lyon 1627 (l’édition Lyon 1612 est accessible en ligne). Doit être consulté aussi le dictionnaire médiéval (rédigé vers 1350) d’Albericus de Rosate, Dictionarium iuris tam civilis quam canonici (éditions de références : Tridini 1519 ou Venise 1581).

Les outils numériques commencent aujourd’hui à offrir des possibilités de recherche hypertexte dans les versions numérisées de certains ouvrages anciens, y compris sur des écritures anciennes (par ex. dans Google Books), ce qui permet là aussi de repérer des sedes materiae.

La consultation des seuls index et dictionnaires anciens ne suffit pas à établir une liste pertinente de sedes materiae, elle ne permet qu’une première approche. À partir de cette première approche, il faut lire les commentaires doctrinaux, qui renvoient aux commentaires d’autres auteurs en les localisant. Ces commentaires renverront eux-mêmes à d’autres commentaires, qui renverront eux-mêmes à d’autres commentaires, etc. Il faut donc dérouler la pelote des commentaires en tirant sur un fil partant des écrits des auteurs les plus tardifs, et procéder de façon rétroactive, en remontant le temps doctrinal. Certains auteurs sont d’excellents points d’entrée vers la doctrine de leurs contemporains et prédécesseurs, parce que leurs commentaires sont particulièrement prolifiques. Constitue un bon point de départ pour le droit romain Iason de Maino, In [primam-secundam] [Codicis – Digesti veteris – Digesti novi – Infortiati] partem commentaria, Turin, 1592 ou Venise, 1573-1574 (index très complet dans le dernier volume). D’autres auteurs sont absolument incontournables soit parce qu’ils ont constitué la référence indépassable de leurs successeurs (qui ne font donc référence qu’à peu d’auteurs antérieurs ; pour connaître les positions des prédécesseurs, il faut donc consulter ces auteurs « pivots » qui, eux, se réfereront à leurs prédécesseurs), soit parce qu’ils font preuve d’une certaine originalité et apportent des références moins convenues que leurs contemporains.

Les ouvrages indispensables par lesquels commencer une recherche

Iason de Maino, In [primam-secundam] [Codicis – Digesti veteris – Digesti novi – Infortiati] partem commentaria, Turin, 1592 ou Venise, 1573-1574 (index très complet dans le dernier volume) (éditions Venise 1579 et 1585 ici).

Balde (Baldus de Ubaldi), Commentaria Omnia [I : In primam digesti veteris partem ; II : In secundam Digesti veteris partem ; III : In primam et secundam Infortiati partem ; IV : In digestum novum, tractatus de pactis, tractatus de constituto, praelectiones in IV Institutionum libros ; V : In primum, secundum et tertium codicis librum ; VI : In quartem et quintum codicis librum ; VII : In sextum codicis librum ; VIII : In VII, VIII, IX, X et XI codicis libros], Venise, 1599 (Goldbach, 2004) (édition Venise 1599 ici).

Bartole (Bartolus de Saxoferrato), Commentaria super [prima-secunda] [Digesti veteris ; Infortiati ; Digesti novi ; Codicis] partem, 8 tomes, Venise, 1516-1529 (Rome, 1996) (édition Lyon, 1547 ici).

Albericus de Rosate, In [primam-secundam] [Digesti veteris ; Infortiati ; Digesti novi ; Codicis] partem commentarii, Venise, 1585-1586 (= Opera Iuridica Rariora, 21-28, Bologne, 1974-1982) (éditions Venise, 1585-1586 ici et Lyon, 1545-48 ici).

Cinus de Pistoia, In codicem et aliquot titulos primi Pandectarum tome, id est Digesti veteris doctissima commentaria, Francfort, 1578 (Turin, 1964) (éditions Strasbourg, 1476 ici et Lyon, 1547 ici).

Jacques de Révigny, Lectura super Codice, sous le titre Petri de Bella Perthica, Super prima [secunda] parte Codicis, Paris 1519 (= Opera Iuridica Rariora, 1, Bologne, 1967) (édition Paris 1519 ici).

Odofredus, Lectura super codice, Lectura super Digesto Veteri, Lectura super Digesto Novo, Lectura super Infortiato, Lyon, 1552 (= Opera Iuridica Rariora, 2-5, Bologne, 1968-1969) (édition Lyon, 1552 ici).

Précautions à prendre dans le repérage des œuvres et des auteurs

La première précaution à prendre est de déterminer la pertinence du groupe d’auteurs ou de textes mobilisés. Il est matériellement difficile de lire tous les commentaires de tous les auteurs d’une période donnée sur un objet déterminé. Il y a toujours une part de sondage dans une étude portant sur la doctrine médiévale. Un groupe d’auteurs ou de textes est pris comme représentatif de la doctrine d’une école ou d’un moment. Le fait de mobiliser certains textes et d’en écarter d’autres ne peut évidemment pas relever de la seule facilité ou difficulté d’accès aux textes, mais doit obéir à une logique de pertinence et de représentativité de l’échantillon.

La représentativité de l’échantillon est éminemment liée au sujet de l’étude, il n’est donc pas possible de fixer une manière unique de la déterminer. Néanmoins, quelques lignes peuvent être tracées :

Il convient également de prendre des précautions dans l’utilisation des éditions anciennes.

En premier lieu, il faut manier avec précaution les index. Les index des éditions du XVIe siècle sont le reflet des préoccupations et centres d’intérêt des éditeurs de la période. Ils ne reposent pas sur un système d’indexation exhaustive des termes présents dans l’œuvre, mais sur un système de résumés de quelques mots, établis par les éditeurs, qui soulignent ce qui leur paraît être les points importants du commentaire de chaque fragment (ces résumés figurent non seulement dans l’index final, mais aussi en tête de chaque fragment, sous forme de liste numéroté). Ce sont les termes figurant dans ces résumés qui sont répertoriés dans les index. L’usage des index ne peut donc en aucune façon garantir l’identification de l’ensemble des termes nécessaires à l’étude.

En second lieu, il faut se méfier des erreurs d’attribution ou de datation des œuvres. Les éditions anciennes attribuent parfois de façon erronée les œuvres éditées. Il peut s’agir d’erreurs de bonne foi reflétant les connaissances scientifiques de l’époque, ou de forgeries destinées à rendre plus attractif un ouvrage (certains auteurs se vendant mieux que d’autres). L’erreur d’attribution peut porter sur l’ouvrage entier ou ne concerner que certains passages. L’utilisation d’un ouvrage ancien implique donc qu’il faut nécessairement compulser la littérature récente sur l’auteur et l’œuvre en question pour être en mesure de réattribuer toute ou partie de l’œuvre.

En troisième lieu, il faut être attentif aux coquilles et autres transformations. Toutes les éditions anciennes sont susceptibles de contenir des coquilles ou des transformations du texte initial. Ces transformations, le plus souvent involontaires, peuvent être délibérées. Il convient, à chaque fois qu’un texte paraît suspect, de vérifier une éventuelle altération dans une autre édition ou dans des manuscrits du texte. Les variantes ou reconstitutions doivent être indiquées quand elles sont mises à contribution dans l’étude.

Accéder aux manuscrits contenant des œuvres de droit romain médiéval
Recourir aux manuscrits

Toutes les recherches en droit savant médiéval ne nécessitent pas un recours aux manuscrits. Le recours aux manuscrits est cependant absolument nécessaire dans certains cas :

Repérer les manuscrits utiles

Le recours aux manuscrits implique de repérer ceux qui seront utiles à la recherche en cours, pour connaître leur localisation et avoir une première idée de leur contenu.

Ce repérage se fait à partir de catalogues des fonds et bibliothèques (ou d’ouvrages listant les manuscrits). Il peut s’agir soit de catalogues identifiant certains types de manuscrits juridiques dans de multiples fonds, soit de catalogues identifiant les manuscrits juridiques contenus dans un fonds précis. Les catalogues et ouvrages signalés ci-dessous permettent un premier repérage.

Le catalogue incontournable pour travailler sur les manuscrits de droit romain est Dolezalek, 1972 (une version du catalogue est disponible en ligne). Ce répertoire, qui recense 6764 manuscrits juridiques, est organisé en 4 tomes : les deux premiers recensent les manuscrits par bibliothèques, le troisième les recense par personnes (juristes dont les écrits sont contenus dans les manuscrits, possesseurs, scribes), le quatrième les recense par titre, incipit et explicit.

Existent aussi des catalogues et répertoires de manuscrits selon la nature des textes qu’ils contiennent.

Existent également des catalogues et répertoires recensant les manuscrits juridiques conservés par pays ou par institution. Parmi les plus importants, on notera :

Trois grandes institutions possèdent, en plus d’un fonds propre de manuscrits et d’éditions anciennes, des copies (sous différents formats) de milliers de manuscrits juridiques abrités ailleurs, permettant ainsi aux chercheurs de consulter en un seul lieu tous ces manuscrits : la Robbins Collection à l’University of California, Berkeley ; le Max-Planck Institut für Rechtsgeschichte und Rechtstheorie à Francfort et l’Istituto di storia del diritto italiano à Milan.

De plus en plus de bibliothèques et d’institutions numérisent leurs manuscrits. Parmi les sites importants regroupant plusieurs centaines de manuscrits juridiques numérisés, on notera les manuscrits numérisés de la bibliothèque vaticane, les manuscrits numérisés des bibliothèques françaises hors BnF, les manuscrits numérisés de la Bibliothèque nationale de France et les manuscrits numérisés de l’Istituto di storia del diritto italiano de Milan.

Lire et comprendre un texte de doctrine civiliste médiévale
Comprendre les allégations des fragments du Corpus Iuris Civilis dans les textes doctrinaux

Les commentaires doctrinaux renvoient de façon très fréquente à des fragments des corpus juridiques ou d’autres œuvres doctrinales. Mais la façon médiévale de désigner les fragments des corpus juridiques n’est plus la nôtre. Nous les désignons par une numérotation introduite dans les éditions critiques depuis le XVIe siècle, quand les médiévaux les désignaient par les premiers mots du fragment, souvent abrégés.

La référence incontournable pour comprendre le système des citations médiévales de droit romain et de droit canonique et apprendre à les déchiffrer est Giordanengo, 1995b et 1995c. Une présentation plus complète (moins pédagogique, mais incontournable s’il s’agit de transcrire des références dans une étude universitaire) de ce système de citations se trouve dans Feenstra et Rossi, 1961.

Dans ce système de citation, les allégations commencent par indiquer le volume du Corpus Iuris auxquelles elles renvoient, en utilisant une lettre ou une abréviation.

Abréviations désignant les volumes du Corpus

C.

Code de Justinien

ff.

Digeste de Justinien (correspond à une déformation d’un D barré)

Inst.

Institutes de Justinien

Auth./ Nov.

Authentiques ou Novelles de Justinien

Ce système de citations par les premiers mots d’un canon ou d’une loi s’accompagne parfois de précisions (souvent abrégées) sur l’emplacement plus détaillé de la référence au sein d’une loi ou d’un paragraphe.

Abréviations les plus courantes pour désigner l’emplacement d’une référence

pr. ou in princ.

in principio (au début, dans le préambule)

in fi.

in fine (à la fin)

seq.

sequente (dans le suivant)

ult.

ultimo (dans le dernier)

in penult.

in penultimo (dans l’avant-dernier)

in gl.

in glosae (dans la glose)

 

Il existe des tables de concordance pour trouver, à partir d’une citation de la Vulgate médiévale, la numérotation moderne correspondante dans les éditions actuelles (Sinatti d’Amico, 1964-1970).

Tableaux synthétiques du système de citations de droit romain

Citations du Code de Justinien

Citations anciennes

Citations contemporaines

Principe

Dans les manuscrits médiévaux et éditions anciennes, le Code de Justinien est divisé en livres, titres, lois et éventuellement paragraphes.

Les références médiévales au Code de Justinien comprennent les éléments suivants : indication de l’ouvrage par une lettre (le Code de Justinien est désigné par C) + indication du livre et du titre par les premiers mots du titre + indication de la loi par les premiers mots de la loi (+ éventuellement, indication du paragraphe par les premiers mots du paragraphe)

Principe

Dans les éditions critiques modernes, le Code de Justinien est divisé en livres, titres, lois et éventuellement paragraphes.

Les références modernes au Code de Justinien comprennent les éléments suivants : indication de l’ouvrage (le Code de Justinien est désigné par C) + indication du livre par un numéro + indication du titre par un numéro + indication de la loi par un numéro (+ éventuellement, indication du paragraphe par un numéro)

Exemple

C. de rei ven. Cum a matre.

« C » indique l’ouvrage (Code de Justinien), « de rei ven. indique le titre (titre « de rei vendicatione », qui correspond dans les éditions modernes et contemporaines au livre 3, titre 32), « Cum a matre » indique la loi (qui correspond dans les éditions modernes et contemporaines à la loi 14 du titre 32 du livre 3).

Exemple

C. 3. 32. 14.

« C. » indique l’ouvrage (Code de Justinien), la suite de nombres indique dans l’ordre le livre, le titre, la loi. Il s’agit donc de la loi 14 du titre 32 du livre 3 du Code de Justinien.

Cas particulier

Pour les Tres libri (livres 10 à 12 du Code, rattachés au Volumen), le même mode de citation est utilisé, mais le numéro du livre du Code dans lequel se trouve la loi est souvent précisé en fin de citation.

Exemple : C. de exac. trib. Act. caet. li. X

« C. » indique l’ouvrage (Code de Justinien), « de exac. trib. » indique le titre (titre « de exactoribus tributorum » qui correspond dans les éditions modernes et contemporaines au livre 10, titre 19), « Act. caet. » indique la loi « actores caeterique » (qui correspond dans les éditions modernes et contemporaines à la loi 4 du titre 19 du livre 10) , « li. X » précise que ce titre est situé dans le livre 10 du Code. Dans une édition moderne, la référence à cette loi prend la forme : C. 10. 19. 4.

Dans les éditions modernes et contemporaines, le mode de citation ne distingue pas les Tres libri du reste du Code.


Citations du Digeste de Justinien

Citations anciennes

Citations contemporaines

Principe

Dans les manuscrits médiévaux et éditions anciennes, le Digeste de Justinien est divisé en livres, titres, lois et éventuellement paragraphes.

Les références médiévales au Digeste de Justinien comprennent les éléments suivants : indication de l’ouvrage (le Digeste de Justinien est désigné par ff) + indication du livre et du titre par les premiers mots du titre + indication de la loi par les premiers mots de la loi
(+ éventuellement, indication du paragraphe par les premiers mots du paragraphe).

Principe

Dans les éditions critiques modernes, le Digeste de Justinien est divisé en livres, titres, lois et éventuellement paragraphes.

Les références modernes au Digeste de Justinien comprennent les éléments suivants : indication de l’ouvrage (le Digeste de Justinien est désigné par D. ou Dig.) + numéro du livre + numéro du titre + numéro de la loi (+ éventuellement, numéro du paragraphe).

Exemple 1

ff. de fund. dot. Si marito deb.

« ff. » indique l’ouvrage (Digeste de Justinien), « de fund dot. » indique le titre (titre « de fundo dotalis », qui correspond dans les éditions modernes et contemporaines au livre 23, titre 5), « Si marito deb. » indique la loi (« si marito debitori », qui correspond dans les éditions modernes et contemporaines à la loi 9 du titre 5 du livre 23). Dans une édition moderne, la référence à cette loi prend la forme : D. 23. 5. 9.

Exemple 1

D. 23. 5. 9.

« D. » indique l’ouvrage (Digeste de Justinien), la suite de nombres indique dans l’ordre le livre, le titre, la loi, le paragraphe. Il s’agit donc de la loi 9 du titre 5 du livre 23 du Digeste de Justinien.

Exemple 2

ff. ex quib. cau. § quod edictum

« ff. » indique l’ouvrage (Digeste de Justinien), « ex quib. cau. » indique le titre (titre « ex quibus causis maiores », qui correspond dans les éditions modernes et contemporaines au livre 4, titre 6), le nom de la loi (« ergo sciendum ») est omis, seul est indiqué le nom du paragraphe « quod edictum » qui correspond dans les éditions modernes et contemporaines au paragraphe 2 de la loi 22 du titre 6 du livre 4. Dans une édition moderne, la référence à cette loi prend la forme : D. 4. 6. 22. 2.

Exemple 2

D. 4. 6. 22. 2.

« D. » indique l’ouvrage (Digeste de Justinien), la suite de nombres indique dans l’ordre le livre, le titre, la loi, le paragraphe. Il s’agit donc du paragraphe 2 de la loi 22 du titre 6 du livre 4 du Digeste de Justinien.


Citations des Institutes de Justinien

Citations anciennes

Citations contemporaines

Principe

Dans les manuscrits médiévaux et éditions anciennes, les Institutes de Justinien sont divisées en livre, titre et paragraphe.

Les références médiévales aux Institutes de Justinien comprennent les éléments suivants : indication de l’ouvrage (les Institutes sont désignées par Inst.) + indication du livre et du titre par les premiers mots du titre + indication du paragraphe par les premiers mots du paragraphe.

Principe

Dans les éditions critiques modernes, les Institutes de Justinien sont divisées en livre, titre et paragraphe.

Les références modernes aux Institutes de Justinien comprennent les éléments suivants : indication de l’ouvrage (les Institutes sont désignées par Inst.) + numéro du livre + numéro du titre + numéro du paragraphe

Exemple

Inst. de inoff. test. § non autem lib.

« Inst. » indique l’ouvrage (Institutes), « de inoff. test. » indique le titre (titre « de inofficioso testamento » qui correspond dans les éditions modernes et contemporaines au livre 2, titre 18), « § non autem lib. » indique le paragraphe (« non autem liberis » § 1 de ce titre).

Exemple

Inst. 2. 18. 1.

« Inst. » indique l’ouvrage (Institutes de Justinien), la suite de nombres indique dans l’ordre le livre, le titre, le paragraphe. Il s’agit donc du §1 du titre 18 du livre 1 des Institutes de Justinien.


Citations des Authentiques ou Novelles de Justinien

Citations anciennes

Citations contemporaines

Principe

Dans les manuscrits médiévaux et éditions anciennes, les Novelles de Justinien sont divisées en collation (ou livres), titre et chapitre (ou paragraphe).

Les références médiévales aux Novelles de Justinien comprennent les éléments suivants : indication de l’ouvrage (les Authentiques sont désignées par « Auth. ») + indication du titre par les premiers mots du titre + indication du chapitre (ou paragraphe) par les premiers mots (+ indication éventuelle de la collation).

Principe

Dans les éditions critiques modernes, la référence aux Authentiques dans la division de la Vulgate médiévale est souvent accompagnée de la référence aux Novelles dans la division critique actuelle.

Les références modernes aux Authentiques de Justinien comprennent les éléments suivants : indication de l’ouvrage (les Authentiques sont désignées par « Auth. »] + numéro du livre + numéro du titre + numéro du chapitre.

Les références modernes aux Novelles de Justinien comprennent les éléments suivants : indication de l’ouvrage (les Novelles sont désignées par « Nov. ») + numéro de la novelle + numéro du chapitre (+ numéro éventuel du paragraphe).

Exemple

Auth. ut liceat matri et auie. Quia vero ita.

« Auth. » indique l’ouvrage, « ut liceat matri et auie. » indique le titre (titre qui correspond dans les éditions modernes et contemporaines à la collation 8 titre 18), « Quia vero » le chapitre ou paragraphe (§1). Dans une édition moderne, la référence à cette authentique prend la forme : Auth. 8. 18. 1.. Elle est en général suivie de la référence à la division critique.

Exemple

Auth. 8. 18. 1. – Nov. 117. 15. 1.

« Auth. » indique l’ouvrage (Authentiques), la suite de nombres indique dans l’ordre le livre, le titre et le chapitre ou paragraphe.

La référence aux Authentiques est suivie de la référence aux Novelles. « Nov. » indique l’ouvrage (Novelles), la suite de nombres indique dans l’ordre le numéro de la novelle, le chapitre puis éventuellement le paragraphe.

Cas particulier

Certaines Authentiques ont, au Moyen Âge, été insérées dans le Code (quand elles venaient compléter une constitution impériale présente au Code). Elles ne font donc pas l’objet de commentaires à leur place « normale » dans le livre des Authentiques, mais à la suite du passage du Code duquel elles ont été rapprochées.

Dans une édition moderne, ces authentiques déplacées apparaissent sous la forme « Auth. post. C. 4. 1.3. 5. ». ou « Auth. post C. 1. 2. 13. = Nov. 5. 5. »

 

 

Remarques sur ces tableaux :

Identifier la nature ou le genre littéraire d’un texte doctrinal

Il existe plusieurs formes de textes doctrinaux, qui peuvent coexister au sein d’un même manuscrit ou d’un même ouvrage. Certaines sont le reflet de l’enseignement et correspondent à des formes de cours ou d’exercices pratiqués dans les écoles juridiques médiévales (lectura, repetitio, disputatio). D’autres sont des œuvres de cabinet, qui s’éloignent des formes professées en cours (ordo, tractatus).

Il importe de les distinguer pour comprendre ce qui, dans la source, vient d’une version proche du rédacteur et ce qui est réécrit, amendé, corrigé par d’autres au terme d’un processus de mise en forme du manuscrit ou de l’édition moderne. Il s’agit également de comprendre la coexistence de plusieurs versions pour un même texte sans pour autant qu’il s’agisse de la transcription d’un original. Il s’agit aussi de comprendre ce qui dans la version écrite d’une œuvre doctrinale relève de la contrainte formelle inhérente à un genre littéraire précis, pour ne pas mésinterpréter les propos de l’auteur.

Il ne faut pas se fier, pour identifier le genre littéraire d’un texte doctrinal, à l’intitulé sous lequel il figure dans les manuscrits, les catalogues de manuscrits, et plus encore dans les éditions du XVIe siècle.

Précautions à prendre dans la lecture d’un texte doctrinal médiéval

La première précaution à prendre dans la lecture d’un texte doctrinal médiéval relève de l’attribution et de la datation. Tous les passages d’un même manuscrit ou imprimé ne sont pas nécessairement du même auteur ou de la même période. En particulier, un cours complet (lectura) sur un livre des compilations n’est pas nécessairement le reflet du cours dispensé lors d’une unique année universitaire. Cela s’explique par la chaîne de production des manuscrits médiévaux autour des universités (Bataillon, 1988 ; Soetermeer, 1997) : les manuscrits universitaires (sur lesquels s’appuient les éditions du XVIe siècle) sont souvent des collages ou des reconstitutions d’un ensemble fictif. Il convient donc de compulser la littérature récente sur l’auteur et l’œuvre en question. Il faut également garder à l’esprit que les éléments de datation ou localisation trouvés dans le texte ne valent que pour le passage concerné, et non pas nécessairement pour la totalité de l’ouvrage.

La seconde précaution à prendre dans la lecture d’un texte doctrinal médiéval est liée à l’usage des abréviations. Les manuscrits et éditions anciennes ont massivement recours aux abréviations. Un même terme peut être abrégé de manière différente au sein d’un même ouvrage. La compréhension rapide des abréviations vient avec l’habitude de la fréquentation de ces textes. L’outil de travail incontournable, fréquemment réédité, est Adriano Cappelli, Dizionario di abbreviature latine ed italiane, 7e édition, 1928, Milan (dernière impression 2011, Hoepli, Milan ; également en ligne). Ce dictionnaire est indispensable.

Dans les œuvres doctrinales médiévales, les renvois fréquents à d’autres œuvres et à d’autres juristes apparaissent sous forme d’abréviations. Un même nom peut être abrégé de manière différente d’un texte à l’autre ou même au sein du même texte. Dans les transcriptions, il est d’usage de conserver les noms sous leur forme latine, à l’exception de ceux pour lesquels la francisation (Accurse, Jacques de Révigny, etc.) ou l’italianisation (Cino da Pistoia) est traditionnellement admise. Dans les index, il est bon de donner les deux formes (latin et langue vernaculaire), même si une seule a été utilisée dans le corps du texte.

Il n’existe pas de liste générale des abréviations des noms de juristes médiévaux. Seule la fréquentation des textes permet de créer des habitudes et des réflexes. La liste suivante présente les abréviations les plus courantes pour désigner dans les textes doctrinaux les juristes du Moyen Âge.

Abréviations des noms de juristes médiévaux

A., Al.

Alanus (Alanus Anglicus) ou Albertus (Albertus Gandinus ou maître Albert) ou Albericus (Albericus de Rosate ou Albericus de Porte Ravennata)

Alb.

Albertus (Albertus Gandinus ou maître Albert) ou Albericus (Albericus de Rosate ou Albericus de Porte Ravennata)

Ab. ant.

Abbas antiquus (= Bernard de Montmirat)

Ac., Acc.

Accurse

Ang.

Angelus de Ubaldis

Ant. de But.

Antonius de Butrio

Ar.

Iacobus de Ardizzone

Arch..

Archidiaconus (= Guido de Baisio)

Az. ; Azo., Aç

Azon

B.

Bartholomaeus Brixiensis ou Iohannes Bassianus ou Bernardus Parmensis ou Bulgarus ou Iacobus Balduini

B. ; Bar. ; brixi.

Bartholomaeus Brixiensis

B. ; Baz.

Iohannes Bassianus

B. ; Ber. ; Bern.

Bernardus Parmensis

Ba., Bag.

Bagarottus

Bal. ; Bald

Baldus de Ubaldi

Bart.

Bartolus de Saxoferrato

B., Bu., Bul., Bulg.

Bulgarus

Bis. ; Si.

Simon de Bisignano

But.

Antonius de Butrio

C., Card.

Cardinalis (Raymond des Arènes)

Card. Flo.

Cardinalis Florentinus (Franciscus Zabarella)

Compost.

Bernardus Compostellanus iunior

Cy. 

Cinus de Pistoia

Di., Dy.

Dinus de Mugello

Dur.

Guillaume Durand

G. Dur.

Guillaume Durand

G. de Ca.

Guillelmus de Cabriano

G. de Cun.

Guillaume de Cunh

G. de Mon. Lau.

Guillaume de Montlauzun

Gen.

Jesselin de Cassagnes

Go. ; Gof.

Goffredus de Trani

Guar.

Irnerius

H. ; Hu. ; Hug.

Huguccio ou Hugo de Porta Ravennate ou Hugolinus
de Presbiteris

Hen., Hr.

Henri Bohic

Ho. ; Host.

Henricus de Segusio (Hostiensis)

Imo

Iohannes de Imola

Inn.

Sinibaldus Fieschi (Innocent IV)

I., Ir.

Irnerius

Jac. Bal.

Iacobus Balduini

Jac. But.

Iacobus de Butrigariis

Jac. de Are.

Iacobus de Arena

Ja. de Bel. ; Bello.

Iacobus Belvisi

Ja. de Ra.

Jacques de Révigny

Jo. An. ; Joan. And.

Iohannes Andreae

Jo. de Bru., de Bla

Jean de Blanot

Jo. de f. ; Jo. Fav. 

Iohannes Faventinus

Jo. de Lig.

Iohannes de Lignano

Jo. G. ; Jo. Gal.

Iohannes Galensis

Jo. Mo.

Jean Lemoine

Jo. ; Jo. B.

Iohannes Bassianus

Jo. ; Jo. Teutonicus

Iohannes Teutonicus

l. ; la. ; lau. ; laur.

Laurentius Hispanus

Lud. ; Lud. rom.

Ludovicus Pontanus

M., Ma., Mar. M.G.

Martinus Gosia

Mart. Fa.

Martinus de Fano

Odo. ; Odof.

Odofredus

Ol.

Oldradus de Ponte

Ost.

Henricus de Segusio (Hostiensis)

P. Ber.

Pierre Bertrand l’Ancien

P. Ys.

Petrus Hispanus

Pan. ; Panor.

Nicolaus de Tudeschis (Panormitanus ou Abbas Siculus)

Pet. de Bel.

Petrus de Bellapertica, Pierre de Belleperche

P., Pla., Plac.

Placentinus

Py. ; Pil.

Pillius de Medicina

R.

Ricardus Anglicus

R. ; Rog.

Rogerius

R. ; Ru.

Rufinus

Ra. ; Ray

Raymundus de Pennaforte

Rof.

Roffredus Beneventanus

Nic. Sic.

Nicolaus de Tudeschis (Panormitanus ou Abbas Siculus)

Sil.

Silvester

Sill. ; Syll.

Martinus de Silimanis

Spe. ; Spec.

Guillaume Durand (Speculator)

Ste.

Etienne de Tournai

Sy.

Simon de Paris ou Simon de Bisignano

U. ; Ug.

Huguccio ou Hugo de Porta Ravennate ou Hugolinus de Presbiteris

V. ; W.

Guillelmus de Cabriano

Vi. ; Vic. ; Vinc.

Vincentius Hispanus

W. de Cun

Guillaume de Cunh

Y. ; Yr.

Irnerius

Zab.

Franciscus Zabarella

La troisième précaution à prendre dans la lecture d’un texte doctrinal médiéval relève de la difficulté à différencier propos de l’auteur et propos rapportés par l’auteur. Il n’est pas toujours facile pour le novice de repérer dans un texte doctrinal si les doctrines présentées sont celles de l’auteur ou celle d’un tiers dont l’auteur rapporte la pensée. Les difficultés proviennent pêle-mêle de l’usage des signes de ponctuation dans les manuscrits et éditions anciennes, de l’usage d’abréviations, de certains usages de citations qui ne répètent pas le nom de l’auteur cité, de la manière médiévale de construire un commentaire en s’emparant des idées et des mots d’un autre (construction dite « en mosaïque »), du fait qu’une partie des textes ne sont pas rédigés par l’auteur lui-même mais proviennent de prises de notes de ses élèves, ce qui fausse la compréhension de formules telles que dominus domini mei dicebat, etc. La fréquentation des textes rend la pratique plus aisée, mais il convient pour les débutants d’y être particulièrement attentifs, et de s’attacher à repérer les ut., ar., arg. qui introduisent souvent citations et allégations.

La quatrième précaution à prendre dans la lecture d’un texte doctrinal médiéval touche au caractère parfois silencieux ou peu explicite des sources. Il faut aborder les sources savantes médiévales avec un certain état d’esprit. Il est rare d’y trouver de riches développements qui vont répondre exactement aux problèmes envisagés dans l’étude. Les dépouillements, longs et fastidieux, ne procurent souvent que des commentaires lapidaires de quelques lignes, et/ou sur des formules identiques d’un juriste à l’autre (parfois pendant plusieurs décennies ou siècles). Le chercheur qui se penche sur les sources doctrinales médiévales doit accepter que le silence, l’absence d’intérêt de la doctrine pour un sujet à un moment, la répétition sans originalité ou la reprise sans modification par toute une partie de la doctrine sont autant d’éléments révélateurs de la pensée juridique d’une époque. L’opinio communis n’est pas nécessairement originale. La brusque révolution intellectuelle ou le coup de génie d’un individu n’est pas nécessairement représentatif de l’évolution de la pensée. La révolution est un accident ; la situation « normale » de la pensée juridique se trouve bien plus dans l’évolution lente, repérable dans la répétition de formule où les termes ne changent que lentement sur plusieurs décennies.

POUR FAIRE LE POINT

TRANSCRIPTION DU FOLIO (LES LIGNES SONT INDIQUÉES) :

Sources éditées

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LETO PROVA TABELLA TR

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« Atene e Lacedemona, che fenno
l’antiche leggi e furon sì civili,
fecero al viver bene un piccol cenno
verso di te, che fai tanto sottili
provedimenti, ch’a mezzo novembre
non giugne quel che tu d’ottobre fili »
(Dante Alighieri, Purgatorio, VI, vv. 139-144)

TITOLO

Peu  1  de textes juridiques ont suscité un débat aussi passionné que les Libri feudorum, un débat qui a impliqué des spécialistes de l’histoire juridique, de l’histoire politique et de l’histoire sociale. Les Libri feudorum constituent un texte hétérogène, fruit d’un lent processus de sédimentation entre 1100 et 1250 environ, fondé sur un certain nombre de règles coutumières lombardes qui régissent à la fois la relation personnelle entre le seigneur féodal et le vassal et les droits réels que tous deux exercent sur les biens soumis à la concession féodale, connue sous le nom de « beneficium » ou « feudum ».

Justinianus, Codex
Fig. 1 Justinianus, Codex; Italie XIIe siècle (1ère moitié) (Montpellier, Médecine, ms. H 83, fol. 20v-21).
 « Atene e Lacedemona, che fenno
 l’antiche leggi e furon sì civili,
  fecero al viver bene un piccol cenno
  verso di te, che fai tanto sottili
  provedimenti, ch’a mezzo novembre
  non giugne quel che tu d’ottobre fili »
  (Dante Alighieri, Purgatorio, VI, vv. 139-144)

« Atene e Lacedemona, che fenno
l’antiche leggi e furon sì civili,
fecero al viver bene un piccol cenno
verso di te, che fai tanto sottili
provedimenti, ch’a mezzo novembre
non giugne quel che tu d’ottobre fili »
(Dante Alighieri, Purgatorio, VI, vv. 139-144)

TITOLO

SOTTOTITOLO
SOTTO-SOTTOTITOLO

Cette distinction est à la base de l’une des définitions les plus utilisées de la « féodalité », proposée avec succès par un historien du droit, le belge François-Louis Ganshof (Ganshof, 1944). Pour Ganshof, comme pour d’autres chercheurs avant lui, la « féodalité » serait l’union historique du « fief » et de la « vassalité », considérés comme deux institutions indépendantes, dotées d’une vie propre depuis le début de l’époque carolingienne ; leur union se produirait entre le Xe et le XIIIe siècle, l’époque de la « féodalité classique ». Dans cette perspective, les deux institutions auraient été des éléments constitutifs des principales formations politiques médiévales, à savoir l’empire carolingien et les principautés et les monarchies qui en sont issues ou qui en ont été influencées. Ce serait finalement le raffinement des instruments juridiques au cours du Moyen Âge tardif qui aurait favorisé une union stable des deux composantes, personnelle et royale.

Malgré la clarté de cette définition, la notion de féodalité soulève des problèmes importants. Tout d’abord, cette définition étroite et purement juridique coexiste avec d’autres notions plus larges, notamment :

SOTTOTITOLO

Traité

Titres dans l’Antiqua
(Lehmann, 1896)

Texte correspondant dans la Vulgata
(Lehmann, 1896)

A

Ant. 1-2

LF 1.1-6

B

Ant. 3-4

LF 1.7-12

C1

Ant. 9

abs.

C2

Ant. 6.1-6

LF 1.13-17

D

Ant. 6.7-14

LF 1.18-23

E

Ant. 7

LF 1.24-26

F

Ant. 8

LF 2.1-22 (sans 2.6-7pr)

G

Ant. 10

LF 2.23-24

suscription
invocation
adresse
salut
exposé

CHARLES,  par la grâce de Dieu, Roy de France. A tous ceux qui ces présentes Lettres verront : Salut. Comme depuis naguère Nous eussions mandé et fait venir par-devers Nous en notre bonne ville de Paris, plusieurs Prélats, Chevaliers, Ecuyers, bourgeois de nos cités et bonnes villes, et autres notables personnages nos bons sujets, et à eux fait exposer en notre présence, les grandes affaires et charges que avons eu à supporter en ça, si comme encore avons de présent, tant pour occasion des discordes, débats et divisions qui longuement ont été en notre Royaume, pour lesquelles apaiser avons par la grâce de Notre Seigneur mis peine, remède et provisions conve-nables, comme pour ce que nos ennemis et adversaires d’Angleterre, en très grands nombre de gens d’armes et de trait, étaient descendus et entrés en plusieurs et diverses parties de notre Royaume, et déjà avaient pris par force et autrement, plusieurs de nos châteaux, villes et forteresses, en eux efforçant de jour en jour de conquester pays sur Nous ; et sur ce Nous qui avons désiret affection très singulière de pourvoir et remédier aux inconvénients éminentsqui étaient disposés d’en ensuir ou préjudice de Nous et de notre bon peuple,et de employer en ce notre personne, nos amis et toute notre chevance […] de Nous et de notre Royaume.

notification
dispositif

Savoir faisons que Nous en considération aux choses par eux baillées et proposées, désirant de tout notre cœur y mettre bonnes provisions et convenables remèdes, afin que dorénavant lesdits abus et inconvénients cessent de tout en tout, et que les faits de la chose publique de notre Royaume, tant au regard de toutes nos dites Finances et de notre dite Justice, comme autrement, soient remis en bon état et dument gouv-ernées au bien de Nous et de notre peuple, avons pour ce fait assembler par plusieurs fois, tant en la présence de Nous, comme de notre très chère et très aimée Compagne la Reine, de notre très Chrétien et très aimé ainé Fils le Duc de Guyenne Dauphin de Vienne et autrement à part plusieurs de notre Sang et Lignage, et autre de notre Grand Conseil, en très grand nombre, et par grande et mure délibération de Conseil […] Grand Conseil, avons fait, voulu et ordonné, faisons, voulons et ordonnons les Ordonnances qui suivent.
(1) ET PREMIEREMENT

SOTTO-SOTTOTITOLO

Texte 1. LF Ant. 1.1
Voyons quelles sont les origines des fiefs. À une époque très ancienne, il était inhérent au pouvoir des seigneurs de reprendre, quand ils le voulaient, ce qu’ils avaient donné en fief. Plus tard, il a cependant été établi qu’ils n’auraient l’assurance de ce droit que pour une durée d’un an ; puis il a été décidé que celle-ci s’étendait à toute la vie du fidèle. Mais comme cela ne revenait pas aux fils par droit de succession, on procéda de manière à ce que cela passe aux fils […]. Mais comme Conrad était en route pour Rome, les fidèles qui étaient à son service lui demandèrent, par la promulgation d’une loi, de daigner étendre cela aussi aux petits-enfants par le fils, et [d’établir] qu’un frère puisse succéder à son frère décédé sans héritier légitime dans la jouissance du fief de leur père1.

L’intervention de Conrad (Stella, 2023), dictée par une situation d’urgence, la violente rébellion des chevaliers milanais, loin d’être un

Texte 2. LF 2.8.1
Quant à la chose qui a été cédée en bénéfice par une investiture légitime, le vassal a le pouvoir de « presque la revendiquer » (quasi vindicare) contre n’importe quel possesseur comme s’il en était le dominus2.

Il s’agit de la rei vindicatio, véritable action de protection de la propriété, mise à la disposition du propriétaire d’un bien contre les possesseurs illégitimes afin d’en obtenir la restitution. La position juridique du vassal vis-à-vis du fief était donc en quelque sorte assimilée à celle du propriétaire ou, situation rendue ambiguë par la polysémie de dominus, à celle du seigneur du fief lui-même. Obertus ne résout pas cette ambiguïté sur le plan formel, qui trouvera une solution plus complète quelques décennies plus tard, lorsque le juriste de Bologne Pillius de Medicina formulera le concept de rei vindicatio utilis et, avec lui, la théorie du duplex dominium, un véritable dédoublement de la propriété, qui suscitera de nombreuses discussions parmi les juristes au cours des siècles suivants (Conte, 2018).

L’attitude d’Obertus à l’égard du droit romain n’est pas toujours favorable et relève parfois de la méfiance, voire de la polémique. Ainsi, l’un de ses célèbres passages manipule le contenu et le sens d’un rescrit de l’empereur Constantin transmis par le Code de Justinien (C. 8.52.2) qui consacre la suprématie de la raison et de la loi sur la coutume (texte 3). Pour Obertus (texte 4), cette hiérarchie est littéralement inversée en matière de fiefs.

Texte 3. C. 8.52.2. L’empereur Constantin à Proculus, année 319
L’autorité de la coutume et des usages anciens n’est pas à dédaigner, mais sa valeur n’ira pas jusqu’à l’emporter sur la raison ou la loi3.

Texte 4. LF 2.1. Incipit du premier traité d’Obertus
Dans le jugement concernant les fiefs, il est d’usage de dire ce qui est contraire à nos lois [c’est-à-dire au droit romain] : car l’autorité des lois romaines n’est pas à dédaigner, mais sa valeur n’ira pas jusqu’à l’emporter sur la coutume et l’usage4.

Une autre invective, à l’égard de l’école de Bologne, peut sans doute être rapprochée de la forme narrative utilisée pour les deux traités. Ceux-ci sont rédigés sous la forme de deux lettres adressées à son fils Anselme (LF 2.1), qui étudiait alors le droit à Bologne. Il est plausible qu’avec cet expédient littéraire, qui semble faire référence au De officiis de Cicéron adressé à son fils Marcus qui étudiait la philosophie à Athènes, Obertus ait voulu critiquer le fait que le droit féodal n’était pas enseigné dans le studium de Bologne.

La recensio ardizzoniana ou intermédiaire

Avec les écrits d’Obertus s’achève ce que l’on appelle la recensio antiqua, une phase que les manuscrits conservés nous restituent sous une forme encore fluide et instable. Cette caractéristique est encore plus marquée dans ce que l’on a appelé la recensio ardizzoniana, parce qu’elle a été attribuée à tort au juriste italien Iacobus de Ardizzone (c. 1200 – post 1244), spécialiste de droit féodal, à tel point qu’aujourd’hui il est peut-être plus correct de parler d’une recensio intermédiaire. Nous sommes dans la seconde moitié du XIIe siècle, décennies au cours desquelles le caractère coutumier et localisé du texte s’accentue, mais où se manifeste également le premier intérêt des juristes de l’école de Bologne.

Le trait le plus marquant de cette phase tient dans la profonde interpénétration de ce matériau juridique avec les institutions civiques milanaises. Cette porosité apparaît clairement dans la codification des statuts de la ville de 1216 (éd. Besta, 1949), où plusieurs chapitres sur les fiefs reprennent presque mot pour mot des passages des Libri feudorum. Mais, paradoxalement, cette phase si liée à son contexte local correspond aussi au premier intérêt que nous connaissons de la part de juristes non lombards. Le plus célèbre d’entre eux est Pillius de Medicina, qui adopte les Libri feudorum comme texte d’enseignement au studium de Modène, en les traitant comme s’il s’agissait d’une source justinienne. Il en tira une summa, la première que nous connaissions, et un appareil de gloses. Il s’agit d’une opération d’une importance fondamentale dans l’histoire de la tradition juridique occidentale ; d’abord parce qu’elle élaborait pour la première fois la doctrine du domaine divisé, qui garantissait au seigneur féodal un droit réel sur les fiefs (dominium utile) sans compromettre le droit du seigneur (dominium directum) ; ensuite parce que l’appareil ouvrait la voie à l’établissement des Libri feudorum à Bologne (Conte, 2018).

