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Les Constitutiones Regni Siciliae. Le Liber Augustalis

Introduction

Entre les XIe et XIIe siècles, parallèlement à l’affirmation des pouvoirs universels du pape et de l’empereur, enracinés dans un mouvement de légitimation divine issu d’un lointain passé, l’Europe commence à expérimenter de nouveaux modèles de gouvernement. Ils se caractérisent par un contrôle direct du territoire, un exercice des pouvoirs publics (justice, perception de l’impôt) et une maîtrise de la fonction législative. Le régime monarchique apparaît presque simultanément en Angleterre, en France, dans la Péninsule Ibérique et en Italie du Sud. Les modèles culturels qui soutiennent le pouvoir public monarchique dans ses différentes manifestations semblent tous être marqués par le facteur de sacralité. Ce qui distingue le roi des autres seigneurs territoriaux n’est pas tant l’étendue de sa juridiction et de ses pouvoirs qu’une légitimation symbolique par le charisme. La constitution royale se distingue donc aussi des autres formes de législation par ses matrices « culturelles ». Le commandement, c’est-à-dire l’établissement d’un nouvel ordre (qui s’étend du domaine de la justice à celui de l’administration et à celui des relations entre les individus), s’accompagne de références généralement tirées des Saintes Écritures et de la compilation de droit romain par excellence, le Corpus Iuris Civilis de Justinien.

Le cas de la Sicile est paradigmatique mais en même temps exceptionnel. La naissance du royaume en 1130, sa structure administrative et sa législation initiale sont conformes à ce qui se passe dans d’autres monarchies, en particulier au sein de la monarchie normande d’Angleterre. Pourtant, les matrices culturelles présentes en son sein (latine, musulmane, grecque et lombarde) déterminent une particularité visible dans l’image même des souverains de Sicile ainsi que dans le fonctionnement du nouveau régime. Cette différence s’accentue avec l’accession au trône de Frédéric II de Hohenstaufen (1198-1250), souabe par son père et normand par sa mère. Petit-fils de Frédéric Barberousse, empereur du Saint-Empire romain germanique (1155-1190), et de Roger II de Hauteville, premier roi de Sicile (1130-1154), Frédéric sera placé sous tutelle pontificale. Au cours de son long règne, Frédéric II se heurte à pas moins de quatre souverains pontifes et fait l’objet de nombreuses excommunications. Pour se défendre face à cette menace, celui qui fut à la fois empereur du Saint-Empire (depuis 1215) et roi de Sicile, cherche ainsi à dicter la ligne d’un nouveau pouvoir en promulguant le Liber Augustalis (désormais LA), l’un des textes normatifs les plus significatifs de la civilisation juridique occidentale.

Promulguée en 1231 et modifié avec des ajouts jusqu’en 1248 par le souverain, le LA est un exemple de ius proprium, c’est-à-dire ce droit institué pour un ordre particulier (territorial ou personnel) et en vigueur uniquement au sein de cet ordre. Le LA est resté en vigueur dans le royaume de Sicile jusqu’au début du XIXe siècle. Il a été abrogé avec l’entrée en vigueur du Codice per lo Regno delle Due Sicilie (« Code pour le royaume des Deux Siciles »), dans le royaume de Naples (citra farum) en 1809 puis dans le royaume de Sicile (ultra farum) en 1819.

Le pouvoir de légiférer

Roi du Regnum Siciliae et empereur du Saint-Empire romain germanique, Frédéric II maintient ses deux couronnes séparées et la législation du LA s’adresse exclusivement à son royaume insulaire. La portée « révolutionnaire » de l’intervention régulatrice de Frédéric est explicitée dans le préambule (prooemium) du livre. À l’instar des règles justiniennes qui sanctionnaient l’entrée en vigueur et la validité des parties du Corpus Iuris de Justinien, il constitue une sorte de règle de promulgation. Selon le préambule, la nouvelle législation se rapporte directement à la cosmogonie et en est la continuation et la conséquence logique. Après avoir créé l’univers, Dieu crée l’homme et la femme, les rend immortels et les soumet à une loi : c’est là le fondement du pouvoir. La loi, donnée par le pouvoir d’établir les normes juridiques, lie les sujets. Leur bonheur extraordinaire cesse avec la désobéissance : ils deviennent alors mortels. Et de la désobéissance naissent les maux de l’humanité et les discordes dues à la division des biens qui, selon la loi naturelle, étaient communs. Pour apaiser ces discordes, un gouvernement des choses du monde devient nécessaire. Le souverain, chargé de gouverner, a donc l’obligation de cultiver la justice (iustitiam colendo) et de créer le droit, afin que le don du royaume directement reçu de Dieu puisse être doublé, comme dans la parabole des Talents. Le fondement du pouvoir de légiférer, selon la théologie politique exprimée dans le LA, réside dans la justice ; la loi est l’instrument dont dispose le roi pour maintenir l’ordre et garantir la justice dans le royaume (Conte-Mayali-Pasciuta, 2019).

Les références au pouvoir législatif du souverain et à sa prérogative exclusive de fonder la loi dans le royaume reposent sur des références juridiques et théologiques. Si, d’une part, Frédéric II invoque directement Dieu comme source de sa légitimité, d’autre part, il se réfère expressément au droit romain et au fondement séculier du pouvoir. Dans la Cost. Non sine grandi (LA I 31), il est fait explicitement référence à la Lex regia de imperio, par laquelle le peuple romain aurait transmis au princeps la potestas de faire les lois ; cette disposition, rappelée dans un fragment d’Ulpien (D 1.4.1, pr.) et dans d’autres passages du Corpus de Justinien (Inst. 1.2.6 et C 1.17.1,7), était devenue au Moyen Âge le fondement de la légitimation du pouvoir royal et impérial. Il faut tenter de le libérer de la dérivation divine exclusive et omniprésente, et donc de l’intermédiation pontificale (Pio, 2011).

LA I 31, Non sine grandi

« Ce n’est pas sans un grand conseil et une réflexion approfondie que les Quirites ont transféré au prince romain, au moyen de la Lex regia, le pouvoir de promulguer des lois et le pouvoir souverain, afin que de celui qui, grâce à l’appui de la fortune de César, gouvernait les peuples avec puissance, jaillisse l’origine de la justice, d’où découlerait sa défense ». (LA, I 31, Non sine grandi).

Revenant au niveau de l’exercice concret du pouvoir, Frédéric II termine son préambule par une partie explicitement dispositive. La nécessité de donner de nouvelles lois à son règne découle de la situation particulière dans laquelle s’est trouvé le royaume d’abord en raison de son jeune âge et ensuite de son absence due aux événements de l’élection impériale troublée (Stürner, 1983).