Un autre signe important de cette délocalisation est l’inclusion de la constitution De pace tenenda (LF 2.27) de Frédéric Ier Barberousse (1155-1190) datant de 1152. Ce texte a probablement été interpolé, car Frédéric y est qualifié d’empereur, un titre qu’il n’obtiendra qu’en 1155, et parce que le texte ne traite des fiefs que dans deux courts paragraphes (2.27.7-8). D’autres indices de la délocalisation du texte proviennent des chapitres dits extravagantes, qui « erraient en dehors » du texte officiel (c’est-à-dire celui glosé par Pillius), ainsi appelés parce qu’ils étaient souvent copiés sans ordre précis à la fin de celui-ci. Peter Weimar a montré que les extravagantes contenaient déjà tout le matériel inclus plus tard dans la recensio vulgata (Weimar, 1990). L’aspect le plus pertinent est que nous y trouvons de nombreux textes de valeur générale. Le premier est une lettre de Fulbert, évêque de Chartres (1006-1028), sur le serment d’allégeance, déjà incluse dans plusieurs recueils de droit canonique, y compris le Décret de Gratien (Decr. C. 22, q. 5, c. 18) (Giordanengo, 1970). Plus substantielle est la présence d’une législation impériale émise par Frédéric Ier, Conrad II (1027-1039), Lothaire III (1133-1137), et peut-être Henri III (1039-1056) – mais plus probablement Henri VI (1191-1197).

Cette phase intermédiaire de la codification se caractérise donc par deux tendances opposées : d’une part, l’accentuation du caractère local du texte, solidement ancré dans la pratique judiciaire et législative milanaise, et d’autre part, l’intérêt croissant des juristes non milanais, lisible dans l’inclusion, même parmi les extravagantes, de divers textes de valeur générale.

La recensio vulgata

Le chemin vers une version stable n’a donc pas été linéaire. L’apparat produit par Pillius vers 1200 a constitué le pas le plus important dans cette direction, car il a conféré une autorité à une tradition spécifique, ce qui a permis aux interprètes ultérieurs de s’y référer plus facilement.

La vulgata, telle qu’elle apparaît dans les éditions modernes (Stella, 2023), est le résultat, vers le milieu du XIIIe siècle, d’une extension de cette version, d’une sélection et d’une remise en ordre de diverses extravagantes. La lettre de Fulbert mentionnée plus haut a été incluse dans le premier traité d’Obertus, avec un autre chapitre sur le serment (LF 2.6 et 2.7pr). Le petit traité C1 de l’antiqua, presque identique au C2, est abandonné. La division en deux livres est devenue un élément stable.

Ces réalisations sont principalement dues aux travaux d’Accurse, le grand systématiseur de la magna glossa ou « glose ordinaire » du Corpus Iuris Civilis. Il a finalement complété l’appareil de Pillius pour les Libri feudorum en l’étendant à tous ces nouveaux titres. Peter Weimar a mis en évidence les différentes étapes qui ont conduit à la formation de la vulgata proprement dite, en identifiant une proto-vulgata et une recensio accursiana (Weimar, 1990). La stabilisation textuelle s’est donc faite, là encore, de manière graduelle et non linéaire.

L’apparat de gloses complété par Accurse, véritable glossa ordinaria feudorum, a contribué de manière décisive à l’établissement de la vulgata, bientôt copiée dans les nouvelles éditions du corpus justinien comme dixième collatio de l’Authenticum. L’ensemble de textes enracinés dans la Lombardie des XIe-XIIe siècles est ainsi devenu une source officielle du ius commune. Il s’agit d’une trajectoire tout à fait exceptionnelle qui bouleverse les dogmes de l’école de Bologne. Jusqu’ici, seuls les textes de Justinien, autorités textuelles intrinsèques car compilées sur ordre de l’empereur, pouvaient être cités. Ce n’est donc pas un hasard si l’inclusion de la législation impériale dans la vulgata a été concomitante de l’intérêt des glossateurs bolonais pour le texte. En effet, elle a permis à la fois de conférer au recueil un caractère officiel et de combler, en partie, le fossé entre les coutumes lombardes des deux premières recensiones et les doctrines juridiques enseignées dans les facultés de droit.

La littérature juridique féodale

Les prémices d’une littérature juridique féodale étaient donc déjà visibles avant que les Libri feudorum ne fassent partie intégrante des sources du ius commune. L’évolution de cette littérature, composée de gloses, de summae et de traités divers, permet de reconstituer les voies par lesquelles le texte est devenu une référence théorique solide pour une discussion des relations féodales dans toute l’Europe occidentale (Giordanengo, 1992). Là encore, l’intégration des sources du droit dans les Libri feudorum n’a pas été un processus continu.

Au XIIe siècle, ou trouve des mentions de fiefs non seulement dans les sources archivistiques, sources narratives, constitutions impériales et décrets papaux, mais aussi dans les consilia et les quaestiones des civilistes ou dans les textes de droit canonique. Les sources juridiques auxquelles les juristes ont eu recours sont presque toujours celles de Justinien et de Gratien, les décrets rassemblés dans les compilaciones antiquae ou dans les constitutions impériales de l’époque médiévale. Les textes de droit romain, en particulier, n’offraient pas de points d’appui faciles pour interpréter les relations féodales : à la lumière de cela, il est aisé de comprendre comment un texte tel que les Libri feudorum pouvait être utile, en particulier pour les civilistes, pour fonder un débat commun sur le droit féodal (Ryan, 2010). C’est donc dans ce sens qu’il faut lire l’émergence d’une littérature juridique féodale fondée sur l’exégèse des Libri feudorum, qui s’incarne dans les mêmes « genres » que ceux qui caractérisent la littérature civiliste de l’époque (gloses, summae, lecturae ou commentaria).

La glose

La glose a déjà été mentionnée : dans les dernières années du XIIe siècle, Pillius de Medicina a compilé le premier apparat que nous connaissons (éd. Rota, 1938) et qui a été complété par Accurse au milieu du XIIIe siècle. En cristallisant le texte dans une version définitive, la glose fournit un « label de qualité » garanti par l’école bolonaise. Il s’agit d’une étape fondamentale, car cette glossa ordinaria feudorum restera pendant des siècles le principal outil exégétique pour l’étude des Libri feudorum. Elle facilite leur analyse et, surtout, relie leur contenu au reste du corpus justinien, jetant ainsi les bases de l’émergence du droit féodal en tant qu’émanation du ius commune. Mais l’importance de la glossa est aussi tangible en termes de contenu, puisque c’est là que se trouve la première distinction formelle entre dominium utile et dominium directum.

Les Summae

La floraison de traités féodaux composés de summae et de lecturae ou commentaria (à partir de 1300 environ) est la preuve la plus claire de l’absorption des Libri feudorum dans le système de droit commun, après la stabilisation de la glossa. Les summae fleurissent dès la fin du XIIe siècle, avec celle de Pillius de Medicina, aujourd’hui perdue et connue seulement grâce à un remaniement ultérieur (éd. Palmieri, 1892). Il s’agissait parfois de traités assez courts, des compendia des Libri feudorum (par exemple ceux de Pillius et de Jacques d’Orléans, vers 1250) (Stella, 2019). Cependant, il s’agissait souvent de vastes recueils de quaestiones et de commentaires sur le texte, organisés par thèmes ou sous forme de tractatus qui reproduisaient la division en titres et chapitres du texte de référence (Giordanengo, 1992). Dans l’ensemble, les auteurs des summae ont tenté de compenser le fait que les Libri feudorum n’étaient pas organisés de manière claire par thèmes. Ce faisant, ils ont créé des liens entre les différents lieux du texte et ont opéré une réorganisation conceptuelle du contenu au moyen de références croisées, également externes aux sources justiniennes et, selon l’auteur, aux sources canoniques, à la législation impériale et aux coutumes locales.

Lecturae et commentaria

Entre la fin du XIIIe et le début du XIVe siècle, de nouvelles techniques d’interprétation s’imposent dans les principales écoles juridiques européennes. À l’instar de l’étude du Corpus Iuris Civilis, l’analyse des Libri feudorum, qui en sont désormais une partie intégrante, commence à se fonder sur une approche inspirée de la philosophie scolastique.

Le juriste ou commentateur observe le texte à la lumière de la glose. Par cette exégèse, il cherche à dégager la ratio et à produire ainsi un droit nouveau. La diffusion des lecturae et des commentaria représente l’achèvement de l’intégration des Libri feudorum dans le ius commune, qui s’incarne surtout dans les œuvres des grands juristes comme Andreas de Isernia (c. 1220/30 – c. 1316), Iacobus Belvisi (post 1270-1335) et le célèbre Baldus de Ubaldis-Balde (c. 1327-1400).

La diffusion du texte : portée et limites

Au XIVe siècle, les Libri feudorum étaient également largement connus en France. Au siècle suivant, ils se sont imposés dans tout le continent. Des cours basés sur ces livres étaient dispensés dans les principales écoles italiennes et françaises (Giordanengo, 1992). Mais ce succès apparent ne doit pas tromper. Certains éléments tendent à minimiser son importance réelle. Ils jettent le doute sur la théorie qui voit dans le succès précoce des Libri feudorum l’incarnation la plus logique de la diffusion de la terminologie féodale en Europe occidentale dès la fin du XIIe siècle.

  1. La littérature juridique féodale est quantitativement faible par rapport à l’énorme corpus justinien.
  2. Pendant une grande partie du XIVe siècle, surtout en dehors de l’Italie, les cours de droit féodal ne faisaient pas partie du cursus ordinaire. Il s’agissait de leçons facultatives, souvent dispensées par de jeunes enseignants.
  3. Dans les quaestiones et surtout dans les consilia sur les questions féodales, les professeurs et les spécialistes en jurisprudence ont continué d’avoir un usage prépondérant des textes de Justinien. Les citations explicites des Libri feudorum sont très rares dans cette littérature, peut-être parce que le texte était encore perçu comme un corps étranger par rapport aux sources de Justinien, trop ancré dans les coutumes locales pour être universellement accepté comme preuve d’autorité (Giordanengo, 1999).

Ce dernier point nous conduit à un problème perçu dès la fin du XIIIe siècle, qui oppose deux écoles de pensée : l’une, italienne, qui soutient l’autorité des Libri feudorum et l’œuvre de ses interprètes ; l’autre, soutenue par plusieurs auteurs français, qui en conteste la validité et l’applicabilité générale (Danusso, 1991). Le fait que le débat se soit poursuivi pendant des siècles, indépendamment des jugements qu’il a suscités, prouve que les Libri feudorum s’étaient irréversiblement enracinés dans la tradition juridique occidentale, à tel point qu’aujourd’hui encore, neuf siècles après la rédaction des plus anciens traités de la collection, ils sont capables de susciter des discussions à l’échelle continentale.

POUR FAIRE LE POINT

  1. Dans quel contexte historico-géographique les textes les plus anciens constitutifs des Libri feudorum ont-ils été produits ?
  2. Combien y a-t-il de recensiones des Libri feudorum ? Quelles sont leurs principales caractéristiques ?
  3. Pourquoi la formation d’un appareil de gloses était-elle fondamentale pour le texte ?
  4. Qu’entend-on par « littérature juridique féodale » ?
  5. Quelles sont les principales raisons de la diffusion des Libri feudorum à partir du XIIIe siècle ? Quelles en sont les limites ?

Présentation

Le fruit du projet européen Erasmus + FONTES (2021-2024)

À l’origine de la publication de ce livre, FONTES (« FOstering Innovative Training in the use of European legal Sources ») est un projet européen Erasmus + financé avec le soutien de la Commission européenne et de Movetia, agence nationale suisse pour la promotion des échanges et de la mobilité au sein du système éducatif. De 2021 à 2024, FONTES a proposé aux étudiants européens une formation multidisciplinaire et interactive sur la connaissance, la compréhension et l’utilisation des sources juridiques médiévales, comblant de la sorte une lacune importante dans l’enseignement supérieur des sciences humaines en Europe.

Dirigé par les équipes de l’université de Palerme, le projet FONTES a regroupé les universités de Jagellon (Cracovie) et l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (Paris), avec la participation de l’université de Fribourg (puis de celle de Genève) en tant que membre associé. L’ensemble de ces partenaires ont permis la réalisation de la formation des étudiants autour de trois composantes principales : la dispense de cours de master et de formations intensives à destination des chercheurs, la mise en place par l’équipe polonaise d’une plateforme en ligne permettant d’agréger un riche contenu numérique alimenté par les équipes de Palerme et de Genève et enfin la réalisation de ce livre, pilotée par le pôle de l’EHESS.

Cet ouvrage est donc le résultat d’une aventure scientifique, didactique, collective et européenne. Il n’aurait pu voir le jour sans l’investissement de l’ensemble des membres du projet : les chercheurs et chercheuses qui ont participé aux formations et ont écrit un article dans le livre, les personnels administratifs et techniques qui ont géré avec acribie les fonds européens, ont grandement participé à la mise en place des nombreuses rencontres du projet et à la réalisation de la plateforme numérique. Ce livre doit enfin beaucoup à l’équipe éditoriale de Palumbo Editore qui nous a précieusement assisté dans sa confection numérique et en français. Nous tenions à remercier chaleureusement l’ensemble de ces acteurs pour cette fructueuse collaboration qui restera marquée par la parution de ce livre.

Un livre numérique d’introduction à l’histoire des sources juridiques

Les dernières décennies ont créé un climat particulièrement favorable à un renouveau des études du droit médiéval. Dans le sillage de l’essor de la nouvelle érudition en histoire médiévale qui a entraîné un retour en grâce de l’étude matérielle des documents, il a été de plus en plus courant de retourner aux sources du droit au Moyen Âge. La grande richesse des documents juridiques, attestée dans toute l’Europe médiévale, est d’une importance capitale pour la compréhension et la préservation du patrimoine culturel occidental. C’est la raison pour laquelle ce livre fait le choix de se concentrer sur les sources du droit médiéval. Les comprendre à la fois dans leur théoricité et dans leur matérialité permet d’exposer et d’analyser les règles développées pour assurer le fonctionnement d’une société médiévale en plein changement.

À ce renouveau épistémologique est intimement lié un profond développement des humanités numériques qui maximise la lecture et la compréhension des sources juridiques médiévales. À l’instar de l’ensemble des réalisations du projet FONTES (séminaires en ligne, vidéos, podcasts etc.), ce livre s’inscrit pleinement dans cette démarche d’ouverture des sciences humaines au numérique qui simplifie le processus d’apprentissage des apprenants et facilite la tâche des enseignants. Cela explique d’abord la forme finale de l’ouvrage : une version numérique et en open access que chaque lecteur pourra gratuitement consulter. Cette ouverture aux sciences humaines a également favorisé l’unité linguistique du livre : des logiciels d’intelligence artificielle ont permis à l’équipe éditoriale de travailler efficacement à la traduction raisonnée en français d’articles écrits initialement en espagnol, italien et anglais. Enfin, le numérique a permis au livre de bénéficier d’un véritable volet interactif. Comme nous le verrons dans quelques lignes au sujet de son utilisation, cet ouvrage comporte une série de documents variés et de liens qui renvoient le lecteur à un riche contenu en ligne (autres articles du livre, page de manuscrits, vidéos, sites institutionnels etc.). Une partie « Pour faire le point » à la fin de chaque article permet enfin de s’entraîner directement sur internet pour s’assurer d’une lecture active.

Histoire du droit, histoire des manuscrits juridiques

Ce retour aux sources du droit médiéval, souligné par un recours aux humanités numériques, est une clé de compréhension du plan de ce livre. Après une introduction définissant une « source juridique » (E. Conte), la première partie de l’ouvrage cherche à faire le pont entre la théorie et la matérialité du droit au Moyen Âge. Elle se donne pour objectif d’envisager les sources juridiques comme un tout, à la fois comme des écrits producteurs de normes abstraites (P. Napoli) que l’érudition a décidé de classer en types (B. Pasciuta et G. Rossi) et comme des archives historiques dont il faut maîtriser l’étude matérielle à l’aide de la codicologie (J. Frońska, G. Dolezalek) et de la paléographie (M. Cerrito et A. Floris) pour comprendre au mieux leurs logiques sociales de production. Ces récents développements épistémologiques complexifient ainsi grandement l’étude des sources du droit au Moyen Âge : une utilisation raisonnée du numérique apparaît ainsi comme un remède particulièrement avantageux pour qui voudrait se frayer un chemin dans l’étude de ces documents (K. Górski et M. Mikuła).

Cœur de l’ouvrage, la deuxième partie est consacrée à une radiographie des textes juridiques et de doctrine dont le développement au Moyen Âge est au fondement du ius commune. Particulièrement utiles pour qui voudrait être introduit aux bases du droit savant au Moyen Âge, les deux premiers articles fournissent des éléments contextuels sur l’essor médiéval des sources du droit canonique (R. Eckert) et du droit romain (M. Bassano) ainsi que de nombreux outils et indications bibliographiques et numériques pour faciliter leur lecture et leur compréhension. Les quatre articles qui suivent se proposent d’explorer en détails des techniques théoriques et des pratiques textuelles fondamentales qui se sont développées dans les milieux de l’enseignement et de la pratique du ius commune au Moyen Âge : le recours aux summae et aux commentaria (R. Sorice), le développement de la casuistique en milieu ecclésiastique (S. Di Paolo), l’essor du genre des Libri Feudorum (A. Stella) et le cas des sources rhétoriques et dialectiques (D. De Concilio).

L’ensemble de ces pratiques d’écriture (et oratoire) fournit une armature à la fois conceptuelle et pratique aux nouveaux pouvoirs politiques en germe dans toute l’Europe à partir du XIIe siècle. Sur cette base, les chancelleries princières et royales ainsi que les autorités communales constituent de nouveaux textes législatifs qui leur permettent d’asseoir leur domination. Dans la troisième partie de l’ouvrage, cinq études de cas ont été retenues pour représenter cette importante évolution et l’inscrire toujours en lien avec la matérialité des manuscrits produits, transmis, conservés et étudiés par les chercheurs et chercheuses. Les quatre premières contributions concernent d’importantes œuvres législatrices rédigées dans des chancelleries royales en France (F. Garnier), en Sicile (M. Cerrito et B. Pasciuta), en Castille et León (J. Velasco) ainsi qu’en Pologne (K. Górski et M. Mikuła). Le dernier article adopte une échelle d’analyse plus locale en revenant sur le cas des sources de législation qui fondent le pouvoir autonome des communes italiennes médiévales (S. Notari).

Le lien entre théorie du droit et matérialité des sources s’exprime jusqu’à la fin du livre. Dans la quatrième partie, le lecteur est ainsi invité à descendre au plus près des techniques concrètes et quotidiennes des professionnels du droit et autres scribes du Moyen Âge dans une partie consacrée aux pratiques médiévales du droit. En guise d’introduction, le premier article propose une typologie des sources du droit de la pratique (N. Laetitia-Perret et A. Wyssbrod). Puis s’en suivent trois contributions qui insistent sur la dialectique entre écrit et système judiciaire communal (M. Vallerani), sur la nature hybride des textes des actes de la pratique et des manuscrits médiévaux (L. Genton) et sur les pratiques rhétoriques des acteurs (S. White). Elles ont pour point commun d’inviter à nuancer l’hypothèse d’une unique fonction théorico-normative des textes juridiques pour préférer replacer ces documents et pratiques du droit dans un tissu social prêtant au droit une fonction pragmatique.

Comment utiliser ce livre ?

Présentation des juristes dans le livre et guide d’utilisation du répertoire

Dans le livre, de nombreux articles font référence à des juristes médiévaux (civilistes, décrétistes, décrétalistes, feudistes). Nous avons fait le choix de présenter le nom de ces savants dans leur forme latine à l’exception des juristes français : leur nom figure alors en français dans le livre. Pour les noms des savants étrangers les plus célèbres, il a été choisi de présenter comme première occurrence dans chaque article, leur nom en latin et en français (ex : Accursius-Accurse). À la fin de ce livre, le lecteur pourra trouver un répertoire contenant le nom de l’ensemble des juristes cités dans l’ouvrage.

Un ouvrage en lien avec le site internet FONTES

Utiliser ce livre d’initiation aux sources juridiques du Moyen Âge permet d’avoir accès au riche contenu didactique proposé par FONTES. Directement disponible sur le site du projet, il est disséminé dans l’ensemble du livre. Voici une vue générale de ce contenu qui aidera à mieux se repérer. Le lecteur pourra d’abord se reporter aux ressources directement issues du programme. Il y trouvera des vidéos variées (interview de Gero Dolezalek, présentations de sources par l’équipe de Genève et cours variés donnés par l’équipe polonaise) et des fichiers PowerPoint des cours intensifs donnés à Paris en 2023 et à Palerme en 2024.

Le lecteur pourra aussi consulter les ressources externes à FONTES. Elles sont particulièrement utiles pour celui ou celle qui débute une recherche en histoire du droit médiéval. On pourra trouver entre autres une liste générale de catalogues d’archives numérisées, de métalibrairies en lignes ainsi que des bases axées sur les sources juridiques. Dans la section Tools, le lecteur aura accès à des outils fondamentaux pour mieux utiliser et comprendre les sources juridiques : dictionnaires en ligne, accès à Transkribus et autres instruments utiles. Cette section du site de FONTES permet également d’accéder à un riche contenu didactique numérique réalisé hors du projet. On retrouvera des liens vers des podcasts d’Emanuele Conte, des cours en ligne, des répertoires renvoyant à du matériel didactique utile pour la confection de cours en rapport avec l’histoire du droit médiéval ainsi que des liens vers plusieurs sites pour s’entraîner à la paléographie médiévale.

Une lecture dynamique et active du livre

On rappellera d’abord que dans chaque article le lecteur sera renvoyé à un contenu disponible en ligne, via des liens hypertextes. Par exemple, il pourra ainsi consulter la page d’un manuscrit ou une image dont parle l’auteur. Dans d’autres cas, le lecteur sera renvoyé vers un ouvrage scientifique. L’utilisation de ces images dynamiques permet de guider visuellement le lecteur à travers les pages des manuscrits décrits dans le texte. Le lecteur a la possibilité d’identifier facilement ce dont parle l’auteur et de mettre ainsi à l’épreuve ses propres compétences. La forme numérique du livre permet de naviguer entre les articles. Au fil de la lecture d’une contribution, vous pourrez trouver un hyperlien qui signifie que le point abordé dans le paragraphe ou la phrase que le lecteur est en train de lire est également discuté dans un ou plusieurs autres articles du livre. En un clic, le lecteur pourra s’y référer pour avoir davantage de précisions sur ce point spécifique ou pour le voir aborder d’une autre manière par un autre auteur. Cet usage du livre est conseillé : il permet de comparer les points de vue et et se faire une vision complexe d’un concept, d’une notion ou d’un exemple.

Enfin, à l’exception de l’article introductif, chaque contribution bénéficie d’une partie finale « Pour faire le point » qui figure juste après sa conclusion. Sans disposer de correction, elle invite le lecteur à s’entraîner en répondant aux questions posées. Permettant une lecture active du livre, cette partie-exercice est aussi l’occasion pour l’auteur de signifier au lecteur les points principaux qu’il faut retenir de son étude. Dans certains articles, le lecteur pourra trouver des exercices pour s’entraîner directement dans le corps du texte.

Les écritures documentaires du droit. Textes juridiques et écrits pratiques (XIe-XIVe siècles)

Deux branches d’une grammaire documentaire du pouvoir médiéval

Les juristes font traditionnellement la distinction entre, d’une part, les textes législatifs (collections canoniques, statuts synodaux, compilations de droit romain) et de doctrine juridique (littérature des juristes médiévaux), producteurs de normes et de théories juridiques, et, d’autre part, les écrits pratiques (chartes, notices, pancartes, cartulaires, statuts, coutumiers, pièces de procès etc.) qui assurent un fonctionnement local ou régional de l’ordre juridique et dont l’art est aussi créateur de droit (Gaudemet, 2001 ; Chastang, 2013). Jusqu’aux années 1080, des conceptions romaines du contrat et de l’écrit (carta) persistent dans la législation et les pratiques d’écriture des espaces méridionaux. Mais à cette époque, les actes (sous forme de charte ou de notice) ne reflètent que peu le détail de la lex scripta des écrits juridiques romains. Coexistent avec les chartes d’autorités (diplômes royaux, bulles pontificales, chartes épiscopales etc.) des actes de niveau secondaire (actes privés ou issus d’autorités mineures) dont un nombre conséquent est rédigé sous forme de notices. Souvent difformes, ils se contentent d’enregistrer le souvenir de l’action juridique qu’ils portent et ne disposent d’aucune véritable autorité. L’enjeu d’écriture est avant tout temporel et identitaire : écrire servait à ce que personne n’oublie l’action et revenait à réactiver dans le présent la mémoire du passé communautaire (Bertrand et Chastang, 2019).

Les écrits pratiques qui fleurissent lors de la « révolution de l’écrit » (ou « mutation documentaire ») connaissent un moment de bascule entre la fin du XIe siècle et le XIIIe siècle. La réception du droit civil ainsi que son enseignement avec le droit canonique dans les universités conduisent à la mise par écrit des normes coutumières. Sous l’influence de la réforme « grégorienne », écrits pratiques et théories juridiques tendent à s’enchevêtrer à mesure que le document (la charte, le livre, la collection canonique) joue un rôle central dans la gestion des rapports sociaux, économiques, politiques et culturels. Toujours considéré comme l’aide-mémoire des siècles précédents, l’écrit devient un instrument d’attestation juridique bénéficiant d’une autorité per se (Clanchy, 1979 ; Bertrand, 2009 ; Roumy, 2015) et permettant de garantir l’autorité des actions juridiques, même si la valeur probatoire du témoignage oral, hérité d’anciennes dispositions du droit romain, se maintient. L’acte commence à être l’objet d’une théorie de l’authenticité, forgée dans le milieu des canonistes qui conduit à la définition des signes et des modes d’authentification de l’écrit et à la fixation de formes documentaires authentiques. De son côté, le droit reste savant mais, en tant qu’il est embarqué dans cette mutation documentaire, il est concrètement activé par les institutions médiévales désireuses de garantir leur pérennité.

De la sorte, écrits pratiques et textes juridiques (textes législatifs et de doctrine juridique) peuvent relever finalement du même genre de la « pratique » (pragmatische Schriftlichkeit) dans la mesure où leur rédaction s’inscrit dans l’élaboration du ius proprium, c’est-à-dire du droit en vigueur dans des communautés de nature et de taille différentes qui se trouvent dans l’espace de domination d’un pouvoir local ou régional. Ces étroites connexions documentaires peuvent d’ailleurs s’expliquer par le profil des rédacteurs de ces écrits. Des paysages documentaires composés d’écrits pratiques mâtinés de droit savant témoignent de la formation de leurs scripteurs (clercs et notaires) à une culture juridique commune (Zabbia, 2000 ; Lefebvre-Teillard, 2001) ou, dans d’autres cas, de leur collaboration avec des techniciens du droit (Chastang, 2013).

L’étude conjointe de ces deux types documentaires permet ainsi de saisir le rôle qu’ils ont joué dans le développement d’une grammaire documentaire du pouvoir entre les XIe et XIVe siècles servant à produire une normativité institutionnelle. Pour davantage de clarté, on conservera ici la distinction entre « écrits pratiques », entendus comme des écrits administratifs traitant de la vie économico-juridique d’une institution, et « écrits du droit savant », envisagés comme des productions théoriques.

Ces considérations doivent se garder de toute généralisation chronologique, spatiale et institutionnelle à l’échelle de l’Occident médiéval. Rappelons d’abord qu’il n’existe pas de consensus quant à une datation précise de la rupture juridico-documentaire au début du second Moyen Âge. Cette profonde mutation ne se produit en effet pas de la même façon et ne prend pas les mêmes formes documentaires partout. On sait qu’elle est plus précoce en Italie, justement là où les savants s’approprient précocement le droit civil, enseigné tôt dans les facultés. Elle semble ensuite se diffuser du Sud au Nord du continent européen dans un intervalle d’au moins une centaine d’années. Liée au mouvement général de restructuration des pouvoirs juridictionnels seigneuriaux, princiers et royaux, elle s’incarne dans des formes documentaires et institutionnelles qui diffèrent entre l’espace situé au Nord de Loire, marqué du sceau de juridiction gracieuse et l’espace méridional du notariat public. En Europe septentrionale, les actes prennent leur distance par rapport aux modèles carolingiens ou ottoniens. Ils adoptent une forme rectangulaire ou carrée, usent d’un style subjectif et sont associés à un auteur, autorisé et autorisant, généralement un clerc qui a pu se former au droit savant à l’université. Dans le Sud, le régime de l’instrument public est mis en place sur fond de fréquents contacts entre notaires et juristes ayant également reçu une formation universitaire. Le travail du notariat public, revitalisation d’une institution héritée du Bas-Empire, produit une dynamique d’autorisation de l’acte écrit, de transformation de sa forme et de ses procédures d’écriture.

À partir d’un ensemble de sources particulièrement hétérogènes, on se proposera ici de dégager deux principaux profils d’expression de cette porosité entre droit savant et écrits pratiques. Le premier, de loin le plus parcouru par l’historiographie et qui constituera le point principal de notre propos, concerne la diffusion terminologique et technique du droit savant (vocabulaire juridique, citations sous forme d’arguments juridiques, règles ou principes attestant d’une connaissance technique du droit savant) dans les textes liés à une pratique sociale et quotidienne du droit. Le second profil a moins retenu l’attention des chercheurs. Il associe le développement d’un recours au droit savant à l’art de la compilatio médiévale, c’est-à-dire la mise en recueil concernant ici les textes législatifs, de doctrine et les écrits pratiques. Sous cette forme, la perméabilité entre droit savant et écrits pratiques s’exprime dans la production ou dans la conservation, au sein d’un même atelier d’écriture et au même moment, de recueils législatifs et de doctrine d’une part, et de manuscrits uniquement consacrés aux écrits pratiques. On peut également la retrouver dans la confection de registres compilant à la fois écrits pratiques et extraits bruts ou glosés du droit savant.

La diffusion du droit savant dans les documents de la pratique

Terminologie romaine et canonique dans les actes de la pratique au XIIe siècle

Il a longtemps été question dans l’historiographie du maintien dans le Midi de la France d’une civilisation juridique puisée aux sources du Code Théodosien, prolongée par les compilations wisigothiques et revivifiée au XIIe siècle par la renaissance du droit de Justinien. Ce mythe est aujourd’hui abandonné. Les historiens observent seulement le maintien entre les Xe et XIe siècles, de la carta romaine, c’est-à-dire des conceptions romaines du contrat et de l’écrit, dans les quelques actes conservés, du fait de la raréfaction de l’écrit, dans le Midi et en Catalogne. À partir du XIIe siècle, sans qu’on soit en mesure de produire une analyse quantitative satisfaisante en raison du manque d’enquêtes systématiques et de la variabilité des formes de porosité, les chercheurs ont souligné que le droit savant est davantage mobilisé dans les actes de la pratique comme un instrument privilégié de médiation des rapports sociaux (Giordanengo, 1990). En Italie, dans le Midi ou en Catalogne, sous fond d’essor d’une civilisation urbaine et marchande et en raison du développement d’une culture savante tirée de la connaissance des leges romaines, la science juridique, basée sur la réception du Corpus Iuris Civilis et des commentaires doctrinaux des juristes, se diffuse dans les actes de la pratique sous diverses formes : référence au ius scriptum (expression qui se généralise au XIVe siècle pour désigner le droit romano-canonique dans sa globalité), terminologie juridique et citations des sommes de droit savant.

Les références au Corpus Iuris Civilis dans le Rouergue médiéval au XIIe siècle

Dans le Rouergue médiéval, c’est-à-dire la région historique correspondant au diocèse de Rodez depuis la fin de l’Antiquité, des indices textuels témoignent d’une diffusion de la science juridique, absente jusque-là, dans les actes de la pratique à partir du XIIe siècle (Germain, 2022). De premières traces d’une terminologie romaine apparaissent vers 1150 dans les actes des abbayes de Sylvanès et de Nonenque au moment même où un artiste sculpte sur la maison du viguier des vicomtes de Saint-Antonin-Noble-Val un décor représentant Justinien et ses Institutes (Ourliac, 1985 et 1989). De rares indices montrent que le droit civil a pu être mobilisé dans la réglementation des rapports sociaux. C’est ce qu’indique le préambule d’un acte de 1155 réglant le partage de la vicomté de Saint-Antonin-Noble-Val entre trois frères. En mobilisant des extraits du Digeste, des Institutes et même d’une somme inspirée par Martinus, le scribe définit les trois notions de droit, de justice et d’équité pour démontrer que le partage sera juste (Éclaches, 1988). Le scribe combine adroitement deux passages de la Summa Institutionum « Justiniani est in hoc opere » pour entreprendre de définir la notion d’équité.

Une terminologie issue d’œuvres doctrinales est convoquée dans les actes de la pratique afin de revendiquer l’identité des petites communautés urbaines rouergates, récemment nées au XIIe siècle. Vers 1150, le juriste provençal Raoul de Saint-Gilles (fl. XIIe s.) compose son Codi, version augmentée en langue vernaculaire du Code de Justinien dans laquelle il développe une réflexion sur la communauté urbaine en tant que personne morale (Gouron, 2006). Ce spécialiste du droit romain théorise le « comun de la vila » comme une « entité politique légitime reflétant les intérêts collectifs des habitants de la cité, dotée de prérogatives pour sa propre gestion et capable de posséder un patrimoine mobilier et immobilier commun inaliénable, appelé l’‘aver del comun’ (Germain, 2022, p. 45). De telles notions se retrouvent dans la documentation pratique comme en témoigne une transaction datant de 1198 entre les habitants de Saint-Antonin et les coseigneurs de la ville. L’acte mentionne à la fois le « comu de la villa » et l’« aver del comu ». L’emploi de cette terminologie est peut-être le fruit du hasard, tant ces expressions sont courantes à l’époque, mais il pourrait bien être le signe de la diffusion régionale d’un savoir doctrinal alors en plein développement.

Fig. 1 Visuel n°1. Justinien tenant le livre des Institutes ; statue figurant sur la façade de l’ancien hôtel de ville de Saint-Antonin-Noble-Val, milieu du XIIe siècle
(© Jacques Mossot – Structurae Plus/Pro 1.0).

Au Nord de la Loire, on retrouve également la trace d’une diffusion du droit savant dans les actes de la pratique. Ici aussi, il est difficile de quantifier le degré d’achèvement d’une telle dynamique. On se bornera à donner un exemple significatif de cette perméabilité avec la diffusion de la doctrine canonique dans les actes. Laurent Morelle a rapproché le De sacramento conjugii, traité doctrinal sur le sacrement du mariage de Gautier de Mortagne, maître théologien et évêque de Soissons (1155-1174), et le préambule de deux chartes nuptiales laonnoises de 1163 et 1176, la première étant passée sous le sceau de ce prélat (Morelle, 1988). La correspondance est manifeste : tandis qu’un chapitre du traité (Quod bona res sit conjugium) réfute la doctrine antimatrimoniale en citant parmi les arguments produits le miracle de Cana (premier miracle où Jésus change l’eau en vin), le formulaire des préambules des deux chartes de douaire présente ce même miracle comme l’aboutissement d’un processus débuté depuis le début du monde. Préoccupé par les questions matrimoniales et soucieux d’encourager et contrôler la confection de tels actes et les unions qu’ils engendrent, Gautier de Mortagne a entraîné la diffusion de la doctrine canonique dans les actes de la pratique.

Le recours au droit savant dans les statuts et coutumes (XIIe-XIVe siècles)

À partir du XIIe siècle, la redécouverte des textes du droit romain féconde la pensée juridique et favorise, avec un recours au droit canonique (Leroy, 2019), un mouvement de rédaction de textes constitutifs du ius proprium. Leur production manifeste des préoccupations locales ou régionales de la part de communautés politiques, qui, à mesure qu’elles se structurent politiquement, acquièrent un pouvoir législatif et statutaire. De récentes enquêtes portant sur les coutumes du Nord de la France (Jacob, 2001 ; Kuskowski, 2022) ou sur les statuts méridionaux (Lett, 2021) ont ainsi permis de réévaluer la pluralité des degrés de praticité de ces textes dans l’exercice du pouvoir. Ce type de textes constitutifs du ius proprium peut ainsi être innervé par un droit savant, non figé mais bien conditionné, voire transformé, par un travail exégétique et fictionnel, nécessaire à son efficience sociale (Thomas, 1995 ; Rigaudière, 1997).

Prenons le cas du statut communal. Inséré dans des réseaux documentaires aussi complexes que spécifiques à chaque ville du Midi et d’Italie, le statut est ancré dans un territoire précis et bénéficie d’éléments textuels concrets (toponymie, anthroponymie etc.). Ses copies et diverses formes d’usage peuvent lui attribuer des performances quotidiennes dans l’organisation, voire dans la transformation de la vie des communautés urbaines. Basé sur son usage dans les actes de la pratique à partir du XIe siècle, le droit romain issu du Corpus de Justinien joue un rôle fondamental dans la rédaction de certains statuts urbains en apportant son vocabulaire normatif et ses modes de raisonnement. Des solutions romaines s’expriment sous des formes coutumières particulièrement fluctuantes en fonction des contextes locaux. C’est par exemple le cas à Avignon vers 1150, Arles vers 1162 et Béziers vers 1165, puis, plus tardivement, à Alès en 1200, Montpellier entre 1204 et 1205, Carcassonne (après 1205) ou Narbonne en 1232 (Carbasse, 2007). Un grand formalisme juridique caractérise également les statuts des communes italiennes comme à Bologne en 1288 et 1335, à Sienne dans les années 1320-1340 ou à Florence en 1415 (Garnier, 2021).

La terminologie romaine des statuts de métiers à Toulouse au XIIIe siècle

En 1141, Alphonse Jourdain, comte de Toulouse (1109-1148) accorde ses premiers privilèges à la communauté des habitants de la ville. À la mort du comte en 1148, un capitoulat, composé de huit capitouls (consuls), est créé. Maintenu sous le contrôle du pouvoir comtal, il dispose de la charge de réglementer les échanges et de faire appliquer les lois. À partir du début des années 1150, les consuls de Toulouse s’attachent à contrôler l’activité commerciale de la ville. 52 statuts de métiers produits entre le deuxième quart du XIIIe siècle et le milieu du XIVe siècle, et encore conservés, fournissent de précieuses informations sur l’histoire de la norme statutaire à Toulouse (Garnier, 2017).
Un statut rédigé en 1279 cherche, entre autres, à empêcher les fraudes des pareurs, fileurs, tisserands et teinturiers de la ville. Une terminologie normative municipale d’inspiration romaine y transparait en quatre termes : ordinatio, constitutio, stabilimentum et statutum. Chaque vocable vise, à des degrés normatifs divers, à rappeler l’expression de la potestas statuendi des consuls. Le seul terme de « statut » finit par s’imposer dans les textes statutaires des années 1310-1320 selon des formules empruntant à la terminologie romaine (« statuta noviter facta » ; « statutus antiquis » ou « statuta corrigere et emendare in melius »). Utilisé au singulier comme au pluriel, le mot correspond à l’ensemble des dispositions prises pour un métier donné.

Droit romain, jurisprudence et droit privé (XIIIe-XIVe siècles)

À partir du XIIIe siècle, l’émergence d’un droit commun, mélange de droit canon et de droit romain, mâtiné de droit coutumier, offre un contexte particulièrement favorable au développement d’une élaboration rhétorique et pratique du droit français public et privé. La chose juridique captive et les spécialistes (juristes, avocats) comme les techniciens de l’écrit (notaires) s’approprient pleinement le langage juridique tant au Nord qu’au Sud de l’Europe. Dans ce contexte, la diffusion d’une terminologie et de concepts issus du droit écrit prend des formes des plus pratiques. Même en France du Nord, terre de droit coutumier, il semble qu’il se soit imposé dans la tenue de la justice seigneuriale et dans les pratiques quotidiennes des professionnels du droit au Parlement de Paris (Rigaudière, 1996).

La mobilisation du droit écrit dans un procès au Parlement de Paris au XIVe siècle

La présence d’une terminologie et d’arguments issus du droit romain dans quelques actes produits à l’issu de procès de droit privé au Parlement civil est un bon indice d’une diffusion du droit savant dans les écrits pratiques du Nord de la France à la fin du Moyen Âge. Un cas complexe d’octroi du « bail » concernant l’héritier du comté de Bar à Yolande de Flandre, sa mère, ou à Jeanne de Warren, sa grand-tante, permet de prendre la mesure de sa diffusion (Bubenicek, 1999).

L’affaire se distingue des autres par son utilisation répétée d’arguments tirés du droit écrit dans les positions des demandeur et défendeur. Par exemple, pour fonder les droits de Yolande de Flandre concernant la garde de son fils et l’exercice conjoint de la régence du comté de Bar, son avocat quitte rapidement le registre classique du « droit naturel », confirmé par la coutume générale du royaume, pour aborder la question du ius scriptum (« de iure et ratione scriptis » ; « beneficio iuris scripti »). L’argument est conforme au droit du Bas-Empire et corrobore les droits de la mère de l’enfant à exercer sur lui sa protection. La dernière partie de l’exposé de l’avocat de Yolande, qui porte sur la question des droits de la mère remariée à conserver le bail de son fils mineur, s’articule entièrement autour de la discipline romaine en la matière (C. 5.9 e C. 5.10).

La compilatio des textes juridiques et des écrits pratiques

Le droit a apporté aux écrits pratiques son vocabulaire et ses modes de raisonnement mais il confère aussi aux scribes médiévaux de nouvelles formes d’organisation de leur pensée en articles, rubriques ou livres qui permettent le classement d’une matière textuelle de plus en plus recherchée et conservée. Avant tout autre type de documents, le premier matériau qu’ils travaillent est de nature juridique (collections canoniques, statuts synodaux, compilations de droit romain). Cette pratique est à l’origine du développement de l’art de la compilatio médiévale, c’est-à-dire le rassemblement conscient en un recueil structuré de textes, coordonnés, copiés, résumés ou abrégés autour d’une thématique (Parkes, 1991 ; Bertrand, 2015). Ce type de travail débute dès le IXe siècle avec la compilation dans les scriptoria cathédraux et monastiques, de collections canoniques, c’est-à-dire ces recueils de textes législatifs normatifs pour la discipline d’Église (canons conciliaires, décrétales et lettres pontificales, statuts épiscopaux). Ce mouvement atteint son acmé vers 1140 et la compilation du fameux Decretum de Gratien. Il laisse un solide héritage au développement d’une série de nouveaux livre-outils au XIIIe siècle comme la summa, le tractatus, les collections d’arguments généraux ou de maximes (brocadia) et les recueils de sentences (argumenta).

Du côté des écrits pratiques, les cartulaires, héritiers de ces pratiques de compilation du matériau juridique, ont retenu toute l’attention des médiévistes depuis les années 1990 (Guyotjeannin, 1993 ; Chastang, 2006 et 2009). Apparus dès la fin du VIIIe siècle, ces livres dans lesquels des actes originaux sont sélectionnés et classés pour y être transcrits sont analysée au prisme des raisons de leur confection et de leur usage. Les chercheurs ont souligné combien les cartulaires, en plein essor entre les XIIe et XIIIe siècles, constituent des outils utiles aux institutions et personnes privées, à la conservation de la mémoire du passé et à la défense de leurs terres, revenus et droits. De récents travaux ont appliqué ces questionnements aux recueils de statuts qui se développent dans le milieu des communautés urbaines d’Italie et du Midi de la France dès le XIIe siècle. Juristes, notaires ou simples scribes, partageant souvent une même culture socioprofessionnelle, s’y emploient à assembler des textes divers (matériau historique, droit savant, écrits pratiques) qui servent à la gestion courante des affaires urbaines communales. Une telle démarche est similaire en France du Nord où la mise par écrit des coutumes orales dans des coutumiers (compilations de règles fixées par le droit coutumier au sujet d’une ville, d’un pays ou d’une province), a été replacée dans le champ des pratiques de scripteurs qui ont combiné leurs idées, expériences et pensée critique pour rédiger ces livres de droit.

L’ensemble de ces études invite ainsi à nuancer la distinction documentaire construite par le monde académique entre actes de la pratique et sources normatives savantes. D’un côte, les cartulaires et les statuts communaux, qu’on a l’habitude de classer du côté des écrits pratiques, n’étaient parfois pas si « pratiques » aux yeux de leurs rédacteurs ; de l’autre, les recueils de législation ecclésiastique et de littérature juridique (comme les collections canoniques) pouvait avoir une dimension pratique, qui apparaissait de manière évidente à leurs compilateurs et premiers lecteurs. Dans les deux domaines du droit et des archives, la compilatio crée ainsi les conditions de l’innovation intellectuelle par un travail d’agencement de la tradition qui n’entre ni en rupture avec les textes du passé, ni avec les savoir-faire anciens, mais les emploie à une échelle et selon un dessein inédit ouvrant le ius proprium des institutions et communautés médiévales à un rapport renouvelé avec le passé. Cette mise en codex peut s’exprimer à deux niveaux : dans un cas, on retrouve au sein d’une même institution et au même moment, d’une part, des recueils compilant textes législatifs ou de doctrine et de l’autre des manuscrits rassemblant des écrits pratiques (1) ; mais écrits du droit savant et écritures pratiques peuvent aussi se retrouver au sein d’un même codex, cette configuration poussant à un degré de complexité supérieur l’expression de cette technique documentaire du pouvoir (2).

Archives et manuscrits juridiques

En raison de traditions historiographiques autonomes et du peu d’attention accordé aux archives lorsqu’historiens médiévistes et juristes étudient respectivement les livres de droit ou les cartulaires, très peu d’études ont cherché à répertorier les établissements ou communautés au sein desquels les scribes ont produit simultanément des recueils d’écrits pratiques et des manuscrits contenant les textes législatifs ou de doctrine. Seules quelques rares travaux ont insisté depuis les années 2000 sur le fait que le juridisme des acteurs pouvait transparaitre dans une campagne d’écriture à deux têtes, réalisée sans doute à des moments d’instabilité pour les institutions et communautés qui cherchent, dans le contrôle de leurs titres et par le recours à la science juridique, à faire l’inventaire de leurs droits voire à se défendre dans le cas d’éventuels procès.

C’est par exemple le cas pour les abbayes du diocèse d’Angers pour lesquelles Jean-Michel Matz fait le parallèle entre production de cartulaires et conservation de livres de droit à partir du XIe siècle (Matz, 2005). Dans une séquence chronologique précise autour de la seconde moitié du XIIe siècle, dans un contexte de montée en puissance des concurrences dans la France de l’Ouest, les moines de Saint-Aubin d’Angers produisent un cartulaire et conservent dans leur bibliothèque, séparés en deux recueils, les Sentences de Pierre Lombard, le Décret de Burchardus Wormatiensis et la Panormia d’Yves de Chartres.

Les codices hybrides du ius proprium

Le dernier niveau d’observation des écritures documentaires du droit savant se situe à l’échelle du livre. De rares études concernant les institutions et communautés du Midi de la France et de l’Italie ont analysé de quelle manière droit savant (textes législatifs glosés ou brut et de doctrine juridique), écrits pratiques (privilèges économiques et fiscaux, actes ordinaires, listes, statuts communaux etc.) ainsi que d’autres genres documentaires (historiographique, hagiographique, liturgique) producteurs du ius proprium peuvent être enchâssés en un seul codex (un cartulaire, une collection canonique, un recueil de statuts). Pour les recueils de statuts du Sud de la France, les chercheurs en sont arrivés à la conclusion que ces registres hybrides qui ne font pas l’objet de distinction formelle entre libri iurium et libri statutorum, sont le fruit du travail d’« orfèvres du droit », au premier rang desquels figurent les notaires, rompus à la connaissance de la science juridique et des pratiques de l’écrit (Gaudemet, 2001). Leur art de compiler des documents hétérogènes, dans une visée d’efficience administrative, contribue directement ou indirectement à la fixation du ius proprium. Dans le Nord de la France, on rencontre également quelques cas (Rolker, 2009). Mais en raison de l’absence de campagne d’inventaires des extraits de droit savant dans les registres de la pratique (et réciproquement), il est particulièrement difficile d’évaluer l’ampleur de cette compilation de livres hybrides au cours du second Moyen Âge.

Droit canonique et cartulaire à la Chambre apostolique romaine au XIe siècle

La pratique de compilations de fragments de droit canon et d’écrits pratiques au sein d’uniques volumes s’est développée à la Chambre apostolique romaine au temps de la réforme dite « grégorienne » (Theis, 2016). Ces pratiques documentaires qui attestent d’un nouveau rapport aux textes et aux archives permettent un renforcement du pouvoir de l’Église romaine. Plusieurs campagnes de rédaction de manuscrits fondateurs des droits de Rome soulignent une montée en puissance des pratiques de compilation d’écrits pratiques et textes canoniques. C’est par exemple le cas de la Collectio canonum. Son auteur, le scribe Deusdedit, qui dédie son travail au pape Victor III (1086-1087), intègre à une nouvelle collection canonique un embryon du plus ancien « cartulaire » de la papauté. Une telle entreprise fait la jointure entre les deux types de démarches classiquement distinctes : celle des canonistes qui cherchent à renforcer le pouvoir théorique du pape et celle des cartularistes, qui confectionnent des recueils destinés à faire la preuve de ses droits. En réalité, elles relèvent d’un désir commun de renforcer la domination de l’Église romaine en jouant sur différents usages de la traditio.

Le droit civil dans les libri statutorum italiens (XIIIe-XIVe siècles)

En Italie, des communautés urbaines aux dimensions variables se lancent entre les XIIIe et XIVe siècle dans la confection de livres contenant des statuts urbains visant à légitimer et organiser l’exercice du pouvoir municipal (Lett, 2019). Des travaux récents ont analysé ces textes à l’aune de leur intégration dans l’organisation interne des livres qui abordent presque toujours trois grands domaines : les aspects institutionnels, la vie économique et sociale des communautés et la matière juridique et pénale. Cette structuration documentaire confère à ces libri statutorum la capacité à enchâsser différents types d’écrits pour légitimer le ius proprium des communes.

Prenons le cas des statuts de la commune de Sienne en Toscane rédigés en 1262. Si les premier et troisième livres portent sur les affaires courantes (offices publics et travaux d’entretien de la ville), les trois autres sont réservés au droit romain et sont glosés et commentés (civil, droit privé et à la propriété et droit pénal). Même profil dans les statuts rédigés entre 1322 et 1366 dans la petite ville de Camporotondo di Fiastrone dans les Marches ou dans ceux de la fédération des communes lombardes d’Intra, Pallanza et Vallintrasca en 1393 où l’on retrouve, parmi un matériau documentaire divers (administration communale, officiers, vie économique) toujours deux livres dévolus au droit romain et à la procédure civile.

Justinien à Saint-Germain-des-Prés (fin XIIe – début XIIIe siècles)

Vers 1176-1177, les moines de l’abbaye bénédictine parisienne de Saint-Germain-des-Prés confectionnent le cartulaire des Trois Croix, plus vieux registre de ce type encore conservé dans les archives du monastère. Par cette compilation d’actes, classés en fonction des autorités disposantes, l’abbé Hugues de Monceaux (1162-1182) entend faire l’inventaire des droits que les moines avaient acquis au cours d’une longue reconstruction de leur patrimoine. Entre 1177 et le début du XIIIe siècle, ce cartulaire est additionné de nouveaux écrits pratiques (actes et listes) qui entendent donner une vision des plus actuelles du pouvoir des moines sur les hommes et femmes ainsi que sur l’espace sous leur domination (Genton, 2022).

Au sein de cette seconde phase de rédaction, chose rare dans les milieux ecclésiastiques du Nord de la France, un scribe prend soin de rédiger dans une colonne vierge d’un folio du cartulaire un extrait brut de la deuxième partie du titre XIX « Du lieu où l’ou doit exercer l’action in rem » du livre III du Code de Justinien (C.3.19.2 : « Ubi in rem actio exerceri debeat »). La mobilisation de ce passage du Corpus Iuris Civilis qui a pour objet l’appel au propriétaire du bien en procès, s’inscrit dans le cadre d’une reprise en main par les moines de leur patrimoine, et plus globalement, interroge le contexte global de division juridique de la propriété de la fin du XIIe siècle.

Fig. 2 Visuel n°2. Un extrait du Code de Justinien dans le cartulaire des Trois Croix, Paris (Archives nationales, LL 1024, fol. 83v ; crédit photo L. Genton).

Conclusion

À partir de la fin du XIe siècle, droit savant et écrits pratiques sont embarqués dans une mutation documentaire d’ampleur qui permet aux institutions médiévales d’activer une panoplie de ces textes constitutifs de leur ius proprium. Rappelons avant tout la grande variété spatiotemporelle de cette rupture juridico-documentaire : il n’existe pas de consensus concernant sa datation précise ou sa diffusion univoque sur l’ensemble de l’Occident médiéval. Résultat de l’aplanissement d’une grande diversité de situations locales, deux profils d’expression permettent d’observer les formes de la porosité entre droit savant et écrits pratiques au cours du XIe au XIVe siècle. Leur analyse souligne la faculté des scribes médiévaux, formés dans des milieux professionnels ouverts à degrés divers à la science juridique, à suffisamment maîtriser le droit civil et le droit canonique pour asseoir le pouvoir des institutions.

Le premier profil regroupe la grande variété terminologique et technique avec laquelle le droit savant est cité et utilisé dans le texte des écrits pratiques formant le ius proprium. Présent dans les actes de la pratique dès le XIe siècle, son usage se développe dans les textes statutaires et coutumiers à partir du XIIe siècle puis finit par s’exprimer dans les actes privés au XIVe siècle. Citations, rhétorique et règles ou principes issus du droit savant constituent une matière juridique visible dans le paysage statutaire et documentaire. Bon nombre de concepts romains et canoniques circulent au sein des élites de pouvoir par l’intermédiaire des spécialistes de l’écrit. Le second profil de cette grammaire documentaire du pouvoir envisage la mise en codex des textes du droit savant en parallèle de celle des écrits pratiques. Qu’il ait pour résultat deux livres distincts ou un seul registre contenant des types d’écrits variables dans des chapitres réservés (rappelons aussi le recours conjont à l’historiographie ou à l’hagiographie par exemple), l’art médiéval de la compilatio témoigne d’une volonté d’atteindre les solutions documentaires (sélection, classement, transcription) les plus adéquates pour l’élaboration du ius proprium des institutions. Ces pratiques témoignent du caractère profondément hétéronome du champ du droit dans les sociétés du second Moyen Âge et de la pluralité des sources juridiques que les professionnels de l’écrit et les techniciens du droit, souvent mus par des motifs administratifs, rassemblent dans des codices.

POUR FAIRE LE POINT

  1. Quels sont les deux formes d’expression de la porosité entre écrits pratiques et droit savant ?
  2. Quand commence à se produire cet enchevêtrement ?
  3. Qui sont les rédacteurs de ce type d’écrits ?
  4. Où et sous quelles formes peut-on rencontrer le droit savant en milieu communal ?

Bibliographie :

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Plaider au XIIIe siècle. Entre théorie et pratique

« Alors doivent se lever les avocats des causes, qui, par la force de leur voix glorieuse, relèvent ce qui est fatigué, réparent ce qui est usé et dissipent les faits obscurs des causes » 1 .

C’est ainsi que Tancredus de Bologne (c. 1186-1236) décrit le rôle de l’avocat dans son ordo vers 1216. Cette combinaison d’éloquence orale et de connaissances techniques était la pierre angulaire de la pratique juridique – pour ceux qui plaidaient devant les tribunaux ecclésiastiques au XIIIe siècle, la procédure et l’argumentation étaient inséparables. La tactique des litiges se développe dans un cadre judiciaire précis qui profite du contexte d’institutionnalisation et de rigueur croissante de la procédure. C’est au tribunal et dans la manière d’argumenter que le droit prend vie et devient effectif. Il est difficile de traiter ces choses sur la base des seules sources normatives. Une étude abstraite ou théorique qui ne s’intéresse pas au « comment » de la justice passe à côté de l’intérêt des procédures judiciaires. La procédure n’était pas seulement un cadre qu’il fallait suivre, c’était une source de légitimité à part entière, vaste et nuancée. La connaissance de la procédure s’associait à des procédés rhétoriques pour créer les arguments les plus forts qu’un avocat pouvait présenter au tribunal – des connaissances techniques et une présentation habile étaient nécessaires pour assurer le succès de l’accusation ou de la défense. À partir d’une étude de la procédure et de la rhétorique, ce chapitre examinera la manière dont ces deux éléments se combinent, en utilisant une série de quaestiones pour voir comment ce type d’argument juridique a été utilisé dans les manuels et dans les écoles entre la fin du XIIe et le début du XIIIe siècle.

Les arguments juridiques en théorie

Ordines

Au XIIe siècle, les tribunaux ecclésiastiques ont commencé à développer un système procédural plus utilisable, principalement en réponse à l’augmentation des appels à la Curie romaine. Le droit romain a fourni le cadre nécessaire (Morris, 1971). Cette structure pouvait ensuite être adoptée par d’autres tribunaux qui ne suivaient pas le droit romain ou le droit canonique. Il n’existe pas de description cohérente de la procédure dans le Corpus Iuris Civilis, puisqu’il contient des textes rédigés sur plusieurs siècles pour différentes juridictions. Il n’existe pas non plus de section entièrement consacrée à la procédure, car le droit procédural a été rassemblé et conservé avec le droit substantiel. Il en va de même pour le Decretum de Gratianus-Gratien qui, bien qu’il s’agisse d’un effort pour rassembler un grand nombre de textes « discordants » en quelque chose de plus cohérent, ne contient pas de sections spécifiques sur la procédure. La procédure était ainsi tellement dispersée dans le Corpus Iuris Civilis et dans les textes de droit canonique qu’elle ne pouvait être traitée de manière adéquate dans les ouvrages exégétiques habituels. Des traités ont été nécessaires pour faciliter l’accès au droit procédural (Fowler-Magerl, 1994).

Les ordines, rédigés à partir du milieu du XIIe siècle par les maîtres de droit civil et de droit canonique, décrivent explicitement la séquence des étapes à suivre lors d’un procès et les consignent par écrit. Les écrits sur la procédure romano-canonique sont également apparus sous d’autres formes. Il existe des gloses et des commentaires sur la procédure dans le Corpus Iuris Civilis, le Decretum et dans les recueils de décrets, ainsi que des brocarda. Toutefois, les ordines sont généralement considérés comme les guides de la procédure. L’accent mis sur les exceptions et les répliques indique que ces textes étaient destinés à aider à la création de ces arguments plutôt qu’à guider les fonctionnaires non formés d’un tribunal ecclésiastique (Brasington, 2016). Alors qu’un schéma de base de la procédure aurait été utile, en particulier pour rédiger des arguments en faveur d’un appel, l’explication des actions, de la formulation et de la rédaction du libelle, ainsi que les types d’exceptions qui pouvaient être soulevées contre les parties, les juges et les preuves, indiquent que ces textes étaient principalement destinés à un usage pratique, à savoir aider dans les litiges. Il semble très probable que l’accent mis par les ordines sur les exceptions ait été motivé par les besoins et les intérêts des experts juridiques dont le rôle dans les litiges était de conseiller leurs clients sur cet élément précis du procès. Pour examiner comment la procédure juridique et la rhétorique peuvent fonctionner ensemble en théorie, examinons le cas d’un des écrivains les plus éminents du début du XIIIe siècle, Tancredus. Ensuite, nous aborderons plus généralement la manière dont la rhétorique peut être intégrée dans un argument. Nous passerons de la théorie à la pratique en examinant quelques questions et en nous penchant sur les artifices que les avocats peuvent utiliser pour tenter de gagner leur cause devant le tribunal.

Le cas de Tancredus

Tancredus était un canoniste qui a étudié et enseigné à Bologne. Il a écrit un traité de procédure ou ordo vers 1216 2 . Parmi les traités de procédure les plus populaires dans l’Europe du XIIIe siècle, l’ordo de Tancredus constitue une très bonne source pour toutes sortes de sujets procéduraux. Nous nous concentrerons ici sur ce que dit Tancredus à propos de la manière de plaider une affaire au tribunal et de construire un argument. Pour commencer, voyons ce que Tancredus dit de la pratique judiciaire.

Le chapitre concis de Tancredus sur l’argumentation est très utile pour introduire cette question, car il se concentre davantage sur les aspects procéduraux et l’ordre des actions qui se déroulent dans les plaidoiries au tribunal. Les plaidoiries doivent être présentées dans l’ordre suivant :

  1. Avant tout, le demandeur doit proposer ce qu’il lui semble nécessaire pour fonder son propos ;
  2. Ensuite, le défendeur doit répondre aux arguments présentés par le demandeur en rejetant ses arguments soit par le biais des mots des témoins ou des documents soit par le biais d’autres preuves, en mobilisant en sa faveur des raisons juridiques contraires et en répondant rationnellement à celles mobilisées par le demandeur. Donc, alors que le demandeur doit s’appliquer à la fondation de sa cause, le défendeur doit la démonter ;
  3. Ensuite, si le défendeur veut bénéficier de l’exception, puisque dans la preuve des exceptions le défendeur prend la place du demandeur, il doit alléguer ce qui contribue à fonder et prouver cette exception (D. 22.3.9, 19) ;
  4. Après les arguments du défendeur, le demandeur répond en démontant ses arguments, s’il le peut. Ensuite, s’il veut répliquer contre lui, il propose ce qu’il a concernant cette réponse ;
  5. Le défendeur lui répond alors de la même manière, et ainsi de suite (Ordo 3.15).

Il s’agit donc essentiellement d’une liste de cinq étapes procédurales. Le plaignant dépose la plainte devant le tribunal et le défendeur y répond. Le plaignant peut présenter une réplique à la réponse du défendeur, puis le défendeur répond, et ainsi de suite. Vous voyez donc les tours et les détours ainsi que l’échange des différents points es de vue dès l’ouverture de l’affaire. C’est ce que Tancredus commence à faire dans sa description des arguments développés au cours des étapes de la procédure judiciaire.

Tancredus suggère ensuite les sujets sur lesquels on peut argumenter :

  1. La personne et la juridiction du juge ;
  2. La forme du libellus (c’est-à-dire le document écrit de recours en justice) ;
  3. Les dépositions des témoins ;
  4. La personne des témoins ;
  5. La validité des autres preuves, comme les présomptions et les documents (Ordo 3.15).

Ensuite, Tancredus explique comment l’avocat du plaignant doit utiliser les preuves pour créer un argument plus large. Il doit essayer de réconcilier les témoins qui ne sont pas d’accord et s’assurer que les présomptions et les documents sont également étayés par des témoins. Tout ce qu’il présente comme preuve doit être soigneusement relié de manière à ce que chaque élément soutienne l’autre. Après avoir présenté ces preuves de fait, il doit les étayer par des preuves de droit, des arguments fondés sur « les lois et les canons, les arguments et les raisons ». Ensuite, l’avocat de l’accusé doit répondre en soulignant les contradictions et les variations dans les témoignages, en faisant valoir que les témoins n’ont pas justifié leur déclaration ou répondu aux interrogatoires, qu’ils font partie du genre de personnes en qui il ne faut pas avoir confiance, qu’ils ont parlé à tort et à travers, etc. Il doit répondre de la même manière aux présomptions et aux documents, puis s’attaquer aux preuves de droit, en expliquant en quoi elles ne conviennent pas à l’affaire ou en fournissant des raisons de droit contraires (Ordo 3.15). Dans l’ordo de Tancredus, nous voyons jusqu’à présent un ensemble d’arguments très liés à la procédure. Tout est lié aux étapes procédurales de l’affaire, et tout s’inscrit dans les limites d’une journée de tribunal normale. Mais la procédure n’est pas le seul élément permettant de plaider efficacement une affaire.

Les documents dont nous disposons montrent clairement que les juristes s’attachaient à construire des arguments à la fois convaincants et solides sur le plan juridique. Tancredus suggère quelques tactiques simples qu’un avocat pourrait utiliser pour construire ses arguments. Au milieu de son discours, l’avocat déroule un propos, médiocre. Les meilleurs arguments sont proposés au début de sa prise de parole pour inciter le juge à le croire et à la fin de son propos, car les choses que l’on entend en dernier sont celles qui sont le mieux mémorisées (Dist. 2 c. 54 et Ordo 3.15). Mais il existait aussi des tactiques plus avancées qu’un avocat pouvait utiliser lorsqu’il plaidait pour son client au tribunal, et c’est là que nous trouvons les preuves d’une formation en rhétorique.

Les manuels de rhétorique

Les juristes ont certainement reçu une formation en rhétorique à un moment de leurs études. Deux des textes les plus importants pour l’enseignement de la rhétorique sont le De inventione de Cicéron et la Rhetorica ad Herennium du Pseudo-Cicéron (texte faussement attribué à Cicéron au Moyen Âge). Dès le XIIe siècle, des commentaires systématiques de ces traités sont produits en France et notamment dans les écoles cathédrales (Copeland et Sluiter, 2009). Ces textes ont largement circulé et il semble probable, sinon certain, que les juristes exerçant en Angleterre, surtout s’ils ont étudié le droit en Italie ou en France, y ont eu accès. Les avocats auraient pu trouver particulièrement utile la théorie rhétorique contenue dans les De inventione et Ad Herennium pour présenter les faits de l’affaire de manière convaincante, puisque l’éloquence judiciaire était très importante dans ces manuels. La rhétorique cicéronienne a jeté les bases sur lesquelles l’argumentation juridique médiévale a pu se développer, du moins en théorie.

Le De inventione et l’Ad Herennium ont fourni un schéma général pour l’argumentation juridique qui a été facilement transposé dans d’autres traditions juridiques. La première étape consiste à énoncer les faits à l’origine du litige (De inventione, livre I, VIII ; Ad Herennium, livre I, IX). Ensuite, il est nécessaire de discuter de la définition juridique des événements, notamment des normes ou des règles applicables (De inventione, livre I, IX ; Ad Herennium, livre I XI). Viennent ensuite les questions de justification et d’excuse (De inventione, livre I, VIII ; Ad Herennium, livre I, XIV). Enfin, il y a les questions de procédure (De inventione, livre I, VIII ; Ad Herennium, livre I, XII). Ces arguments sont classés du plus au moins convaincant (de la négation pure et simple aux aspects les plus techniques) (Hohmann, 2006).

Les manuels de rhétorique peuvent également avoir été utiles pour l’administration de la preuve. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un traité romano-canonique, nous savons que, vers 1282/1283, le jurisconsulte français Philippe de Beaumanoir (1252/1254-1296) connaissait certainement suffisamment bien son droit romain pour utiliser la présomption de l’épée ensanglantée et la fuite d’une scène de crime comme des motifs de preuve courants dans les œuvres classiques. Il ne serait pas déraisonnable de supposer une influence similaire, voire plus, dans le cas de la tradition romano-canonique (Ward, 2019). Nous avons également des exemples tels que Jean de Salisbury (v. 1115-1181), qui a fait l’éloge de l’éloquence des avocats en affirmant : « car ce ne sont pas seulement ceux qui, équipés de casques et de cuirasses, brandissent des épées ou toute autre arme contre les ennemis, qui combattent pour la chose publique, mais aussi les avocats des causes qui, confiants dans le soutien de leur voix glorieuse, redressent ce qui est tombé et réparent ce qui est affaibli » 3 , et en présentant d’autres commentaires similaires. Au XIIIe siècle, Guillaume Durand (1236-1296) et Guillelmus de Drogheda (c. 1200-1245) ont tous deux consacré des sections de leurs ouvrages au langage approprié que les avocats doivent utiliser lorsqu’ils louent le pouvoir discrétionnaire du juge. Les procureurs doivent adopter un ton déférent ou «même flatteur » (Brundage, 2016). Guillaume Durand a également mis en garde contre cette éloquence fleurie, affirmant que « certains aussi, naviguant de façon sûre parmi les tempêtes de l’éloquence, risquent de faire naufrage au port. Car, vigoureusement lancés dès le début de leur discours, ils s’épuisent imprudemment avant d’atteindre la destination » 4 . Nous voyons donc qu’il y a des avantages et des inconvénients à utiliser une rhétorique excessive. En s’adressant de la sorte aux avocats, Durand leur conseille de bien parler, de s’exprimer clairement et de construire leur argumentation selon les principes rhétoriques de base. Cela dit, s’ils en font trop, si leur langage est trop fleuri, le juge risque de ne pas les écouter ou de penser qu’ils sont superflus. Il y a un équilibre à trouver pour les avocats entre les faits de l’affaire et un langage trop fleuri.

Cela dit, il faut se garder de trop présumer des liens entre la rhétorique cicéronienne et la pratique juridique et de l’effet que cela pourrait avoir sur la présentation effective d’une affaire au tribunal (Ward, 2019). Bien qu’il soit tentant d’établir des liens entre la formation à la rhétorique cicéronienne et la pratique juridique, il est probable qu’un avocat du XIIIe siècle n’utilisait que très peu les leçons de l’Ad Herennium et du De inventione, car, à cette époque, les tribunaux ne nécessitaient plus d’art oratoire soutenu. Les questions étaient avant tout d’ordre juridique et il était plus important de convoquer les autorités juridiques, cette pratique correspondant davantage à Gratien qu’à Cicéron.

Bien que le lien entre le droit et la rhétorique ait été étroit au XIIe siècle, il semble s’être quelque peu estompé au début du XIIIe siècle, la préférence étant accordée à l’autorité juridique plutôt qu’au style rhétorique dans la pratique des salles d’audience. Il convient de mentionner deux sources qui soulignent toutes deux l’importance de l’argument d’autorité (Licence et Lockyer, 2014) : la description faite par Thomas de Marlborough (m. 1236) du dédain d’Innocent III envers l’éloquence exacerbée de l’adversaire de Thomas (bien que ce récit soit loin d’être objectif) (Sayers et Watkiss, 2003) et le commentaire des Miracles de saint Edmond. Cette évolution s’explique par le fait que l’accent était mis de plus en plus sur les arguments écrits plutôt qu’oraux, et que l’on accordait plus d’attention à la finesse juridique qu’à l’éloquence personnelle (Hohmann, 2006). C’est ainsi qu’est née une tradition rhétorique juridique davantage axée sur la logique et la dialectique que sur tout autre aspect. Le fait de juger peut également avoir eu une certaine influence sur ce changement, car, pour prendre leur décision, les juges étaient censés s’appuyer sur des preuves, et non sur la présentation persuasive d’un cas. Ainsi, un nombre important d’arguments visent à établir l’acceptabilité juridique des preuves (Fraher, 1989). Pour le bon avocat, le fondement juridique d’une affaire était donc la partie la plus importante d’un argument. En outre, la nécessité de présenter les arguments par écrit aurait limité la manière selon laquelle un avocat pouvait compter sur l’art oratoire pour gagner sa cause. Ainsi, au moins pour le cas des tribunaux ecclésiastiques, où l’avocat s’efforçait de convaincre un juge unique plutôt que des jurés non-professionnels, sa maîtrise technique du droit lui était plus utile que son éloquence.

Les arguments juridiques en pratique
Deux quaestiones tirées des Quaestiones Londinenses

Pour illustrer ces idées dans la pratique du droit, nous allons examiner deux quaestiones et les interrogations qu’elles soulèvent. Les quaestiones constituaient des formes écrites des débats tenus dans les écoles de droit, fondées sur l’opposition d’arguments, pour ou contre, concernant des cas d’interprétation problématique.

Les deux quaestiones que nous examinerons ici proviennent d’une collection qui circulait dans les écoles d’Oxford au tourment des XIIe et du XIIIe siècles, dans le cadre d’un volume de Quaestiones Londinenses dépourvu de titre (Londres, British Museum, ms. Royal 9 E VII, fol. 191-198). Plusieurs maîtres ou juristes ont été identifiés grâce aux annotations dans les marges, à savoir Iohannes de Chent (Kent), Iohannes de Tynmouth, Simon de Sywell, Nicholas de Aquila et Simon de Derby (Brundage, 1963). Les trois premiers que nous connaissons faisaient partie d’un cercle d’intellectuels d’Oxford. Ils ont été associés pendant un certain temps à Hubert Walter, archevêque de Canterbury (1193-1205), chief justiciar et chancelier d’Angleterre, l’homme qui a négocié la trêve entre le roi Richard d’Angleterre et Saladin et qui aurait dirigé le pays pendant que Richard était parti en croisade.

Ces deux quaestiones sont attribuées à Maître Nicholas de Aquila (fl. c. 1190-1217), membre éminent des canonistes d’Oxford qui figurent dans les Quaestiones Londinenses. Sept des quaestiones de la collection lui sont attribuées, soit près de deux fois plus que les autres maîtres. On sait peu de choses sur la carrière de Nicholas, si ce n’est qu’il a peut-être été maître de l’école d’Avranches en Normandie en 1198, et qu’il était doyen de Chichester avant février 1201. Nommé évêque en 1209, il ne fut jamais consacré et son élection fut annulée vers 1214. Il est nommé doyen d’Avranches en 1211 et meurt après le 26 mai 1220 5 . Ce cas est représentatif de la plupart des canonistes que nous connaissons : nous ne savons pas grand-chose d’eux, si ce n’est que leur travail a été très important pour le développement du droit. Les deux questions portent sur des événements survenus lors de la croisade du roi d’Angleterre, Richard Cœur de Lion (1189-1199) et éclairent le statut juridique des croisés à la fin du XIIe siècle. Elles constituent en outre de très bons exemples de la manière dont on peut structurer une argumentation et utiliser les sources juridiques.

Quaestio A

Le cas de la première quaestio rappelle un événement que l’on retrouve dans la Chronique de Roger de Hoveden (Stubbs, 1868-1871) et dans les Gesta regis Henrici secundi (Stubbs, 1867).

Le roi Richard s’est vu garantir la protection de ses terres pendant qu’il était en croisade en Terre sainte. Pendant son absence, deux légats du pape, le cardinal Octave, évêque d’Ostie (1182-1206) et Jordan de Fossanova, cardinal-prêtre de Sainte-Pudentienne (1188-1206) sont envoyés en France dans le but de régler un conflit entre Guillaume de Longchamp, évêque d’Ely (1190-1197) et Gautier de Coutances, archevêque de Rouen (1184-1207). À cette occasion, ils tentent de pénétrer dans le duché de Normandie de Richard (rappelons que ces événements se produisent avant que les terres angevines en France ne soient perdues pour la couronne anglaise). Le sénéchal du duché, Guillaume, refuse d’admettre les légats à Gisors, arguant que leur entrée en Normandie violerait les droits de Richard puisqu’il était parti en croisade. En réponse, le cardinal Octave excommunie le sénéchal et place la Normandie sous interdit pontifical (un interdit proscrit tous les services religieux dans une région – pas d’enterrement, pas de baptême, pas de messe). Le cardinal Jordan, quant à lui, refuse d’y prendre part, comme le disent les chroniques, car « il aimait véritablement le roi d’Angleterre et ne voulait pas donner son avis sur la Normandie ni causer le moindre ennui ; ce qui mit en colère le roi de France qui le chassa de son royaume » 6 . À la suite de cela, le cardinal Octave et Hugues du Puiset, évêque de Durham (1153-1195), qui représentaient la reine Aliénor et les justiciers anglais, tentèrent de résoudre le différend. Leurs efforts de réconciliation sont entravés par Guillaume le sénéchal, qui persiste dans son refus de laisser les légats entrer en Normandie. Guillaume resta donc excommunié et la Normandie demeura sous le coup d’un interdit jusqu’à ce que le pape intervienne en levant la sentence et en interdisant aux légats d’entrer dans le duché (Brundage, 1963). Le problème qui se pose dans la quaestio est de savoir si l’interdit imposé par le légat était valide.

L’argument selon lequel l’interdit est effectivement valide repose sur quatre motifs.

  1. Le duché normand était sous la juridiction du légat, qui couvrait toute la France (Gallia). Cela est étayé par deux points : 1) les décrétales, comme celle accordant la juridiction au légat, ont force de loi (D. 19 c. 1) et 2) les choses matérielles devraient être détenues en commun – ce n’est que par le péché de l’homme que les divisions en « mien » et en « tien » existent (C. 12 q. 1 c. 2). L’argument soutient, de façon un peu alambiquée et sans emporter la conviction, que la Normandie ne peut être séparée de la juridiction couvrant toute la France. Le sénéchal ne peut en aucun agir en ce sens.
  2. Le fait que le sénéchal refuse l’entrée au légat porterait atteinte au ius gentium. La citation-clé ici provient du Décret sur « Quelle est la loi des nations » (D. 1 c. 9). Il est dit que « La loi des nations concerne l’occupation, la construction et la fortification des lieux ; également, les guerres, les emprisonnements, les servitudes, la restitution de leurs droits aux prisonniers de guerre revenant, les traités de paix, les trêves, la sacralité de l’immunité des légats […]. On l’appelle la loi des nations car presque toutes les nations l’utilisent ». Le sénéchal n’avait aucun droit de refuser l’entrée au légat. Pour cette raison, il aurait été frappé d’une sentence d’excommunication latae sententiae – une excommunication automatique en raison de sa contumace (D. 94 c. 2). Quiconque empêchait un légat par la force était ipso facto excommunié, ce qui équivalait à une peine pour agression physique sur la personne du légat (D. 50.7.17).
  3. La protection pontificale accordée à Richard visait à protéger les terres du roi contre les préjudices, non à les protéger contre l’exercice de l’autorité papale (C. 8 q. 1 c. 18).
  4. Pour que l’action du sénéchal soit défendable, il aurait dû avoir en sa possession un privilège qui lui permette d’interdire au légat d’entrer, mais il n’a montré aucun privilège de la sorte, donc il aurait dû admettre le légat (C. 2 q. 6 c. 30).

Le contre-argument se décompose alors en trois lignes de défense.

  1. Le légat ne disposait pas de l’autorité nécessaire pour excommunier le sénéchal ou placer la Normandie sous interdit. Pour ce faire, un mandat spécial était requis, ce que le légat n’avait pas.
  2. Le légat ne disposait pas du pouvoir d’imposer un interdit sur les terres de Richard à moins que le roi lui-même ne soit en faute. Les actes du sénéchal ne constituaient pas une raison suffisante pour placer l’ensemble des terres du roi sous interdit car c’était le sénéchal qui était en faute, pas le roi. On retrouve ici une citation du Décret (C. 16 q. 7 c. 38), qui explique qu’un prêtre ne doit pas être destitué de ses fonctions à moins d’avoir commis une faute grave – et il est suggéré en outre qu’aucune faute n’est suffisamment grave pour le justifier, bien qu’il y ait des arguments contraires. Ici, Nicholas argumente par analogie que Richard ne devrait pas non plus être puni parce que le sénéchal, et non le souverain lui-même, a commis l’infraction.
  3. Le sénéchal agissait en tant que mandataire ou avocat de Richard, et un mandataire n’a pas le droit d’aggraver la position de son mandant – c’est un argument standard en droit romain, selon lequel on présume que le mandant n’aurait pas consenti à ce que le mandataire aggrave sa position. Même si le sénéchal a agi de manière incorrecte, cela ne devrait pas être imputé à Richard, car le roi l’a simplement nommé et ne pouvait pas prévoir les événements futurs. Ici, Nicholas cite un passage du Digeste (D 9.2.31), qui affirme que si quelqu’un taille des arbres sur un terrain privé où il n’y a pas de route, et qu’une branche tombante tue un passant en chutant, le tailleur d’arbres ne peut être accusé de négligence, car il n’aurait raisonnablement pas pu prévoir que quelqu’un pourrait passer sous cet arbre. Ainsi, Richard ne pouvait pas anticiper que le légat apparaîtrait ou que son sénéchal agirait de cette manière, donc ce n’est pas sa faute. C’est le sénéchal, et non Richard, qui devrait être puni. Placer les terres de Richard sous interdit n’est pas une manière appropriée de le faire.

Cette quaestio soulève deux problèmes importants.

Tout d’abord, quelle est l’étendue des privilèges accordés aux croisés en ce qui concerne leurs biens ? Il y a une applicabilité générale ici, car cette question concerne non seulement les rois mais aussi quiconque partant en croisade. La quaestio établit que Nicholas de Aquila et le pape Célestin III (1191-1198) reconnaissaient le droit d’un croisé d’interdire même à un légat pontifical l’accès à ses terres pendant son absence pour la guerre sainte. Cela étant dit, il s’agit probablement de l’interprétation la plus généreuse de ce privilège du droit d’immunité d’un croisé vis-à-vis des ingérences dans ses domaines, ce qui aurait probablement suscité des débats animés dans les écoles où la quaestio était discutée.

Deuxièmement, quelqu’un est-il responsable des actions de son représentant, quelles que soient ces actions ? Cette question est pertinente non seulement pour les croisés, mais pour toute personne ayant nommé un représentant légal. Si vous avez désigné quelqu’un pour agir en votre nom, et qu’il fait quelque chose que vous n’aviez pas l’intention de faire, et que cela a détérioré votre position, cela est-il vraiment conforme à l’objectif pour lequel vous l’avez nommé ? Cela s’applique à des poursuites de toutes sortes et constitue une préoccupation très présente à l’esprit des parties prenantes de cette période, car l’utilisation de la représentation légale en procès est en augmentation. Nous avons ici un exemple spécifique, mais qui peut être extrapolé à d’autres situations générales. Nous reviendrons sur cette idée dans ce qui suit, mais examinons d’abord la prochaine quaestio.

Quaestio B

La deuxième quaestio traite d’une situation qui découle de la capture et de l’emprisonnement de Philippe, évêque de Beauvais (1175-1217) par les hommes de Richard Ier le 19 mai 1196. La quaestio stipule que, alors qu’il revenait de sa croisade, Richard a été capturé par l’empereur et emprisonné dans les geôles de l’évêque de Beauvais qui en a profité pour attaquer les terres du souverain au cours de sa captivité. Après sa libération, Richard se venge en attaquant les terres de l’évêque qui lui oppose alors une forte résistance. Les sources historiques telles que le Flores historiarum de Roger de Wendover (Hewlett, 1886-1889), l’Historia Anglorum, la Chronica majora de Matthieu Paris (Madden, 1866-1869 ; Luard, 1872-1883) et le Memoriale de Walter de Coventry (Stubbs, 1872-1873) s’accordent à dire que la bataille entre Richard et Philippe de Dreux fut sanglante et coûta à chaque camp la majorité de ses forces d’infanterie. Richard sortit victorieux et emprisonna l’évêque. En tant que prélat, Philippe de Dreux fit appel à la juridiction du pape pour sa libération. Selon Matthieu Paris, le pape écrivit alors à Richard pour demander la libération de l’évêque, qu’il appelait son frère et son fils bien-aimé. Le roi prit alors la cotte de maille de l’évêque (lorica), l’envoya au pape, en demandant : « Est-ce la tunique de votre fils, oui ou non ? » Le pape répondit que Philippe de Dreux ne devait pas être considéré comme un fils de l’Église mais plutôt comme un soldat. Il doit être soumis à la volonté du roi « parce que c’est Mars plutôt que le Christ qui juge les soldats » (Chronica majora, II, 422 ; Brundage, 1963). Le problème traité dans la quaestio est de savoir si l’appel de l’évêque était justifiable.

Trois points sont soulevés en faveur de l’évêque.

  1. L’évêque agissait en cas de légitime défense et le fait qu’il se batte ne doit pas lui être imputé. Il est fait référence à une causa dans le Décret (C. 23 q. 1), qui traite de la question de savoir s’il est péché de faire la guerre. Gratien conclut que ce n’est pas le cas.
  2. De plus, l’évêque a le droit de se battre parce qu’il défend ses terres et les possessions de l’Église. Il cite une autre section de la même causa dans le Décret (C. 23 q. 3 c. 2), qui explique que, parfois, la recherche de la paix nécessite la guerre. L’évêque assurait deux charges : l’une spirituelle en tant qu’évêque, l’autre temporelle en tant que seigneur ; et lorsqu’il a pris la défense de ses terres, il agissait légitimement en tant que seigneur. Cette activité n’entrait pas en conflit avec sa charge épiscopale (D. 29.1.3). La quaestio fait également référence à un exemple très spécifique (que l’on peut trouver dans le Liber extra à X 5.7.6), où une action militaire était autorisée contre les Brabançons, des ennemis de l’Église qui avaient mené des attaques soutenues contre ses membres et ses terres. Leur condamnation au concile de Latran III en 1179 serait restée ancrée dans les mémoires, y compris les plus récentes. Ceux qui combattaient contre les Brabançons bénéficient de privilèges similaires à ceux accordés aux croisés. Nous reviendrons sur ce point plus tard, mais l’argument clé veut que l’évêque était en droit de défendre les biens de l’Église contre les agresseurs.
  3. Enfin, il était déshonorant de détenir l’évêque prisonnier. Cela revenait à une offense, car, s’il était proscrit de s’approprier des biens d’Église (C. 14 q. 6 c. 2 ; D. 1 c. 38 ; C 1.2.21), il était d’autant plus interdit de détenir en captivité un évêque, plus précieux que ces biens (C. 1 q. 12 c. 24 ; C 5.20.1 ; C 1.2.21 ; C. 16 q. 1 c. 68). Mais l’évêque était-il en droit de défendre ses terres ? Devait-il prendre les armes lui-même ?