LA, Prooemium

« Puisque donc le royaume de Sicile, précieux héritage de notre majesté, tant par la faiblesse de notre jeunesse que par notre absence, a été affligé jusqu’à ce jour par les attaques des tumultes passés, nous avons décidé qu’il était digne de pourvoir à sa paix et à sa justice avec un grand effort, puisque, même face à la résistance de certains qui n’appartenaient pas au giron dudit royaume ni au nôtre, nous l’avons toujours trouvé prêt et dévoué au service de notre sérénité ». (LA, Prooemium)

Le souverain se doit d’intervenir pour rétablir l’ordre qu’il a contribué à troubler. Le dispositif ne laisse aucune place à l’incertitude : les règles qu’il promulgue ne sont valables que dans le regnum (et donc pas dans l’Empire). Leur entrée en vigueur entraîne l’abrogation de toutes les lois et coutumes alors en vigueur et qui entreraient en contradiction avec la teneur des nouvelles règles. Sur ordre du souverain, la législation antérieure (celle de ses prédécesseurs comme la sienne) avait déjà été incorporée dans le nouveau recueil de lois. Les règles extravagantes, c’est-à-dire celles qu’il avait décidé de ne pas transposer, auraient définitivement perdu leur validité et n’auraient pu trouver d’utilité ni à la cour ni à l’extérieur de celle-ci.

LA, Prooemium

« Nous voulons donc que les sanctions actuelles de notre nom ne prennent effet que dans le royaume de Sicile et, après avoir annulé les lois et coutumes antérieures dudit royaume qui sont contraires à nos constitutions, nous ordonnons qu’elles soient inviolablement observées par tous à l’avenir ; nous avons ordonné que toutes les sanctions antérieures des rois de Sicile et les nôtres soient incluses, de sorte que rien de ce qui n’est pas contenu dans le corps actuel de nos constitutions ne puisse acquérir de force ou d’autorité dans les jugements ou en dehors d’eux ». (LA, Prooemium)

La rédaction du Liber Augustalis

Nous ne savons pas grand-chose sur la manière dont le Liber Augustalis a été rédigé. Les conjectures que l’immense historiographie concernant Frédéric II a fourni sont des plus variées, mais restent au stade de l’hypothèse (Stürner, 1996). Ce qui est certain, c’est qu’en 1220 encore, le roi de Sicile ordonne que « les bonnes coutumes et pratiques en usage à l’époque du roi Guillaume [II] » soient observées dans son royaume. Il s’agit de la première disposition de ce qu’il a été convenu d’appeler plus tard « les Assises de Capoue », exclusivement transmises grâce à la chronique de Riccardo da San Germano (Garufi, 1936-1938).

La situation change radicalement au cours de la décennie suivante. En 1230, Frédéric ordonne aux seigneurs hauts justiciers (iusticiarii) du royaume qu’ils amènent, dès que possible, quatre hommes chacun. Choisis parmi les plus âgés et les plus instruits, ils devront connaître les lois des souverains normands, de Roger II de Hauteville (le grand-père maternel du souverain souabe) à Guillaume II (1166-1189), ainsi que les coutumes et pratiques en vigueur dans le royaume approuvées par ses prédécesseurs (Winkelman, 1880). Cette phase de reconnaissance de la réglementation en vigueur dans le royaume s’est déroulée alors que la rédaction du nouveau texte juridique était à un stade avancé. Au cours de l’été 1231, le pape Grégoire IX (1227-1241) tente d’empêcher sa promulgation.

« Nous avons appris que vous avez l’intention de promulguer de nouvelles constitutions, de votre propre initiative ou séduits par les conseils insensés d’hommes pervers, et il s’ensuit nécessairement que l’on dit de vous que vous êtes un persécuteur de l’Église et un destructeur de la liberté publique ». (Pennington, 1993, p. 59)

Le pape s’adresse donc à Frédéric II, qui a pris connaissance du projet de nouveau corpus législatif, et demande officiellement au souverain de s’abstenir de promulguer de nouvelles lois « car les innovations de ce type engendrent généralement de graves scandales ». (huiusmodi novitates gravia solent scandala suscitare) (Pennington, 1993).

La lettre que le pape adresse à Giacomo, archevêque de Capoue, très proche du souverain souabe et manifestement actif dans l’élaboration de ces nouvelles règles de droit, a un contenu similaire mais un ton beaucoup plus sévère.

« Il nous a été rapporté comme une nouvelle certaine que vous avez donné à Frédéric le texte des nouvelles constitutions […] qui sont destructrices du salut et génèrent d’énormes scandales, et que vous vous cachez derrière la feuille de vigne de la faible excuse que vous n’êtes pas celui qui dicte les lois mais la plume qui les écrit ». (Pennington, 1993, p. 61)

Le pontife lui a enjoint d’abandonner immédiatement son entreprise et de travailler à empêcher le scandale des nouvelles lois de se produire (Pennington, 1993). Les lettres de Grégoire IX permettent de comprendre pourquoi nous en sommes restés à des hypothèses sur la manière dont le LA a été rédigé. L’information concernant la participation active de Giacomo de Capoue a été rapportée au pontife. Le ton de la lettre semble permettre de déduire que, lors d’un échange antérieur, Giacomo s’était disculpé auprès du pontife, affirmant qu’il n’était qu’un simple rédacteur et non celui qui a dicté le texte (dictator). Frédéric II, quant à lui, ne mentionne jamais de « commission » chargée de rédiger le nouveau corpus ni d’auteur responsable des normes. En d’autres termes, la paternité de l’ensemble du corpus devait être renvoyée à son auteur politique. Ce n’est qu’à cette condition que ces règles auraient eu la force nécessaire pour être observées. Certes, le souverain n’a pas été le seul auteur matériel des lois, mais le silence sur la manière dont elles ont été composées n’est pas seulement dû aux accidents de l’histoire.

La tradition manuscrite et les problèmes de reconstruction des textes

Les Constitutions de Melfi de 1231

Les règlements édictés à Melfi en 1231, communément appelées « Constitutions de Melfi » (« massa di Melfi » en italien), constituent le premier noyau – et le plus substantiel – du Liber Augustalis.

Au cours de son long règne, Frédéric II a continué à légiférer, édictant de nouveaux règlements ou modifiant partiellement ceux qui étaient déjà en vigueur. Il n’est pas possible d’établir avec une certitude absolue quelle était la configuration d’origine, ni quels ont été les ajouts ou modifications ultérieurs. La tradition manuscrite est, à cet égard, assez inégale. Cependant, l’historiographie, même la plus récente, semble converger, avec un bon degré d’approximation, sur l’identification des Constitutions de Melfi dans certains manuscrits latins et dans les manuscrits contenant la traduction grecque du LA.

Trois massifs documentaires permettent d’identifier les normes issues des Constitutions de Melfi dans le LA : 1) un groupe de manuscrits latins ; 2) tous les manuscrits grecs ; 3) la Glossa ordinaria de Marinus de Caramanico (c. 1240 – m. 1285/1287). Dans les deux premières sources énumérées ici (et pour lesquelles voir les indications ci-dessous), les mêmes normes apparaissent et elles sont transcrites dans le même ordre. Et Marinus commente principalement les Constitutions de Melfi en se limitant à indiquer explicitement quand et où le souverain est intervenu pour modifier le texte.