En réponse à cette défense, Nicholas avance quatre points :

  1. Tout d’abord, il insiste sur le fait que Richard est parti en croisade. Quiconque combat les Sarrasins bénéficie de la protection pontificale (citant ici le même chapitre du concile du Latran III, X 5.7.6), et si ses biens sont saisis pendant la croisade, il a le droit de les récupérer. Dans ce cas, le droit de récupération est étendu assez loin et semble impliquer le droit de saisir les terres de son adversaire, justifiant ainsi l’attaque contre l’évêque. Si la guerre est juste, alors la propriété prise en temps de guerre appartient légitimement au vainqueur.
  2. Ensuite, Nicholas soutient que l’évêque devrait obéir à la maxime des Évangiles qui enseigne de tendre l’autre joue : l’évêque ne devrait pas combattre lorsqu’il est attaqué, même en cas de légitime défense. Il se réfère alors au même passage dans le Décret (C. 28 q. 8 c. 1, 2) qui se termine par la conclusion que faire la guerre n’est pas un péché, mais commence par l’argument contraire.
  3. Plus pratiquement, Nicholas argumente que, puisque l’évêque a choisi de se battre, il devrait accepter les conséquences de ses actions : s’il est capturé, il doit accepter le droit de son adversaire de le mettre en prison, car il l’a provoqué lui-même (D. 54 c. 11 ; C. 7 q. 1 c. 28).
  4. Nicholas va encore plus loin et soutient que l’évêque devrait être démis de sa charge ecclésiastique, car il a renoncé à ses privilèges cléricaux en prenant les armes séculières et a causé et assisté à la perpétration de meurtres. Il y a plusieurs citations à diverses normes canoniques ici (D. 50 c. 8 ; C. 17 q. 4 c. 21 ; C. 21 q. 4 c. 4) mais le point clé est trouvé dans le Digeste (D 47.10.15.15). Il suggère que si l’évêque s’habille, apparaît et agit comme un seigneur laïque, il aurait dû s’attendre à être traité comme tel. Le passage est un peu problématique pour le lecteur contemporain, car il dit que si un homme « parle » à une jeune femme vêtue comme une esclave, il est passible d’une infraction, mais si elle est habillée comme une prostituée, il n’y a pas une telle responsabilité. En termes modernes, Nicholas dit que l’évêque n’a que ce qu’il mérite. Pour ces raisons, l’appel n’était pas justifiable.

Dans cette quaestio, il est notable de remarquer que les arguments en faveur du droit de l’évêque de se défendre ainsi que de ses terres, et du droit de Richard à faire la même chose, reposent sur les mêmes références juridiques. Chaque argument implique bien sûr de nombreuses autres citations, mais deux d’entre elles sont cruciales : la causa du concile du Latran III sur les ennemis des biens de l’Église et la protection des croisés, et la causa du Décret sur la question de savoir si la guerre est un péché. Ce type d’argumentation s’inscrit pleinement dans la tradition des débats scolastiques sic et non, pour ceux familiers avec l’œuvre de Pierre Abélard. On vous présente des arguments pour et contre, et la tâche consiste à déterminer quelles sources, et parfois quelles interprétations, sont les plus appropriées. Ce sont les compétences de la profession juridique émergente et des maîtres des écoles.

Alors, la causa du concile du Latran III soutient-elle mieux l’évêque ou Richard ? L’évêque est-il autorisé à défendre ses terres, envisagées comme terres d’Église, contre une attaque ? Dans une certaine mesure, il en a le droit. Richard n’est cependant guère un hérétique désireux de détruire les biens d’Église et il est dit que l’évêque agit en tant que seigneur laïc, c’est-à-dire dans ses propres intérêts, ce qui affaiblit quelque peu sa noble défense. Richard a-t-il le droit, en tant que croisé, de récupérer ses biens saisis pendant sa captivité ? Il semble que oui. Mais a-t-il également le droit de riposter contre l’évêque ? Cela semble moins probable.

Ces questions étaient bien débattues dans les écoles. Le passage dans le Décret pose des questions similaires, en partie générées par le format du texte. Vu le caractère particulier de la collection de Gratien, les textes contradictoires sont essentiels pour dégager la rationalité juridique du système de droit au Moyen Âge. Ainsi, alors que la causa sur la guerre en tant que péché commence en affirmant qu’il en est effectivement ainsi, Gratien conclut finalement que ce n’est pas le cas. C’est une quaestio en soi, et le cas de l’évêque et des actions de Richard offrent ainsi des opportunités non seulement pour déployer des arguments pour et contre en surface, mais aussi mobiliser des textes fondamentaux du droit canonique.

Nicholas dépasse significativement ses contemporains dans son interprétation étendue des privilèges accordés aux croisés. Cela est particulièrement évident dans son examen de l’interdit normand et dans son affirmation catégorique du droit de Richard de contrecarrer les actions de l’évêque de Beauvais. Nicholas repousse les limites de ces concepts, affirmant qu’un croisé devrait posséder un droit absolu d’être à l’abri de toute forme d’interférence pendant la croisade, une position que de nombreux canonistes n’auraient pas soutenue. En abordant l’emprisonnement de l’évêque de Beauvais, Nicholas adopte une autre position extrême en affirmant avec force qu’un évêque doit s’abstenir de participer au combat, même en cas de légitime défense (Brundage, 1963). Ses interprétations remettent en question les normes établies, reflétant une perspective nuancée et étendue sur les droits et privilèges accordés aux croisés.

Ces quaestiones sont destinées à être controversées et à susciter le débat. Il y a deux points qu’il faut souligner en examinant ces textes : le premier est que nous traitons d’événements réels ; il ne s’agit pas simplement de raisonnements abstraits et les personnes discutant de ces événements étaient très proches de l’action. Le deuxième point est que ces événements réels sont ensuite traduits dans le milieu des écoles pour être discutés, suggérant qu’ils impliquent plus qu’une simple solution à un problème : ils représentaient des moyens de travailler sur la façon dont le droit pensait dans ces cas et, par analogie, dans des cas similaires.

Conclusion

Lorsque nous recherchons des preuves sur le fonctionnement de l’argumentation juridique et sur la formation et la pratique des avocats devant les tribunaux, nous sommes confrontés à un ensemble de sources diverses. Je parle principalement de la situation anglaise et normande ici, mais nous disposons de bien d’autres sources lorsque nous élargissons notre regard à l’Italie, la France, l’Espagne et les autres pays européens. Pour l’espace anglo-normand, nous disposons d’une collection disparate qui court de la fin du XIIe au début du XIIIe siècle. Quelques traités sur la procédure et la rhétorique circulent notamment. Certains ont été écrits en Angleterre et dans le Nord de la France ; d’autres, comme l’œuvre de Tancredus, venaient d’ailleurs. Sont également conservés des quaestiones, des brocarda et des distinctiones – des textes produits et utilisés dans les écoles. Enfin, nous disposons de dossiers relatant des affaires judiciaires précises. On peut se demander pourquoi les avoir laissés de côté au cours de cette présentation. La raison tient dans le fait que ces dossiers anglais, même jusqu’à la fin du XIIIe siècle, enregistrent très peu de ce qui a été dit devant le tribunal. Les documents soumis au juge et à l’autre partie ne suggèrent que des éléments mineurs de rhétorique et parfois des citations de la loi écrite. Nous ne disposons pas de ces quelques références avant la fin du XIIIe siècle. Il existe plusieurs raisons possibles à cela. La première tient dans le fait que le tribunal n’enregistrait que ce qu’il considérait comme le plus important. Cela concernait généralement des preuves basées principalement sur des faits et secondairement sur le droit (souvent sous forme de ce que John Hudson a appelé « des faits légalement chargés ») (Hudson, 2000). L’autre raison est que nous n’avons aucun enregistrement formel de ce qui a été dit devant le tribunal à cette époque. Enfin, la conservation des archives reste très inégale – les rares ensembles d’arguments qui nous sont parvenus semblent être un hapax. Cela dit, nous pouvons suggérer quelques conclusions. La première est que les avocats exerçant devant les tribunaux à cette époque étaient formés à bien plaider un cas, avec des références à la loi écrite déployées selon une structure rhétorique solide. La seconde tient dans le fait que leur plaidoirie se déroulait généralement de manière orale – non sous forme écrite – et les points clés étaient ensuite adaptés à un système d’enregistrement judiciaire de plus en plus structuré. Ce ne sont peut-être pas les conclusions les plus passionnantes, mais elles nous donnent un aperçu de l’éducation, de l’écriture et de la pratique juridiques.

POUR FAIRE LE POINT

  1. Donnez une liste des sources examinées dans ce chapitre, telles que l’ordo de Tancredus et les quaestiones.
  2. Comment un avocat anglo-normand pouvait-il structurer ses arguments devant un tribunal ? Quelles sources pouvait-il utiliser ?
  3. Comment la formation juridique était-elle dispensée dans les écoles ? Quels types d’exercices les étudiants effectuaient-ils ?
  4. Pensez-vous qu’il était plus important pour un avocat médiéval d’être un bon rhéteur ou de connaître la procédure judiciaire sur le bout des doigts ?
  5. Ces pratiques médiévales du droit semblent-elles différentes de la pratique juridique moderne ? Si oui, comment ?

Bibliographie :

Bruce Brasington, 2016 Order in the Court : Medieval Procedural Treatises in Translation, Leyde, Brill.

James A. Brundage, 1963 « The Crusade of Richard I : Two Canonical Quaestiones », Speculum, 38-3, p. 443–52, en ligne.

Rita Copeland et Ineke Sluiter (éd.), 2009 Medieval Grammar and Rhetoric : Language Arts and Literary Theory, AD 300–1475, Oxford, Oxford University Press.

Linda Fowler-Magerl (éd.), 1994 « "Ordines Iudiciarii and Libelli de Ordine Iudiciorum". From the middle of the twelfth to the end of the fifteenth century », Turnhout, Brepols.

Richard M. Fraher, 1989 « Conviction According to Conscience : The Medieval Jurists Debate Concerning Judicial Discretion and the Law of Proof », Law and History Review, 7-1, p. 23-88.

Hanns Hohmann, 2006 « Ciceronian Rhetoric and the Law », Virginia Cox et John O. Ward (éd.), The Rhetoric of Cicero in Its Medieval and Early Renaissance Commentary Tradition, vol. 2, Leyde, Brill, p. 193-207.

John G. H. Hudson, 2000 « Court Cases and Legal Arguments in England, c. 1066-1166 », Transactions of the Royal Historical Society, 6-10, p. 91-115.

Colin Morris, 1971 « From Synod to Consistory : The Bishops Courts in England, 1150-1250 », The Journal of Ecclesiastical History, 22-2, p. 115-23.

John O. Ward, 2019 Classical Rhetoric in the Middle Ages : The Medieval Rhetors and Their Art 400–1300, with Manuscript Survey to 1500 CE, Leyde, Brill.

L’ordre juridique et la pratique du procès au Moyen Âge (Bologne et Italie, XIIe-XIIIe siècles)

Dans le cinquième volume du Dottor volgare (première édition 1673), Giovanni Battista de Luca définit le monde comme un grand théâtre : « Ce monde sublunaire est un théâtre, ou plutôt une scène, où tous les hommes sont des interprètes, des acteurs comiques et tragiques ». Le jugement était l’une des représentations possibles de ce théâtre : « Parmi les nombreuses scène s qui représentent le théâtre du monde, l’une d’entre elles est celle des juges dans le forum contentieux, dans laquelle interviennent de nombreux personnages » : certains sont nécessaires, comme l’acteur, le délinquant et le juge, d’autres sont de service ou d’ornement, comme les procureurs, les avocats, les secrétaires, les scribes, etc.

En introduisant ce chapitre, qui présente les logiques du procès médiéval surtout sur la base d’exemples italiens, gardons la métaphore du théâtre : il y a un scénario (les lois) que les acteurs jouent d’une manière toujours différente, mais toujours selon un « bon ordre juridique » (l’expression italienne de buon ordine de de Luca indique clairement l’ordre juridique de la procédure) qui permet au procès de se dérouler. Sans cet ordre juridique (la procédure), aucune représentation n’est possible. Le procès est en effet le point de rencontre, et souvent d’affrontement, entre des personnes, des actions, des savoirs et des métiers qui gravitent autour du droit et de sa dimension judiciaire. C’est une dimension abstraite, différente de la réalité perçue par les justiciables, où les faits sont réécrits dans une nouvelle formulation qui transforme les demandes en revendications et les comportements en actions juridiquement pertinentes. Ce grand travail de transcription de la réalité suit des logiques cognitives et procédurales conçues par un groupe de juristes qui doit cependant les adapter à un monde de non-professionnels et d’acteurs improvisés. Ainsi, l’élaboration et l’application sont deux actions complémentaires mais qui ne se chevauchent pas. Elles sont souvent menées par les mêmes personnes mais avec des objectifs différents. Ce chapitre tente d’éclairer les modalités de construction de cette trame complexe des systèmes judiciaires du Moyen Âge, en examinant les relations entre ceux qui ont fourni les schémas, ceux qui les ont appliqués (et comment) et ceux qui ont finalement essayé de les modifier de l’intérieur, avec la réserve que, comme le même de Luca l’a écrit, « une seule et même personne matérielle, avec la mutation des vêtements, incarne plusieurs personnages ».

Le début de cette histoire est marqué par l’apparition des premiers manuels de procédure au milieu du XIIe siècle, intitulés Ordines iudiciarii.

Le procès et la renaissance de l’ordo au XIIe siècle

Le développement du concept d’ordo n’aurait pas été possible sans une profonde révolution culturelle concernant la nature et la fonction du droit. Sur le plan procédural, l’ordo envisage en effet la création d’un monde parallèle et supérieur à l’univers des faits : il répond à des catégories abstraites d’actions, rendant uniformes des situations différentes dans la réalité mais pouvant relever d’une même classification sur le plan juridique. Comme dans l’ancien droit romain, « classification » et « abstraction » vont de pair.

Les techniques d’abstraction appliquées au procès concernent d’abord la forme que doivent prendre les demandes de justice. Très tôt, dès le milieu du XIIe siècle, les juristes s’efforcent de réglementer les modalités de présentation d’un litige en rédigeant des ouvrages de procédure de diverse nature, des Ordines iudiciarii aux ouvrages consacrés aux libelles et aux actiones, formules par lesquelles les justiciables devaient traduire leurs conflits en prétentions juridiquement fondées.

L’entrée des actiones dans le procès est un événement crucial de la justice médiévale. Les exemples de textes à utiliser pour présenter une accusation se comptent par centaines, comme l’attestent les différents ouvrages sur les libelles (Fowler-Magerl, 1994), redéfinissant le fait initial en une multiplicité d’actions possibles à mettre en procès. En ce sens, il est bon de rappeler que le système des actions fournit une clé d’interprétation multiple de cette réalité : la transposition d’un fait en termes juridiques a un plus grand nombre de définitions possibles que ne l’offre le langage courant, car les droits bafoués peuvent être différents et c’est à l’accusateur de choisir ceux qu’il veut défendre au cours du procès. À partir d’un seul fait, il était possible d’ouvrir un conflit judiciaire sur un très grand nombre de cas.

Un exemple tiré de l’ordo Tractaturi (publié sous le titre Incerti auctoris, p. 161) de la seconde moitié du XIIe siècle montre bien comment les manières de revendiquer un bien peuvent être multipliées. L’ordo envisage au moins quatre types de revendication d’un bien, correspondant à quatre manières différentes de comprendre son droit relatif à ce bien :

  1. La revendication « Quia res sua est » est utilisée lorsque la chose propre est demandée. Cela veut dire que la chose est à lui et qu’il veut la récupérer ;
  2. « Vel tamquam sua » est employée quand la chose est considérée « comme si » elle était sienne, mais elle ne l’est, en réalité, pas encore pleinement (par exemple, lorsqu’on a commencé à usucaper, mais qu’on n’a pas encore achevé le processus de légitimation). Ici, nous sommes déjà dans le domaine de la fiction, parce qu’un droit qui n’est pas encore acquis est néanmoins défendable comme un droit déjà légitimement acquis ;
  3. « Actio quia res obligata est » est requise lorsqu’une demande est faite pour la restitution d’une chose qui devait être restituée, par exemple un gage après le paiement de la dette ;
  4. Et enfin l’« Actio propter equitatem », revendication la plus faible, est intéressante par sa capacité à créer des droits sur une base très incertaine et fragile de la réalité. Par exemple : si l’on perd une planche et qu’un peintre la retrouve et y dessine un tableau de grande valeur, le propriétaire a droit, par principe d’équité, à une part de l’estimation.

Dans l’ordo Quicumque vult (Warmund, 1925), l’exemple des manières de revendiquer la propriété change en fonction du choix de l’action. Si une personne revendique un bien, elle doit d’abord en préciser la « cause » : si il lui a été enlevé par la violence, elle formule une demande de restitution (« Je porte plainte contre Uberto qui m’a violemment enlevé la possession de ce bien »). Si, en revanche, elle entend défendre la terre contre l’ingérence d’autrui (de possessione retinenda), elle invoque la protection (Je porte plainte contre Uberto qui menace ma possession de cette chose). L’actio permet donc non seulement de choisir le droit à défendre, mais aussi de redéfinir le comportement qui est à l’origine de l’action en justice (détournement, vol ou menace d’usurpation). Cette capacité à définir l’acte et sa transposition (légitime) en justice est très importante, car elle change radicalement le contexte de la confrontation judiciaire.

Une deuxième opération permise par les actiones est peut-être encore plus intéressante en raison de la nature des conflits économiques qui ont surgi dans le monde urbain au XIIe siècle : il s’agit des actiones qui peuvent être présentées pour remédier à un comportement éventuel que l’on a l’intention de mettre en œuvre mais que l’on n’a pas encore fait. Par exemple, dans l’Ordo Tractaturi de iudiciis, certaines actiones sont utilisées pour se défendre contre des actes que « l’on a l’intention de faire ». C’est le cas de l’actio Serviana intentée par le propriétaire au locataire qui veut aliéner ou retirer ses biens de la maison sans avoir payé le prix de conduction (« qui vult res sua alienare vel removere de domo non soluto precio conductionis »), où le comportement à punir est basé sur la « volonté » de faire une chose (Ordo Tractaturi, p. 164). Il s’agit d’une sphère d’actions impliquant précisément des relations et des comportements à évaluer en fonction de l’intentio, de l’animus, de la scientia ou de l’ignorantia et surtout de la bona fides des personnes, c’est-à-dire une série d’impondérables relatifs à la sphère de la confiance, élément central de la logique sociale des sociétés urbaines médiévales.

La procédure des ordines

Les ordines ont également une puissante fonction d’organisation de la procédure, tant sur le plan logique que sur le plan pratique. Sur le plan logique, le procès répond à un ordre isonomique qui repose sur une vérité probable, qui ne peut être connue que par le concours de plusieurs personnes : le juge, en effet, ne peut pas de facto supplere et doit laisser aux parties la possibilité de reconstruire le fait selon des points de vue concurrents (Giuliani, 1988). Il s’agit d’un partage des connaissances qui reflète une égalité substantielle des parties devant le juge : le demandeur et le défendeur ont les mêmes obligations et surtout les mêmes outils pour définir les éléments partagés ou conflictuels de la reconstruction du fait par le procès. Cette approche logique (mais aussi d’ordre politique) conduit les ordines à concevoir la procédure comme un système ordonné de décomposition et de recomposition du fait par degrés, dans lequel les deux parties ont la tâche et la possibilité de fournir une partie de la reconstruction. Dans les manuels de procédure, ce processus de décomposition comporte trois niveaux.

  1. Le premier est l’accusation initiale elle-même. Comme nous l’avons vu, elle réécrit le fait en fonction d’une demande juridiquement fondée. Dans la justice pénale, les actions sont moins présentes, mais il est vrai que tous les faits doivent néanmoins devenir des crimes, c’est-à-dire qu’ils doivent être reconfigurés en fonction d’un profil criminel ;
  2. Après l’accusation, il y a les positiones, une série de brèves affirmations de la partie accusatrice sur des phases ou des segments individuels du fait, auxquelles l’autre partie doit répondre par une affirmation (credit) ou une dénégation (non credit). Il est possible que l’auteur de l’infraction présente également ses propres positiones, auxquelles l’accusateur doit répondre à son tour. Les positiones permettent ainsi de se mettre d’accord sur certains points communs (on discute d’un objet précis, on a commis une action, dans un lieu précis), pour ne s’intéresser qu’aux points divergents ;
  3. Viennent ensuite les intentiones avec les points, niés dans les positiones, qui doivent être explorés dans l’interrogatoire des témoins. Il s’agit d’une étape cruciale dans la recomposition du conflit, car les témoignages ont été recueillis sur les faits énumérés dans les intentiones et sont souvent très éloignés des accusations initiales. En pratique, les avocats ont également établi des listes de questions à poser aux témoins, une série pour les deux parties.

C’est précisément au sujet de la formulation des questions que l’habileté des avocats devait s’exercer. Dans l’ordo pour les avocats ecclésiastiques rédigé par des experts de droit canon tels que Gratia Aretinus (m. 1236) ou Bonaguida Aretinus (fl. 1243-1258), la technique consistant à décomposer le fait en plusieurs segments individuels qui devaient désavantager les témoins de la partie adverse est ouvertement recommandée. Dans les affaires matrimoniales, par exemple, pour prouver un mariage, on demandait aux témoins : comment ils avaient connu ce mariage, où l’avaient-ils vu (dans une maison ou à l’extérieur, si la maison avait un balcon ou un étage, si le mariage avait eu lieu au-dessus ou au-dessous du balcon) et, s’ils étaient seulement présents, comment étaient-ils habillés et quelles paroles ont été utilisées pour le célébrer (Bonaguida Aretinus). En multipliant ces faits, les risques d’erreur des témoins augmentent proportionnellement. Cette pratique est également utilisée dans les procès qui se déroulent dans les tribunaux de la ville au XIIIe siècle.

La procédure accusatoire dans les tribunaux communaux

Il convient de préciser d’emblée que les étapes procédurales proposées dans les ordines ne sont pas des indications théoriques, mais qu’elles reflètent (et en même temps fournissent) des éléments concrets de la procédure suivie dans les tribunaux urbains, y compris pénaux. De nombreux auteurs d’ordines étaient (et écrivaient pour) des avocats et des experts judiciaires qui devaient bien connaître les mécanismes procéduraux et la rédaction des actes. En effet, la procédure accusatoire, une fois adoptée à grande échelle dans les tribunaux communaux, est devenue de plus en plus une procédure formalisée dans des types d’écrits prédéfinis, avec des actes standardisés et donc facilement itératifs. Tout acte devient un « document écrit », reléguant la partie orale de la confrontation en dehors des espaces juridiquement pertinents du procès.

La preuve en est le transfert des étapes procédurales des ordines vers les artes notariae qui avait déjà commencé dans les premières décennies du XIIIe siècle, notamment à Bologne, avec le travail de Rainerius Perusinus (c. 1185-c. 1255) (Die Ars notariae) et de Rolandinus de Passageriis (c. 1215-1300) (Rolandinus Randulphini, 1977). Les artes ne contenaient pas seulement des modèles d’actes, mais ils renfermaient aussi une mise par écrit généralisée des activités soumises au filtre du droit. Pour Rainerius, les actes notariés reflètent les grands moments de la vie humaine : conclusion d’accords (paciscendo), plaidoirie (litigando) et succession (disponendo). L’intégration de la pratique du litige (litigando) dans un manuel d’actes notariés constituait donc une reconnaissance explicite du fait que le litige et le recours au tribunal en général faisaient désormais partie intégrante de la vie des communautés urbaines. Cette impression n’était pas erronée.

La forte augmentation des procès (et donc des actes judiciaires) à partir du milieu du XIIIe siècle est due à l’accroissement de la judiciarisation interne des populations urbaines (plus que doublées depuis la fin du XIIe siècle) et à la capacité des organes administratifs communaux à préparer des instruments capables de recevoir des centaines, puis des milliers, de procès chaque année. L’appareil public, grâce à des formulaires scripturaux standardisés et faciles à reproduire, permettait ainsi de porter devant les tribunaux des conflits interpersonnels entre cives, transformés en délits dont la réparation était demandée au pouvoir communal (« Je demande donc au podestat de punir », suivi du nom de l’accusé). Le succès de la justice publique tient essentiellement à l’application à l’échelle urbaine de l’ordre isonomique de la procédure accusatoire. Il permet à un grand nombre de personnes d’accéder au tribunal de la ville en faisant comparaître leur adversaire. Il n’était pas toujours possible de parvenir à un véritable verdict, mais la confrontation avec l’adversaire (obligé de répondre à l’appel du juge) était toujours garantie.

Le respect de la logique de l’ordo des procès qui sont tenus dans les tribunaux urbains du XIIIe siècle est en effet étonnant : à commencer par la structure formelle de la confrontation, qui prévoit une connaissance du fait divisée voire partagée entre les différents acteurs. Outre les accusations, présentées sous forme de libelles, on trouve des positiones complexes (par exemple dans les registres de Pérouse) dans lesquelles le fait initial est entièrement décomposé en étapes à juger (Vallerani, 2022). On trouve aussi (dans les registres judiciaires de Bologne) des centaines de papiers d’intentiones dans lesquels les procureurs reproposent ces points dans des chapitres à prouver (intendit probare […]), rapportés à leur tour dans des listes de questiones à poser aux témoins. Dans ces centaines de papiers épars (pas toujours rapportés dans le corps du registre) on trouve les traces d’une grande confrontation dialectique sur les faits contestés, décomposés et réécrits selon les modèles présentés dans les ordines examinés ci-dessus. Avec une différence substantielle : dans les chapitres des positiones (et plus encore dans ceux consacrés aux intentiones), le fait n’est pas seulement décomposé, mais aussi redéfini et souvent changé de sens et de nature par rapport à l’accusation. Un tel remaniement porte sur des accusations de vol qui cachent de longs conflits sur les biens et les personnes ou sur des intentiones qui s’attachent plus à la qualité de la personne qu’à la reconstruction du fait. On constate en général une tendance à frapper, ou en tout cas à redéfinir, la réputation des personnes impliquées au cours du procès. La logique sociale assigne au procès une fonction de grande « arène publique » où la valeur sociale des personnes peut être modifiée, positivement ou négativement. Dans cette perspective, la procédure accusatoire restait très attachée aux stratégies des cives et à leurs intérêts personnels.

Cependant, les gouvernements des villes, comme les autres pouvoirs souverains des royaumes européens, pouvaient utiliser, dans certains cas plus graves, une procédure ex officio qui leur permettait d’ouvrir un procès sans attendre l’accusation d’une partie. À partir du milieu du XIIIe siècle, les inquisitiones ex officio menées par les magistrats des villes ont commencé à accompagner les procès accusatoires ordinaires.

Les procédures ex officio du concile de Latran IV (1215) au temps d’Albertus Gandinus (c.1245-c.1310)

L’origine ecclésiastique de la procédure ex officio est désormais bien connue : la procédure contenue dans la célèbre décrétale Qualiter et quando du pape Innocent III, reprise dans le huitième canon du concile de Latran IV en 1215, est rappelée dans toutes les histoires de la justice médiévale comme le début de la longue histoire de la procédure inquisitoire (inquisitio) (Fraher, 1992). Ce rôle est mérité, même si des procédures similaires étaient déjà en circulation avant cette date. En effet, Innocent a renouvelé les modalités du pouvoir d’enquête du pape (et des juges délégués en général) en fournissant une nouvelle justification idéologique et juridique à l’intervention du juge ex officio, sans accusation préalable. La justification avait d’abord une raison pastorale : lorsque le comportement non tolérable et répété d’un coupable (un clerc) se déroulait dans l’espace public et créait un scandale qui mettait en danger le salut des fidèles, la fama pubblica (« réputation ») de ce comportement était si forte qu’elle se substituait à l’accusateur formel, parce que les crimes « ne doivent pas rester impunis » (decretal Ut famae X. 10.39.35, 1203).

Pour Innocent III, cela ne change pas formellement la structure du procès : selon lui, le juge ne doit pas aussi devenir l’accusateur, car c’est la fama qui agit comme accusateur (« quasi fama denunciante »). Le procès reste ainsi formellement triadique, c’est-à-dire qu’il se résume à trois individus : le demandeur, le défendeur et le juge. Dans la réalité, les choses se sont passées différemment. Attribuer à la fama une valeur accusatoire a profondément modifié la procédure, car le juge devenait l’arbitre quasi absolu de cette réputation. Il lui appartient d’apprécier quels sont les témoins crédibles et quels sont les comportements graves jugés au point d’être intolérables. Il doit aussi déterminer quand ces griefs ont donné lieu à un véritable scandale (Théry, 2002). Certes, la fama joue le rôle d’un individu en procès, mais elle reste toujours une création du juge. Elle doit faire l’objet d’un contrôle strict de la part de l’autorité pour éviter que des rumeurs incontrôlées ne portent atteinte à la réputation des hommes d’Église. C’est pourquoi Innocent III a posé des limites formelles aux enquêtes ex officio, qui ne peuvent être ouvertes qu’en présence de preuves sérieuses et répétées et d’une clamor publique. C’est un point sur lequel les principaux canonistes ont insisté dans leurs commentaires sur les décrétales, de Bernardus Parmensis (chez qui « regulariter non fit inquisitio nisi contra infamatum ») à Iohannes Teutonicus (pour lequel seule une infamie intolérable, « quod amplius sine scandalo non potest tolerari », peut déclencher une inquisition) (Aimone, 1994).

Le modèle d’Innocent III était par essence fonctionnel pour défendre l’institution contre les déviances de ses propres ministres. La recherche de la veritas était urgente parce que ce qui comptait n’était pas le fait reconstruit par les parties, mais le fait « perçu » par la communauté et donc le dommage que la fama négative de ce comportement, ou de la personne, causait à l’Église. Tout était alors à la mesure de l’intérêt politique de l’institution. Dénoncer ou non des crimes ou punir un ecclésiastique dépendait des effets que cette dénonciation et cette punition pouvaient avoir sur le prestige de la communauté ecclésiastique locale.

L’inquisition ex officio dans les tribunaux municipaux.
Le Tractatus d’Albertus Gandinus

Les éléments principaux du modèle inquisitoire (les crimes ne doivent pas rester impunis, les comportements déviants ne peuvent être tolérés, la fama se substitue à l’accusateur dans les cas graves) sont repris par les tribunaux communaux lorsqu’ils importent la nouvelle procédure ex officio telle qu’elle est décrite dans les textes des décrétales. Différents modèles inquisitoires, conçus pour lutter contre l’hérésie, ont circulé (Padovani, 1985). Le canon du concile de Latran IV de 1215 Qualiter et quando (qui a perdu tout son sens originel de protection des droits des individus) a fourni le texte de base de la procédure dans les manuels des juges urbains, comme le montre le Tractatus de maleficiis rédigé entre 1286 et 1305 par Albertus Gandinus (Cordero, 1985 ; Sbriccoli, 1998 et 2007). Gandinus n’était pas seulement un juge ad criminalia dans les tribunaux des magistrats des principales villes italiennes (Bologne, Florence, Pérouse, Sienne). Juriste sui generis, il était aussi capable de lire et de citer les œuvres des plus grands maîtres universitaires de son temps. Cela l’a amené à rédiger le premier grand traité de droit pénal médiéval. Le cadre idéologique de son Tractatus est cependant très différent des textes qu’il utilise et la distance par rapport aux précédents ordines iudiciarii est considérable.

Gandinus s’efforce de faire du juge le moteur central du procès, de faire de lui le maître ultime des mécanismes de connaissance et d’évaluation des cas soumis au tribunal. En effet, le Tractatus de maleficiis est fondé sur le « pouvoir » et le « devoir » du juge de décider comment et quand punir une personne. Il doit ainsi concevoir la punition comme la solution « naturelle » de la procédure, comme si la veritas et la culpa étaient deux concepts interchangeables. En outre, Gandinus fonde le rôle politique du juge sur cette fonction de défense de l’ordre : à l’adage traditionnel selon lequel « il est de l’intérêt de la res publica que les crimes ne restent pas impunis », il ajoute l’intérêt du juge (reipublice et iudicis). Il suggère une identité d’intention entre la res publica (l’État, en termes modernes) et les juges qui est loin d’être évidente dans le monde communal italien.

Cette vision idéologique de la justice conditionne la définition des règles procédurales, héritées d’un ensemble hétérogène de textes réassemblées par Gandinus avec une grande liberté de composition, à commencer par le dense chapitre sur la procédure inquisitoire. Dans un premier temps, il démolit les piliers de la procédure accusatoire hérités des textes romanistes. Ensuite, il reprend ad literam la procédure ex officio du canon Qualiter et quando comme la meilleure méthode pour découvrir la vérité (c’est-à-dire la culpabilité). Enfin, il affirme la nécessité de la punition comme but ultime de la justice publique. Il s’agit là de trois passages importants qui méritent d’être brièvement évoqués.

Dans le premier titre du Tractatus, à propos de ceux qui peuvent porter une accusation (qui possunt accusare), Gandinus met à mal la règle d’or du droit romain selon laquelle sans accusateur « non procedit criminis cognitio vel pene impositio ». Il énumère ainsi 17 cas particuliers pour lesquels le juge peut au contraire procéder ex officio (Tractatus, p. 44). Gandinus remet également en question le principe civiliste qui interdit de forcer une personne à déposer une accusation contre son gré (nemo invitus accusare) : dans le cas où les parents d’une victime de meurtre ne dénoncent pas le coupable par « crainte de son pouvoir », le pouvoir communal « a le droit de les forcer à déposer une accusation, même si cela n’est pas bien exprimé dans la loi » (quamvis hoc non sit bene lege expressum). Il est clair que la justice politique exige un juge proactif qui intervient pour connaître et sanctionner les infractions, sans attendre l’impulsion d’une partie. La procédure qui lui permet cette liberté d’action est l’inquisitio ex officio de matrice ecclésiastique.

Gandinus le dit ouvertement : dans la procédure inquisitio ex officio, l’ordo est établi par le canon Qualiter et quando « servandus est ». Il y a donc deux phases. La première est d’ordre général : lorsque le coupable est inconnu, le juge doit enquêter de plano pour l’identifier. L’autre est d’ordre spécial, contre une personne déterminée. Dans ce cas, les solemnitates rituelles doivent être respectées : convocation, remise des chefs d’accusation, possibilité de défense (Tractatus p. 40). Il en va de même lorsque la procédure inquisitoire est cum promotore, c’est-à-dire avec un demandeur qui demande manifestement de procéder ex officio contre une personne donnée (Tractatus p. 40). Il s’agit là d’un processus mixte très intéressant, une sorte d’accusation renforcée qui met en mouvement des mécanismes particuliers, laissant la charge de la preuve au demandeur : « Unde promotor inquisitionis debet probare quod ille contra quem inquiritur sit de illo crimine infamatus » (Tractatus p. 41).

Sur le plan idéologique, l’influence la plus visible du langage canonique concerne le rôle de la vérité, qui était central dans les textes d’Innocent III. Chez Gandinus, la vérité, en tant que but ultime du procès, désarticule nécessairement l’intérêt partisan du système accusatoire. Un conflit frontal s’ouvre entre la vérité que le juge doit atteindre par l’enquête ex officio et les motifs « privés » qui soutiennent l’accusation partisane. Ainsi, la procédure inquisitoire est utile et doit être préférée parce qu’elle permet d’atteindre plus facilement la veritas, c’est-à-dire la culpa (Tractatus, p. 47). L’inquisitio est plus efficace ratione veritatis (Tractatus p. 47, ligne 21) ; ceux qui ne veulent pas procéder à cette procédure, « per quam facilius veritas invenitur », sont de connivence avec la partie adverse. Cette exigence de vérité dépend d’une raison politique sous-jacente qui unit les différents niveaux de justice : l’intérêt de la res publica à punir les crimes ou à ne pas les laisser impunis ; d’où l’obligation pour le juge de libérer la province des criminels (Fraher, 1984).

Dans ce système compact de références procédurales et idéologiques, la fama joue un rôle central, peut-être même plus important que dans le processus canonique. Toujours sur la base de son expérience de juge, Gandinus ne se contente pas de relever une fama générique de fait, mais se concentre surtout sur la réputation du suspect, qui s’avère être un élément de preuve très puissant. Deux chapitres du Tractatus sont éclairants en ce sens : si un homme de mauvaise fama (sa réputation avant le crime) est désigné comme l’auteur d’un crime, il peut être torturé même en l’absence d’autres indices, car la mauvaise réputation est en soi une semi-preuve. Si, en revanche, la personne disposait d’une bonne fama, en l’absence d’autres indices, elle ne doit pas être torturée.

Il s’agit là d’un point délicat du système inquisitoire que Gandinus résout par un double mécanisme juridique. D’une part, il utilise le droit romain pour indiquer que la fama est un élément fondateur de l’identité d’une personne, voire inhérente à sa nature (bona/mala fama « inest sui nature »). Cet état social est donc stable dans le temps : selon un ancien adage romain, si une personne fait le mal une fois, elle le refera dans le futur (semel malus, semper malus). D’autre part, il emploie stratégiquement le droit canonique pour augmenter la valeur probante de la fama, la faisant passer d’une simple indication à une semi-preuve, alors que le droit romain ne le permettait pas (Tractatus, p. 70). Les hommes de la malafama peuvent donc être torturés même en l’absence de tout autre indice, sur la base de cette seule malafama.

Cette référence au droit canonique est à nouveau essentielle, car elle permet de punir la malafama en elle-même. Il s’agit là d’un délit complexe. Commis contre la cité (videatur fecisse contra bonos mores sue civitatis), c’est aussi un véritable crime social qui salit l’individu en tant que tel, du fait qu’il « s’est volontairement fait homme de mauvaise réputation (malafama) » (Tractatus, p. 67). C’est cette culpabilité qui est punie par la torture sans attendre le soutien de sa cité, « quia frustra iuris civitatis implorat auxilium qui contra illud commisit » (Tractatus, p. 66). Il convient de mentionner que la figure de l’homme de mauvaise réputation de son plein gré (sua sponte) est illustrée dans certains passages du droit canonique à l’encontre du prêtre qui « ne considérant pas sa conduite de vie, s’est laissé suspecter par de mauvais exemples ». Gandinus fusionne ainsi des matériaux hétérogènes pour mettre en œuvre une nouvelle procédure, guidée par la conviction idéologique de défendre la société contre les hommes qui choisissent une vie de mauvaise réputation (de malafama) comme manifestation d’une nature autodestructrice et antisociale.

Dans son travail de juge communal, Gandinus s’efforce d’imposer ce modèle procédural, en commençant par le formulaire de la demande d’inquisitio, dans lequel le plaignant renonce explicitement à l’accusation parce qu’il souhaite qu’une enquête soit menée (une forme qui est absente dans les procès des autres juges). En tant que juge « d’instruction », il se montre attentif à l’hygiène sociale de la civitas, punissant sévèrement les prostituées qui ont dépassé de quelques centimètres la distance obligatoire de la cathédrale. Habile enquêteur contre les voleurs et les personnes douteuses, il utilise judicieusement les preuves qu’il a recueillies, les montrant peu à peu aux suspects. Il recourt enfin aux contre-interrogatoires et aux expertises graphiques dans les cas de production de faux et de vol. Cependant, il doit accepter une véritable confrontation, semblable à celle de la procédure accusatoire, lorsque les accusés se présentent avec des procureurs et des garants, jurent de comparaître à nouveau et amènent des témoins pour leur défense. Face à cette capacité des délinquants à se défendre, la charge violente de la procédure doit se modérer en suivant les étapes de l’ordo iudiciarius classique, avec les défenses et la confrontation des témoins des parties adverses. Dans ce cas, le procès se termine normalement par un acquittement.

Après tout, Gandinus sait très bien que, en tant que juge, il ne décide pas tout seul, mais occupe un espace juridique complexe, dans lequel agissent notaires, procureurs, avocats, sapientes consultori. Il sait aussi qu’à la fin de son mandat, une procédure de sindacatus jugera ses décisions, avec un risque important de contestation. En plus, du moins à Bologne, les avocats avec qui il se confronte sont souvent les mêmes juristes qu’il a étudiés et utilisés dans son Tractatus. Il se heurte fréquemment à leurs opinions et à leurs objections (concrètes) présentées au cours des procès.

Les juristes et le procès : quaestiones et consilia

Le Tractatus de Gandinus est en fait une série de quaestiones réadaptées à la forme du traité. En ce sens, il a également le mérite de mettre en évidence la grande diffusion des quaestiones à l’intérieur et à l’extérieur des écoles, ainsi que le lien étroit entre les quaestiones et les événements réels du procès, tant en ce qui concerne les cas examinés que l’interférence continue avec le monde réel du procès sous forme de consilium sapientes.

Les quaestiones et le procès

La méthode fondée sur la quaestio était déjà présente dans le monde juridique du XIIe siècle, tant en droit civil qu’en droit canonique. Elle assume un rôle central dans l’enseignement universitaire à partir de 1270, lorsqu’il devient obligatoire pour les professeurs des écoles de Bologne de rédiger et d’enseigner les quaestiones (Bellomo, 2000, p. 385-438). Le genre connait un développement fulgurant, avec de nombreux recueils de quaestiones, normalement distinguées en deux types : celles disputées dans les écoles et celles de facto emergentes, formulées à partir de situations réellement presentées en procès. Dans les deux cas, le point de départ était une quaestio, c’est-à-dire un cas douteux qui pouvait être résolu de différentes manières, selon une série d’arguments pour ou contre une solution donnée. Le système dialectique exalte la capacité des auteurs à trouver dans les textes du droit romain des arguments et des points d’appui pour leur propre solution. Il légitime aussi la dissidence ouverte au sein du monde des juristes, même à l’égard de leurs propres maîtres. C’est un savoir dialectique, ouvert à des solutions différentes et instables sur le plan programmatique, qui finit par ébranler les certitudes de base des pouvoirs institutionnalisés et des juges.