Selon cette reconstitution « externe », réalisée par Capasso (Capasso, 1871), puis complétée par Stürner (Stürner, 1996), les règlements émis à Melfi en 1231 sont au nombre de 226. Il s’agit d’une législation qui incorpore, comme mentionné dans le préambule du LA, les lois des souverains normands précédents et certaines règles données par Frédéric lui-même au Regnum à des occasions antérieures.

En ce qui concerne la législation normande, 38 normes sont attribuables à Roger II (cf. liste dans Stürner, 1983) et presque toutes se trouvent dans le manuscrit des Assises d’Ariano (Vat. Lat. 8782). L’attribution des normes indiquées sous la rubrique « rex Guillelmus » est plus complexe. En effet, aucun manuscrit ne précise si l’auteur est le premier, Guillaume Ier de Hauteville (1154-1166) ou le second, Guillaume II, roi sous ce nom. Avec une bonne approximation, l’historiographie tend à attribuer 27 de ces normes à Guillaume II, le seul des deux souverains à être désigné à plusieurs reprises par Frédéric comme « consobrinus noster » (Stürner, 1996, p. 74-76).

La version de la Vulgata du Liber Augustalis

La version dite de la Vulgata du LA consiste en une réorganisation, après la mort de Frédéric II en 1250, du corpus original de Melfi de 1231 et des novellae du souverain, c’est-à-dire les constitutions ou les ajouts faits par Frédéric II jusqu’en 1246. Cette version est divisée en trois livres, contenant respectivement 107, 52 et 94 constitutions. Cette version est précédée du célèbre préambule (prooemium), qui se caractérise par son élégance et sa force conceptuelle. Frédéric II s’y réfère à une pluralité de sources bibliques, littéraires, philosophiques et, bien sûr, romanes. Le livre I s’ouvre sur les règles de défense de la foi et s’intéresse principalement au droit public au sens large, en traitant de la maiestas, de la paix dans le Regnum et de l’ordre public. Le livre II réglemente de manière organique les aspects relatifs à la procédure judiciaire. Enfin, le livre III contient les constitutions de droit féodal, de droit pénal et de droit privé.

Les manuscrits conservés

Les 22 manuscrits qui contiennent les constitutions de Frédéric II pour le Regnum Siciliae peuvent être datés entre la fin du XIIIe et la fin du XVe siècle. Ils se répartissent en trois groupes :

Les principales éditions imprimées
Les éditions imprimées du Liber Augustalis (XVe-XVIIe siècles)

Au XVe siècle

1475 :

Naples 1475, S. Riessinger/F. Del Tuppo

1492 :

Naples, 1492 F. Del Tuppo

Au XVIe siècle

1506 :

Venise, 1506, N. Superanzio

1521 :

Naples 1521, C. de Perrinis-P.P. d’Anna

1533 :

Lyon 1533, N. Superanzio

1533 :

Naples 1533, C. de Perrinis-P.P. d’Anna

1534 :

Lyon 1534, N. Superanzio

1537 :

Lyon 1537, N. Superanzio

1545 :

Naples 1545, C. de Perrinis-P.P. d’Anna

1552 :

Naples 1552, C. de Perrinis-P.P. d’Anna

1559 :

Lyon 1559, G. Sarayna

1560 :

Lyon 1560, G. Sarayna

1568 :

Lyon 1568, G. Sarayna

1580 :

Venise 1580, G. Sarayna

1590 :

Venise, 1590, G.B. Muzillo

Au XVIIe siècle

1605-43 :

Naples 1605-1643, C. Tapia

1613 :

Francfort-sur-le-Main 1613, F. Lindembrogio

La première édition imprimée du LA en 1475 est napolitaine. Cette editio princeps contient la version de la Vulgata du texte avec l’apparatus et le célèbre préambule de Marinus de Caramanico (1475). En 1492 paraît la seconde édition, qui modifie la première en plusieurs parties et présente des variations considérables dans l’attribution des constitutions (1492).

Le XVIe siècle se caractérise par de nombreuses réimpressions du corpus de Frédéric II. Elles sont principalement destinées à la pratique judiciaire. Le premier groupe d’éditions est enrichi par l’apparatus de Marinus et le commentaire d’Andreas de Isernia (c. 1220/30 – c 1316). (1506 ; 1533 ; 1534 ; 1537). Le deuxième groupe comprend quatre versions imprimées à Naples et éditées par Cesare de Perrinis et Pietro Paolo D’Anna. Ce groupe a la particularité de contenir des versions modifiées à partir d’anciens codices qui, selon Bartolomeo Capasso (1815-1900), étaient inconnus des autres éditeurs (1521 ; Naples 1533 ; 1545 ; 1552). Le troisième et dernier groupe d’éditions du XVIe siècle comprend cinq versions : les quatre premières (1559 ; 1560 ; 1568 ; 1580), peu importantes, éditées par Gabriele Sarayna, et la cinquième (1590) imprimée à Venise et éditée par Giovanni Battista Muzillo.

Au siècle suivant, l’intérêt pour le LA a considérablement diminué, car la principale source de ius regni était les Pragmatiques Sanctions (Pragmatica Sanctio) émises par les rois. À la même époque, l’édition juridique a commencé à manifester un grand intérêt pour les recueils systématiques des sources normatives en vigueur. La collection des Ius Regni Neapolitani éditée par Carlo Tapia et publiée entre 1605 et 1643, qui contient également les constitutions de Frédéric II, est importante à cet égard. La version de 1613 est un autre exemple éditorial qui montre clairement la prise en compte par le XVIIe siècle de la compilation de Frédéric. Cette édition ne répond pas aux besoins de la pratique juridique, mais aux besoins de l’érudition qui s’affirmait dans la sphère juridico-historique. Cette nouvelle entreprise éditoriale fait ainsi partie du plus large Codex legum antiquarum et témoigne d’une approche purement philologique du texte des constitutions.

La fortune juridique et éditoriale du LA se modifie au cours du XVIIIe siècle. En 1734, le royaume de Sicile, comme le royaume de Naples, est envahi par les troupes de Charles de Bourbon (1716-1788), ce qui soustrait l’île à la domination autrichienne et rétablit la souveraineté du royaume. L’année suivante, la chaire de diritto patrio est créée à l’Université de Naples et la nécessité pratique et conceptuelle de rationaliser et de systématiser le grand nombre de sources normatives en vigueur dans le Regnum commence à se faire sentir.

Au XVIIIe siècle, il existe trois éditions des constitutions de Frédéric II d’une importance fondamentale. La première est l’édition napolitaine de 1773 éditée par Antonio Cervone, peu appréciée par les historiens et les érudits qui auraient préféré une plus grande précision et une plus grande attention philologique au texte. L’intention de Cervone était cependant de fournir un instrument complet des lois en vigueur dans le royaume. En ce sens, on peut comprendre la décision de réimprimer non seulement le LA mais aussi les chapitres angevins accompagnés de l’apparatus doctrinal et des index. La deuxième édition du XVIIIe siècle est une œuvre vénitienne de 1781 dirigée par Paolo Canciani. L’origine extra regnum de l’édition trahit son intention nettement philologique et érudite. Le volume sur les constitutions de Frédéric II fait en fait partie d’une vaste collection de cinq volumes consacrée aux Barbarorum leges antiquae. La troisième entreprise éditoriale, imprimée à Naples en 1786, est l’œuvre de Gaetano Carcani. Cette réimpression, très appréciée au fil du temps, est basée sur l’editio princeps de 1475. Pour la première fois dans l’histoire de l’édition du LA, le texte grec apparaît également, ce qui est très utile pour reconstituer la strate originale de la compilation melfitaine. Cette édition de Carcani conclut l’histoire éditoriale des constitutions de Frédéric II en tant que source normative en vigueur jusqu’au début du XIXe siècle.