En effet, un grand nombre de quaestiones portaient sur la lettre et l’esprit des lois communales. Avant la rédaction de son Tractatus, Gandinus avait rassemblé une série antérieure de quaestiones de Guido de Suzaria concernant les statuts des communes, sous le titre Quaestiones statutorum, en les enrichissant d’autres plus proches de son temps (Bellomo, 2000, p. 120-125). Il ressort de cet important recueil que les juristes utilisent les quaestiones pour passer au crible les lacunes de la législation publique, les ambiguïtés des termes et surtout les incertitudes relatives à la transformation du status personnel. D’où le fait que de nombreuses quaestiones portent sur le sens ambigu des termes dans les lois : l’interdiction d’exporter du blé s’applique-t-elle aussi à la farine ? (Quaestiones statutorum p. 165, n° XIX) ou sur les lacunes des dispositions légales : la peine pour les crimes violents double s’ils sont commis la nuit, mais est-ce aussi le cas s’ils sont perpétrés l’après-midi (Montanos Ferrín, 1998) ? Ces quaestiones traitent surtout de situations hybrides, dans lesquelles les personnes changent de statut. Par exemple, à propos des crimes commis par un laïc qui, avant le procès, devient un clerc : peut-il encore être jugé ou bénéficie-t-il de l’immunité des ecclésiastiques ? Ou encore, une question très répandue dans les villes italiennes : les biens des bandits sont saisis et les débiteurs sont contraints de payer leur dette directement à la commune, mais si les bandits reçoivent un privilège qui leur permet de revenir en ville, peuvent-ils alors récupérer leurs dettes auprès des débiteurs eux-mêmes ?

La critique des lacunes des lois n’est pas formelle, mais vise à montrer l’incomplétude de la législation communale et donc la nécessité d’une interprétation technique, basée sur les textes du droit romain. Pour les juristes, au fond, la fonction interprétative comportait une sorte de devoir de suppléance : toute lacune résulte du domaine des juristes, selon la très haute prétention des sapientes. Les recueils de quaestiones circulaient assurément beaucoup : copiés dans de nombreux manuscrits, rassemblés en libri magni de centaines de feuillets, ils étaient à portée de main des juges, comme le confirme Gandinus : chaque juge possède un recueil de quaestiones à consulter en cas de besoin.

Bien entendu, les choses n’étaient pas si simples. Dans le Tractatus de maleficiis de Gandinus, le savoir fondé sur les questiones est mis à rude épreuve lorsqu’il se heurte aux exigences de certitude des juges. Les conflits entre juges et docteurs (et même entre sapientes) étaient très fréquents. Gandinus en mentionne plusieurs, y compris ceux dans lesquels il était directement impliqué. Nombre de ces conflits portaient sur les possibilités de défense en matière criminelle et sur le rôle des procureurs (un sujet auquel il était particulièrement sensible). Il existait un champ de tension constamment ouvert, car bien que le droit (romain) interdise la défense du criminel, les juristes admettent néanmoins la présence d’un procureur, ou en tout cas d’un représentant, pour présenter des exceptions ou des requêtes de la part de l’accuse. Par exemple, Odofredus (m. 1265), Guido de Suzaria (1247-1293) et alii doctores affirment qu’un accusé emprisonné pour homicide peut désigner un procureur pour produire des témoignages en sa défense, bien que Gandinus persiste à penser qu’il ne s’agit pas là d’une plena defensio. Dans une autre quaestio, Guido de Suzaria admet l’intervention du père en faveur de son fils ; et un avis ultra-garantiste de Martinus de Fano (c. 1200-1272) réaffirme le principe selon lequel, après la mise en cause, « un procureur pouvait toujours intervenir pour le défendeur ». Lambertinus Ramponi (m. 1304) a même approuvé la possibilité pour un accusé soumis à la torture de demander une suspension de ses tourments pour préparer sa défense. D’autres maîtres limitent strictement le pouvoir discrétionnaire du pouvoir communal en matière de punition des représentants : Thomas de Piperata (c. 1250-post. 1282) refuse au podestat le droit discrétionnaire d’imposer une condamnation aux garants ayant présenté l’accusé ; et Martinus de Silimanis (c. 1250-1306), un autre illustre maître bolonais, soutient que les autorités communales n’avaient pas le pouvoir discrétionnaire d’empêcher l’accusé de présenter des exceptions admises selon le droit commun. Un contraste très net entre statut et lex romana, que les maîtres défendent avec cohérence aussi bien dans les écoles de droit que dans la réalité des tribunaux.

La circularité du savoir juridique : des quaestiones aux consilia

Les quaestiones sortent en effet souvent des salles de classe pour devenir du droit pratique, des choix concrets de politique judiciaire sous forme de consilium, de la même manière que les consilia fournissaient matière aux quaestiones des écoles en droit savant. Les témoignages de cet échange continu sont nombreux : le Tractatus de Gandinus en est constellé, et les recueils de quaestiones évoquent fréquemment des transferts de thèmes et de cas d’un domaine à l’autre. Une quaestio de facto relative à la responsabilité des garants, née à Gênes et résolue par Odofredus, était par exemple un consilium que le juriste bolonais avait donné à distance (c’est-à-dire qu’il n’était pas physiquement présent dans la ville du pouvoir qui avait demandé et envoyé l’avis par lettre). Le cas controversé de la destruction de la tour du bandit, devenu un classique des quaestiones pénales, était à l’origine un consilium donné à Gandinus par Franciscus de Accursio (1225-1293) et Rolandinus de Romanciis (c. 1220-1284). De nombreuses quaestiones de Dinus de Mugello (c. 1253-ant. 1298), rassemblées dans l’édition du XVIe siècle de ce grand juriste, étaient certainement des consilia (Dinus étant en outre très sollicité par les magistrats d’autres villes pour des consultations à distance). L’interférence entre les deux sphères était structurelle, car de nombreux juristes cités dans les recueils de quaestiones étaient ou agissaient comme avocats et intervenaient dans des affaires civiles et criminelles importantes. Ils participaient également à l’élaboration de la politique municipale. Dans plusieurs villes, ils étaient aussi membres de conseils restreints (balie) formés pour assister, voire remplacer, les conseils élargis, c’est-à-dire les assemblées plénières de la ville dans les questions juridiques les plus complexes. Comme cela a été largement démontré, leur rôle politique venait de leur compétence technique. Ils fournissaient une couverture juridique aux actes du gouvernement urbain (même les plus délicats), aux relations avec les autres pouvoirs, aux politiques fiscales ou au traitement des bannis (Menzinger, 2006).

L’activité de consultation par les juristes représente l’aspect technique de l’activité de contrôle des magistrats étrangers. Dans le monde communal, elle prenait des formes diverses. En ce qui concerne le procès, on peut distinguer au moins trois grandes zones d’intervention des juristes : 1) le contrôle institutionnel de l’activité des magistrats étrangers relatif aux bannissements (ils étaient alors membres d’offices spécifiques, comme l’officium bannitorum de Bologne, actif dans les années 1250-1260) ; 2) leur activité professionnelle habituelle de consultant (dénomination entendue dans le sens du consilium émis par ces auteurs) des parties en procès, surtout dans les conflits civils de nature patrimoniale ; 3) une série d’interventions ponctuelles dans les procès pénaux, à la demande du juge ou des parties elles-mêmes. Dans ce dernier cas, les avis exprimés dans les consilia avaient un caractère potentiellement contraignant pour le juge, qui devait les reprendre dans la sentence (Ascheri, 1999).

Ces trois sphères distinctes convergent toutes vers un contrôle de la juridiction des magistratures que les villes confiaient aux étrangers : un contrôle de fond, visant surtout à vérifier le respect formel des procédures à chaque étape, et un contrôle juridictionnel, lorsque la compétence du juge pour examiner un litige ou un type de délit donné était mise en doute. Malgré la diversité des situations examinées, des lignes directrices communes émergent dans les consilia des procès, que l’on retrouve dans les consilia des juristes de différentes villes.

Commençons par les cas les plus simples : les consilia relatifs aux exceptions présentées par les procureurs de personnes bannies contre les formes requises par le statut de la commune. Elles suivaient les avis de l’officium bannitorum de Bologne, auquel participait notamment Accursius (c. 1182-post. 1262) (Chartularium, 1909, p. 107-159). Les consilia annulent systématiquement les bannissements émis de manière incomplète ou erronée, surtout au moment de la citation, qui est le véritable pivot du système : citations jamais effectuées, faites sous un mauvais nom ou sans le nom complet, ou encore plus fréquemment « proclamées » sans les témoins nécessaires ou ceux requis par la loi (voisins). L’importance de la citation reflète en outre un fondement de la procédure : la nécessaire connaissance des termes du procès par toutes les personnes impliquées.

La régularité de la séquence des actes apparaît aussi essentielle dans l’activité des sapientes. C’est un concept bien compris par les juristes et exprimé à plusieurs reprises dans les quaestiones. L’ordo est également (et peut-être surtout) un ordre de succession des actes qui ne peut être modifié, sous peine de nullité du procès. La garantie de la régularité de la procédure réside précisément dans le respect des délais et des formes d’exécution des différentes phases. Cela se voit également dans de nombreux consilia relatifs aux phases probatoires du procès, en particulier à la possibilité de défense des bannis et à l’audition des témoins, des étapes délicates en raison des fréquentes pressions des juges. Ainsi, Lambertinus Ramponi, un auteur très présent dans les recueils de quaestiones, rappelle dans un consilium de 1287 que les témoins de l’accusateur doivent prêter serment selon les formes prévues par le statut communal (ASBo, Comune, Capitano del Popolo, registre 99). Dans un autre consilium collectif sur la possibilité d’enquêter après une dénonciation anonyme, Lambertinus ne conteste pas le pouvoir de la commune d’ouvrir une enquête, mais celui d’utiliser les témoins indiqués dans les cédules. De même, Tommaso di Guidone Ubaldini, consultant très actif dans les années 1280, admet la possibilité de défense des bannis, même par une personne non qualifiée, car il est plus juste d’admettre un défenseur (non qualifié) que d’aggraver la situation de l’absent sans défense (Vallerani, 2007, p. 155-156). Ce sont des fragments d’un langage juridique très élaboré et d’une grande portée politique et culturelle : par un travail méticuleux de consultant, les juristes ne modifient pas seulement en profondeur la structure finale du système judiciaire, mais maintiennent ce système à un niveau de légalité relativement élevé. Il s’agit là d’une fonction que tous les gouvernements populaires reconnaissaient aux sapientes, même si cela entrait en conflit avec les orientations politiques des régimes.

L’impact de la consultation dans le système judiciaire public était en effet substantiel et non seulement formel : les décisions des consultants étaient prises après un débat de type procédural qui accompagnait, ou souvent remplaçait, celui des juges. Dans de nombreux cas, lorsque les documents le permettent, il est possible de reconstituer le type de débat que les sapientes menaient avant de rendre leur consilium. Souvent, les parties étaient convoquées devant les sapientes, qui recueillaient et évaluaient la documentation présentée par les procureurs, l’insérant dans un nouveau cadre de confrontation. Comme l’a écrit Antonio Padoa-Schioppa pour Milan, les sentences du juge étaient « le résultat d’une instruction systématiquement conduite par un ou plusieurs iurisperiti chargés d’écouter les parties, d’entendre les témoignages et finalement de rédiger le consilium » (Padoa-Schioppa, 2004, p. 303). Dans les statuts milanais de 1330, une règle prescrit « de recourir obligatoirement au consilium sapientis quand une ou les deux parties le demandent » (Padoa-Schioppa 1996, p. 19). Cette pratique est également visible dans les procès de Pérouse et de Bologne, où les sapientes consultants tiennent, en fait, un second procès. Le consilium prend, en d’autres termes, les fonctions d’un niveau juridictionnel supérieur qui fournit au juge la solution nécessaire pour prononcer la sentence. On pouvait aller encore plus loin : dans les procès politiques tenus à Bologne à la fin du XIIIe siècle, les bannis présentaient des centaines de recours contre la saisie de leurs biens. Ces recours ne furent pas examinés par le juge du Capitanat, pourtant délégué aux litiges relatifs aux biens, mais par les sapientes (les puissants doctores mentionnés précédemment) appelés par le juge lui-même à fournir un consilium. Dans ces cas, les sapientes jouaient un rôle explicitement juridictionnel dans un litige opposant d’un côté le requérant, représenté par un procureur, et de l’autre la commune, représentée elle aussi par un procureur. Deux parties qui s’affrontent sur un même plan, toutes deux soumises au jugement des sapientes qui rédigeaient l’avis intégré automatiquement dans la sentence du juge. C’est peut-être un cas extrême, une quasi substitution du juge ordinaire par une élite d’experts du droit capables de concilier dans toute leur complexité leurs activités professionnelles, procédurales, d’études et d’enseignement.

Le consilium ferme ainsi la boucle de la relation entre culture juridique et procès, en mettant en évidence une dimension fondamentale du juriste médiéval : la capacité à raisonner « par cas », reformulant différents épisodes et situations réelles en formes juridiques cohérentes. Et c’est justement la casuistique, plus qu’un simple appel abstrait aux lois, qui permet au droit de maintenir un contrôle solide sur les réalités qu’il cherche à organiser ou à maintenir en ordre.

POUR FAIRE LE POINT

  1. Qu’est-ce que la procédure accusatoire ?
  2. Qu’est-ce que la procédure inquisitoire ?
  3. À quoi servent les recueils de quaestiones ?
  4. À quoi servent les consilia ?

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Les sources de la pratique juridique. À la convergence de la théorie et de l’expérience

Introduction

L’étude des « sources de la pratique juridique », particulièrement au cours du Moyen Âge, nous invite à explorer les fondements historiques et conceptuels qui ont modelé la pratique du droit jusqu’à nos jours. Précisons-le d’emblée : cette notion recouvre une vaste diversité de matériaux et de pratiques – des documents officiels aux traditions orales, des décisions judiciaires aux contrats privés – qui, ensemble, tissent la trame de la pratique juridique dans le tissu social de ces époques passées. La diversité de ces sources, qu’elles soient formelles ou informelles, écrites ou orales, illustre la complexité de l’architecture juridique médiévale et moderne. Elles nourrissent le travail quotidien des professionnels du droit, tels que les juges, les avocats et les notaires, et structurent l’ensemble du système juridique (Lévy, 1988 ; Gauvard, 1991 ; Rigaudière, 2003 ; Bertrand et Chastang, 2019).

Au Moyen Âge, période charnière de formation et de consolidation des traditions juridiques européennes, ces sources de la pratique juridique ont joué un rôle déterminant. Elles ont non seulement façonné les contours du droit, mais ont également influencé les modalités de son interprétation, de son application et de sa transmission. Les sermons et textes religieux, par exemple, ont véhiculé des normes et valeurs juridiques influençant directement les pratiques économiques et sociales, tandis que le droit coutumier et les pratiques commerciales, comme nous le verrons, ont contribué à l’émergence de normes juridiques spécifiques, adaptées aux besoins des communautés, notamment des milieux marchands.

Ce chapitre se propose par conséquent de démêler cet écheveau complexe, en mettant en lumière comment ces diverses sources de la pratique juridique ont été utilisées, interprétées et intégrées dans la pratique juridique médiévale.

Les sermons et textes religieux

Le prédicateur franciscain Bernardin de Sienne (1380-1444), par son éloquence et sa ferveur, incarne parfaitement le pouvoir des sermons en tant que vecteurs de normes éthiques et juridiques. En dénonçant vigoureusement l’usure, il ne se contente pas de prêcher la morale chrétienne ; il influence activement la pratique juridique en guidant les croyants vers des comportements économiques alignés sur les valeurs chrétiennes. Les sermons énoncent non seulement des principes mais défendent également une morale chrétienne ; ils agissent comme des guides de comportements, influençant les pratiques commerciales, les transactions foncières, les règles de succession jusqu’aux comportements les plus intimes (Arasse, 1981 ; Montagnes, 1992 ; Polo de Beaulieu, 1999 ; Martin 2000).

À côté des sermons, les textes religieux, tels que les decrétales pontificales et les écrits des Pères de l’Église, reflètent également leur influence sur des domaines concrets d’activités et de vie. Dans sa Summa theologiae (secunda secundae part., quest. 77, art. 1-4), Thomas d’Aquin aborde, notamment, la question de la justice dans l’échange, la légitimité du commerce et de l’usure, dans le cadre d’une représentation dominée par la théologie et la morale. Le premier article de la question 77 examine s’il est permis de vendre un bien à un prix supérieur à sa valeur réelle (Dellemotte, 2017 ; Januard, 2022 et 2022/4). Pour le frère dominicain, la réponse ne peut être que négative : tromper son prochain dénote une intention malveillante et expose le vendeur au péché :

« Dans ce cas le juste prix devra être établi non seulement d’après la valeur de la chose vendue, mais d’après le préjudice que le vendeur subit du fait de la vente. On pourra alors vendre une chose au-dessus de sa valeur en soi, bien qu’elle ne soit pas vendue plus qu’elle ne vaut pour celui qui la possède. » 1 

À l’image de la pensée thomiste, diverses sources religieuses, loin de se limiter à un rôle doctrinal, influencent concrètement le droit et les pratiques, en établissant des normes pour une variété d’activités économiques et sociales. Un domaine où cette influence des valeurs chrétiennes dans les systèmes juridiques est particulièrement intéressant concerne le traitement des pauvres et des marginaux. Les prêches de Vincent Ferrier (1350-1419), un dominicain espagnol, soulignent l’importance de la miséricorde et de l’assistance aux nécessiteux. Ses appels à la charité chrétienne ont influencé la création de législations municipales visant à soutenir les pauvres, comme l’attestent les ordonnances de diverses villes européennes établissant des hôpitaux et des institutions de bienfaisance à cette époque. Ce phénomène s’observe particulièrement bien à Fribourg, en Suisse, où une étroite relation juridique et personnelle s’établit dès le XIIIe siècle, entre l’hôpital de Notre-Dame et les autorités de la ville, afin d’assurer l’assistance aux pauvres ainsi que la surveillance des marginaux (Niquille, 1921).

Ces quelques exemples, parmi de multiples autres, soulignent les liens étroits entre la religion et le droit au Moyen Âge. Ils illustrent comment les idées religieuses, véhiculées par des sermons et des textes doctrinaux influents, s’infiltrent dans le tissu social et juridique, influençant les attitudes et les comportements.

Le droit coutumier et les pratiques commerciales

Le droit coutumier représente une pratique sociale qui acquiert la force de loi lorsqu’elle est verbalisée. Il se situe à la frontière entre la source de la pratique et la source normative. Cette ambiguïté s’accentue lorsque la coutume est mise par écrit. Il convient ainsi de distinguer l’usage (ou us), la coutume orale et la coutume écrite. Pour cette dernière, il est essentiel de différencier les initiatives privées de rédaction des entreprises officielles de mise par écrit.

Comme nous allons le voir, le droit coutumier, qu’il soit oral ou écrit, constitue une source précieuse pour comprendre la formation et l’évolution des pratiques juridiques (Poudret, 1998). Les coutumes, en passant de l’oralité à l’écrit, nous permettent de comprendre comment les sociétés médiévales ont conçu et appliqué le droit. En distinguant les différentes catégories de coutumes et en analysant leurs processus de formulation et de rédaction, nous saisissons la complexité et la diversité de l’architecture juridique médiévale.

L’usage et la coutume orale

Avant de devenir une norme juridique, la coutume, exemple par excellence de law from below, est simplement une manière collective et répétée d’agir, appelée usage, sans caractère obligatoire. Cet usage devient coutume lorsqu’il est verbalisé, souvent à la suite d’un différend ou d’une incertitude sur l’usage en vigueur. Par exemple, les pratiques commerciales dans les ports de la Ligue hanséatique au Moyen Âge ont souvent évolué en coutumes acceptées et respectées par les marchands de diverses nationalités après avoir été discutées et verbalisées lors de réunions de guildes. L’us et la coutume purement orale sont difficilement appréhendables pour l’historien car ils laissent peu de traces écrites. Toutefois, lorsqu’une attestation écrite d’une coutume spécifique est demandée par des justiciables ou des juges, elle peut être conservée, bien que cela ne représente qu’une infime partie de la pratique coutumière (Wyssbrod, 2019).

La mise par écrit de la coutume

Les coutumiers, en consignant les pratiques orales et les usages locaux, permettent de figer la coutume dans un texte stable et consultable (Kuskowski, 2022). Ce n’est que lorsque les coutumiers sont constitués et que la coutume est mise par écrit que celle-ci peut être étudiée de manière plus complète. Le Spiegel von Schwaben (« Miroir de Souabe »), compilé au XIIIe siècle, est l’un des coutumiers les plus importants de cette période. Ce document rassemble les coutumes locales de la région souabe, fournissant une vue d’ensemble des pratiques juridiques et sociales de l’époque. Grâce à cette compilation, les juristes et les juges pouvaient s’appuyer sur des règles écrites claires, réduisant ainsi les incertitudes et les conflits liés aux interprétations divergentes des usages locaux. De plus, ce coutumier illustre la manière dont les sociétés médiévales cherchaient à harmoniser et à systématiser leurs règles coutumières, contribuant ainsi à la construction d’un droit plus uniforme et plus accessible. Certains coutumiers sont rédigés par l’autorité législative ou à sa demande. Dans ce cas, il s’agit d’une coutume écrite, qui se distingue de la loi par son origine : la loi émane d’un organe législatif tandis que la coutume écrite est une confirmation par celui-ci d’une pratique populaire.

Les coutumiers privés

Ces ouvrages, rédigés par des praticiens pour leur usage personnel, ou en vue d’être publiés et diffusés, constituent un état de la coutume à un moment donné. Le Coutumier de Lausanne rédigé en 1368 par l’évêque Aymon de Cossonay (1355-1375) en est un bel exemple. Aussi connu sous le nom de « Plaid général », celui-ci visait à préserver et à mieux faire valoir les droits de la cité. Celui-ci reflète l’influence des pratiques des cités méridionales dans ces contrées. Il témoigne également d’une volonté de contrer le risque de disparition d’un savoir oral menacé par les épidémies de peste qui frappaient cette région depuis 1347, emportant avec elles notaires, clercs, avocats et procureurs. Ce coutumier, régulièrement mis à jour et remanié pour refléter les changements sociaux et juridiques de la région, a régi Lausanne et les terres épiscopales jusqu’à la mise en vigueur du code civil vaudois, en 1821.

Il est courant de voir quelques modèles de coutumiers s’imposer, être recopiés et adaptés, parfois assez librement. Il devient alors nécessaire d’établir une typologie matérielle afin de comprendre la filiation de ces ouvrages et de les étudier de manière comparative. Cette typologie permet d’identifier les caractéristiques distinctives des manuscrits, telles que leur format, leur structure, les matériaux utilisés, et les annotations marginales. Dans certains cas, les coutumiers privés ont servi de modèle à la mise par écrit officielle de la coutume, voire ont été repris tels quels et officialisés.

Le rôle des institutions et de la société

Les coutumes ne sont pas créées dans le vide ; elles émergent des interactions sociales et des pratiques quotidiennes. Elles sont le reflet des comportements, des traditions et des besoins de la communauté. Les institutions locales, telles que les tribunaux et les conseils municipaux, jouent un rôle crucial dans la reconnaissance et la formalisation des coutumes. Les statuts des guildes et des corporations sont un exemple de la formalisation des coutumes par des institutions locales (Lett, 2020). Ces organisations professionnelles (par ex. : la confrérie des marchands de Bruges, la corporation des Tanneurs de Nuremberg, la Corporation des Bouchers de Londres, l’Arte della Lana – « Corporation de la Laine » – de Florence, etc.) qui regroupent des artisans et des commerçants, utilisaient des coutumes orales pour régir leurs pratiques internes et externes. Ces coutumes, une fois inscrites dans les statuts des guildes, devenaient des normes juridiquement contraignantes.

La flexibilité et l’évolution des coutumes

Le droit coutumier est caractérisé par sa flexibilité et sa capacité d’adaptation. Contrairement aux lois écrites, qui tendent à être rigides et statiques, les coutumes évoluent plus librement en résonance avec les changements dans la société. Les coutumes commerciales propres aux foires médiévales, qui s’adaptent rapidement en fonction des besoins des marchands en matière de transactions, de crédit et de règlement des litiges, illustrent bien cette flexibilité. Les coutumes de la foire de Champagne au XIIIe siècle sont un exemple classique. Les règles commerciales de cette foire, régulièrement ajustées en fonction des besoins des marchands, des conditions économiques et des expériences passées, permettaient de réguler efficacement les transactions et les crédits. Ces coutumes étaient suffisamment flexibles pour intégrer de nouvelles pratiques apportées par les marchands étrangers, tout en maintenant un cadre juridique stable et efficace pour les échanges. Cette capacité d’adaptation est à la fois une force et une faiblesse. Elle permet au droit coutumier de rester pertinent et de répondre rapidement aux nouvelles réalités sociales et économiques. Cependant, cette flexibilité pouvait également entraîner des défis en termes de stabilité juridique. La nature évolutive des coutumes pouvait rendre difficile la prévisibilité des règles, ce qui complique parfois la résolution des litiges et la formulation de stratégies à long terme pour les acteurs économiques et sociaux (Wyssbrod, 2019 ; Poumarède et Mousnier, 2021).

Développements de l’écrit pragmatique et pratique du droit

La période de 1180 à 1350 est souvent qualifiée de « révolution documentaire », de « révolution de l’écrit », ou de « tournant pragmatique » (Clanchy, 1979 ; Chastang, 2001 ; Bertrand, 2015). Cet essor majeur de la production scripturale transforme en profondeur la production, les usages et la conservation de l’écrit par les pouvoirs, modifiant durablement les pratiques administratives et juridiques. Cette époque marque le passage de la mémoire orale au document écrit. La quantité de documents produits et conservés augmente considérablement, et leur typologie se diversifie. Ce changement de paradigme s’accompagne de nouvelles façons d’« agir », pour reprendre la théorie de l’action développée par Pierre Chastang et Étienne Anheim (2009). Ces derniers ont en effet montré comment ce processus, lié en particulier au développement de formes d’écriture pragmatique (Jucker, 2011), influence de nouvelles façons de procéder qui s’ancrent progressivement dans les dynamiques sociales et institutionnelles et, plus largement, dans la pratique du pouvoir.

À partir de la fin XIIIe siècle, et surtout du XIVe siècle, alors que les pouvoirs en Occident intensifient encore leur recours à l’écrit, on parle même d’un « âge de communication multipliée » (Lazzarini, 2007). Les chancelleries se remplissent de notaires et de scribes, souvent formés à la maîtrise de l’ars dictaminis (Grévin, 2008). La forme du registre est adoptée un peu partout (les plus anciens conservés, ceux des notaires génois, datent du milieu du XIIe siècle). Le registre – aussi appelé minutier, registre de brèves ou cartulaire – simplifie la pratique de l’écrit juridique. Le notaire ou le scribe y note un résumé de l’acte – c’est la minute ou brève (imbreviatura) – qu’il conserve et transmet à ses descendants.

Un exemple notable de ce phénomène, qui s’observe à plusieurs échelles, est la constitution de mémoires documentaires, comme les mémoires judiciaires, qui transforment la pratique du droit. La Common Law anglaise, par exemple, avec les Year Books, archivés annuellement de 1268 à 1535, sert de précédents juridiques (Musson et Ormord, 1999). Les registres des chancelleries royales, tels que ceux de Philippe le Bel en France, montrent également une intensification de l’usage de l’écrit dans la gestion des affaires du royaume (Canteaut, 2018). Les registres urbains se multiplient aussi, à l’exemple de ceux des villes italiennes comme Florence et Venise où se développent des livres pour administrer les affaires municipales et enregistrer les transactions commerciales.

Ce processus s’accompagne d’une importante mutation archivistique. En effet, les centres de production et de conservation des actes et autres pièces écrites se multiplient et se diversifient (Cammarosano, 1991). Le renouveau du droit romain et du notariat, la création des universités et l’émergence de nouveaux pouvoirs, tant princiers qu’urbains, contribuent à la diversification et à la multiplication des centres de production et de conservation des actes et autres pièces écrites. Ce mouvement s’étend en Occident à des rythmes variés : d’abord en Italie centro-septentrionale, puis en Angleterre et dans les régions méditerranéennes, et plus tardivement dans d’autres régions.

Les archives notariées et ecclésiastiques sont soigneusement conservées pour assurer la pérennité des informations cruciales, et pour éviter également toute perte ou falsification. Les chartes sont souvent authentifiées par des sceaux, des signatures et des seings notariés pour garantir leur validité et leur force probante. Comme Paul Bertrand (2015) a contribué à le souligner, les documents du XIIIe siècle sont de plus en plus investis de valeur juridique, devenant aussi bien des instruments porteurs d’autorité que des écrits « ordinaires ». Les notaires jouent un rôle crucial dans cette évolution.

Le rôle des notaires

Selon Odile Redon (2004), un homme adulte sur vingt est notaire dans les villes occidentales du XIIIe siècle. Dans chaque bourg, on peut trouver un ou deux notaires auxquels les paysans font recours pour la gestion de leurs affaires. Les notaires des XIIe-XIVe siècles ont produit des millions de documents, conservés aujourd’hui le plus souvent dans des registres. Leur travail offre une riche source d’information sur les pratiques d’écriture, les objectifs des actes notariés et les techniques utilisées. L’évolution du support matériel du document joue également un rôle important dans cette évolution : peu à peu, le papier remplace le parchemin, l’écriture devient cursive et s’abrège, parfois à l’extrême ; les actes sont désormais rédigés selon un formulaire standardisé, issu des écoles notariales de Bologne et répandu par les manuels des grands professeurs d’ars notariae (Bretthauer, 2017). L’écrit, rédigé selon des formes précises, donne une valeur légale aux affaires soumises oralement aux notaires. Nommés par des autorités publiques, ceux-ci jouissent d’une fides publica qui confère une valeur intemporelle à leurs écrits.

Comme nous allons le voir, les actes produits par les notaires laïcs ou les scribes ecclésiastiques couvrent une variété de transactions économiques et sociales. Ceux-ci s’occupent en effet de questions liées à l’achat ou la location de biens, aux prêts et aux contrats de travail, à la constitution de dots, aux inventaires après décès ou aux partages d’héritage. Leur fonction s’étend cependant bien au-delà de ces champs d’applications spécifiques. Ils peuvent également être chargés d’officialiser légalement diverses déclarations et transactions, comme des dépositions pour des procès de canonisation ou la répartition du butin après une campagne militaire.

Le cas des cartulaires ecclésiastiques

Les cartulaires ecclésiastiques sont des compilations de copies de chartes et de documents conservés par les institutions religieuses, tels que les monastères et les évêchés, pour préserver et gérer leurs droits et propriétés. Ces cartulaires constituent une source inestimable pour l’étude de l’histoire, offrant des informations détaillées sur la gestion des biens, les relations entre les institutions ecclésiastiques et les pouvoirs séculiers, ainsi que sur les pratiques administratives et juridiques de l’époque.

Depuis les années 2000, l’historiographie est revenue sur les raisons de la compilation de ces livres (Guyotjeannin, 1993 ; Chastang, 2001). Les cartulaires étaient souvent rédigés pour protéger les droits et les propriétés des églises contre les usurpations et les contestations. Ils comprenaient des copies de donations, de privilèges, de transactions foncières, et de divers actes juridiques qui établissent et confirment leur possessions et leur revenus. La production de ces cartulaires répondait à des besoins pratiques, juridiques et administratifs, permettant aux institutions ecclésiastiques de disposer d’une archive fiable et accessible pour défendre leurs intérêts.

Qu’est-ce qu’un cartulaire ?

Un cartulaire est un recueil de copies de documents établi par une personne physique ou morale, transcrivant des titres relatifs à ses biens et droits ainsi que des documents concernant son histoire ou son administration, pour en assurer la conservation et en faciliter la consultation. (Source : Vocabulaire international de la diplomatique, M. Cárcel Orti, éd. Valencia, 1994, p. 35-36)

La base de données « CartulR », un instrument de référence pour les recherches sur les cartulaires

Bertrand P. dir., CartulR – Répertoire des cartulaires médiévaux et modernes, Orléans, Institut de Recherche et d’Histoire des Textes, 2006 (Ædilis, Publications scientifiques, 3). [En ligne] http://www.cn-telma.fr/cartulR/

Bertrand P., « La base de données ‘Cartulaires’ de la section de diplomatique de l’IRHT », Le Médiéviste et l’ordinateur, 42, 2003, p. 37-42. [En ligne] http://lemo.irht.cnrs.fr/42/mo42_04.htm

Un exemple célèbre est le cartulaire de l’abbaye de Cluny (BNF, NAL 1497 : Chartularium Cluniacense [dit « Cartulaire A » de l’abbaye de Cluny], 1051-1100), qui contient une multitude de chartes détaillant les donations faites à l’abbaye, ainsi que les privilèges accordés par les papes et les rois. Ce cartulaire, comme beaucoup d’autres, illustre l’importance de la documentation écrite pour la gestion des vastes domaines et des ressources économiques des monastères médiévaux.

Les cartulaires ont également joué un rôle crucial dans la transmission de la mémoire institutionnelle. En consignant les actes et les événements significatifs, ils ont contribué à la construction et à la préservation de l’identité historique des communautés religieuses. Ces documents ont servi non seulement à des fins administratives, mais aussi à des fins commémoratives et liturgiques, renforçant le lien entre l’écrit et la spiritualité.

Actes notariés et contrats de vente

Les actes notariés jouent un rôle crucial, notamment dans la formalisation des transactions immobilières. Partout en Europe, dès le Moyen Âge, les contrats de vente étaient systématiquement enregistrés par des notaires. Ces contrats détaillent les termes de la vente, y compris le prix et les conditions de paiement, et assurent la sécurité juridique des transactions. Les Archives d’État de Neuchâtel conservent un acte privé daté du mois de janvier 1265 (C7, 11). Dans cet acte, en présence de plusieurs témoins, Girard, jeune homme de Neuchâtel et fils d’Aubertin de la Tort, cède à Martin, bourgeois de Neuchâtel, et à ses héritiers, pour 12 deniers, des biens incluant des terres, des prés, des champs, des terrains non cultivés, des arbres et d’autres possessions diverses. À l’instar d’autres localités, Neuchâtel ne disposait alors pas encore de chancellerie ni de notaire (il faut attendre la seconde moitié du XIVe siècle). Les divers contrats entre particuliers étaient par conséquent rédigés en leurs noms et validés par une autorité locale, telle que l’abbaye de Fontaine-André, la prévôté de Neuchâtel ou le chapitre de l’église de Neuchâtel. Dans ce cas précis, c’est l’abbé de Fontaine-André qui a authentifié l’acte en y apposant son sceau. Cet acte, comme tant d’autres, offre un aperçu des pratiques juridiques et économiques de l’époque.

Les transactions foncières incluent une variété de documents attestant des transferts de propriété, tels que les actes de vente, les échanges et les baux. Ces documents étaient essentiels pour établir et prouver la propriété des terres et des biens immobiliers. Le Registrum Lombardorum (XIVe s.), conservé aux Archives cantonales de Fribourg (AEF, RN 9/1) documente les emprunts souscrits auprès des Lombards de Fribourg, prêteurs d’argent d’origine lombarde établis dans la ville dès la fin du XIIIe siècle. Le rédacteur principal du registre, le notaire fribourgeois Pierre Nonans, inclut des informations détaillées sur les prêts, les intérêts et les garanties foncières, offrant ainsi un aperçu précieux des pratiques financières et commerciales alors pratiquées. Le manuscrit est accessible en ligne, tout comme sa transcription.

Un exercice de transcription
Un contrat d’apprentissage du 22 octobre 1356
Extrait du registre du notaire Pierre Nonans, milieu du XIVe siècle (Fribourg, Archives de l’État de Fribourg, Registres des notaires, ms. 9/1, fol. 45v) ; dossier élaboré par Lionel Dorthe, Archives de l’État de Fribourg, Suisse (Dorthe, 2016).
CORRECTION DE LA TRANSCRIPTION

Johannodus dictus Avenchat, carpentator, habitator Friburgi, et Uldricus, filius quondam / Perroneti dicti Chinot de Vilarrepos, fecerunt inter se pact[um] infrascript[um], videlicet / quod idem Johannodus tenetur et debet dictum Uldricum docere artem suam carpentatoriam / bene et fideliter, ab hinc usque ad festum beati Martini et a dicto festo in unum annum, / et sibi administrare victum tanquam sibi necnon sotulares et caligas iuxta / exigenciam status sui, atque dare unam tunicam panni « de mosches » et unum / supertunicale de griseo competenti, et unam gippam ac unum capucium panni / cottunati, ac triginta solidos lausannensium, scilicet singulis ieiunii temporibus quartam partem nomine / sui solarii etc. Dictus autem Uldricus promittit et tenetur sibi bene et fideliter / durante dicto termino servire, et non cuiquam alii. Oblig[at] pro predictis attendendis alter / alteri se et suos heredes et bona sua etc. Laudatum est ut supra. Duplicetur.

COMMENTAIRE HISTORIQUE

Le Registrum Lombardorum tire son nom des prêts d’argent enregistrés par les banquiers lombards à Fribourg, mais il inclut aussi divers instruments notariaux, dont certains régissent les rapports de travail. Le contrat d’apprentissage du 22 octobre 1356 entre Jeannod Avenchat, charpentier à Fribourg, et Ulric, fils de feu Perronet Chinot de Villarepos, en est un exemple. Ce pacte stipule que Jeannod doit enseigner à Ulric son métier « correctement et fidèlement » jusqu’au 11 novembre 1357. L’accord, conclu avant leur rendez-vous chez le notaire, est maintenant enregistré.

Le contrat précise que Jeannod doit transmettre son savoir à Ulric, qui en retour promet de servir son maître avec la même loyauté. Vu la durée d’un an et le salaire de 30 sous lausannois, payable en quatre fois, Ulric semble déjà en partie formé. Majeur, il traite directement avec Jeannod sans intermédiaire. Le salaire d’Ulric est inhabituel, car les apprentis payaient généralement leur maître, mais il reçoit aussi nourriture, vêtements, et autres biens. En contrepartie, il doit servir exclusivement Jeannod, garantissant ainsi que l’investissement du maître n’est pas perdu.

Ce type de contrat, basé sur la réciprocité, comblait les lacunes juridiques de l’époque en l’absence de réglementation spécifique sur l’apprentissage. Une ordonnance générale ne sera promulguée à Fribourg qu’en 1424 pour encadrer ces relations entre maîtres et apprentis.

Sources judiciaires et autres documents relatifs à l’application du droit

Les sources judiciaires constituent des documents fondamentaux pour comprendre le fonctionnement des tribunaux et l’application du droit au Moyen Âge comme pour les époques postérieures. Elles incluent les comptes rendus de procès, les décisions de justice et d’autres documents similaires, produits et conservés principalement pour attester des droits et des obligations des parties impliquées. L’archivage de ces documents, déjà au Moyen Âge, permet non seulement de garantir les procédures judiciaires, mais aussi de fournir des preuves en cas de litiges.

Comptes rendus de procès

Les comptes rendus de procès offrent une vue détaillée des procédures judiciaires, incluant les arguments des parties, les témoignages, les délibérations des juges et les verdicts. Ces documents sont essentiels pour reconstituer les pratiques judiciaires et comprendre l’évolution des systèmes juridiques. En Angleterre, les Year Books, qui désignent un ensemble de reports of cases, sont destinés à présenter les tenants et les aboutissants d’un jugement rendu. Ils présentent des comptes rendus détaillés des procès tenus devant les cours royales, fournissant des informations sur les arguments juridiques présentés, les décisions des juges et les précédents juridiques établis (Genet, 1980). Sous d’autres cieux, les registres des procès de la République de Venise (Archivio di Stato, Avogaria di Comun) fournissent des comptes rendus détaillés des procès civils et criminels tenus devant les tribunaux vénitiens. Ces documents révèlent non seulement comment les juges de Venise appliquent les lois locales et les coutumes pour résoudre les litiges, mais éclairent également les réseaux de pouvoirs, les systèmes d’alliance et de solidarité.

Décisions de justice

Les décisions de justice sont des documents formels émis par les tribunaux après délibération, qui établissent les droits et les obligations des parties en litige. Elles sont cruciales pour comprendre l’application du droit et les principes juridiques en vigueur à une époque donnée. Les fonds des Procès criminels des Archives de l’État de Genève conservent des décisions de justice qui mettent particulièrement bien en lumière les méthodes employées par les juges pour établir la culpabilité ou l’innocence des accusés, ainsi que les différents types de preuves acceptées. Les décisions de justice, notamment en lien avec la sorcellerie, révèlent les procédures inquisitoriales et fournissent des exemples concrets de la justice en action, révélant les tensions sociales, économiques, et politiques sous-jacentes. En France, les Parlements étaient des cours de justice suprême, et leurs décisions sont bien documentées dans les archives. Les décisions du Parlement de Paris fournissent des vues d’ensemble sur les pratiques judiciaires et les normes juridiques appliquées dans l’ensemble du royaume.

Les registres judiciaires : justice criminelle et affirmation du pouvoir

Outre les comptes rendus de procès et les décisions de justice, d’autres documents jouent un rôle-clé dans le fonctionnement des tribunaux et l’application du droit, tels que les mandats d’arrestation, les ordonnances et les registres pénitentiaires. Ces derniers, surtout dès le XVIe siècle, documentent les détenus, les accusations portées contre eux et les sentences prononcées. Ces registres fournissent des informations importantes sur la justice pénale et les conditions de détention. En Italie, les registres communaux de la justice pénale (libri maleficiorum) documentent les crimes et les procès criminels. Ces livres incluent des détails sur les accusations, les preuves présentées, les témoignages et les verdicts, offrant une vue détaillée du fonctionnement des institutions judiciaires et des mécanismes de la procédure (Gauvard, 1991 ; Claustre, Bourlet et alii, 2021). Cette documentation exceptionnelle demeure encore largement inexploitée par la recherche historique, contrairement aux statuts communaux qui ont, eux, été étudiés sous de nombreux aspects.

À l’échelle seigneuriale et communale, les sources judiciaires étaient perçues comme des outils précieux pour les seigneurs et les autorités locales. Elles leur permettant de consolider leur autorité et de légitimer leur pouvoir en fournissant des preuves écrites et officielles de leurs décisions et actions.

Les seigneurs recourent volontiers aux registres de justice pour établir leur contrôle sur les terres et les populations sous leur autorité. Les rôles des justiciers seigneuriaux, souvent consignés dans ces registres, détaillent les procédures judiciaires locales, les jugements rendus et les sanctions imposées. Ces documents montrent comment les seigneurs gèrent les conflits, régulent les relations féodales et maintiennent l’ordre public. Les procès-verbaux des cours seigneuriales révèlent les diverses infractions jugées, allant des litiges fonciers aux délits mineurs, et les peines correspondantes, telles que les amendes, la confiscation de biens ou même l’emprisonnement.

Les autorités communales, telles que les conseils municipaux, utilisaient également la documentation judiciaire pour asseoir leur autorité. Les délibérations et décisions des conseils municipaux, souvent enregistrées dans les registres municipaux, montrent comment les villes et les bourgs géraient les affaires locales. Ces documents incluent des ordonnances émises pour maintenir l’ordre public, des règlements sur les marchés et le commerce, et des jugements sur les disputes entre citoyens.

Les sources judiciaires, qu’il s’agisse de comptes rendus de procès, de décisions de justice ou d’autres documents judiciaires, sont essentielles pour comprendre l’application du droit et le fonctionnement des tribunaux à travers les siècles. Elles offrent une vue précieuse sur les pratiques judiciaires, les normes juridiques et les dynamiques sociales de différentes époques. Ces documents, conservés principalement pour des raisons juridiques, sont essentiels pour la recherche historique et juridique, fournissant une base solide pour l’étude de l’évolution du droit et de la justice.

Écrits doctrinaux et commentaires juridiques

Les écrits doctrinaux médiévaux reflètent la manière dont le droit a été compris, interprété et enseigné. Ces textes, le plus souvent rédigés par des juristes et des érudits, servaient non seulement à expliciter les lois en vigueur mais aussi à discuter leur application pratique. En fournissant des analyses détaillées et des interprétations des textes légaux, ces écrits ont contribué à forger un cadre juridique cohérent et accessible, facilitant ainsi son application par les praticiens du droit.

L’influence des traités juridiques sur la pratique du droit

Un exemple particulièrement éloquent de l’influence de ces écrits sur la pratique juridique est celui des traités relatifs à la figure du légat ou de l’ambassadeur. Ces traités émergent dès le XIIIe siècle et se développent tout au long des XVe et XVIe siècles pour atteindre un succès considérable dans toute l’Europe au XVIIe siècle. Rédigés par des juristes expérimentés, ces textes abordent des questions complexes et montrent comment le rôle de l’ambassadeur a été défini juridiquement, en explorant les conditions et les compétences nécessaires des diplomates pour résoudre les conflits et établir des alliances. Ces documents illustrent parfaitement comment la théorie juridique, nourrie par l’expérience pratique des diplomates, a contribué à la formalisation de concepts clés du droit international : l’immunité, les pouvoirs et les instructions des ambassadeurs, véritables pierres angulaires de notre diplomatie actuelle, sont des pratiques mises en place dès le Moyen Âge (Andretta, Péquignot et Waquet, 2015).

Les miroirs des princes et leur influence sur les pratiques juridiques

Les « miroirs des princes », qui présentent soit le portrait du prince idéal, soit une série de conseils de gouvernement adressés au « prince » et à travers lui à tous les souverains, offrent des conseils sur la conduite morale, la gestion des affaires publiques, et les principes de justice et d’administration. À l’exemple du De regimine principum de Gilles de Rome (1243-1316), rédigé vers 1279, ils ont joué un rôle indirect mais significatif dans la formation des pratiques juridiques en influençant la pensée et les actions des dirigeants médiévaux. En particulier dès le XIIIe siècle, ils ont contribué à établir des idéaux de gouvernement basé sur la justice, la prudence, et la moralité chrétienne. Ces idéaux ont influencé, de manière plus ou moins directe, les pratiques administratives et juridiques des dirigeants qui les lisaient et les appliquaient. Ces textes incluent souvent des sections sur la manière de rendre la justice, de traiter les sujets et de gérer les conflits. Ils encouragent les souverains à être justes et équitables, influençant ainsi les décisions judiciaires et les pratiques administratives (Perret, 2018 ; Perret et Péquignot, 2022).

Conclusion

L’étude des sources de la pratique juridique médiévale révèle une diversité impressionnante de matériaux qui ont structuré le droit et les comportements sociaux. Nous avons vu comment les sermons et textes religieux ont joué un rôle crucial en diffusant des normes éthiques et juridiques, tandis que le droit coutumier, oral ou écrit, offre une perspective précieuse sur l’évolution des normes locales. La mise par écrit, à travers les coutumiers, a permis de stabiliser et de formaliser des pratiques juridiques, facilitant leur transmission et leur application. Les documents notariés tels que les actes de vente, testaments et contrats, ont, quant à eux, sécurisé les transactions foncières et les transferts de propriété, assurant la pérennité des droits. Les décisions judiciaires fournissent des clés de compréhension précieuses sur le fonctionnement des tribunaux et l’application des lois, reflétant les tensions sociales, économiques et politiques de l’époque. Les écrits doctrinaux et commentaires juridiques ont été essentiels pour l’enseignement et la pratique du droit, permettant une compréhension approfondie et une interprétation cohérente des textes légaux.

En somme, l’étude des sources de la pratique juridique montre comment la théorie et l’expérience se rejoignent pour former une architecture juridique complexe et dynamique, essentielle à la compréhension du droit et de la société médiévale et moderne. Ces sources ont non seulement structuré les systèmes juridiques mais aussi façonné les comportements individuels et collectifs, contribuant à la continuité et à l’évolution des pratiques juridiques à travers les siècles.

POUR FAIRE LE POINT

  1. Quelle est l’influence des sermons et des textes religieux sur la pratique juridique médiévale ?
    Pour aller plus loin : En quoi les prédicateurs et les textes doctrinaux ont-ils façonné les comportements économiques et sociaux de l’époque ?
  2. Comment se distingue le droit coutumier des autres sources juridiques ?
    • Quels sont les processus par lesquels les coutumes orales deviennent des coutumes écrites et en quoi ces dernières diffèrent-elles des lois créées par des organes législatifs ?
  3. Quel rôle jouent les documents notariés dans la compréhension des transactions foncières et successorales ?
    • Comment les actes notariés, les contrats de vente et les testaments ont-ils contribué à la sécurité des transactions et à la préservation des droits de propriété ?
  4. Comment les décisions judiciaires reflètent-elles le fonctionnement des tribunaux et l’application du droit au Moyen Âge ?
    • Quels types de documents judiciaires sont essentiels pour reconstituer les pratiques judiciaires médiévales et quelles informations fournissent-ils sur les systèmes juridiques de l’époque ?
  5. En quoi les écrits doctrinaux et les commentaires juridiques ont-ils contribué à l’interprétation et à la transmission du droit ?
    • Comment les travaux de juristes médiévaux ont-ils façonné la théorie et la pratique du droit, et quels concepts juridiques ont émergé de ces écrits ?
  6. Comment les institutions locales ont-elles formalisé les coutumes et influencé la pratique juridique ?
    • De quelle manière les guildes, les conseils municipaux et les tribunaux ont-ils joué un rôle dans la reconnaissance et la formalisation des coutumes locales, transformant des pratiques orales en normes juridiquement contraignantes ?
  7. Quel rôle les « miroirs des princes » ont-ils joué dans la formation des pratiques juridiques médiévales ?
    • Comment ces traités didactiques destinés à former les souverains ont-ils influencé les pratiques administratives et judiciaires, et en quoi ont-ils contribué à l’intégration des principes de justice et de gouvernance dans le droit coutumier et écrit ?

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Les sources législatives en Europe centrale. Le cas de la législation de la Diète de Pologne

Les sources du droit dans le royaume de Pologne

L’objectif de ce chapitre est de présenter une source particulière de droit produite dans le royaume de Pologne à la fin du Moyen Âge et au début de la période moderne, à savoir la législation de la Diète (Sejm) polonaise. Il est précédé d’une brève introduction qui présente les trois piliers du droit et de la culture juridique en Pologne à cette époque. Outre le droit coutumier et la législation locale, ceux-ci englobent le droit canonique et le droit saxon-magdebourgeois.

Dans le droit canonique

Dans les sources secondaires, on trouve parfois l’expression “jeune Europe”. Cette expression désigne les pays européens qui ont rejoint les rangs des Chrétiens relativement tard (Kłoczowski, 2003). C’est le cas de la principauté de Mieszko Ier (960-992) de la dynastie des Piast, baptisé par l’évêque missionnaire Jordan (m. 984) en 966. L’entrée dans la chrétienté médiévale s’est traduite, entre autres, par une ouverture à la culture juridique dont le droit canonique a été le vecteur. Il a fourni un cadre général et a gagné en importance au fil des siècles.

Le recours au droit canonique se manifeste à plusieurs niveaux. Le premier est celui de l’enseignement juridique. Depuis 1364, année de la fondation de l’université de Cracovie, le droit canon est enseigné dans le cursus académique (Vetulani, 1970). Le niveau suivant correspond au remplacement du droit coutumier polonais par le droit canonique en ce qui concerne le mariage. Enfin, le droit particulier a tiré certaines solutions du droit canonique. Cette influence du droit canonique s’observe aussi bien dans le droit polonais (c’est-à-dire le droit des chevaliers, ou plus tard de la noblesse) que dans le droit municipal (Mikuła, 2022).

L’influence du droit romain a été indirecte, largement médiatisée par le droit canonique (Vetulani, 1971 et 1972 ; Uruszczak, 1981 ; Bardach, 1986). La preuve en est que le cours sur les institutions n’a été introduit à l’université de Cracovie qu’avec difficulté en 1533 (Bartel, 1970). Il en va autrement dans le Grand-Duché de Lituanie, qui reste uni au royaume de Pologne. En 1569, les deux pays forment un nouvel État, la République des Deux Nations (Frost, 2015). Les Lituaniens conservent leur propre droit et, contrairement aux Polonais, ils parviennent à le codifier. Les statuts lituaniens (1529, 1566, 1588) témoignent alors d’une forte influence directe du droit romain (Bardach, 1997) (voir la conférence de Łukasz Marzec).

Le droit saxon-magdebourgeois

Une autre tradition juridique présente dans le royaume de Pologne était le droit saxon-magdebourgeois. Son influence s’étendait à l’Est de l’Elbe jusqu’au Dniepr, et au Nord, des pays baltes jusqu’à la Transylvanie (Lück, 2010) (voir la carte, Musée de Magdebourg). En Pologne, les trois principales sources du droit saxon-magdebourgeois étaient le Weichbild de Magdeburg (Ius municipale Magdeburgense) traduit en latin puis en polonais (voir la base de données IURA), le Miroir des Saxons (Rymaszewski, 1975) (voir les Monumenta Germaniae Historica) et, au moins jusqu’au début du XVIe siècle, les instructions (Urteile) du tribunal de Magdebourg, demandées par les villes de Pologne et de Bohême (Carls, 2011). À partir du XIIIe siècle, les villes et les villages ont été fondés en vertu de ce droit de Magdebourg, dont un élément essentiel était le privilège de localisation stipulant la validité du ius Theutonicum dans le processus de fondation (voir la conférence de Krzysztof Fokt). Cela ne signifie pas pour autant que le transfert du droit saxon-magdebourgeois s’est fait d’un seul coup et de manière complète. Au contraire, il ne s’agit pas du tout d’un transfert, mais plutôt d’une adaptation sélective de réglementations spécifiques qui étaient appropriées à l’époque et au lieu, et qui tenaient compte du droit coutumier et de la législation locale (Mikuła, 2021).

Le droit local et les législations royales

Le particularisme juridique était inhérent à la période qui a précédé l’ère des grandes codifications. Il s’est traduit par un polycentrisme législatif. Par exemple, à partir du XIVe siècle, les conseils municipaux ont adopté des statuts (willkür, lauda, plebiscita) (voir la conférence de Maciej Mikuła et un exemple – acte du conseil municipal dans la base de données IURA).

Au cours des XIe et XIIe siècles, l’action législative des monarques a accordé principalement des privilèges individuels à des chevaliers et des institutions ecclésiastiques. Le nombre de ce type de privilège étant élevé, les souverains ont commencé à délivrer des privilèges généraux à destination de la noblesse ou du clergé à partir du XIIIe siècle.

Fig. 1 Confirmation royale de 1515 du privilège pour la ville de Wieliczka du XIIIe siècle (Cracovie, Bibliothéque Jagellonne, ms. dypl. 206).

En outre, le milieu du XIIIe siècle voit l’essor d’une activité de promulgation de la part des souverains de lois qui visent à réformer le droit (Górecki, 2023). Cela ne signifie pas pour autant que le roi jouissait d’une indépendance totale en matière d’édiction des lois. En effet, sans le soutien des familles de chevaliers influentes, il ne pouvait s’attendre à ce que de nouvelles lois soient effectivement introduites. Ainsi, dès le XIVe siècle, les lois qui modifiaient le droit coutumier étaient adoptées avec l’approbation des familles puissantes qui participaient aux assemblées ou autres rassemblements d’individus. La tentative audacieuse de réforme du droit entreprise par le roi Casimir III le Grand (1333-1370) au début de son règne s’est avérée infructueuse. Bien que ces années aient été marquées par de profondes réformes et modernisations de l’État (Kurtyka, 2001), sa tentative arbitraire de modifier le délai de prescription des créances pour sécuriser les transactions immobilières a échoué. C’est probablement la raison pour laquelle, lorsque le roi Casimir a décidé de mettre par écrit les coutumes du royaume, les distinctions territoriales et le soutien des élites puissantes ont été prises en compte. C’est ainsi qu’est né le plus important recueil de droit foncier médiéval, les Statuts de Casimir III le Grand. Cependant, ce n’est ni la législation royale, ni le droit coutumier qui distinguent le royaume de Pologne en termes de sources de droit. C’est la Diète générale (Sejm) et son activité législative.

La Diète (Sejm) de Pologne, un organe législatif

Les origines de la Diète

Le développement rapide du parlementarisme polonais doit sans aucun doute être associé aux membres de la maison Jagellon, et en particulier au roi Casimir IV (1447-1492). Peu après son élection et son accession au trône de Pologne en 1447, la guerre de Treize ans contre l’Ordre Teutonique de Prusse commence. Comme le conflit nécessitait un financement, le roi demande à la noblesse de le soutenir. Or, celle-ci jouissait de la liberté d’imposition accordée par le roi Louis d’Anjou (1370-1384) en 1374 en Cassovie (Košice) (voir la base de données IURA). L’imposition de taxes nécessitait donc l’approbation de la noblesse, et comme la levée en masse (pospolite ruszenie) des nobles s’est avérée infructueuse, le roi a décidé d’aller chercher l’argent à de nombreuses reprises (Bardach, 1977). Sous le règne de Casimir IV, pas moins de 52 assemblées générales se sont tenues, et les impôts ont été votés vingts fois (Szulc, 1991 ; Fałkowski, 2000 ; Uruszczak, 2012). C’est également à cette époque que les députés nobles de toutes les territoires du royaume ont commencé à participer à la Diète générale du royaume. Selon les récentes découvertes de Wacław Uruszczak, la première assemblée de ce type a lieu en 1468 (Uruszczak, 2012).

Toutefois, cela ne signifie pas que la Diète devient alors l’organe législatif suprême de Pologne. C’est toujours le monarque qui a le pouvoir de promulguer la loi. Casimir atteignait souvent son objectif (c’est-à-dire le prélèvement des impôts) lors des assemblées locales (diétines ou sejmiks). Il faut donc attendre la célèbre loi (ou constitution) Nihil novi nisi commune consensu de 1505 pour qu’un changement intervienne. Son texte stipule que toute législation modifiant le droit commun et affectant les libertés publiques doit être approuvée par les sénateurs et les députés (Uruszczak, 1980 et 2005b et 2007). La loi Nihil novi peut être considérée comme le fondement de la Diète générale dans sa forme moderne.

Caractéristiques

L’année 1468 est considérée comme la date de la première assemblée générale bicamérale (Sejm ou Diète) de l’histoire du parlementarisme polonais. L’assemblée était composée des membres du conseil royal et des députés élus par la noblesse lors des assemblées locales. Toutefois, ce n’est qu’au milieu du XVIe siècle que la composition de la Diète générale s’est cristallisée.

Au début de l’époque moderne, le Sejm était composé de deux chambres : le Sénat et la Chambre des nonces. Le Sénat était composé d’ecclésiastiques (archevêques et évêques de l’Église catholique) et de laïcs (hauts fonctionnaires terriens : palatins, châtelains ; et ministres : maréchaux, chanceliers, trésoriers). La Chambre des nonces était composée de députés, représentants de toutes les territoires du royaume. Ils étaient élus lors des sejmiks, des assemblées locales qui réunissaient alors les nobles d’un pays donné. Ces députés portaient le mandat des communautés nobles locales et réalisaient leur volonté politique qui s’exprimait sous forme d’instructions. Les nobles exerçaient ainsi leurs droits politiques en tant que citoyens du royaume (Bardach, 1979 et 1985 ; Uruszczak, 1980 et 2005b). Les états défavorisés (ou plébéiens) tels que les bourgeois ou les paysans n’étaient pas représentés à la Diète.

Au XVIe siècle, le roi est toujours considéré comme un souverain et législateur suprême, bien que lié par la loi, selon le principe polonais « lex est rex » (la loi est roi) (Uruszczak, 1992). Le roi occupait une position supérieure à la Diète : il était le seul à pouvoir convoquer le Sejm (l’auto-convocation était considérée comme illégale) ; il proposait les sujets du Sejm (initiative législative) ; il concluait les délibérations du Sénat ; et enfin, aucun projet législatif ne pouvait devenir une loi sans son approbation (sanction législative).

La Diète était aussi très active en tant qu’organe législatif, même lorsque le roi ne pouvait pas être présent en personne. La Diète générale peut sans aucun doute être décrite comme la principale institution législative du royaume, bien qu’il faille noter que le Sejm ne pouvait pas fonctionner sans le roi. Les activités du roi et des deux états de la Diète s’entrecroisaient (Uruszczak, 1980 et 2005b).

Fig. 2 Le Sejm d’après une xylographie colorée du statut Łaski de 1506 (Varsovie, Bibliothèque nationale, ms. SD XVI.F.88 adl, fol. 15v).

La décision de convoquer la Diète générale appartient au roi. Elle était annoncée publiquement et la procédure préparatoire au Sejm commençait. Le roi convoquait des sejmiks où les légats royaux présentaient et discutaient l’ordre du jour de la Diète. Les délibérations étaient suivies d’élections et de résolutions qui comprenaient des instructions pour les députés. La Diète générale commençait par une messe solennelle et par une proposition du trône, qui consistait essentiellement à présenter l’ordre du jour. Elle est suivie de débats à la fois communs et séparés. Ces délibérations constituaient en fait un dialogue politique entre le roi, les sénateurs et les députés. Ce dialogue était couronné par l’accord final, c’est-à-dire la conclusion de la Diète (Uruszczak, 1980 et 2005b).

Le consensus de l’assemblée

Selon la loi Nihil novi adoptée en 1505, l’approbation des sénateurs et des députés est nécessaire pour adopter une loi à la Diète. Ce principe repose sur la règle dérivée du droit romain et du droit canon : « quod omnes tangit ab omnibus approbetur ». Jusqu’au milieu du XVIe siècle, un consensus au sein de la Chambre des nonces était atteint par les représentations des territoires de la Pologne plutôt que par les individus. Dans la pratique, cela signifiait la règle de la majorité (Uruszczak, 1980, 2005a, 2005b et 2007). Ce n’est que plus tard que l’unanimité a commencé à être exigée. Toutefois, on n’attendait pas une approbation explicite et complète exprimée par le vote, mais plutôt l’absence d’opposition (nemine contradicente). Ce phénomène est lié au rôle croissant de la Chambre des nonces, auparavant dominée par le roi et par le Sénat. Le consensus au sein de la Chambre des nonces était atteint par la délibération, ou le « broyage » de la question discutée, tandis que les discours (vota) des sénateurs étaient conclus par le roi (Uruszczak, 2005a). Le paradigme « nemine contradicente » n’a pas changé jusqu’au milieu du XVIIe siècle, lorsque les règles de l’unanimité et du « quod omnes tangit » ont commencé à être interprétées à la lettre. Enfin, le précédent de la Diète de 1652 a créé l’institution du « liberum veto » Konopczyn´ski, 1930).

Les compétences législatives de la Diète

Comme nous l’avons déjà mentionné, la loi Nihil novi prévoyait que les sénateurs et les députés devaient approuver la loi qui modifiait le droit commun et affectait les libertés publiques. Le droit commun, ou ius commune, désignait avant tout le droit concernant les nobles qui étaient considérés comme les « citoyens » du royaume puisqu’ils étaient les seuls à détenir des droits politiques (participation aux diètes, exercice de fonctions, etc.) et des droits socio-économiques (Grodziski, 1963). On l’appelait aussi droit du sol (ius terrestre). Il englobe non seulement les questions politiques, mais aussi les normes civiles, pénales et procédurales. En d’autres termes, bien que le roi reste le législateur suprême, ses pouvoirs législatifs sont considérablement limités. Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’y avait pas de législation royale. Le souverain était toujours compétent pour légiférer sur des questions non affectées par la Nihil novi, notamment la législation relative au domaine royal (y compris les villes royales) et aux monopoles royaux, tels que l’exploitation minière (Uruszczak, 1980, 2005b et 2007).

L’évolution

La Diète générale créée au XVe siècle était une institution typique de la représentation des états. Il s’agissait d’un outil de communication politique entre le monarque et les états privilégiés (principalement la noblesse). Le Sejm perd assez rapidement son rôle initial. À la suite de concessions faites par le roi, l’assemblée acquiert la position d’organe législatif. La constitution Nihil novi en a jeté les bases. Bien que le roi soit toujours perçu comme le législateur suprême, la plupart des lois doivent être adoptées par le Sejm avec le consentement des deux états, c’est-à-dire des sénateurs et des députés. Au fil du temps, la Diète s’est emparée, au détriment du roi, d’un nombre croissant de compétences législatives. Toutefois, cela ne se faisait plus par le biais des privilèges royaux, mais cela résultait de la pratique politique.

En 1569, la Diète est devenue le principal organe législatif du nouvel État, la République des Deux Nations. Les représentants de la Couronne et du Grand-Duché de Lituanie siègent ensemble dans les deux chambres (Frost, 2015). Le statut constitutionnel de la Diète a été garanti peu après par les Articles henriciens de 1573 qui, entre autres, obligent le roi à convoquer la Diète générale au plus tard tous les deux ans. Peu de temps après, la Diète est devenue l’organe principal de l’État, avec des pouvoirs allant au-delà de la législation. Le roi a perdu sa souveraineté au profit de la noblesse (qui élisait le monarque viritim, directement, en assistant en personne à la Diète de l’élection) et a commencé à être reconnu comme un troisième pouvoir (à côté des sénateurs et des députés), sans la présence desquels le parlement ne pouvait pas fonctionner.

Fig. 3 L’acte d’union de Lublin, 1er juillet 1569 (Varsovie, Archives centrales des anciens actes, Collection de documents en parchemin, n° 5627).

Exemples de lois promulguées par la Diète

En devenant l’organe législatif suprême, la Diète a vu son champ d’action s’élargir sans cesse. Cela peut être considéré comme une caractéristique qui distinguait le parlement polonais des autres organes représentatifs de l’Europe de la fin du Moyen Âge et du début de l’époque moderne. Vous trouverez ci-dessous quelques exemples de lois (ou de constitutions) produites par la Diète entre la fin du XVe siècle et le début du XVIe siècle. Il convient de garder à l’esprit que ces exemples sont destinés à illustrer les compétences législatives de la Diète, et non à les présenter de manière exhaustive.

[La régulation du système politique] La loi Nihil novi de 1505 est un exemple de réglementation du système politique (constitution n° 16, voir Volumina Constitutionum) (voir la base de données IURA).

[Les droits des états] La Diète a adopté des constitutions concernant les droits des états. Celles-ci contenaient souvent des restrictions, comme par exemple la limitation des droits des bourgeois à posséder des parcelles de terre en dehors des villes en 1496 (constitution n° 69, voir Volumina Constitutionum) (voir la base de données IURA), ou l’accès aux offices ecclésiastiques pour les plébéiens.

[Taxes et impôts] Presque toutes les Diètes adoptent des impôts extraordinaires. Ils pouvaient être prélevés à tous les états du royaume, comme en 1520, lorsque la résolution incluait les taux d’imposition (voir Volumina Constitutionum) (voir la base de données IURA). Depuis le XVe siècle, la Diète contrôle également la politique douanière. Elle n’imposait pas seulement de nouveaux tarifs, mais interdisait également les droits de douane privés.

[Le commerce] Le Parlement s’intéressait aux questions commerciales et économiques. Les constitutions réglementent, par exemple, le transport des marchandises sur les fleuves navigables ou la compétence des gouverneurs pour fixer des prix maximums dans les villes.

[Droit privé, droit pénal, organisation judiciaire] Parmi les nombreuses constitutions qui ont modifié le droit judiciaire, on peut citer, par exemple, la loi imposant des restrictions à l’héritage testamentaire en 1505 (constitution n° 4, voir Volumina Constitutionum) (voir la base de données IURA), la réforme du procès foncier de 1523 (voir la conférence de Kacper Górski), ou encore la loi sur l’homicide. Les constitutions de la Diète de 1578 ont également jeté les bases du Tribunal de la Couronne, une cour suprême indépendante du roi.

[La tension entre la loi votée par la Diète et la compétence législative du roi] À l’aube de la République, il est apparu clairement que le roi était devenu l’un des états de la Diète. Comme nous l’avons déjà mentionné, cela ne signifie pas qu’il perd complètement sa compétence législative. Tout au long du XVIe siècle, le monarque a continué à accorder des privilèges qui, selon la définition commune, constituaient un ius singulare, une loi spéciale par rapport au ius generale. Les exemptions douanières accordées par le roi aux villes en sont un exemple.

Un autre exemple de cette antinomie est la réglementation fiscale. La Diète adoptait des lois fiscales qui s’appliquaient à tous les états. Dans le même temps, il était courant que le roi émette des privilèges exemptant certains sujets du paiement de l’impôt. Ces privilèges étaient généralement destinés à aider le bénéficiaire dans le besoin et, par exemple, à soutenir la reconstruction de la ville détruite par un incendie. Au fil du XVIIe siècle, ces questions ont parfois été prises en charge par la Diète.

Les sources sur le droit polonais à la Renaissance

Une brève description du sujet de la législation de la Diète mérite d’être conclue par une réflexion sur les sources de la connaissance du droit (fontes iuris cognoscendi).

Le premier recueil imprimé de droit foncier polonais a été publié en 1488 (les « Syntagmata »). Il contenait des sources de droit déjà promulguées à l’époque du parlementarisme précoce. Un recueil complet et officiel du droit foncier et du droit saxon-magdebourgeois a été publié en 1506 sous le nom de Commune incliti Polonie Regni priuilegium constitutionum et indultuum publicitus decretorum approbatorumque, édité par Jan Łaski, chancelier de la Couronne (1503-1510), et ainsi appelé Statut Łaskiego (Uruszczak, 2006) (voir la bibliothèque numérique Jagiellonian). Au fil du temps, la règle s’est imposée de publier les constitutions sous forme imprimée après la conclusion de la Diète.

La législation du Sejm a fait l’objet d’une révision critique. La série Volumina Constitutionum (VC) a remplacé les Volumina Legum, qui remontent au XVIIIe siècle. Les volumes de la série VC sont publiés depuis 1996 et ont récemment été téléchargés dans la base de données « IURA. Sources of Law from the Past ».

Les constitutions ont été compilées et commentées sur initiative privée à partir du XVIe siècle. Parmi les juristes les plus réputés, il convient de mentionner Jakub Przyłuski (v. 1512-1554) et Jan Herburt (m. 1577), dont les Statuta Regni Poloniae, publiés pour la première fois en 1563, étaient extrêmement populaires (voir la bibliothèque numérique Jagiellonian).

La simplicité et le caractère éminemment pratique de ces ouvrages font qu’ils ne peuvent être considérés comme des sources doctrinales, mais mieux encore, comme un type particulier de sources orientées vers la pratique. C’est précisément leur popularité qui montre qu’ils répondaient aux besoins des juristes. Dans le domaine du droit municipal, ces ouvrages pratiques étaient également très intéressants (voir la conférence de Maciej Mikuła).

POUR FAIRE LE POINT

  1. Comment décririez-vous la présence du droit romain et du droit canon, ou ius commune, dans la Pologne du Moyen Âge et du début de l’époque moderne ?
  2. Quand et pourquoi les assemblées de nobles en Pologne ont-elles pris de l’importance ?
  3. Quel rôle la loi Nihil novi a-t-elle joué dans l’évolution de la Diète polonaise ?
  4. Comment décririez-vous les relations entre le roi et la Diète en Pologne au XVIe siècle ?

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La législation statutaire des communes italiennes

« Atene e Lacedemona, che fenno
l’antiche leggi e furon sì civili,
fecero al viver bene un piccol cenno
verso di te, che fai tanto sottili
provedimenti, ch’a mezzo novembre
non giugne quel che tu d’ottobre fili »
(Dante Alighieri, Purgatorio, VI, vv. 139-144)

Monde communal et législation statutaire : un binôme très étroit

Dans la seconde moitié du XIIIe siècle, les villes d’Italie centrale et septentrionale achevèrent le processus de recomposition territoriale entrepris deux siècles plus tôt. À l’issue de ce processus, les villes s’étaient considérablement renforcées : elles gouvernaient par leurs magistrats le territoire urbain et l’espace rural extérieur au faubourg (le contado), et elles établissaient des relations et des alliances avec les pouvoirs environnants. De plus, ces centres urbains se sont imposés comme des acteurs politiques et institutionnels de premier plan, capables de rivaliser avec des pouvoirs qui leur étaient, en droit, supérieurs, tels que le Saint-Empire et la papauté.

Les villes dominaient, presque seules, la scène politique de leur territoire. D’un point de vue juridique, on peut dire qu’au XIIIe siècle, elles avaient acquis une pleine personnalité juridique : c’était l’objectif que les classes dirigeantes locales s’étaient fixées (avec plus ou moins de conscience) au moment de la constitution du nouvel ordre public à base territoriale entre la fin du XIe siècle et le milieu du XIIe siècle.

Ce n’est pas le lieu ici de rappeler la question de l’origine de l’autonomie des communes italiennes, sur laquelle l’historiographie est depuis longtemps divisée. Il est cependant utile de s’attarder sur le nom que les classes dirigeantes locales donnèrent au nouvel ordre, initialement désigné sous le nom de civitas. Le terme choisi pour les actes officiels est « commune », un nom inventé ex novo, dérivé de l’attribut latin communis/e. Il ne s’agit pas d’une question de terminologie : le terme latin de commune désigne le nouvel ordre créé par la volonté des classes citoyennes, car il le distingue de tous les autres ordres sur le territoire urbain. En même temps, le même terme exprimait et résumait (comme le suggérait Ottavio Banti) la notion de concorde et d’unité (concordia civium), proclamée comme une valeur. La civitas se fonde sur cette notion et aspire à absorber progressivement tous les sujets de la ville (Banti, 1972 ; Bordone, 1986 ; Faini, 2021).

Le succès des communes repose sur l’adoption d’un nouveau système de relations entre les cives. L’obtention de la pax publica, entendue comme un espace de pacification, est le devoir principal, voire constitutif, de la commune (Vallerani, 2007 ; Zorzi, 2008). Celle-ci s’employait à la fois à régler les conflits internes (entre les individus, les familles, les divers groupements politiques, factionnelles et professionnelles) et à faire respecter les décisions des juges pris à l’issue des procès ou des concordie d’intérêt public entre les citoyens (Menzinger, 2006b). Le thème de la pacification interne apparaît dès les premières preuves documentaires des règlements communaux, dans les brevia (serments prêtés par les magistrats communaux) et dans les tout premiers recueils de règles établies par la commune, c’est-à-dire les statuts communaux du XIIe siècle. Même les formes institutionnelles que la commune s’est progressivement données avaient, en fin de compte, pour objectif de réduire les tensions internes entre les différentes composantes de la communauté : le système devait à la fois être ouvert à la participation politique des nouvelles classes urbaines et permettre aux organes publics d’exercer un contrôle hiérarchique efficace sur les cives, même s’il était exercé au nom de la communauté (Vallerani, 2011).

Ainsi, dans l’intérêt collectif de la promotion et de la protection de la pax et l’unitas de la ville, les organes de la commune agissent pour préserver l’équilibre social en gérant les conflits sur la base des normes et procédures publiques, partagées et contrôlables. Les régimes communaux de la ville étaient fondés sur un véritable paradigme procédural de défense de l’ordre public et des droits des cives, principalement des droits de propriété (Milani, 2005).

Pressées d’agir sur le plan juridique, les communes ont eu recours à la médiation de juristes pour traduire et mettre par écrit (les règles de) l’action politique quotidienne. Les juristes ont été chargés de rédiger et de mettre à jour le statut de la ville, loi fondamentale de la communauté politique (Menzinger, 2006a). La collaboration et la tension entre la politique (les représentants du gouvernement de la ville) et le droit (les juristes) ont certainement été l’un des aspects déterminants de toute l’histoire communale depuis le début de l’ère communale. En effet, la quête de normativité législative s’est accrue au fil du temps, pour atteindre son apogée au XIIIe siècle, à l’époque de la soi-disante « commune mature » ou commune populaire, lorsque les nouvelles couches sociales arrivées au sommet des institutions citadines (il Popolo) promeuvent des formes de participation à la vie politique et des modes de résolution des différends inspirés (si est permis l’anachronisme) aux principes de la légalité.

Il convient également de rappeler que, parallèlement aux communes urbaines, de nombreuses communautés rurales ont également pris la forme d’institutions communales. Les textes réglementaires de ces universitates rurales (statuts ruraux et autres types de chartes réglementaires) présentaient des caractéristiques différentes de celles des villes tant dans leur genèse que dans leur contenu.

En revanche, les compilations de textes normatifs et réglementaires des pôles castraux et ruraux dépendant d’autorités seigneuriales laïques ou ecclésiastiques ou de civitates dominantes avaient un caractère essentiellement contractuel. Ces textes normatifs n’étaient pas des statuts au sens strict, si l’on entend par ce terme principalement, bien que non exclusivement, des règles émanant des organes délibératifs de la collectivité (nous reviendrons sur ce point). Il s’agissait pour la plupart de négociations normatives par lesquelles les parties – le seigneur et les habitants de la communauté, rurale ou castrale – s’engageaient mutuellement à réguler leurs comportements futurs. Le contenu de ces textes normatifs était fortement influencé par le degré d’autorité effectivement exercée par les seigneurs (Salvestrini, 2009).

Les modalités de rédaction, notamment pour les statuts les plus anciens, rendent souvent difficile leur classement dans la bipartition typologique générale proposée à l’époque par Enrico Besta. Ce dernier distinguait des statuts accordés (concessions du seigneur) les statuts négociés (entre le seigneur et la communauté). Ontologiquement distincts de ceux-ci étaient les statuts proprement dits, c’est-à-dire les normes instituées que la commune se donnait à elle-même en vertu de sa propre autonomie (Besta, 1925).

Malgré la grande diversité des types textuels, les nouveaux pouvoirs territoriaux partageaient l’idée que la mise par écrit officielle des normes, confiée initialement à des praticiens, essentiellement des juges et des notaires, garantissait la certification du droit. La rédaction des normes juridiques, en effet, donnait force de loi à certaines règles de droit privé de tradition coutumière (en en laissant d’autres tomber en désuétude) et garantissait le caractère non arbitraire des processus d’élévation des citoyens aux charges publiques. Cela favorisait également le passage de la justice négociée (basée sur le consensus et l’oralité) à la justice publique (« constitutionnalisée » par les statuts) pour des répressions de conduites dangereuses pour la collectivité (Sbriccoli, 1998). Le triomphe de la culture de l’écrit (qui dans les communes ne fut pas immédiat, comme l’a souligné Hagen Keller, et s’affirme définitivement à partir du XIIIe siècle) se traduisit aussi dans l’obligation de l’enregistrement notarié des actes et dans la conservation des archives. Un tel triomphe fut largement favorisé par la réception de la tradition romaniste, qui se répandit également en dehors des milieux académiques (Keller, 1988 et 2001 ; Ascheri, 2000 et 2013 ; Faini, 2013 ; Cammarosano, 2021).

Dans l’Italie du Centre-Nord et le Midi de la France, on assista, en l’espace de quelques décennies, d’abord à la rédaction écrite des normes coutumières locales, puis à la rédaction des statuts communaux, destinés à devenir la source principale du droit communal, après avoir souvent coexisté, jusqu’au début du XIIIe siècle, avec les coutumes. Nous traiterons maintenant de l’affirmation des statuts communaux en détail.

Il faut cependant d’abord informer le lecteur, même rapidement, que le phénomène statutaire a également trouvé une grande fortune en dehors du monde communal. Les universitates du royaume de l’Italie méridionale, en particulier, ont produit d’importants corpus de normes communales avec des caractères originaux par rapport au modèle communal : cette originalité se reconnaît, entre autres choses, dans le rapport des communautés avec le pouvoir royal pour l’édiction des textes normatifs, dans les matières concernées (principalement le droit privé) et selon une chronologie retardée (Calasso, 1929 ; Caravale, 1984 ; Terenzi, 2019 et 2022 ; notamment pour la Sicile : La Mantia, 1900 ; Romano, 1990 et 1993 ; Corrao, 1995 ; Titone, 2018).

Statutum/Statuta

Le statut est le livre officiel dans lequel les communautés politiques urbaines et rurales ont rassemblé les différentes dispositions locales pour réglementer la vie civile. Ce type de registre a pris de l’importance et des dimensions considérables surtout dans les villes du Centre et du Nord de l’Italie, dans le Midi de la France, mais aussi en Flandre et dans les villes libres d’Allemagne, c’est-à-dire dans les régions d’Europe qui ont connu une nouvelle réalité institutionnelle communale à partir du XIe siècle (pour les différences entre l’expérience de la législation urbaine en Italie et en Allemagne, voir Dilcher, 1991 et 2001).

Le mot « statut » (statutum) dérive du verbe latin statuere, qui signifie « établir », « ordonner », « délibérer ». Dans son sens le plus propre, le terme de statutum désigne la décision prise par la seule délibération de la communauté (Caprioli, 1988 et 1991). Les dispositions approuvées par les assemblées communales portaient en effet la formule initiale « statutum est » (« est décrété », « est établi ») (Fiorelli, 1998). Cette formule subsistait parfois même après la transposition du statutum dans le livre des statuts communaux, à savoir après la transformation de la résolution de l’assemblée en chapitre. Ainsi, le mot « statut », au sens actuel de « livre où sont rassemblées les dispositions communales » est une synecdoque, à savoir un nom singulier (statutum) désignant l’ensemble des dispositions (statuta) rassemblées dans un recueil de normes communales. On constate cependant que l’emploi du mot statuta est attesté, à l’époque précommunale, aussi bien dans les sources du droit romain, pour désigner les dispositions (Codex, Digeste), que dans les sources ecclésiastiques, pour désigner les canons conciliaires (Bambi, 1991).

À partir du XIIIe siècle, le mot « statuto » est le plus répandu pour désigner le corpus des dispositions de la ville. Avec la même signification, on utilise aussi « constituto » (constitutum), une variante enracinée dans le vocabulaire juridique romain très répandue en Italie centrale, en particulier en Toscane et en Ombrie.

Il convient de souligner que le statut communal n’inclut pas seulement les dispositions de la tradition délibérative, mais aussi les règlements d’autres sources préexistantes à l’époque de sa rédaction. En outre, toutes les dispositions régissant la vie de l’ordre communal n’étaient pas contenues dans le statut. Il faut au moins mentionner les Libri iurium et d’autres collections documentaires similaires (aux noms particulièrement variés), qui contenaient non seulement des documents historiques pour les relations extérieures, mais aussi des documents historiques pour l’intérieur de la commune. Procédons dans l’ordre.

Autonomie, iurisdictio et égislation statutaire

Comme nous l’avons mentionné dans l’introduction, à partir du XIe siècle, les habitants des villes se sont soustraits aux pouvoirs supérieurs. Certains communes, influencés par le renouveau de la culture romaniste, s’auto-définissent ouvertement comme des res publicae (Conte, 2008). Ces villes acquièrent progressivement leur individualité politico-juridique, cette condition de libertas constituée par une pleine capacité d’autogouvernement (Cortese, 1995). Le terme par lequel les sources médiévales indiquent cette condition est celui de iurisdictio (sur la sémantique de iurisdictio, liée au gouvernement autonome de la commune, voir Costa, 2014). La pleine possession de la iurisdictio était étroitement liée au pouvoir de réglementation. Les communes exercent ce pouvoir d’une part avec la production d’une législation ordinaire (les délibérations de l’assemblée), et d’autre part avec la compilation du statut, qui représentait sa plus haute expression.

Les dispositions contenues dans le statut sont chargées d’une signification politique. L’élaboration du statut s’inscrit dans le cadre des conflits entre groupes élitaires économiques et politiques au sein des communautés de la ville pour le contrôle de la commune. En tant que produit d’une organisation juridique, le statut représentait en fait le programme d’action politique des groupes vainqueurs de ces luttes. Comme on l’a écrit avec autorité, le statut n’était pas seulement le résultat, mais il représentait aussi l’instrument de ces luttes (Sbriccoli, 1969) : il cristallise les arrangements de pouvoir obtenus et, en même temps, établit un modèle d’ordre pour la communauté politique. Ainsi, d’un point de vue purement constitutionnel, le statut communal joue le rôle de charte fondamentale rédigée au sortir de conflits sociopolitiques.

Les contemporains étaient pleinement conscients de la fonction assumée localement par le statut. Afin de légitimer cette nouvelle source, la science juridique a cherché le fondement théorique du pouvoir qui permettait aux communes de créer des corpus de lois s’imposant à tous les habitants. Nous aborderons plus loin le sujet de la potestas condendi statuta et de ce que l’on appelle la « doctrine des statuts ». Attardons nous d’abord sur leur formation matérielle.