Les éditions des XIXe et XXe siècles répondent évidemment à des intérêts principalement historiographiques. L’édition de Jean-Louis-Alphonse Huillard-Bréholles (1817-1871) basée sur deux manuscrits parisiens (Paris, BnF, ms. lat. 4624 A et ms. lat. 4625) est remarquable. Dans son Historia Diplomatica Friderici Secundi (Paris, 1852-1861), l’éditeur propose un texte abrégé des constitutions de Frédéric II en séparant le texte original de 1231 des novellae.

L’édition critique de Wolfgang Stürner

Du point de vue de l’histoire du droit, la tradition éditoriale du Liber Augustalis culmine avec l’édition critique de Wolfgang Stürner publiée en 1996 dans la série Leges des Monumenta Germaniae Historia (Stürner, 1996). Elle est disponible en libre accès.

L’édition de Stürner offre une comparaison précise des différents témoins manuscrits, des éditions imprimées et des sources historiographiques, sans négliger les manuscrits contenant la version grecque des Constitutions de Frédéric II. Le texte de chaque constitution est accompagné d’un commentaire critique qui permet aux chercheurs de se référer aux différentes variantes, justifiant ainsi les choix opérés par l’éditeur pour reconstruire le texte de la manière la plus rigoureuse possible. Le LA ne représentant pas la totalité de l’action législative du souverain, il fallait choisir entre conserver le corpus melfitain dans son intégralité, comme l’avait déjà fait Huillard-Bréholles, ou rompre son unité en insérant de nouvelles constitutions au fur et à mesure de leur apparition, choix préféré par Stürner. La publication de Stürner restitue ainsi au savant l’ensemble des apports législatifs du Regnum Siciliae sous le règne de Frédéric II. Dans l’appendice, l’éditeur joint aux différentes constitutions frédériciennes un certain nombre de lois et de dispositions définies comme Leges extravagantes, dont il n’a pu établir la datation et qui ne figurent que dans un ou deux manuscrits. Mais il indique qu’elles ont été publiées dans les éditions de Carcani (1786), de Huillard-Bréholles (1852-1861) et d’Hermann Conrad (1973). Le texte des Constitutions de Frédéric II, précédé d’une vaste bibliographie et d’une introduction philologique, historique et historiographique approfondie, est enrichi de quatre outils de travail importants : une liste des manuscrits cités (Handschriftenverzeichnis), une liste des incipit (Initienverzeichnis), une liste des rubriques (Rubrikenverzeichnis) et un index des mots utilisés dans les textes (Wortindex).

Le Liber Augustalis dans son contexte.
L’Ordo iudiciarius et les relations avec le droit canonique

Le lien entre la justice et le droit est le véritable fil conducteur de la nouvelle législation frédéricienne. Le souverain est le seigneur de la justice et sa principale action de gouvernement consiste à veiller à ce que tous les sujets voient leurs droits respectés. La nouvelle législation doit servir à concrétiser ce postulat politique.

LA I 31, Non sine grandi

« On peut donc montrer qu’il est nécessaire, et pas seulement utile, que lorsque ces deux éléments, c’est-à-dire l’origine du droit et sa conservation, concourent dans la même personne, ni la justice ni la rigueur ne manquent. Il faut donc que César soit père et fils de la justice, seigneur et serviteur, père et seigneur dans la promulgation de la justice et dans sa conservation une fois promulguée. Ainsi, vénérant la justice, qu’il soit un fils et, l’administrant en abondance, qu’il soit un serviteur ». (LA I 31, Non sine grandi).

Pour rendre la justice, il faut des officiers et des règles qui permettent le bon déroulement du procès. Dans le LA, à côté d’un ensemble important de règles régissant les rôles et les compétences des officiers (dont la tâche est d’en assurer le respect dans la pratique), il existe un ensemble tout aussi important de règles régissant le procès dans toutes ses phases, un véritable ordo iudiciarius.

Les règles de procédure font toutes partie des Constitutions de Melfi, elles sont donc toutes données en 1231 et constituent toutes des règles de Frédéric II, ce qui marque un changement clair par rapport à la tradition normative précédente. Conformément au schéma formalisé par les ordines iudiciarii, les règles du procès suivent un ordre préétabli. Tout d’abord, on retrouve les dispositions générales qui sont contenues dans les constitutions I 31 à I 35. La Cost. Non sine grandi (LA I 31) constitue un préambule dans lequel la solennité et l’élégance du style rhétorique soulignent l’importance du sujet traité. Le souverain veut administrer la justice pour tous ses sujets « sans exception » (absque exceptione qualibet personarum) ; pour ce faire, il utilisera un groupe d’officiers royaux nommés à cet effet et, là encore, la justice civile et la justice pénale devront suivre deux voies spécifiques et être gérées par différents officiers. Ensuite, les dispositions suivantes réglementent la conduite morale et le comportement des parties et de leurs avocats devant les tribunaux, (LA I 32, Cultus iustitie) l’ordre de connaissance des affaires (LA I 33, Iusti cultoris) et l’assistance judiciaire gratuite pour les debiles (LA I 34, Lege presenti).

Viennent ensuite les règles concernant spécifiquement le déroulement du procès. Elles sont divisées en deux noyaux compacts : le premier comprend les constitutions I 96 à I 107 et régit les phases préparatoires du procès et du jugement par contumace ; le second (Cost. II 17 à Cost. II 45) traite du déroulement de la procédure à partir de la litis contestatio. Dépourvues de la rhétorique qui caractérise les constitutions que l’on pourrait qualifier d’accomplies ou d’uniques, ces dispositions sur le procès sont des instructions techniques, précises et directes, des dispositions qui semblent avoir été écrites sans interruption : en les lisant dans l’ordre, le discours s’écoule sans heurt. La scansion avec laquelle, selon toute vraisemblance, ils ont été présentés dès leur promulgation, retrace celle adoptée également par les ordines du début du XIIIe siècle. En effet, à partir de l’ordo de Tancrèdus (c. 1186-1236), la matière procédurale est subdivisée en titres et en paragraphes. Cette nouvelle présentation permet de rendre claire et explicite la grille argumentative qui, jusqu’à présent, n’était que présupposée par les précédents ordines iudiciari.