Les voies de la constitution des statuts communaux

Les corpus de statuts ont été formés au cours d’un long processus, avec des résultats qui varient considérablement d’une commune à l’autre, tout comme les documents réglementaires antérieurs qui ont alimenté le texte, en plus des délibérations ex novo des assemblées communales. Même la chronologie de la publication des recueils n’était pas uniforme : les événements politiques et sociaux des différentes communautés conditionnaient le moment de la compilation. Malgré la très large diffusion de la nouvelle source, il existe aussi des cas (rares mais pas inhabituels) de petites villes qui n’ont pas procédé à l’élaboration de leurs propres statuts.

Le premier aspect à considérer est donc la singularité du statut. Chaque source de ce type doit être étudiée dans le contexte de l’histoire de la ville où elle a été formée et où elle a déployé son efficacité. Néanmoins, malgré la diversité des études de cas, il est possible de formuler quelques considérations générales sur le sujet.

Les statutari, praticiens et compilateurs du droit communal

Commençons par les artisans matériels de la compilation. Les assemblées communales déléguaient la compilation du corpus législatif local aux statutari. Il s’agit de citoyens, pour la plupart praticiens du droit (notaires et juges, plus rarement doctores), qui se réunissent en commissions spéciales pour rédiger le texte à soumettre à l’approbation des organes politiques de la commune. La composition et les critères d’élection des assemblées de ces citoyens-législateurs sont soigneusement définis, compte tenu de la délicatesse de la tâche. La préoccupation principale était de s’assurer que des représentants de tous les quartiers de la ville (quartieri, sestieri, etc.) soient présents dans la commission. Dans une phase plus avancée de l’histoire communale du milieu du XIIIe siècle au XVe siècle, les communes confient la révision et l’examen de la validité des dispositions à des magistrats ordinaires, les reformatores et les emendatores, qui obtiennent parfois une délégation législative. Il existe des cas bien connus de villes qui ont confié à d’illustres juristes, même étrangers, le soin de donner une forme organique à des ensembles réglementaires : le bolonais Iacobus Balduini se charge des statuts de 1229 de la ville de Gênes (Piergiovanni, 1980 ; Sarti, 1990), Albericus de Rosate donne forme aux statuts de 1331 et 1333 de Bergame (Storti, 1984) et Paulus de Castro se charge des statuts florentins de 1409 et 1415 (Tanzini, 2004).

La mise par écrit de la coutume communale

Le thème de la genèse des statuts a suscité un grand intérêt dans l’historiographie juridique, qui a toujours considéré la législation communale comme un élément essentiel de son champ d’investigation. Les historiens du droit italien de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle ont schématiquement distingué trois « éléments constitutifs » à l’origine du statut (ou trois « facteurs » selon le lexique positiviste en vogue à l’époque) : la coutume, les brevia et les délibérations du conseil, c’est-à-dire les statuta proprement dits (Schupfer, 1892 ; Solmi, 1908 ; Besta, 1925).

La coutume (diversement appelée dans la documentation : consuetudo, usus, mores) est l’élément formant la plus ancienne partie des statuts. Elle consiste en des comportements qui perdurent dans le temps, enracinés dans un consensus collectif, et qui acquièrent une force normative. En général, les coutumes des villes régissaient les questions de droit privé, tant substantielles que procédurales, principalement dans le domaine des droits patrimoniaux. La discipline procédurale coutumière s’appuyait assez souvent sur les décisions des tribunaux de la ville (iudicia, selon le langage utilisé par la commune des origines au début XIIe siècle), transformées en règles stables ou résumées sous la forme de règles de droit. Mais la casuistique est très variée. Les coutumes ont également été l’un des vecteurs par lesquels certaines règles du droit civil romain, dont la communauté a fait siennes au début du Moyen Âge, ont été introduites dans les écrits réglementaires communaux, prenant ainsi une forme législative. C’est un phénomène de transposition et d’incrustation normative qui a conduit Francesco Calasso, le grand maître de l’histoire du droit, à voir dans le droit communal « le droit roman (une expression inspirée des ‘langues romanes’), codifié dans la législation statutaire prodigieusement riche » (« il diritto romanzo, codificato nella prodigiosamente ricca legislazione statutaria ») (Calasso, 1951 ; sur lequel les annotations de Caprioli, 1988).

À partir du milieu du XIIe siècle, de nombreuses communes d’Italie centrale et septentrionale, en particulier les plus grandes, ont commencé à mettre par écrit des coutumes locales, à la confluence de cette renaissance de la culture juridique, du développement de l’activité d’écriture par des professionnels du droit (juges, notaires, doctores) et de l’activisme de la classe dirigeante à la tête des premières communes (Faini, 2013 et 2016).

Les communes naissantes ressentent le besoin de créer une tradition juridique unifiée et de soumettre à leurs propres règles, notamment celles des procédures, tous les sujets du territoire urbain et du contado. Les intentions politiques et juridiques se confondent. En effet, il ne faut pas oublier qu’à cette époque, le conflit avec l’Empire était en cours et que parmi les revendications des communes lombardes figurait la reconnaissance de leurs mores (coutumes). La concession accordée par Frédéric Barberousse (1155-1190) aux communes de la Ligue lombarde, étendue de facto également aux communes non signataires de l’acte, de vivre selon leurs mores, au terme d’une lutte de plus de trente ans (Paix de Constance, 1183), a ouvert « officiellement l’ère des autonomies locales : symbolisées […] par les coutumes » (Cortese, 1995).

Au XIIIe-XIVe siècles, la science juridique a posé la question de savoir si les coutumes écrites pouvaient être assimilées aux statuts : les glossateurs et les commentateurs ont principalement souligné la distinction ontologique entre les deux sources, articulant leur discours sur l’interpretatio de la constitution de Constantin incluse dans le livre huit du Codex de Justinien (sous le titre Quae sit longa consuetudo), qui limitait l’efficacité de la coutume devant la loi (C.8.52(53).2). Même si elle est rédigée in scriptis, les juristes soutenaient que la coutume continuait à appartenir au droit non écrit. En résumé, on peut dire que la coutume écrite consolide les normes préexistantes, qui peuvent également naître de l’initiative privée des praticiens du droit, tandis que le statut est l’expression de la volonté législative de la commune. Une fois intégrées dans le recueil de statuts, les normes coutumières perdent leur nature juridique originelle : elles tirent leur efficacité de leur inclusion dans le livre officiel des statuts et, comme les autres dispositions, soumettent leur validité aux règles de révision et de mise à jour prévues par le statut (Garancini, 1985 ; Ascheri, 2003 ; sur la distinction « statut-coutume » dans le Midi français : Chastang, 2021).

Les statutari ont fait un usage intensif de cette mise par écrit des coutumes pour sélectionner les matériaux normatifs à incorporer dans le statut. Fatalement, avec l’absorption des normes coutumières dans les statuts, les rédactions des coutumiers sont tombées en désuétude, ce qui a eu des conséquences sur la tradition documentaire : de nombreux recueils ont été perdus après la publication des corpus de statuts. Le cas de Rome au milieu du XIVe siècle est exemplaire (Notari, 2014). Il est par conséquent impossible de dresser un tableau complet et diachronique des villes qui ont élaboré leurs propres coutumes. La documentation, même indirecte, est lacunaire et pas toujours facile à interpréter (pour une tentative appréciable, voir Besta, 1925). Nous nous contenterons de quelques exemples, utiles pour dégager certaines caractéristiques.

Commençons par Bologne. La compilation des coutumes au XIIe siècle « in curia Bulgari », c’est-à-dire dans la maison (qui était aussi l’étude, le tribunal et le lieu de réunion du conseil des consuls) de Bulgarus (c. 1110-c. 1166), célèbre juriste bolonais et élève d’Irnerius (fl. c. 1112-c. 1125), met en évidence des rapports encore mal définis dans la production des règlements du premier âge communal. Il n’est pas clair si la rédaction par écrit des coutumes eut lieu par initiative du gouvernement de la commune, ou bien par l’initiative de juristes privés. Cette rédaction primitive des coutumes de Bologne, perdue, est probablement postérieure à la mort du juriste (Bellomo, 1982 et 2013 ; Torelli, 1943).

À Venise, le doge Enrico Dandolo (la plus haute magistrature de la commune Veneciarum) a approuvé en 1195 le recueil de l’Usus Venetorum, aujourd’hui conservé dans un codex à la Biblioteca Marciana de Venise. La première partie du recueil énonce les règles de procédure à adopter par les tribunaux civils de la ville. La nature, coutumière ou statutaire, et la datation de ces règles ont fait l’objet d’un débat entre les historiens. Les études les plus récentes excluent que le recueil de règles sanctionné par le doge constitue le premier noyau du futur statut de la ville. Intitulé Parvum statutum, ce noyau primitif serait une adprobatio de coutumes mises par écrit vers le milieu du XIIe siècle (Besta, 1901 ; Pitzorno, 1913 ; Cessi, 1958 ; Gasparini, 2011).

Les coutumes d’Alessandria, ville lombarde (au sens médiéval du terme) nouvellement fondée en 1168, remontent à 1179. Composées de 22 chapitres, les coutumes d’Alessandria sont les plus anciennes qui nous soient parvenues. Le recueil n’est pas un simple constat du patrimoine existant de règles coutumières : en opérant une telle sélection et consolidation des normes, la nouvelle communauté d’habitants entendait mettre de l’ordre dans la variété des coutumes (d’origines diverses, romaine et lombarde, semble-t-il) observées dans les huit localités d’où était issue la nouvelle civitas. Les chapitres sont pour la plupart consacrés aux questions de droit de la famille, en particulier relatifs à la discipline du régime patrimonial et aux règles successorales. Bien que certains chapitres du registre contiennent des dispositions ayant clairement nature de préceptes, on ne peut cependant pas supposer que la jeune communauté alexandrine ait atteint la pleine iurisdictio ni, par conséquent, que ses règles s’appliquent pleinement sur l’ensemble du territoire. À ce stade, Alessandria n’aspirait pas davantage à une pleine reconnaissance de son autonomie de la part de l’empereur. Quelques années plus tard (1188), c’était justement lui qui approuve formellement les coutumes de 1179 en les inscrivant dans une relation d’intégration à la lex impériale (Viora, 1970 ; Pene Vidari, 1988 et 1992).

La mise par écrit des coutumes milanaises par un juge remonte également à la seconde moitié du XIIe siècle. Le peu de documentation dont nous disposons ne nous permet pas de savoir si la compilation des coutumes se faisait sur une initiative privée ou avec l’aide de la commune naissante de Milan. Ce recueil, dont il ne reste aucune trace, a été la source d’ou les compilateurs du célèbre Liber consuetudinum de Milan de 1216 ont tiré un important matériel réglementaire (Lattes, 1899). Malgré son nom, le Liber consuetudinum de 1216 est une compilation réglementaire qui exprime la pleine iurisdictio obtenue au début du XIIIe siècle par la commune sur la ville et son contado. En effet, le Liber présente les caractéristiques d’un vrai statut : publié à l’initiative du pouvoir urbain et rédigé par une commission représentative des différents groupes et factions élitaires de la ville, il réglemente les fonctions des magistrats de la ville, normalise et impose le droit établi et délibère ex novo sur l’ensemble du territoire en étendant la compétence de la juridiction communale aux relations féodales. L’analyse du texte révèle la présence importante de couches de règles spontanées provenant de la collection perdue du siècle précédent. Ainsi fusionnées dans le texte de 1216, les premières coutumes (usantiae) régissent des questions de droit de la famille et de l’héritage (selon une matrice lombarde), des coutumes féodales et des règles concernant des actions procédurales (en particulier civiles) qui ont toutes émergé de la pratique judiciaire (Storti, 2016).

Dans certains cas, l’intégration des coutumes écrites dans le texte du statut de la ville s’est produite à une période plus avancée de l’âge communal : à Rome, par exemple, les règles coutumières ont été intégrées dans le statut de la ville seulement après le milieu du XIVe siècle. Une source doctrinale, la Lectura super codice de Cinus de Pistoia (c. 1270-c. 1336), qui a occupé le rôle de juge du senateur (scil. podestà) de la commune entre 1310 et 1312, rapporte que des coutumes écrites étaient en vigueur apud Romanos au début du XIVe siècle. Celles-ci sont restées en vigueur parallèlement au statut communal de l’époque (un texte incomplet, ne réglementant que quelques matières, dont peu de fragments sont conservés) jusqu’en 1363. À cette date, à l’initiative du gouvernement du Popolus de Roma, le premier corpus complet de droit statutaire romain est entré en vigueur et les normes coutumières ont convergé (pour autant que l’on puisse le déduire d’une analyse stratigraphique complexe) dans le premier livre du De civilibus et extraiudicialibus (Schupfer, 1892 ; Notari, 2014 et 2023). La fluidité et le manque de formalisation des organes statutaires, qui caractérisent la tradition réglementaire du début de l’ère communale (Faini, 2013 et 2016), ont eu, dans certaines réalités, une extension temporelle différente et plus longue. La raison de la chronologie différente dans le développement institutionnel et donc dans la production de règlements dans les « Italies » communales fait l’objet d’un débat entre les historiens. Il est certain que les différences de développement économique, l’identité sociale des groupes gouvernant les villes et leur conception du pouvoir ont joué un rôle.

Arrêtons-nous sur Pise, où fut promulgué, dans la seconde moitié du XIIe siècle, l’un des règlements communaux les plus anciens et les plus remarquables d’Europe. Dans ce contexte, le processus de formation du statut communal a eu un résultat original. Nous l’aborderons à la fin de cet excursus pour le comparer aux expériences que nous venons d’évoquer. À Pise, les coutumes écrites ne se sont pas confondues avec la législation communale : en 1160 sont entrées en vigueur les célèbres Constituta, un ensemble réglementaire divisé en deux parties : la première, le Constitutum legis, recueillait les délibérations de l’assemblée communale ; la seconde, le Constitutum usus compilait les anciennes coutumes (Calasso, 1954 ; Cortese, 1995). La partition n’est pas si inhabituelle : dans plusieurs villes, la tradition coutumière ne s’est pas fondue dans le statut communal (pensons aux coutumes d’Alessandria mentionnées plus haut) ou s’est fondue sur une longue période, comme à Reggio Emilia (1265) ou à Rome (1363). La particularité du cas pisan réside dans la création de deux tribunaux, la curia legis et la curia usus, qui exercent leur juridiction sur les matières régies par les deux ensembles de règles (Storti, 1998 et 2001).

Brevia et premiers statuta

Passons maintenant aux deux autres éléments. Le breve est le serment que le consul (et, à une phase ultérieure, le podestat) ainsi que les autres principaux officiers de la commune prêtaient au moment de prendre leurs fonctions. Il était parfois également appelé sacramentum. D’un point de vue matériel, le breve se présente généralement comme un document indépendant, écrit sur parchemin à la première personne du singulier. Il était mis à la troisième personne lors de la transcription dans le recueil de statuts, mais il n’est pas rare qu’il ait conservé sa forme originelle. Le terme breve désigne également la compilation séparée des formules de serment, dans les cas où celles-ci restaient distinctes du recueil statutaire communal.

La formule du serment, prononcée publiquement par le magistrat, précisait les fonctions (que nous définissons de nos jours comme exécutives et juridictionnelles) que l’officier s’engageait à accomplir dans l’intérêt exclusif de la commune, tout en s’obligeant à respecter les règles de la collectivité et à préserver les droits des citoyens. Parfois, les brevia présentaient les orientations programmatiques des magistrats. Remontent au XIIe siècle les brevia de Gênes (1143), Pavie (les premiers aux années 1080 et 1085), Plaisance (1167, 1170-71, 1181-82), Pise (1162-1164) et Pistoia (1117 ?, 1140-1180) (Savelli, 2003 ; Faini, 2013 ; Tanzini, 2021).

Les formules des brevia, rédigées dès les tout premiers moments de la vie communale (XIIe siècle), révèlent le renforcement progressif de l’identité institutionnelle des communes urbaines. Ces formules devenaient de plus en plus complexes à mesure que la commune augmentait sa puissance et affinait sa production de normes écrites. Dès les débuts des communes les plus importantes, on peut identifier une multiplicité de brevia émanant de différents bureaux, qui étaient parfois en conflit les uns avec les autres (Besta, 1925).

Un bref aperçu des statuta. Les délibérations du conseil, comme l’affirmait Besta, constituaient la « pulpe » du statut, tandis que les autres éléments qui les rassemblaient en formaient le « squelette ». Au cours du premier âge communal, les noyaux normatifs apparaissent de manière désorganisée : la structure constituée par les brevia et les coutumes l’emporte sur la substance statutaire. Le terme statutum désigne alors souvent une seule délibération plutôt qu’un ensemble normatif élaboré. Les premiers noyaux de dispositions des statuta, qui commencent à se former entre la fin du XIe siècle et le début du XIIe siècle, apparaissent instables et desorganisés. Des études récentes ont mis en lumière une difficulté généralisée à unifier ces noyaux normatifs dans l’Italie septentrionale, ce qui remet en question le modèle de formation progressive et tripartite du statut (Faini, 2013). Au sein de cette phase de formation du statut, les normes promulguée par volonté des organes communaux (notamment les statuta) représentaient la composante la moins significative du complexe normatif communal en formation (sur la composante non volontariste du statut, voir Meccarelli, 2016).

Le statut communal. La source normative par excellence des communes italiennes médiévales

« En effet, chaque cité dans les territoires d’Italie établit ses propres statuts ou constitutions, par lesquels le podestat ou les consuls exercent les affaires publiques et punissent ceux qui transgressent, et ce, nonobstant toute loi qui semblerait aller à l’encontre de ce statut, parce qu’ils ont juré d’observer intégralement ces statuts ou constitutions » (Cedrus, 3.4)

Boncompagno da Signa (c. 1170 – post 1240), célèbre professeur de rhétorique dans diverses universités italiennes, dont celle de Bologne où il entra en contact avec de célèbres maîtres juristes, a laissé un précieux et précoce témoignage de l’Italie « statutaire » dans son Cedrus (1201). Au début du XIIIe siècle, les villes d’Italie (centrale et septentrionale), affirme Boncompagno, disposaient de statuts ou de constitutions en vertu desquels les magistrats (podestats ou consuls) exerçaient leurs pouvoirs juridictionnels. Les règles statutaires, ajoute-t-il, prévalaient dans la cité, même en présence de lois contraires (les leges impériales, peut-on supposer). Les statuts étaient donc observés dans les cités par dérogation au droit par excellence, le droit romain (§3.4). Boncompagno donne une définition du statut, en insistant sur l’obligation de respect de l’ensemble de la population résidente : « Le statut est un ensemble de mots rédigés sous forme écrite, dont le contenu concerne la manière dont doivent être régis, dans les affaires publiques et privées, ceux qui sont liés par le statut » (§3.3). Il note que les communautés rurales et autres formes corporatives de diverses natures élaboraient également leurs propres statuts (§3.5-6) (Boncompagno, 1201 ; Ascheri, 2006).

Le siècle des statuts vient de s’ouvrir en cette année 1201. Le témoignage de Boncompagno montre qu’après une première formation désordonnée au XIIe siècle, on assiste à une grande prolifération de statuts unitaires complexes, qui se poursuit au siècle suivant.

L’écho de la guerre contre l’Empire est encore fort en Italie du Nord et surtout en Lombardie. L’issue heureuse de la guerre et la Paix de Constance qui s’ensuivit en 1183 avaient renforcé les communes, autorisées par des clauses de privilège à vivre selon leurs propres coutumes et lois. Toutefois, comme on le sait, la question de l’interprétation de cet accord par chacune des parties restait ouverte : pour les communes, il s’agissait d’une autorisation généralisée de promulguer des lois, pour l’empereur, d’une concession aux seules communes de la Ligue et sujette à révocation. Nous y reviendrons.

Il est inconcevable de dresser une liste des villes qui ont approuvé leurs propres statuts participant activement à cette formidable floraison. En 1925, l’historien du droit Enrico Besta tente une systématisation par zones régionales des statuts (Besta, 1925). Avec une méthode qui peut aujourd’hui susciter une certaine perplexité, mais avec une capacité d’appréhension des dossiers et des matériaux qui suscite toujours l’admiration, l’érudit a passé en revue, en plus de cent pages, les statuts du Piémont, de la Lombardie, de la Vénétie, de la Ligurie, de l’Émilie, de la Garfagnana et de la Lunigiana, de la Romagne, de la Toscane, des Marches, de la Toscane romaine (territoires de l’Ombrie et du haut Latium), de l’Ombrie, du Ducato romano (correspondant à une partie de l’actuel Latium), et enfin ceux d’Italie méridionale et des îles. Pour chaque zone géographique, l’érudit indique, en les subdivisant en sous-zones, tous les statuts locaux connus, avec leur dates de promulgation et de réformes éventuelles.

Nous nous limitons à rendre compte de quelques caractéristiques générales et communes à la plupart des statuts de ces villes. Du point de vue de la structure des textes, on constate, à partir du milieu du XIIIe siècle, une tendance générale des communes à réorganiser rationnellement leurs statuts, formés (comme nous l’avons vu) par la juxtaposition de brevia, de coutumes et d’autres matériaux réglementaires, et se développant sous une forme alluvionnaire. Les communes ont pensé à les subdiviser en sections par affinité de matière. Celles-ci prennent localement des noms divers : dans la plupart des cas, la division se fait par libri, mais il existe des noms savants tels que collationes (Bergame), tractatus (Florence), distinctiones (dans le Siennois, peut-être par émulation du Decretum de Gratien, suggère Besta), pour s’en tenir aux principales variantes.

Le nombre de livres et de critères de subdivision des sujets varient également. La seule constante est la présence fixe d’un livre consacré à l’organisation communale, qui était la partie du statut la plus sujette à des changements en raison de bouleversements politiques internes et répétés. La subdivision canonique (peut-être empruntée au Liber extra (1234) de Grégoire IX, suggère Lorenzo Tanzini) prévoit une division en cinq livres : L. I, de regimine, l’organisation communale réglementée ; L. II, de civilibus, les règles du procès civil et normes du droit civil substantiel ; L. III, de maleficiis, le droit pénal et le procès ; L. IV, damnorum datorum, le procès pour les dommages donnés et enfin, le livre V, extraordinariorum, qui contenait des chapitres sans rapport avec les sections précédentes, comme des dispositions relatives à l’administration de la cité (règles d’hygiène publique et gestion des communs), ou des chapitres ajoutés ultérieurement. La réglementation des dommages et intérêts est une particularité du statut urbain et des statuts ruraux : elle présente des profils procéduraux spécifiques pour protéger les sujets, généralement des agriculteurs, endommagés par des animaux et des personnes (Dani, 2006).

D’abord incluses de manière alluviale dans le recueil des statuts, les dispositions trouvent un ordre à l’occasion de leur compilation au XIIIe siècle, généralement assurée par des doctores. Dans cette forme nouvelle, le statut se présente comme un système de normes contenant des références internes, une distinction entre normes réformables et non réformables, des règles d’intégration avec les ordres universels pour combler les lacunes, des règles de coordination avec d’autres acteurs socio-économiques de la ville (statuts des arts, par exemple) et des index de rubriques.

Les statuts étaient rédigés en latin. Leur rédaction ultérieure en langue vernaculaire n’a pas été généralisée et a eu lieu à différentes époques. La Toscane, à cet égard, représente un cas significatif avec le Costituto siennois de 1309-1310, un monument de législation médiévale en langue vernaculaire, et avec le Statut florentin de 1355 (Ascheri 2002 ; Salvestrini-Tanzini, 2015 ; Bambi, 2014 et 2023).

La « doctrine des statuts » et la potestas statuendi des communes

Par l’expression « doctrine des statuts » (dottrina degli statuti), l’historiographie juridique désigne la réflexion théorique menée par les professeurs de droit sur la validité des statuts communaux. En d’autres termes, elle cherche à revenir sur la manière dont les juristes médiévaux s’interrogent sur la légitimité du pouvoir réglementaire des villes (la potestas statuendi).

Comme nous l’avons souligné dans les pages précédentes, parallèlement à l’essor du monde communal, les XIIIe et XIVe siècles ont vu une grande floraison de statuts. Les juristes qui enseignent à l’université ont assisté à l’essor de ces nouvelles sources territoriales du droit mais, au moins dans un premier temps, ils n’ont pas jugé nécessaire d’inclure ce phénomène spontané dans le système des sources juridiques romaines.

Pour tenter de comprendre cette attitude, il est nécessaire de se replacer dans le contexte politique et juridique dans lequel évoluent les maîtres juristes des XIIIe et XIVe siècles. Schématiquement et en résumé, nous pouvons dire que l’école des glossateurs de Bologne, fondée par Irnerius au début du XIIe siècle, après avoir redécouvert les livres de Justinien et refondé les études romanistes (XIe s.), a imposé à l’attention générale la thèse (ou peut-être la fictio) de la continuité entre les empires romain et médiéval : selon les glossateurs, l’empereur germanique était le successeur des empereurs romains.

Irnerius adhère à l’idée, qui circule dans les milieux impériaux, selon laquelle avec l’approbation à l’époque impériale de la Lex regia de imperio (dont le Digeste avait transmis certaines informations) le peuple romain avait définitivement transféré à l’empereur tous ses pouvoirs originels, y compris le pouvoir réglementaire. Il s’ensuit que les Libri legales de Justinien doivent être considérés comme la seule source de législation et l’empereur, autorité suprême du monde, comme le seul détenteur du pouvoir de légiférer. Une glose attribuée à Irnerius, qui oppose les droits du prince à ceux du peuple, répète que le peuple a perdu le pouvoir de promulguer des lois abrogeant le droit impérial. La glose d’Irnerius, ou peut-être de son élève Iacobus (D.1.3.32) est transcrite dans Cortese, II, 1964. La lex regia, qui a alimenté d’interminables discussions doctrinales, est mentionnée dans la constitution Deo Auctore, C.1.17.7.

Les glossateurs de la première génération ont soutenu que la potestas statuendi des communes n’avait pas de fondement dans le Corpus Iuris Civilis puisqu’il renfermait, à leurs yeux, l’ensemble de l’univers juridique. Compte tenu de ces hypothèses, il n’était pas possible d’attribuer une légitimité à la source statutaire. Certains de ces maîtres ne cachaient pas dans leurs cours une certaine susceptibilité à l’égard d’une source de droit non réfléchie, émanant d’assemblées délibérantes locales, confiée à des statutari praticiens et non sapientes du droit. Le ius novum statutaire ne pouvait en aucun cas être comparé aux subtilités du droit civil romain.

Les attitudes ont changé avec l’extension à grande échelle du phénomène urbain et les tribunaux locaux recourent de façon croissante à cette source pour régler les litiges. Les glossateurs du milieu du XIIIe siècle et les commentateurs ultérieurs sont très attentifs à leur environnement. Tout en conservant un respect total pour le contenu des lois du Corpus Iuris Civilis, ils ne se sont pas contentés de rappeler passivement le texte : ils l’ont étudié de manière critique afin d’adapter ses règles et ses principes, par des procédures logiques, aux phénomènes émergents de la société et des institutions. En d’autres termes, ils ont créé de nouvelles normes à partir du droit romain, en élargissant ou en restreignant leur champ d’application, selon le cas. Cette activité herméneutique et normative est connue sous le nom d’interpretatio (pour un résumé efficace voir Chiodi, 2012).

Le débat théorique des écoles de droit italiennes sur la structure des sources dans le pluralisme médiéval, sujet d’intérêt spécifique ici, a commencé dès la deuxième génération de glossateurs, au début du XIIe siècle. La réalité concrète de la multiplication des coutumes (qui, comme nous l’avons vu, étaient de plus en plus écrites, ouvrant la voie à la promulgation de statuts) posait le problème de leur relation avec la lex.

Contrairement à l’opinion restrictive du chef de l’école Irnerius, certains glossateurs (certainement pas tous, comme le souligne Cortese, 1964) ont cherché la voie d’une réconciliation entre les principes déduits des leges de Justinien et la réalité communale émergente et dynamique. En particulier, Iohannes Bassianus (fl. 1150-1200) (à partir d’une intuition du maître Bulgarus et d’un fragment oublié de Salvius Julianus) reconnaissait la légitimité des coutumes : les coutumes générales, affirmait-il, pouvaient annuler la lex romana ; les coutumes spéciales ou communales (alicuius municipii) pouvaient seulement y déroger, sans entraîner l’abrogation de la règle, à condition que le peuple ait certa scientia, c’est-à-dire la pleine conscience des effets provoqués par l’introduction de la nouvelle coutume (Cortese, 1964). La théorie a également été largement diffusée en dehors de l’Italie, son influence « en matière de coutume a été énorme » (Gouron, 1988). Elle a ouvert la voie à la relation entre les droits particuliers (iura propria) et les droits universels (ius commune), une relation fondée sur le lien de dérogation qui a caractérisé l’expérience juridique médiévale.

Ces réflexions hétérodoxes ont influencé le débat doctrinal ultérieur sur la potestas statuendi (ou potestas condendi statuta) communale. A partir du milieu du XIIIe siècle, les juristes élaborent diverses théories pour justifier le pouvoir législatif des communes, dans le but de conférer une légitimité aux complexes réglementaires que les communes promulguent depuis un certain temps : « il s’agissait de trouver, éventuellement dans le Corpus Iuris Civilis, le fondement d’une autonomie qui, pour les communes, était en fait pleinement réalisée » (Storti, 1991).

Plusieurs théories ont été formulées sur ce point. Le débat s’est principalement concentré sur trois élaborations principales : la théorie de la permissio (ou pouvoir dérivé), la théorie de la iurisdictio et la théorie du regimen. La doctrine des statuts est un thème qui a toujours suscité de l’intérêt dans l’historiographie du droit médiéval et sur lequel les chercheurs ont échangé des opinions différentes (nous rappelons un certain nombre de contributions, également sous forme de manuels, qui se sont attardées sur le thème depuis la seconde moitié du XXe siècle : Sbriccoli, 1969 ; Calasso, 1954 ; Bellomo, 1982 ; Caravale, 1984 ; Storti, 1991).

Il convient de préciser que les théories rappelées aujourd’hui n’ont pas observé une succession temporelle (comme le souligne Sbriccoli, 1969), mais qu’elles ont circulé en parallèle. En particulier, la permissio n’a pas été écartée, même après l’adoption générale de la théorie de la iurisdictio par Bartolus de Saxoferrato (1313/14-1357) au milieu du XIVe siècle.

En voici une brève illustration. La théorie de la permissio parvient à justifier la potestas condendi communale à partir de prémisses pro-impériales. Elle reconnaît à la commune le droit de légiférer pour ses citoyens, de « facere leges que ligarent tantum cives suos » comme le dit le glossateur Odofredus (m. 1265). Mais cette capacité doit se réaliser dans le cadre de l’ordre hiérarchique impérial qui attribue au prince un pouvoir réglementaire exclusif. Les partisans de la théorie de la permissio notent que l’empereur délègue ses fonctions à divers sujets : il confie par exemple des pouvoirs juridictionnels à ses fonctionnaires. De même, l’empereur peut accorder aux communes le pouvoir de promulguer des lois (la permissio). La potestas statuendi découlait donc de cette volonté impériale.

D’autre part, les juristes de l’apogée du XIIIe siècle ont constaté que depuis la Paix de Constance (outre les interprétations plus ou moins larges données au fameux « privilège », mentionné ci-dessus), l’empereur permettait aux communes de la Ligue de se gouverner selon leurs propres coutumes (§1, « consuetudines vestras »). Mais ce n’est pas tout : dans le même privilège, l’empereur, se réservant la juridiction d’appel, exigeait des juges délégués qu’ils règlent les litiges locaux en appliquant les lois et les coutumes de la cité (§10, « secundum leges et mores ipsius civitatis ») (Storti, 1991, avec référence à l’édition critique du texte pour ce passage se référant expressément aux leges).

Albertus Gandinus (c. 1245-c. 1310), célèbre juge expert en droit statutaire et l’un des partisans les plus convaincus de la thèse de la permissio, a étroitement lié la potestas statuendi des communes lombardes aux clauses de la Paix de Constance (« Lombardi habent ex spetiali privilegio concesso in Pace Constantiae quod unaquaeque civitas possit sibi facere statuta », dans ses Quaestiones statutorum, 1299 ; Sbriccoli, 1969). Il est évident que fonder la potestas statuendi sur le consentement de l’empereur exposait l’autonomie communale à des dangers, notamment celui de la révocation : ce risque, redouté par certains, s’est concrétisé en 1226 lorsque Frédéric II a révoqué la Paix de Constance, interdisant aux communes de promulguer des statuts (sans toutefois gagner beaucoup d’avantages dans la nouvelle lutte contre les communes) (Sbriccoli, 1969 ; Cortese, 1995).

La théorie de la permissio a continué à être rappelée au cours du XIVe siècle, par exemple par Rainerius de Forlivio (m. 1358), le maître de Bartole, qui a continué à placer la permissio comme base de la potestas, même après l’élaboration complète de la théorie de la iurisdictio par son élève des Marches, avec lequel il a marqué sa distance en la matière (Martino, 1984).

Bartole, le plus grand interprète de l’école des commentateurs, a formulé la théorie de la iurisdictio en 1343, lui assurant une grande notoriété. L’objectif immédiat de Bartole, juriste immergé dans la vie communale, était de fournir des bases théoriques plus solides à la potestas statuendi, de façon à la soustraire de la subordination impériale. La perspective de Bartole était très ambitieuse. Il place la potestas statuendi dans un horizon conceptuel plus large que le simple acte de consentement du prince, et sa théorie étudie la nature même des ordres juridiques, des plus grands aux plus petits. Partant de la notion d’imperium, c’est-à-dire le caractère absolu du pouvoir de l’empereur (iurisdictio plena), Bartole affirme qu’à plus petite échelle, même les villes qui ne reconnaissent aucun supérieur jouissent d’une pleine iurisdictio. Cette notion ainsi formulée coïncide avec celle d’autonomie (mais diffère de celle d’indépendance). Le statut trouve son fondement dans l’étendue de cette iurisdictio de la commune, terme qui (comme nous l’avons vu) résumait au Moyen Âge l’ensemble des pouvoirs détenus par un ordre juridique : gouvernement, justice et pouvoir réglementaire (Calasso, 1954 ; Sbriccoli, 1969 ; Storti, 1991).

Bartole élabore la théorie de la iurisdictio sur la base du fragment de la lex omnes populi de Gaius (D.1.1.9), selon lequel « tous les peuples qui se gouvernent par des lois (leges) et des coutumes (mores), utilisent en partie une loi qui leur est propre, en partie une loi commune à tous les hommes (« Omnes populi qui legibus et moribus reguntur, partim suo proprio, partim communi omnium hominum iure utuntur »).

Dans la célèbre repetitio alla lex omnes populi (Pérouse, 1343, que nous citons dans de brefs extraits traduits), Bartole observe que « chaque peuple ayant juridiction est autorisé à promulguer un ius proprium », ajoutant que « lorsque le peuple a pleine juridiction, il peut faire ses propres statuts, sans attendre l’autorisation de l’autorité supérieure ».

Pour reprendre les termes d’Ennio Cortese, « l’indifférence » avec laquelle les premiers glossateurs, considérant ce fragment comme peu significatif, ont sous-estimé la possibilité de le référer « au problème de la coexistence des systèmes réglementaires locaux et romains » est « frappante » (Cortese, 2005 et 2006).

La troisième théorie, celle du regimen, est due à la plume et à l’esprit de Baldus de Ubaldis-Balde (c. 1327-1400), élève de Bartole. Balde a lui aussi commencé ses réflexions sur la potestas statuendi à partir de la lecture du fragment de la lex omnes populi. Il en a tiré des conclusions différentes, placées à un autre niveau de raisonnement, confirmant ainsi son autonomie intellectuelle par rapport à Bartole. La théorie de la iurisdictio ne le convainc pas, à la fois parce qu’elle ne garantit l’autonomie normative qu’aux ordres juridiques territoriaux dotés d’une pleine iurisdictio, et parce que le fondement de la légitimité des statuts continue à graviter autour du pouvoir du prince.

Balde a cherché ailleurs le fondement de la légitimité des communes à légiférer, en trouvant ce pouvoir dans le ius gentium, le système juridique fondé sur la raison naturelle, commun aux peuples et non soumis aux règles du ius civile. « Populi sunt de iure gentium », affirmait-il : ils ne descendent donc de personne et n’ont pas été créés par qui que ce soit. Avec un « syllogisme sublime » (comme l’a noté Francesco Calasso), Balde affirme que le populus (toute agrégation humaine, donc aussi la cité) qui a spontanément créé sa propre organisation doit seulement chercher en lui-même le fondement de son organisation (regimen), généré par un besoin naturel. Puisqu’il est impensable, poursuit Balde, qu’une organisation vive sans règles (« sine legibus et statutis »), la justification de ces règles devrait être recherchée dans l’existence même du regimen, à l’instar de tout être vivant qui se gouverne lui-même avec son esprit et son âme. Il n’est donc pas nécessaire de chercher ailleurs que dans l’organisation communale la légitimité de promulguer des statuts. Par conséquent, poursuit Balde, tous les peuples peuvent se doter de statuts et lorsque les statuts cessent d’exister, c’est le ius civile qui s’applique. Malgré la hauteur spéculative atteinte, amplement soulignée par Calasso dans son célèbre manuel d’histoire du droit, la théorie de Balde n’a pas eu le succès escompté auprès de ses contemporains.

Les propos de Balde sur le rapport entre le statut et le ius civile nous permettent de passer facilement à un dernier thème. Au XIVe siècle avancé, époque à laquelle vivait le juriste ombrien, le droit écrit s’était depuis longtemps imposé comme la principale source juridique de la cité. Les historiens ont souvent eu recours à la métaphore efficace du miroir pour souligner que le statut était une sorte de reflet de la vie économique, sociale et politique de la commune. Cependant, il faut considérer que le statut ne contenait pas toutes les règles par lesquelles la ville régissait sa vie. Le système juridique communal ne s’arrêtait pas à la législation locale, qu’elle soit statutaire ou coutumière. D’autres droits coexistent sur le territoire communal, à l’image de cette intégration entre les sources du droit particulier (ius proprium, iura propria) et les sources de l’ordre universel qui caractérise le long âge du ius commune (XIIIe-XVIIIe siècles). D’autres ordres juridiques territoriaux, tels que les statuts des villes dominant des communautés assujetties, étaient appelés à compléter les lacunes du statut devant les tribunaux. En dernier recours, le droit commun, le droit civil et le droit canonique étaient utilisés pour certaines questions. Dans ce « système » brièvement décrit, la règle indéfectible était que le juge, en réglant le litige qui lui était soumis, appliquait d’abord au cas concret la règle contenue dans le statut communal, si elle était exprimée.

Le statut prescrivait ensuite au juge les sources à appliquer, selon une graduation précise introduite par la formule « dans les cas où le statut ne prévoit pas, qu’il soit observé » (« in casibus in quibus statuta non disponant, observetur ») ou « en l’absence de statut » (« deficientibus statutis »). Ces formules et ces graduations des sources présentaient de nombreuses variations locales : généralement, l’ordre d’application présentait la loi en premier lieu, puis la coutume, et enfin le droit commun, indiqué dans diverses formules (« leges et iura », « leges romanas », « iura civilia »). Dans les communes des Marches, province de l’État ecclésiastique, où les Constitutions du Card. Albornoz (1357) étaient en vigueur, la hiérarchie des sources de droit place les iura civilia en dernière position, précédées par le droit canonique. À Rome, ville du pape, dans le statut de 1363, les iura civilia précèdent les iura canonica. À Pise, peut-être par méfiance envers l’interpretatio des maîtres-juristes, le juge, en cas de lacune entre le Constitutum legis (1233) et la coutume, devait juger selon la justice. En effet, il faut considérer que la référence au ius commune entraînait également la référence à la doctrine romaniste, qui tendait à adapter le droit statutaire à ses propres catégories herméneutiques. Il s’agit d’un thème qui dépasse le cadre de ces pages, mais qu’il est essentiel de garder à l’esprit, étant donné que de « l’effort de la doctrine pour comprendre la norme statutaire dans le cadre de la scientia civilis [a été] le motif central de l’histoire juridique du Moyen Âge » (Quaglioni, 1991).

Il convient d’attirer l’attention sur un dernier aspect, qui concerne le rapport entre les sources du droit. Nous avons brièvement évoqué le thème de la dérogation en nous référant à un passage du Cedrus de Boncompagno. Les normes du statut communal, source par excellence du ius proprium, ne sont pas abstraites du système de droit commun : sur le territoire communal, statut et droit commun sont coexistents. Les règles du statut, selon Boncompagno, sont observées même lorsqu’elles sont en conflit avec la loi.

Il convient donc d’être prudent lorsqu’on affirme que la loi est incomplète et qu’elle présente des lacunes dans certains domaines, notamment en matière de droit civil. La règle générale est que la loi contient des préceptes qui entrent en conflit avec le droit romain ou qui ne sont pas prévus par celui-ci. Le ius proprium et le ius commune sont en effet unis par le pouvoir du statut de déroger aux normes générales du droit romain et canonique. L’historien du droit Severino Caprioli a donné à ce système le nom de « nesso di deroga » : les règles du statut ont le pouvoir de ne plus appliquer les règles pérennes du ius commune en vigueur sur le territoire communal, sans toutefois les abroger (Caprioli, 1992 ; Treggiari, 2017). À l’inverse, si certains profils sont prévus par le droit romain ou sont déjà réglementés par la coutume, il n’y a pas d’obligation de les inclure dans la loi. Ainsi, le pluralisme des sources a été résolu localement, avec une intégration mutuelle.

Conclusion

L’ironie piquante avec laquelle Dante stigmatise dans son Purgatoire la mutabilité des mesures législatives incluses dans les statuts florentins (les deux célèbres tercets se lisent dans l’exergue du chapitre) reproduit un stéréotype également répandu dans d’autres réalités communales de la péninsule. La variabilité des normes statutaires et leur perte soudaine d’efficacité (due à la fois à la succession rapide des mesures et au recours à des pratiques dérogatoires) sont réduites à une devise, à un proverbe (« legge vicentina dura dalla sera alla mattina »).

Dans la critique du poète (qui se positionne en tant que polémiste politique) à l’égard de la législation communale, on peut discerner une matrice érudite et, au sens large, aristocratique : c’était la critique de ceux qui comparaient la variabilité du système normatif communal avec l’uniformité et la stabilité, acquises depuis plus de deux siècles, des livres législatifs justiniens après la renovatio irneriana (Conte, 2009). Dans la critique de la variabilité transparaît le mépris pour la législation communale, qui constitue en soi un topos de longue durée, dont la diffusion fut favorisée par les plumes du XIIIe siècle de certains maîtres-juristes.