Par le biais du LA, les préceptes que la doctrine avait formalisés dans les ordines iudiciarii et dans les commentaires de la compilation de Justinien se transforment en ius proprium du royaume ; ils sont dotés de la force autoritaire et fondatrice qui découle exclusivement du commandement. Ils sont donc appliqués non seulement dans la mesure où ils sont partagés et acceptés par le groupe des juristes et des praticiens du droit, mais aussi et surtout dans la mesure où ils sont incorporés dans la forme de la loi.

En termes de quantité, d’organicité, d’exhaustivité et de précision, les normes de Frédéric II n’ont pas d’équivalent dans la législation séculière contemporaine. Bien entendu, on pense immédiatement aux compilations canoniques, qui consacrent un espace fixe au iudicium, établi dans le deuxième livre et jamais abandonné, dès la première Compilatio Antiqua. Du point de vue de la régulation procédurale, il est donc possible de tracer un lien assez évident entre le LA et les recueils normatifs de la matrice canonique, un lien qui est évidemment plus général. D’une part, Frédéric s’inspire certainement du droit canonique, tant au niveau du contenu que de la forme ; d’autre part, l’architecture grandiose de sa compilation semble représenter la réalisation concrète de premiers achèvements que le droit canonique n’avait jusqu’alors atteints qu’en théorie, mais qui n’avaient pas encore abouti à des résultats concrets. La coïncidence chronologique entre le Liber Augustalis (1231) et le Liber extra (1234) représente certainement la manifestation la plus évidente de cet échange mutuel.

POUR FAIRE LE POINT

  1. La Cost. Non sine grandi (LA I 32) peut être considérée comme le preambule d’un ordo iudiciarius. Pouvez-vous réussir à reconstruire les phases de ce processus à travers les normes du Liber Augustalis ?
  2. Lisez le préambule (prooemium) et identifiez les étapes logiques qui, depuis la création du monde, conduisent Frédéric II à la législation du Liber Augustalis. Indiquez également le domaine d’application des nouvelles normes, en vous basant sur le texte de Frédéric.
  3. Quelle est la version de la Vulgata du Liber Augustalis ? Quelles sont les autres variantes textuelles connues ?
  4. Comparez la constitution Post citationem emissam (L.A. II. 16) en la lisant d’abord dans le manuscrit Cité du Vatican, BAV, ms. Vat. Lat. 6770, fol. 30v, puis dans l’édition imprimée Carcani (Naples 1786) (p. 128) et enfin dans l’édition critique de Stürner (p. 317). Quelles différences trouvez-vous dans les trois versions consultées ?

Sources éditées

Carlo Alberto Garufi (ed.), 1936-1938 Ryccardi de Sancto Germano Notarii Chronica, Bologne, Zanichelli.

Wolfgang Stürner (éd.), 1996 « Die Konstitutionen Friedrichs II. Für das Königreich Sizilien », Monumenta Germaniae Historica. Constitutiones et acta publica imperatorum et regum, t. 2 supplementum, Hanovre, Hahnsche Buchhandlung.

Eduard Winkelmann (ed.), 1880 "Acta imperii inedita seculi xiii et xiv", Urkunden und Briefe zur Geschichte des Kaiserreichs und des Königreichs Sizilien, In den Jahren 1198 bis 1273, vol. 1, Innsbruck.

Bibliographie :

David Abulafia, 1977 « Kantorowicz and Frederick II », History. The Journal of the Historical Association, 62, p. 193-210.

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La législation dans le royaume de France (XIIIe-XVe siècles)

La législation à l’époque médiévale n’est pas un objet qui se laisse facilement saisir (Génicot, 1977). Les travaux sur la renaissance du pouvoir législatif en témoignent à partir du milieu des années 1980. Ils en soulignent également tout l’intérêt et les enjeux contribuant à éclairer la « genèse de l’État moderne » et la « force de la loi » (Gouron et Rigaudière, 1988 ; Rigaudière, 2003). L’étude de la relation entre la loi et l’État est alors privilégiée, elle s’est enrichie plus récemment d’un élargissement par la prise en compte du pouvoir normatif (Petit-Renaud et Rousselet-Pimont, 2014).

Les titulaires du pouvoir de faire loi sont variés, la terminologie pour qualifier les actes est mouvante, le contenu des dispositions ne peut se satisfaire de la distinction contemporaine entre droit public et droit privé. Considérer la loi au Moyen Âge nécessite de la replacer dans une histoire des normes, des sources du droit et de l’affirmation du pouvoir royal. C’est aussi la resituer dans le développement des pratiques de l’écrit aux temps médiévaux. Cette évolution n’est pas propre aux actes normatifs royaux, elle intéresse d’autres acteurs politiques et institutionnels. L’affirmation et le développement du pouvoir législatif royal, ici seul envisagé, s’inscrivent dans un contexte plus global d’évolutions et de « révolutions ». Elles interviennent entre le XIIe siècle et le XIVe siècle. Elles se manifestent par le passage de l’oralité à l’écrit, de la confiance accordée à l’écrit et à sa fonction probatoire, du développement des écrits juridiques, de la révolution scripturale et documentaire, du « tournant archivistique » et du rôle de la « bureaucratie » en appui des pouvoirs princiers. S’intéresser à la législation du royaume de France invite ainsi à croiser différentes approches.

Au roi justicier s’ajoute la figure du roi législateur au cours des XIIIe et XIVe siècles. Le prince capétien développe les éléments contenus en germe dans sa mission relative à la tuitio regni. Il se doit de garantir par la justice la paix et d’assurer par de bonnes lois la protection des sujets. Cette capacité normative participe à l’affirmation du pouvoir royal par rapport au cadre féodal et à l’Empereur. L’enjeu tient à la reconnaissance et à l’exercice de la capacité du roi de pouvoir « édicter des normes juridiques de portée générale et d’application durable » (Rigaudière, 2003). Qu’en est-il du « pouvoir législatif » au XIIIe et à la fin du XVe siècle ? Comment aborder ce phénomène juridique, politique et institutionnel ? L’approche retenue ici est double et complémentaire. D’une part, elle rend compte d’une dynamique du pouvoir royal. L’exercice du pouvoir normatif est ainsi un des instruments de la construction de la souveraineté. Cependant, c’est une chose d’affirmer en théorie la souveraineté législative royale, cela en est une autre d’en matérialiser l’application en tous lieux du royaume. D’autre part, elle traduit le renforcement de l’institution royale par l’exercice du pouvoir de l’écrit. Cette force de l’écrit législatif participe, avec d’autres formes scripturales, au développement de la pratique d’administration, de la conservation des actes, de la circulation de l’information, d’une domination construite et de la fabrication symbolique et réelle d’une communauté politique.

Avant un contact direct avec les sources et une lecture approfondie de la bibliographie relative à la législation royale au Moyen Âge, ce dossier propose une démarche pratique et progressive. Il s’agit de donner à voir l’acte normatif royal en partant des corpus de sources. Leur analyse requiert alors la compréhension de la procédure législative et de resituer les actes normatifs royaux dans la construction d’une relation entre différents acteurs. Une étude de la source invite à considérer plus spécialement la qualification de l’acte législatif royal, sa composition et son contenu.

Accéder aux sources : les actes royaux

Du milieu du XIIe siècle à la fin du XVe siècle, une évolution du rythme de production de la loi et du pouvoir législatif royal est notable. Aux traces ténues d’une pratique limitée jusqu’au dernier quart du XIIIe siècle fait suite une période de développement des ordonnances royales. Elles sont l’expression d’un pouvoir législatif plus assuré pour l’ensemble du royaume.

Dans un premier temps, le rythme de production de lois est faible, ce nombre réduit est interprété diversement (Giordanengo, 1989 et 1997). Un acte en 1155 est identifié comme une première mesure législative royale présentant un caractère général et impersonnel. De telles mesures restent rares. Une vingtaine d’actes est connue sous le règne de Philippe Auguste (1180-1223). Avec le règne de Philippe IV le Bel (1285-1314), l’activité normative prend une autre ampleur avec quelques 250 textes : « la machine législative se met en route » (Krynen, 2022).

De manière plus générale, la production d’écrits royaux s’accroît. Elle passe d’environ 4 000 actes sous Philippe IV à 34 000 actes à la fin du XIVe siècle. La typologie des actes connus de la chancellerie se fixe au début du XIVe siècle avec « les lettres patentes en forme de charte », « les chartes solennelles ad perpetuam rei memoriam » ; les « lettres patentes » et les « mandements ».

Les divers actes de plus en plus nombreux parvenus à nous invitent à considérer la constitution de différents corpus et collections à partir de la fin du Moyen Âge et aux siècles suivants. Les corpus rassemblés résultent d’initiatives privées et de décisions royales. Dans la « traque » du fait normatif du prince, le chercheur a accès à des sources manuscrites et imprimées.

Pour les Archives nationales, diverses séries renferment une masse considérable d’actes, qu’il s’agisse des séries J et JJ du Trésor des chartes (1 020 cartons et 422 registres), dont J 148 à 735 pour les layettes (1261-1270) et JJ 35 à 266 pour les registres de chancellerie stricto sensu (1286-1568). La série K. Monuments historiques (cartons K et registres KK) donne des informations relatives à des chartes, notamment pour les villes qui sont le siège d’un parlement ou bien encore avec des ordonnances de la prévôté des marchands (KK 1007), dont l’activité intéresse la notion de police et le pouvoir royal. Une pratique de conservation avec la volonté d’organiser un dépôt permanent de la part de la monarchie se manifeste à partir de 1231. Un lieu est spécialement dédié à cette garde des actes dans une annexe de la Sainte-Chapelle du Palais. Au début du XIVe siècle, un personnel en a la charge avec deux figures notables que sont Pierre d’Étampes et plus tard, Gérard de Montaigu. La série U des Archives nationales avec la Collection Le Nain renferme des ordonnances et des lettres patentes (1337-1661). Les Archives nationales conservent également le dépôt de fonds d’institutions médiévales qui enregistrent les actes normatifs royaux et en font application. Parmi ces institutions, les fonds du Parlement à Paris avec la série X sont des plus riches. D’autres institutions et juridictions donnent à voir l’activité normative du prince en certains domaines comme avec les séries P et Z. Dans la première est conservée, par exemple, « le premier acte réglementaire » organisant la chambre des comptes en février 1320 (n. s.) (Lalou, 1998). Cette ordonnance de Vivier-en-Brie participe du mouvement d’institutionnalisation de la première moitié du XIVe siècle d’organes royaux comme pour le Trésor, l’Hôtel du roi, etc. La série Z renferme des décisions relatives à des juridictions particulières telles que la Cour des aides et la Cour des monnaies. Les finances et la monnaie sont ainsi deux des domaines de l’activité législative royale.

À la Bibliothèque nationale, certaines collections contiennent quelques actes ou bien forment un ensemble plus systématique. Des collections privées d’actes ont été constituées. Tel est le cas avec la collection d’imprimés d’Antoine Fontanon (Edicts et ordonnances des roys de France, depuis Louis VI, dit le Gros, jusques à présent, 1580) qui referme un recueil d’ordonnances depuis 1108. La collection de manuscrits de Dupuy intègre la Bibliothèque du Roi en 1645 (Solente, 1927). D’autres collections sont connues comme celle d’André Duchesne où se trouvent, par exemple, l’ordonnance de Bourges du 16 novembre 1318 (ORF, I, p. 668-673 ; volume 47, f° 429) ainsi que des extraits de diverses ordonnances (volume 49, f° 542). Une autre collection est celle de Louis-Georges-Oudart Feudrix de Bréquigny avec les volumes 40 à 43. Il a participé à la publication des tomes X à XIV du Recueil des ordonnances des rois de France.

Les archives locales gardent aussi trace de l’activité législative des rois de France à partir des fonds d’institutions royales. Parmi celles-ci, les sources conservées pour les parlements provinciaux ont fait l’objet de travaux (Frelon, 2011). Les registres fournissent des informations relatives à l’enregistrement des ordonnances royales comme par exemple à Toulouse en juin 1444.

Les actes pris et conservés de manière isolée requièrent avec le déploiement du pouvoir normatif royal d’être réunis en un ensemble de textes. Des recueils de lois se font jour résultant d’initiatives privées et puis de manière officielle. Le juriste Étienne Aufréri (c. 1548-1511) établit un premier recueil organisé à la fin du XVe siècle (Arabeyre, 2011). Les enjeux de la conservation et de la publication des lois du roi s’affirment au cours de la première modernité de la part, d’abord, d’imprimeurs privés (Hildesheimer, 2012 ; Prévost, 2018). Un travail plus systématique est entrepris à partir du XVIIIe siècle. Un instrument de travail est constitué par la publication en 1706 d’une Table chronologique des ordonnances pour la période allant de 987 à 1400. Voulue par le pouvoir royal, cette Table est le résultat du travail d’un groupe d’avocats. Plus encore, la rédaction d’une collection d’actes législatifs royaux depuis la dynastie des Capétiens est le fruit d’une volonté politique officielle pour « édifier un monument à l’histoire du royaume envisagée à travers la fabrique de la loi » (Baudoin-Matuszek, 2009) : ce sont les Ordonnances des rois de France de la troisième race en 22 volumes (E. de Laurière et alii éd., Paris, 1723-1849 ; réimpression Farnborough, 1967-1968). Une autre entreprise est celle du Recueil général des anciennes lois françaises depuis l’an 420 jusqu’à la Révolution de 1789 en 28 volumes (Isambert, Decrusy, Jourdan éd. Paris, 1821-1830 ; réimpression Farnborough, 1965-1966).

Se repérer dans la procédure législative médiévale

Les actes législatifs manuscrits ou imprimés sont la manifestation d’un processus de rédaction qui a évolué entre les XIIe et XVe siècles tenant aux acteurs et à la justification du pouvoir de « faire la loi ».