Les statuts communaux, non directement rattachables aux sources et aux structures conceptuelles de la tradition romaniste, étaient considérés comme une source de rang inférieur. Nous l’avons constaté. Cependant, la variabilité décriée était, en réalité, la caractéristique propre du statut communal, un texte normatif vivant et ouvert (Tanzini, 2021). La validité des chapitres statutaires était dans certaines réalités programmatiquement limitée à une période précise (un an à Pérouse : Caprioli, 1988), tout en restant toujours susceptibles d’être réformés par l’assemblée compétente pour la fonction normative.

La législation communale est, par nature, inapte aux formes de stabilisation : lorsqu’on trouve des copies tardives de statuts communaux, rédigées à l’époque de leur vigueur – c’est-à-dire avant le XVIIIe siècle, comme mentionné –, où sont reproduites même calligraphiquement des normes fixes et cristallisées, on fait alors face non plus à un statut communal, à une source normative vivante, mais bien un de ses simulacres.

Grandes collections des statuts communaux italiens et ressources en ligne

Les statuts médiévaux et du début de l’époque moderne qui ont survécu sont généralement conservés dans les archives des héritiers de ceux des autorités communales médiévales. Lorsque des États territoriaux ont vu le jour, les gouvernements centraux ont rassemblé les statuts communaux pour les mettre à la disposition des organes juridictionnels. Dans ce dernier cas, les statuts se trouvent généralement dans les archives d’État des capitales des anciens États. Les statuts seigneuriaux se trouvent dans les archives privées des familles aristocratiques et des institutions ecclésiastiques qui exerçaient leur domination territoriale sur les communautés sujettes.

Il existe en Italie deux grandes collections de statuts communaux qui appartiennent à deux prestigieuses institutions culturelles publiques, toutes deux situées à Rome : la Biblioteca del Senato della Repubblica et les Archives d’État (Archivio di Stato). Une troisième collection importante se trouve à l’étranger, à l’Université de Yale à New Haven, aux États-Unis.

La plus importante collection de statuts communaux (mais aussi de statuts d’organes et d’associations non territoriales et plus généralement de sources réglementaires locales) est conservée par la Biblioteca del Senato. La Raccolta degli statuti se compose environ de 800 manuscrits allant du XIIIe au XIXe siècles, de 40 incunables et de 4200 éditions imprimées. L’acquisition de documents individuels et de collections entières de bibliothèques appartenant à des universitaires a commencé en 1870 et se poursuit encore aujourd’hui.

En 1943, à l’initiative bienvenue du bibliothécaire Corrado Chelazzi, la Biblioteca del Senato a commencé à publier un catalogue des documents de sa collection. Ils ont été classés par ordre alphabétique de localisation. Le catalogue se compose de milliers de fiches analytiques des manuscrits originaux et d’éditions imprimées des statuts. Les fiches fournissent des informations détaillées sur les éléments externes et internes (c’est-à-dire liés au contenu) de chaque pièce. Il s’agit d’un travail impressionnant, un outil de référence précieux qui a été affiné au fil du temps et qui est très apprécié des spécialistes. Après une longue interruption, l’entreprise d’édition des statuts a repris de la vigueur depuis les années 1990 grâce aux efforts du directeur de la bibliothèque Sandro Bulgarelli (Casamassima, 2001, 2015 et 2019 ; Bulgarelli, 2001). Les volumes les plus récents (VII-X) sont enrichis par les introductions de quelques-uns des plus grands spécialistes italiens sur le sujet (Ascheri, 1990 ; Pene Vidari, 1999 ; Storti, 2021 ; Ortalli, 2024). La publication du onzième et dernier volume et des index est prévue prochainement. Ce catalogue (Catalogo della raccolta di statuti, consuetudini, leggi, decreti, ordini e privilegi dei comuni, delle associazioni e degli enti locali italiani dal Medioevo alla fine del secolo XVIII, volumi I-X, 1943-2024 communément appelé le « Chelazzi ») et ces fiches de mise à jour peuvent être consultés en ligne. La Biblioteca del Senato a également sélectionné et numérisé les statuts considérés comme les plus précieux de son fonds et les plus pertinents pour les études historiques. La numérisation complète des exemplaires sélectionnés peut être consultée en ligne.

La deuxième collection précieuse et remarquable de statuts communaux italiens est conservée par les Archives d’État à Rome. Le fonds Collezione Statuti provient en grande partie du ministère de l’Intérieur de l’État pontifical. Il a été déposé dans les jeunes archives italiennes après 1870, lorsque l’État pontifical s’est éteint à la suite de l’occupation militaire de Rome par l’Italie (Ficola, 2006). Aujourd’hui conservé à la Biblioteca dell’Istituto di Corso Rinascimento, ce fonds comprend près de 1800 documents statutaires italiens et, dans une moindre mesure, étrangers, dont les deux tiers environ proviennent des communautés de l’ancien État ecclésiastique, c’est-à-dire des territoires correspondant aux actuelles régions du Latium, de l’Ombrie, des Marches, de la Romagne et d’une partie de l’Émilie. Comme pour le Sénat, la collection comprend, outre les statuts communaux et seigneuriaux, des textes réglementaires appartenant à des organismes non territoriaux.

Le premier noyau de la collection s’est constitué à la fin du XVIIIe siècle à l’initiative de la Sacra Congregazione del Buon Governo, un service central de l’État ecclésiastique, basé à Rome, qui supervisait l’administration des communautés locales et exerçait des fonctions juridictionnelles. De retour à Rome après un bref séjour à Paris pendant l’ère napoléonienne, cette collection rare a été placée après 1850 dans le nouveau ministère de l’Intérieur, dirigé pendant quelques années par Teodolfo Mertel, juriste, historien et futur cardinal. Grâce à l’initiative de Mertel, qui était déterminé à rassembler le plus grand nombre de statuts de manière organique au sein du ministère, la collection s’est considérablement enrichie de copies et d’originaux envoyés par toutes les communautés de l’État qui ont répondu à une lettre circulaire de 1856. Dans cette missive, le ministre de Rome demandait aux communes de l’État pontifical de lui envoyer une copie de leurs statuts. La reconnaissance d’une telle législation dispersée n’est pas motivée, comme on pourrait l’imaginer, par de simples intentions administratives ou érudites, mais par un projet politique et culturel précis de Mertel visant à démontrer que le « sacro deposito » des sources des communes italiennes contenait in nuce les principes de base de la modernité juridique. Le projet de Mertel prévoyait la publication intégrale des statuts pontificaux, ce qui n’a jamais été réalisé (Notari, 2023). Mertel était également responsable du travail de systématisation des statuts collectés. Son travail constitue encore aujourd’hui la base du catalogue des statuts. Le catalogue de la collection est disponible en ligne.

La plus riche collection de statuts communaux italiens hors d’Italie est conservée à New Haven (État-Unis) dans la Rare Book Collection de la Lillian Goldman Law Library de la Yale Law School. La plus grande partie de la collection, l’Italian Statute Collection provient d’un achat massif effectué en 1946 par cette bibliothèque sur le marché des antiquités à Rome. La remarquable collection privée achetée, qui appartenait à un juriste érudit dont l’identité n’est pas précisée, comprenait près de 900 pièces, dont 52 manuscrits des XIVe-XVIIIe siècles, 9 incunables et de nombreux livres du XVIe siècle. Certains statuts conservés à Yale sont totalement inconnus des bibliographies de statuts italiens, comme par exemple le statut de Montebuono, 1437 (Notari, 2011 ; Widener, 2011). La collection de statuts italiens s’est depuis largement enrichie. Pour une vue d’ensemble de la collection de statuts, à laquelle Mike Widener, bibliothécaire pendant une longue période en charge du fonds à la Bibliothèque de la faculté de droit de Yale, a consacré un effort fructueux, voir en ligne. Le catalogue de la collection des statuts manuscrits italiens, publié en 2016, est également accessible en ligne. Le catalogue de l’exposition The Flowering of Civil Law : Early Italian Statutes in the Yale Law Library, consacrée aux statuts et qui s’est tenue entre 2008 et 2009, est aussi accessible en ligne (Widener, 2024). La bibliothèque de Yale a numérisé certains manuscrits, qui peuvent être consultés en ligne.

POUR FAIRE LE POINT

  1. Ce chapitre indique que la recherche de l’unité et de la pacification interne font partie des éléments constitutifs de la commune médiévale. Dans cette quête, quel rôle a joué la rédaction des textes juridiques, et en particulier des statuts de la ville ?
  2. Les statuts communaux ont été élaborés au terme de longs processus, par assemblage de divers matériaux réglementaires. Outre les résolutions adoptées par les assemblées (les statuts au sens strict), quels sont les autres éléments qui composent le statut ? Et d’où proviennent-ils ?
  3. Les juristes des XIIIe et XIVe siècles ont développé des théories pour justifier le pouvoir législatif des communes. La première à s’affirmer est la théorie de la permissio. En quoi consiste cette théorie et en quoi peut-elle être qualifiée de « pro-impériale » ?

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Un cas de législation en langue vernaculaire au XIIIe siècle

Aux origines des Siete Partidas.
L’intense activité juridique d’Alphonse X (1252-1284)

Alphonse, fils de Béatrice de Souabe et de Ferdinand III de Castille et León (1217/1230-1252), accède au trône en juin 1252, après la mort de son père. Ferdinand est l’unificateur dynastique des royaumes de Castille et de León. Il est également à l’origine de la conquête de nombreux territoires musulmans dans les années 1240, tels que Séville, Cordoue, Requena et Jaen (Martínez, 2003 ; González Díaz, 2012 ; Doubleday, 2016 ; Gonzalez Jiménez, 2021). Le ou les royaumes hérités par Alphonse sont beaucoup plus vastes que ceux dont son père a hérités. La mise en place d’un régime juridique pour tous ces domaines n’était pas une tâche particulièrement simple. Aussi bien Ferdinand qu’Alphonse ont essayé diverses tactiques : par exemple, en 1257, Alphonse X a accordé à Requena la Charte de Cuenca, qui avait été compilée par Alphonse VIII (1158-1214) après la conquête de Cuenca à la fin du XIIe siècle. Cette concession de chartes locales d’une ville (parfois un village) à l’autre s’inscrit dans un mouvement de conquête juridique (négociations de privilèges et de limites juridictionnelles, etc.) et de réglementation concernant les terres nouvellement conquises et annexées aux royaumes de Castille et de León. Vers 1240, ou quelques années plus tard, le roi Ferdinand III commanda lui-même une traduction en castillan du Liber Iudicum ou Liber Iudiciorum, également connu sous le nom de Lex Visigothorum. Le code qui en résulta, connu en espagnol sous le nom de Fuero Juzgo, fut accordé à plusieurs pouvoirs locaux vers le milieu du XIIIe siècle, entre les règnes de Ferdinand III et d’Alphonse X (Sánchez-Arcilla Bernal, 1988 ; Ferreirós, 1989 et 1992 ; Pérez-Prendes, 2004 ; Castillo Lluch, 2012). En 1241, il a été concédé à la ville de Cordoue. Au cours des années suivantes, le Fuero Juzgo, que l’on connaît ensuite sous d’autres noms tels que Fuero de Córdoba ou Fuero de Toledo, a été concédé à d’autres villes ou domaines seigneuriaux, comme Jaén ou Séville. Ces concessions révèlent un intérêt précoce pour l’octroi de codes juridiques étendus, jouissant d’un grand prestige dans la sphère chrétienne. Ils étaient surtout liés à une forme de droit impérial (l’empire hispanique wisigothique) qui non seulement offrait un moyen de créer un pouvoir juridictionnel centralisé, mais suturait également une histoire du christianisme ibérique entre le gothique antérieur aux conquêtes nord-africaines dans la péninsule et une domination émergente et expansive des royaumes chrétiens dans le même espace géographique et au-delà.

L’activité législative d’Alphonse X a pris son essor très tôt après son accession au trône. Au début de son règne, le roi réunit un groupe de juristes dont l’existence était peut-être la trace d’une structure créative juridique née dans la chancellerie d’Alphonse VIII et développée dans la sphère juridico-politique de Ferdinand. Les raisons pour lesquelles cette généalogie est probable ne tiennent pas seulement au fait qu’Alphonse se considère toujours comme un épigone de son père dans les tâches juridiques, auquel il attribue souvent l’impulsion de ses propres travaux législatifs. Cela s’explique aussi par le fait que la chancellerie d’Alphonse VIII a commencé à développer son propre style d’écriture du droit, auquel elle a ajouté de nombreux éléments notariaux qu’Alphonse X élargira et améliorera. Cette chancellerie a aussi commencé à explorer sérieusement la possibilité d’un droit vernaculaire qui serait la marque la plus importante du droit alphonsin (Velasco, 2020). Ce groupe présumé de juristes, que nous appellerons l’« atelier juridique alphonsin », est composé de personnes dont la vie (y compris leur nom dans certains cas) nous est presque inconnue. Nous savons en revanche beaucoup de choses sur leur formation académique : ce sont des spécialistes du droit romain et du droit canonique qui ont également accès à de nombreux textes historiographiques (peut-être issus de l’« atelier historiographique alphonsin »), scientifiques (issus d’un « atelier d’histoire naturelle alphonsin »), poétiques (dont beaucoup sont également issus de l’atelier historiographique), et à de très nombreux et facilement identifiables textes religieux et textes philosophiques et théologiques. Il s’agit donc de spécialistes ayant reçu une formation universitaire poussée et qui, de surcroît, agissent en solidarité avec des spécialistes travaillant dans d’autres domaines du monde créatif et scientifique d’Alphonse X (Menéndez, 1951 ; Fernández-Ordóñez, 1999 ; Velasco, 2006 ; Fernández, 2013 ; Salvo, 2014).

Le premier des textes législatifs les plus « organiques » est le Fuero Real (Charte royale), dont l’octroi a dû commencer en 1254 à Aguilar de Campoo. Il a ensuite été accordé à de nombreuses villes et domaines seigneuriaux au cours des années suivantes, et au-delà du règne d’Alphonse X. Il s’agit d’un texte qui révèle dans sa structure initiale une réception du droit romain qui combine une législation très générale et centralisée avec le iura propria des lieux auxquels il est accordé (pour l’édition, voir Pérez Martín, 2015). Tout en offrant une vision du pouvoir juridictionnel royal, cette législation métabolise également les réglementations locales dans chaque cas et s’y adapte lorsqu’elle est accordée : le Fuero de Burgos n’est pas exactement le même que le Fuero de Aguilar de Campoo, bien qu’il s’agisse dans les deux cas du Fuero Real.

En parallèle du Fuero Real, l’atelier a dû rédiger un code juridique plus étendu et général, plus proche du droit romain et du droit canonique, et peut-être moins soucieux d’accommoder les fueros ou les cartas pueblas qui constituaient l’essentiel du iura propria. Bien que la noblesse et de nombreuses villes préféraient de loin leurs régimes locaux, qui offraient de nombreux privilèges, Alphonse s’est intéressé à la colonisation juridique du royaume en expansion. L’Espéculo ou Espéculo de las Leyes est le code le plus vaste et le plus général auquel je me réfère. Selon des érudits tels que Jerry Craddock, il est entré en vigueur en 1255 à une époque où la Charte royale était également en plein essor. Ce code est écrit en quatre livres ou parties. Sa diffusion manuscrite est loin d’avoir été une réussite. Jesus Vallejo l’a qualifiée de « pauperrima » (Craddock, 1974 ; O’Callaghan, 2019 ; Vallejo, 2021).

De la compilation à l’édition.
La chronologie des Siete Partidas

La rédaction d’un vaste corpus législatif castillan au milieu du XIIIe siècle

Au printemps 1256, une ambassade de la République indépendante de Pise rend visite à Alphonse X à Soria, pour soutenir sa future élection au titre de roi des Romains en 1257 (puisqu’il est le fils de Béatrice de Souabe). Il n’aura en revanche jamais le titre d’empereur romain germanique. C’est peut-être à cette époque que l’atelier alphonsin, qui travaille probablement encore à la mise au point de l’Espéculo, change de perspective sur le droit et décide d’entreprendre une œuvre beaucoup plus ambitieuse, plus vaste, plus générale, et surtout plus centrée sur l’idée impériale. Cette œuvre est celle que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de Siete Partidas (Sept Parties).

Dans les notes chronologiques contenues dans certains manuscrits des Siete Partidas, il est indiqué qu’elles ont été écrites en sept ans (Craddock, 1974 et 1981). C’est théoriquement possible, mais il est également envisageable qu’il s’agisse d’une simple adaptation de l’une des principales obsessions du programme politique alphonsin, centrée sur le cuento setenario, c’est-à-dire sur le calcul des choses par sept (y compris le propre nom d’Alphonse qui comporte sept lettres). La chronologie des Partidas est cependant beaucoup plus complexe que cela. Nous ne connaissons pas le degré d’indépendance des Siete Partidas par rapport à l’Espéculo. De nombreux spécialistes considèrent qu’il s’agit du même ouvrage, et certains indiquent qu’une fois que le premier (l’Espéculo) a été édicté, il n’était pas nécessaire de promulguer spécifiquement les Partidas. En d’autres termes, nous n’avons aucune trace de la promulgation des Partidas (Ayala Martinez, 1987 et 2004).

Une conservation de 135 témoins manuscrits (XIIIe-XVe siècles)

La tradition manuscrite n’est pas non plus particulièrement utile à cet égard. Le plus ancien manuscrit de ce que nous pourrions appeler la « première rédaction » des Siete Partidas est conservé à la British Library. Ce manuscrit a pour titre Libro del Fuero de las Leyes. Il est considéré comme une première rédaction de la Primera Partida, dont nous parlerons dans la section suivante. Ce manuscrit sort du scriptorium royal, mais le problème est de savoir de quel scriptorium royal il sort : les avis divergent entre ceux qui le situent sous le règne de Sanche IV (1284-1295), successeur d’Alphonse X, à partir d’une analyse paléographique et picturale, et ceux qui, en se fondant sur ses aspects historiques et doctrinaux, considèrent que le manuscrit ne peut être issu que de l’atelier d’Alphonse. Dans un ouvrage publié en 2023, Jorge Prádanos Fernández a analysé le débat et a proposé une datation du manuscrit aux environ de 1292, soit huit ans après la mort d’Alphonse X à Séville en 1284 et dix ans après le règne de Sanche IV (puisque Sanche a détrôné son père en 1282, après une révolte victorieuse dans laquelle l’impérialisme juridictionnel de la monarchie alphonsine est critiqué) (Prádanos Fernández, 2023). L’auteur de cette notice considère qu’il est hautement improbable que cette version des Partidas ait été entreprise dans le scriptorium d’un roi qui non seulement s’opposait au projet juridique contenu dans les Partidas, mais qui semble également avoir contribué à la disparition, voire à la destruction, des codex des Partidas.

Prádanos Fernández lui-même, dans son livre susmentionné, répertorie un total de 135 manuscrits des Siete Partidas, en espagnol, portugais et catalan, dont beaucoup ne transmettent que des parties, des fragments ou des Partidas individuelles. Par exemple, la Tercera Partida est l’une des plus transmises (Orellana Calderón, 2006). Mais ce qui est certain, c’est que la grande majorité de ces 135 manuscrits des Siete Partidas datent des XIVe et XVe siècles. Si l’on admet que ce manuscrit conservé aujourd’hui à Londres provient du scriptorium de Sanche, on peut se demander pourquoi il n’y a pas d’autres manuscrits issus de cette période, puisque tous les autres exemplaires sont postérieurs. Il est vrai que Sanche est mort en 1295 et que les règnes suivants de Ferdinand IV (1285-1312) et Alphonse XI (1312-1350) sont marqués par leur minorité et par des polémiques entre les tuteurs de ces rois (notamment Maria De Molina comme régente, épouse de Sanche IV, mère de Ferdinand IV et grand-mère d’Alphonse XI) (Hernández, 2021).

Aux Cortès d’Alcalá de Henares en 1348, Alphonse XI déclara que les Partidas n’avaient jamais été « reçues comme lois ». Le titre 28 de l’Ordenamiento de Alcalá de 1348 est ratifié à la mort d’Alphonse XI par son fils Pedro Ier. Il établit que les Siete Partidas, qui n’avaient jamais été reçues comme lois, le sont désormais, mais dans un ordre de priorité qui les place en dessous de l’ordonnance-même et du Fuero Real (qu’Alphonse XI a d’ailleurs utilisé à de nombreuses reprises comme instrument de négociation et de conciliation avec d’autres pouvoirs juridictionnels). Ce même titre fixe une autre destination aux Siete Partidas, qui consiste à les introduire dans le cursus universitaire. Jusqu’alors, les sources du droit hispanique n’avaient pas été étudiées dans les universités péninsulaires, peut-être parce qu’il s’agissait de textes en un latin très médiocre ou dans l’une des langues vernaculaires de la péninsule. En implantant les Partidas, on a également introduit une source générale de droit romain en langue vernaculaire. D’une certaine manière, ce code est entré dans une sorte de « temple de la renommée », devenant un classique du droit hispanique. Il n’existe pas de bonne édition de l’Ordenamiento de Alcalá et toutes les éditions utilisées datent du XVIIIe siècle, mais certains manuscrits sont numérisés. C’est le cas d’un exemplaire conservé au monastère de l’Escorial, l’un des plus anciens et intéressants.

Le titre 28 de l’Ordenamiento de Alcalá indique également que les Partidas, qui n’ont jamais été reçues en tant que lois, existaient dans un état de variation manuscrite qui les rendait, d’une part, difficiles à lire et, d’autre part, obsolètes (après tout, il s’agit d’un code qui avait alors quelque soixante-dix ans d’âge). En ce qui concerne la première de ces deux hypothèses, le roi Alphonse a ordonné la collation des exemplaires, c’est-à-dire qu’il a procédé à une comparaison sommaire des manuscrits dont il disposait, afin d’établir les lectures les plus appropriées (pas nécessairement celles d’un original ou d’un archétype). En ce qui concerne la deuxième hypothèse, le roi Alphonse ordonne (vraisemblablement à sa propre équipe de juristes) que ses lois soient mises à jour et modernisées, par addition, soustraction ou innovation.

La grande majorité des manuscrits dont nous disposons datent de l’époque de la promulgation des Siete Partidas, alors perçues comme une loi complémentaire, en 1348. Les données provenant de sources contemporaines confirment que les Partidas ont commencé à être étudiées dans les universités et qu’elles ont fait partie du canon juridique des XIVe et XVe siècles (peut-être surtout au XVe siècle).

Les éditions modernes des Siete Partidas (XVe-XXe siècles)

Aux Cortès de Tolède de 1481, convoquées par les rois catholiques Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon, le juriste Alonso Díaz de Montalvo (1405-1499) est chargé de préparer plusieurs textes juridiques hispaniques pour la presse. Montalvo a publié la Compilación de las Leyes del Reyno, également connue sous le nom d’Ordenamiento de Montalvo, qui contient une sélection d’actes en vigueur issus des résolutions adoptées par les Cortès de Castille au cours des siècles précédents, soit un total de plus de mille lois organisées par branches du droit. Publiée à Séville en 1484, la Compilación a continué à être imprimée, malgré les plaintes de ses utilisateurs, pendant de nombreuses années. Montalvo lui-même, toujours à Séville, publie ce qui sera la première édition des Siete Partidas. Il indique qu’il a comparé plusieurs manuscrits mais ne précise pas lesquels. Les plus de 3000 lois qui composent les Partidas, divisées en plus de 180 titres ou chapitres, posent des problèmes de lecture et d’interprétation dans cette première édition, qui a été suivie de plusieurs réimpressions. Les critiques actuelles les comparent afin de vérifier les différences et les variantes qui ont pu être introduites au cours des différents processus éditoriaux (voir les étapes de ce travail en cours, ici). Cette première édition de Montalvo, destinée avant tout aux juristes ibériques, comporte des adiciones en castillan, à la fin des lois ou des titres. Y sont alors établis des parallèles ou des concordances entre les dispositions des Partidas et ce qui est également prévu dans les lois, les ordonnances des tribunaux ou d’autres instruments juridiques, fondamentalement basés sur son propre Ordenamiento de 1484 (ou ses éditions successives).

Montalvo, qui fut juge, oidor, corregidor de Madrid, et peut-être aussi professeur d’université, avait terminé en 1492 (mais sans l’avoir publié de son vivant) un apparat de gloses en latin. Deux ans après sa mort survenue en 1499, une édition des Partidas avec le texte et cet apparat de gloses latines parait à Venise, sous les presses de Lucantonio di Giunta. Cette édition a été imprimée plusieurs fois, avec des modifications que José Manuel Fradejas Rueda soumet à une analyse minutieuse. Au cours du demi-siècle d’impression de l’édition de Montalvo, les altérations du texte changent des aspects de la tradition imprimée du texte juridique (généralement pour la corriger). Ce texte est ensuite publié à Venise en 1528, à Alcalá en 1542, puis une dernière fois, toujours avec cet apparat de gloses, à Lyon en 1550.

En 1555, pendant la période de régence du royaume d’Espagne, présidée par l’Infante Jeanne d’Autriche (1535-1573), alors que Charles Quint et son fils Philippe mettent en scène en Europe le processus d’abdication du premier sur le second, Andrea de Portonariis, imprimeur à Salamanque, reçoit une licence pour imprimer une nouvelle édition des Siete Partidas. Elle est réalisée par les soins de Gregorio López, membre du Conseil des Indes qui y ajoute un très abondant apparatus de gloses en latin, et qui traduit à de nombreuses occasions le texte ou le dispositif contenu dans les lois. Cette édition tend à archaïser la langue et, bien qu’elle soit basée sur celle de Montalvo (peut-être celle de 1528), elle introduit de nombreuses variantes. López indique que ses variantes proviennent de la consultation de plusieurs manuscrits, sans toutefois préciser lesquels.

L’édition de López est au cœur de l’histoire des Siete Partidas. Publiée en 1555, c’est celle qui est encore en vigueur aujourd’hui et qui est utilisée dans le droit contemporain. Mais ce n’est pas la dernière édition. En 1807, en pleine période de guerre entre l’Espagne et l’Angleterre, et quelques mois avant la signature du traité de Fontainebleau entre la France et l’Espagne, l’Académie royale d’histoire publie son édition des Siete Partidas, qui se veut historiquement et philologiquement exacte. Les chercheurs ont séparé les différentes éditions des Siete Partidas (l’une plus proche du manuscrit de la British Library, l’autre plus élaborée, peut-être au fil des ans). Après avoir (disent-ils) consulté les manuscrits disponibles, ils proposent un texte qui pourra être utilisé dans le système juridique espagnol. Le projet a duré quelques années, jusqu’à ce que, par un décret royal d’Isabelle II, ils reviennent à l’édition de 1555, étant donné que les juristes avaient l’habitude d’utiliser non seulement cette édition, mais aussi (et peut-être surtout) les gloses de Gregorio López.

Cette édition a été réimprimée seize fois au cours des XVIe-XVIIIe siècles, avec quelques changements ou modifications dans l’apparatus des gloses. Par exemple, le neveu de Gregorio López, également appelé Gregorio López (de Tovar), introduit des variations. Tout lecteur lui est reconnaissant car il développe les abréviations utilisées par son oncle et inclut également des index qui facilitent la consultation de l’ouvrage. En 1759, l’édition de López est réimprimée par José Berní y Catalá, un avocat valencien, qui remplace les gloses de López par ses propres commentaires et publie également un index, fondamentalement basé sur le travail de Gregorio López de Tovar. En 1969, après la nomination de Juan Carlos de Borbón comme successeur du dictateur Francisco Franco par ce dernier, le Boletín Oficial del Estado publie une édition en fac-similé des Siete Partidas à partir de l’édition de 1555. Elle est accompagnée d’une loi expliquant les raisons de cette impression.

Les Siete Partidas, de préférence dans l’édition de 1555 (ou certaines de ses réimpressions et fac-similés), font encore aujourd’hui partie de la culture juridique espagnole, latino-américaine, nord-américaine et au-delà. Il s’agit non seulement d’une source historique, mais aussi d’une source jurisprudentielle prise en compte dans plus d’une tradition juridique dans le monde.

La composition des Siete Partidas.
Une compilation juridique à portée universelle

Les Siete Partidas sont divisées, comme leur nom l’indique, en sept parties, offrant ainsi une structure alternative à celles traditionnelles en 12 livres des compilations du droit impérial romain, tant oriental qu’occidental. L’organisation est liée à ce qu’Alphonse appelle un cuento setenario, un calcul par sept. La correspondance va du macrocosme au microcosme et vise à signifier ce que les Partidas montrent en effet de manière obsessionnelle : l’intérêt de tout légiférer en procédant à une extraordinaire juridification du monde. Chacune des sept parties, qui commencent par chacune des sept lettres du nom d’Alphonse, est consacrée à l’une des branches du droit.

Primera Partida (A)

Basée principalement sur des sources de droit canonique, la compilation comporte une première partie consacrée à la théorie du droit, suivie d’une série de titres consacrés au droit ecclésiastique. Le manuscrit que nous avons appelé Libro del Fuero de las Leyes est l’un des rares à comporter des enluminures au sujet de cette partie. Elle se concentre précisément sur le droit canonique, créant un imaginaire de l’espace clérical dans lequel se détache la capacité du roi, en tant que dirigeant laïc, à dire et à maintenir le droit d’Église. La grande innovation de la Primera Partida (ou de sa première version conservée dans le Libro del Fuero de las Leyes) est précisément de détourner l’autorité juridictionnelle de la sphère strictement pontificale et cléricale vers la sphère laïque du monarque. La position d’Alphonse a toujours été considérée par les critiques et les historiens comme un « gibelinisme modéré », qui pouvait être assumé ou toléré par le pouvoir du pape, même s’il est vrai que dans des parties telles que cette Primera Partida on peut observer une plus grande radicalisation de ce gibelinisme.

Segunda Partida (L)

La deuxième partie a souvent été confondue avec un « miroir des princes ». C’es t peut-être la partie du code qui laisse le plus perplexe, car la volonté de tout légiférer prend un volume inédit dans ses titres. C’est aussi la partie la plus « gibeline », car elle déclare d’emblée sa grande vocation impériale. Elle se résume à une série de chapitres consacrés au pouvoir impérial lui-même et à son indépendance par rapport aux institutions ecclésiastiques, puis à des titres consacrés à un pouvoir monarchique qui est une réplique de ce type de pouvoir impérial, et autour duquel tourne toute l’expression du pouvoir juridictionnel du royaume. Certains titres touchent particulièrement les caractéristiques du roi en tant qu’homme politique et intègrent la philosophie morale comme un corps législatif à part entière : par exemple, l’éthique et la rhétorique sont des disciplines intellectuelles ou des champs d’étude d’origine aristotélicienne qui se retrouvent dans ces titres consacrés au roi. Elles fortifient son caractère et règlent la manière dont il se construit et se transmet par la pensée, la parole et l’action. Dans sa volonté de tout légiférer, le souverain légifère aussi ce que signifie penser, parler et agir. C’est là qu’apparaît, plus qu’ailleurs, la nécessité pour le législateur de construire une nouvelle manière de légiférer, d’écrire le droit, afin de procéder à la juridification du monde. Dans les titres suivants, le peuple est défini de diverses manières : en tant qu’agrégation de tous les gens du royaume, par-delà le statut socio-économique et professionnel de chacun, mais aussi comme l’âme sensible du royaume, tenue pour collectivement responsable des perceptions et des opérations post-sensorielles. En s’appuyant sur la philosophie naturelle aristotélicienne et ses commentateurs arabes, on crée un sujet juridique doté d’une âme et de passions, dont les émotions et les affections impliquent une forme spécifique de connaissance et de respect de l’intégrité du pouvoir royal et de l’ensemble des lois (Velasco, 2020). Cette partie examine les différents offices et fonctionnaires qui constituent la juridiction royale et l’organisation du royaume sur le plan personnel (maréchaux, enseignes), corporatif (chevaliers, érudits) et institutionnel (le palais, la guerre et ses variétés, les études générales).

Tercera Partida (F)

La troisième partie est l’une des plus copiées dans les manuscrits, peut-être aussi l’une des plus utilisées par les professionnels du droit et, par conséquent, l’une des plus impactée par les dents du temps : des manuscrits et des imprimés que l’usage a détruits, mais aussi que l’usage a dotés de corrections, de contaminations, d’amplifications, etc. Tant que nous ne disposerons pas d’une édition fiable de l’ensemble de cette Partida, il sera difficile de savoir exactement quelles ont été ces transformations. On dispose tout de même de l’édition exemplaire du titre 18 de cette troisième partie, consacré aux instruments et documents écrits (un art notarial en soi) par Raúl Orellana Calderón. Le groupe de recherche de José Manuel Fradejas Rueda travaille sur une édition critique et continue à produire des travaux qui indiquent la vie interne des manuscrits des Partidas.

La Tercera Partida est consacrée à l’administration de la justice et au processus judiciaire. Cette partie du code exprime avec une immense clarté l’étendue du droit procédural, le nombre de failles dans l’existence à travers lesquelles il circule et crée une forme de pouvoir juridique qui atteint tous les recoins du royaume. Il s’élève progressivement à travers tous les espaces et fonctionnaires de la justice, ainsi qu’à travers les formes juridiques, y compris le serment des participants au processus, les formes d’interrogatoire, de torture, d’inquisition, et tout le reste. Nous voyons également dans cette partie la manière dont une conception affective du droit s’étend au processus judiciaire, lorsque, par exemple, le caractère et les modes d’expression des auxiliaires de justice (avocats, juges, etc.) dans le processus lui-même et devant les témoins ou les accusés sont indiqués. Le titre 18 est central et le plus long de toutes les Siete Partidas, car il a peut-être subi des modifications spécifiques au cours du XIVe siècle et dans l’édition incluse dans les Cortès d’Alcalá de 1348. Le titre constitue une exaltation à la législation de ce qui était jusqu’alors, dans toute l’Europe, des arts notariaux. Ses modèles se trouvent dans cette lignée d’arts notariaux entre Bologne, Florence et Paris, de Rolandinus de Passageriis à Guillaume Durand et d’autres.

Outre le droit romain, la Tercera Partida utilise aussi librement des éléments procéduraux du droit canonique. Les titres suivants sont consacrés à la chancellerie et à son fonctionnement, aux différents types de notaires, puis aux questions de propriété, qui comprennent des thèmes bien connus du droit romain et du droit canonique. Les questions traitées vont de la propriété des îles nées dans les fleuves et les mers aux cas connus sous le nom de tabula picta. C’est peut-être dans ces titres que le travail de critique juridique pratiqué par l’atelier alphonsin apparaît le mieux : par exemple, dans les lois sur le sujet de la propriété des objets d’art et leur matérialité, connu comme la tabula picta, et qui inclut aussi des questions sur les manuscrits et d’autres objets culturels, nous voyons que les juristes lisent à la fois le texte et les gloses acursiennes et pré-acursiennes à leur disposition, afin de produire une législation qui tient compte du texte et de la glose, mais aussi des décisions juridiques, sans se contenter de présenter seulement le débat autour de ces questions. La législation métabolise le débat et crée une nouvelle forme d’interprétation de la norme.

Cuarta Partida (O)

Au début de la quatrième partie, le législateur indique qu’elle se trouve au centre du code juridique, tel un cœur qui lui donne vie. Il s’agit d’un code macro-cosmique, d’un code mondial et également d’un code microcosmique : tout doit être légiféré. Le noyau législatif est constitué par les formes d’alliance, dont la plus importante est le mariage. Bien entendu, une grande partie du contenu juridique de cette partie précède la lecture et la discussion du droit canonique, tant dans le texte que dans la glose. Dans la plupart des titres, on observe cette relation de coproduction entre le texte et la glose : par exemple, les lois consacrées à la question de l’impuissance offrent une série d’éléments généraux sur la permanence ou la dissolution du mariage, mais elles offrent aussi une série de cas douloureux dans lesquels l’homme est rendu impuissant, cas qui proviennent des apparats de glose qui traitent de cette question en droit canonique (si un homme chasse et qu’un ours l’attaque lui arrachant les testicules ; si un guerrier tombe de la palissade avec les terribles conséquences que cela peut avoir pour la région de l’aine, etc.). Dans les titres indiquant que le père et le fils (bien qu’ils s’agissent de deux personnes individuelles) sont une seule personne juridique, les juristes indiquent également les cas dans lesquels le père peut vendre le fils ou (comme pour le cas du comte Ugolino) le manger. Cette lecture du texte et de la glose n’est pas seulement l’expression de l’absence de valeur critique que les juristes attachent à la glose. Elle indique en réalité le contraire, c’est-à-dire le désir que le code puisse rendre compte de tout, même des cas les plus particuliers et, pour le moins, les plus cruels.

La pièce maîtresse de la Cuarta Partida est la double page des arbres de consanguinité et d’affinité, qui cèdent la place à d’autres types d’alliances. Elle intègre le droit féodal et établit, par une importante fiction juridique, la différence entre une loi de nature illisible et une loi de nature qui régit les liens entre les personnes. Toujours dans sa volonté de tout légiférer, cette partie est complétée par une législation sur l’amitié. Il s’agit d’une législation inhabituelle, importante non pas pour ce qu’elle dit de l’amitié elle-même (pour laquelle elle utilise des sources telles qu’Aristote, Cicéron ou même Ælred de Rievaulx) mais pour ce qu’elle dit de la façon dont les amis doivent accepter le roi comme un troisième ami, et peut-être l’élément le plus important de leur vie d’amis (seul le roi peut sauver la vie de ses amis).

Quinta Partida (N)

En février 2015, une loi publiée au Boletín Oficial del Estado (l’organe du pouvoir législatif en Espagne) est consacrée aux responsabilités économiques acquises par les personnes qui ont participé à une société qui a fait faillite. Le préambule de la loi indique l’opérabilité de la fiction juridique de la personne morale, puis expose les questions relatives à la société sur la base de la cinquième partie, qui, en fait, est consacrée à une forme très primitive de droit commercial. Ce droit commercial est présent, à partir de la cinquième partie des Siete Partidas, dans un grand nombre de traités et de discussions sur les transactions et les contrats du XVIe au XVIIIe siècle, l’une des périodes clés du développement de la mondialisation économique, de la création d’entreprises nationales et internationales, du développement des formes de capitalisme primitif, etc. En effet, l’œuvre d’Alphonse est la plus citée dans la Summa de Tratos y Contratos de Thomas de Mercado, largement utilisée dans l’Empire ibérique et traduite dans d’autres langues, comme l’italien, pour être utilisée dans toute l’Europe.

La Quinta Partida est non seulement très technique, mais elle introduit également dans la langue castillane tout le vocabulaire du droit économique et mercantile. Sa mobilisation est basée sur deux concepts cruciaux du droit alphonsin, la postura, c’est-à-dire l’accord de droit privé dans toutes ses manifestations, et le debdo, c’est-à-dire le lien qui unit les personnes morales au moment de l’établissement de la postura. Sur la base de ces concepts sont développées les règles relatives au prêt, à l’emprunt, à la société, au marché, à la recherche de biens, à l’échange de biens, à la vente et à l’achat. Sont également examinées les obligations qui incombent à ceux qui s’engagent volontairement dans l’une ou l’autre de ces activités.

Sexta Partida (S)

La loi 15 du titre 2 de la Segunda Partida a introduit un changement fondamental dans le système de succession de la monarchie castillane et léonaise : dans le système castillan, la succession du roi revenait au fils aîné, mais en cas de décès du fils aîné avant la mort du souverain, elle revenait au fils cadet. Dans la loi proposée dans les Partidas, la succession devait toujours respecter la ligne de primogéniture, de sorte que c’était le fils aîné du fils premier né qui devait hériter, en cas de décès prématuré du successeur royal. C’est exactement ce qui s’est passé à l’époque d’Alphonse : le fils aîné d’Alphonse, Ferdinand, est mort en laissant un fils, Alphonse, qui, selon cette nouvelle loi, devait être l’héritier de la couronne à la mort du roi Alphonse, au lieu du second fils de ce dernier, Sanche. Cependant, Sanche, allié aux nobles, se rebella contre le roi et prit la succession, et Sanche IV fut couronné. À deux reprises, Alphonse dicta un testament pour déshériter (et maudire !) Sanche ; ou, plus précisément, il dicta un testament et y ajouta un codicille avec ses dernières volontés.

La sixième partie est entièrement consacrée aux questions de succession, codifiant tous ses aspects, de la rédaction du testament à la tutelle des orphelins et des mineurs. Le texte des Partidas fait très souvent référence aux « sages d’autrefois » et, bien qu’il ne les nomme ni ne les identifie jamais, il est raisonnable de penser que, contrairement aux paroles des saints, qui se réfèrent souvent au droit ecclésiastique et canonique, les « sages d’autrefois » ne sont autres que les auteurs du Corpus Iuris Civilis. Cette partie du code contient une réflexion sur le temps juridique et sur sa stabilité transgénérationnelle, qui mérite beaucoup plus d’attention qu’elle n’en a reçu, bien qu’elle soit l’une des parties du droit les plus utilisées dans l’histoire des Partidas.

Septima Partida (O)

Il est courant de considérer la Septima Partida – l’oméga de ce code – comme celle consacrée au droit pénal. Elle énumère les acusaciones e maleficios par les personnes, en commençant par les crimes de lèse-majesté (comme la trahison) et d’autres délits. La liste des crimes comprend les plus courants (vol, adultère, meurtre), d’autres peut-être plus liés aux systèmes inquisitoriaux (comme l’infamie), et au processus de création d’une juridiction chrétienne (juifs, musulmans, hérétiques). Cette partie associe le droit canonique au droit romain et, surtout, comporte à la fin deux titres qui sont essentiels à la cohésion des Partidas. Le titre 33 est consacré aux « mots douteux » et constitue un glossaire de technicités qui montre l’importance des Partidas dans la création d’un vocabulaire technique du droit à tous les niveaux. Le titre 34 est consacré aux regulae iuris ou « règles de droit », dont il adapte la liste au droit romain.

POUR FAIRE LE POINT

  1. Que sont les Siete Partidas ?
  2. Comment se résume l’activité législative d’Alphonse X ?
  3. De quand date la première édition des Siete Partidas ?
  4. Comment sont classées les Siete Partidas ?
  5. Résumez en un paragraphe le contenu des sept chapitres de l’oeuvre.

Sources éditées

Antonio Pérez Martín (éd.), 2015 Fuero Real, Madrid, Boletín Oficial del Estado.

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