Tout d’abord, du milieu du XIIe siècle jusqu’au règne de Philippe Auguste, le roi associe les barons à l’exercice de la capacité normative. C’est une mesure destinée à s’assurer que sa décision sera appliquée, hors de son domaine, sur les territoires dépendant de ses vassaux. Sans leur autorisation, « le roi ne peut mettre son ban sur [leur] territoire ». La mention du nom des barons qui ont souscrit à l’acte est importante. Tel est le cas avec la paix proclamée en 1155 et qui est jurée par les grands du royaume, excepté pour les terres sous contrôle des Plantagenêts (Martin, 2015).

Ensuite, les progrès de législation royale se mesurent à la capacité d’affirmer l’application de plus en plus générale des mesures édictées. En 1223, Louis VIII (1223-1226) accroît la portée d’une ordonnance relative aux Juifs. Outre les barons qui l’ont acceptée, elle doit s’appliquer également à ceux qui n’ont pas juré.

Dix ans plus tard, Louis IX (1226-1270) prévoit de contraindre de tels barons pour les obliger à observer les dispositions de l’ordonnance royale. La mention du nom des seigneurs devient de plus en plus secondaire. L’assentiment de la majorité d’entre eux est désormais essentiel. Cela traduit la maîtrise du roi suzerain et son évolution progressive en roi souverain.

Une évolution tient, à partir de la fin du XIIIe siècle, à ce que le roi prenne de telles dispositions en sa curia in consilio. Le conseil devient une institution à part entière dans l’organisation et le fonctionnement de la monarchie capétienne. Les établissements royaux font état de ce cadre renouvelé plus restreint qui est un point d’appui indispensable au développement de la capacité normative royale. La tenue des grandes assemblées féodales devient plus rare.

La renaissance intellectuelle du XIIe siècle et la formation d’une science du droit participent à un renouveau doctrinal de la loi sur des bases aristotéliciennes. Loi positive ou humaine, loi divine et loi naturelle retiennent l’attention en particulier de saint Thomas (Somme théologique). Toute loi pour être valide doit avoir un but équitable, une cause juste (iusta causa) et poursuivre le bien commun. Une « exaltation de la loi » (Albert Rigaudière) existe dans le cadre de l’Église qui influence la conception royale. Au roi justicier s’ajoute le roi législateur. N’étant point juriste, il est conseillé et s’appuie sur les savants formés aux leges romaines qui prennent de plus en plus d’importance dans l’entourage royal. D’autres, comme les canonistes et théologiens, réfléchissent également à la loi et exercent une influence. Les juristes royaux affirment dans le royaume de France, comme en d’autres espaces, le monopole législatif du roi comme « seul promoteur de la loi » (solus conductor legis), de sa pleine puissance (plena potestas condere legem) mais limité par la loi divine et la loi naturelle. Ils font du prince une « loi vivante sur terre ». Les indices de ce discours dogmatique favorable à la souveraineté normative sont perceptibles au cours du XIIIe siècle (Rigaudière, 2003). Elle est exprimée en 1254 par la mention de la plenitudo potestatis et par l’utilisation de la maxime tirée du Digeste (I,4,1) et des Institutes (I,2,6) : Quod principi placuit legis habet vigorem (« Ce qui a plu au prince a force de loi »). Les légistes ont aussi recours à la formule Princeps legibus solutus est (« Le prince est délié des lois », Digeste I,3,31).

Les auteurs médiévaux affirment que le roi peut « faire loys ou constitucions toutes nouvelles entre ses subjés » (Songe du Vergier, 1376) ou bien que « le roi de France qui est empereur en son royaume, peut faire ordonnance qui tienne et vaille loi, ordonner et constituer toute constitution » (Jean Boutiller, La Somme rural, fin du XIVe s.). À la fin du XVe siècle, le jurisconsulte Jean Ferrault, dans sa théorie des droits et privilèges du royaume de France, reconnaît au roi seul le pouvoir de faire des constitutions. La capacité normative du souverain est pleinement affirmée face à d’autres pouvoirs et la procédure législative plus assurée. Néanmoins, entre d’une part l’affirmation du pouvoir de faire la loi par les juristes, de la capacité royale à l’interpréter et à la modifier et, d’autre part, la pratique de l’exercice du « pouvoir législatif », un écart existe. Des pouvoirs concurrents produisent des normes comme en matière d’ordonnance de police (Rigaudière, 2003) et sont à l’origine d’« ordonnances seigneuriales » (Olivier-Martin, 1997).

L’absolutisme législatif du « Prince qui possède tous les droits enfermés dans les archives de sa poitrine » est nuancé par l’importance du recours au conseil et à la pratique du gouvernement par conseil. Le roi législateur se doit d’être éclairé. Si Philippe de Beaumanoir, bailli royal en Beauvaisis (1279-1283), affirme que « le roi est souverain par-dessus tous », il expose l’importance du recours au conseil. Dans Les Coutumes de Clermont en Beauvaisis, la conception du pouvoir édictal du prince distingue le temps de paix du temps de guerre. Dans la première situation, le roi doit respecter trois conditions pour pouvoir légiférer. Tout d’abord, la mesure doit être prise pour le commun profit de son peuple. Ensuite, elle doit correspondre à une raisonnable cause par son respect de la loi divine et morale. Enfin, elle doit être adoptée en « grand conseil ». Dans la seconde hypothèse d’un temps de nécessité, le roi n’est plus tenu par ces trois conditions. Il peut ainsi agir pour édicter tout établissement ayant pour objet le commun profit ou le bien commun. C’est dire que le prince, à qui est confié la « garde générale du royaume », dispose en principe d’une grande capacité.

Différents temps peuvent être distingués dans la fabrique de la loi éclairant la concertation, la consultation, l’association et l’intervention de divers acteurs. Ils ont fait l’objet d’une attention renouvelée par les historiens de la législation royale (Petit-Renaud, 2001 ; Rigaudière, 2003 ; Martin, 2009 ; Cauchies, 2019).

Un premier temps est celui de l’initiative de l’acte royal législatif. La compétence royale est exercée soit du propre mouvement (proprio motu) du prince soit en réponse à une requête. De 1328 à 1380, l’acte législatif est avant tout le résultat d’une sollicitation émanant des villes, des communautés de métier, du clergé, des agents royaux ou bien d’assemblées voire de particuliers ou d’une clameur du peuple. Ainsi, la clause de « propre mouvement » est très rare (Petit-Renaud, 2001) et le « poids de la requête » fort (Rigaudière, 2003). La prise de décision royale repose sur un ensemble de fondements (aequitatis, rationis et iuris) et d’arguments (bien commun, utilité et nécessité publique). Il s’agit de faire prévaloir l’utilité publique sur l’utilité privée selon les mots de Bartolus de Saxoferrato. Il importe de prendre en considération la nécessité qui justifie de modifier les normes ordinaires. Dans le cadre du gouvernement par conseil, les parlements participent à la formation de la norme royale. Un pouvoir normatif du Parlement distinct de celui du roi existe avec la pratique des arrêts de règlement, par exemple à la fin du XIVe siècle et au cours du XVe siècle. Ces mesures sont considérées par les avocats et les gens du roi comme des édits perpétuels et des ordonnances royales faisant du Parlement un « co-législateur » (Degoy, 2017).

Un second temps est celui de l’écriture contrôlée de la volonté du souverain. Ce rôle est dévolu à la chancellerie royale. Elle est l’organe en charge de l’élaboration et de la validation des actes. Une institutionnalisation de la chancellerie aboutit à en faire un organe de gouvernement. Son personnel se développe et il dispose d’un monopole de rédaction des actes royaux entre la fin du XIIe et le début du XIIIe siècle. L’ordonnance du 23 janvier 1286 officialise l’existence de dix notaires distingués des clercs de la chapelle du roi. La chancellerie ne se cantonne pas à la rédaction, à la mise en forme de l’acte, à la garde et à l’apposition du sceau. Elle s’affirme également dans le contrôle sur le fond de l’acte pour préserver les droits du roi. Cette idée d’un glissement d’un contrôle formel à un contrôle plus matériel de l’acte royal se manifeste au cours de la procédure d’enregistrement par les cours souveraines. Ce contrôle varie de la simple vérification à la possible remise en cause (Rigaudière, 2003). Les parlements jouent alors un rôle par l’exercice des remontrances (par exemple pour le parlement de Bordeaux ; Frelon, 2011).

Un troisième temps est celui du devenir de la loi du roi posant la question de son effectivité normative. La publication, la diffusion et la connaissance des ordonnances royales sont un enjeu d’importance pour asseoir l’autorité du pouvoir. La notification des actes royaux intervient dans le cadre judiciaire avec les parlements et les autres juridictions royales ; la formule employée est alors lecta publicata et registrata. La proclamation est aussi plus large auprès des populations. Des moyens d’information variés sont utilisés (cri, écrit, affichage) en des lieux publics tout aussi divers (place, marché, port, etc.). Sans cette publicité donnée aux lois du roi, leur application s’en trouve d’autant plus limitée. La question de l’observation des lois est essentielle (Génicot, 1977). Elle renvoie aux relais pour les faire accepter, aux obstacles et aux résistances à son application.

Des mots pour dire l’acte normatif royal

Parmi les normes émanant du monarque, on trouve les lettres royales qui intéressent une personne ou un groupe de personnes. Cette qualification désigne le support matériel de l’acte. Ces lettres sont expédiées sous la forme de lettres patentes. Elles sont ouvertes et se distinguent des lettres closes.

Une seconde catégorie a une portée plus générale renvoyant à l’acception moderne de loi. On parle principalement d’edictum, de constitutio, puis, à partir du XIIIe siècle, d’établissement et, enfin, au XIVe siècle, d’ordonnance. Il est à noter que le terme de loi est assez rare. De cet ensemble d’actes pris par le pouvoir royal, nombreux sont les travaux qui ont attiré l’attention sur le caractère fluctuant de la terminologie employée. La qualification des actes normatifs royaux est variable (Rigaudière, 2003).

L’édit désigne un acte ayant une portée spatiale limitée et qui régit des matières particulières. L’emploi du terme de constitution est restreint avec quelques cas dans les années 1330-1350 (Petit-Renaud, 2001). Le vocabulaire évolue et se fixe avec la qualification d’ordonnance. Elle trouve son origine dans le verbe du dispositif de l’acte et signifie sa portée générale (Baudoin-Matuszek, 2009). Ce vocable exprime l’autorité du prince en matière législative. Le terme d’ordonnance révèle néanmoins des flottements encore au XVIIIe siècle pour ceux qui, comme Laurière, sont chargés de rassembler de tels actes en une collection royale (Olivier-Martin, 1997). Ainsi, la frontière entre les différents types d’actes royaux et les choix opérés dans les Ordonnances des rois de France sont sujets à discussion lorsqu’aux dispositions présentant une portée générale s’ajoutent des privilèges et leur confirmation ainsi que des statuts d’un groupe professionnel. Les privilèges sont pris en considération par les travaux récents sur les lois du roi (Cauchies, 1982 ; Petit-Renaud, 2001).

Si l’empreinte du droit romain sur la qualification des actes législatifs royaux apparaît limitée, l’influence du vocabulaire hérité des compilations de Justinien est plus manifeste dans certains actes. Tel est le cas, par exemple, avec l’acte du 9 janvier 1304 (n.s.) interdisant les guerres privées et qui limite les duels privés reprenant une décision de Louis IX (Martin, 2015).

Identifier la mise en forme de l’acte

La lecture des actes législatifs royaux nécessite d’en repérer l’organisation interne. Leur structure obéit à une mise en forme précisée par la chancellerie. Leur analyse est l’objet de la diplomatique, c’est-à-dire « la science qui étudie la tradition, la forme et l’élaboration des actes écrits » (Vocabulaire international de la diplomatique : https://www.cei.lmu.de/VID/). La distinction des différents éléments diplomatiques fournit une possible méthode pour le dépouillement des actes royaux (Martin, 2009). La rédaction de l’acte normatif royal est devenue de plus en plus une « affaire de techniciens » (Rigaudière, 2003).

Repères diplomatiques

Invocation : place l’acte sous le patronage d’une personne divine.

Suscription : décline l’identité de l’auteur de l’acte.

Adresse : décline l’identité du destinataire de l’acte.

Salut

Préambule : ensemble de considérations générales, à valeur universelle, détachées du contexte particulier, qui motivent et légitiment l’acte (Guyotjeannin, 1999).

Notification : déclare la volonté de porter à la connaissance des lecteurs/auditeurs l’acte.

Exposé : circonstances qui ont amené la prise de décision.

Dispositif proprement dit : cœur de l’acte, dévoile et explicite la décision, l’action juridique.

Clauses finales : différentes types de clauses renvoyant principalement à la sanctio pour assurer la valeur juridique de l’acte et à une formalité requise et effectuée (par exemple la jussio pour l’ordre donné d’écrire l’acte).

Date

Signes de validation Signes de validation (par exemple avec la liste de témoins, signatures, sceau, etc.).

suscription
invocation
adresse
salut
exposé

CHARLES,  par la grâce de Dieu, Roy de France. A tous ceux qui ces présentes Lettres verront : Salut. Comme depuis naguère Nous eussions mandé et fait venir par-devers Nous en notre bonne ville de Paris, plusieurs Prélats, Chevaliers, Ecuyers, bourgeois de nos cités et bonnes villes, et autres notables personnages nos bons sujets, et à eux fait exposer en notre présence, les grandes affaires et charges que avons eu à supporter en ça, si comme encore avons de présent, tant pour occasion des discordes, débats et divisions qui longuement ont été en notre Royaume, pour lesquelles apaiser avons par la grâce de Notre Seigneur mis peine, remède et provisions conve-nables, comme pour ce que nos ennemis et adversaires d’Angleterre, en très grands nombre de gens d’armes et de trait, étaient descendus et entrés en plusieurs et diverses parties de notre Royaume, et déjà avaient pris par force et autrement, plusieurs de nos châteaux, villes et forteresses, en eux efforçant de jour en jour de conquester pays sur Nous ; et sur ce Nous qui avons désiret affection très singulière de pourvoir et remédier aux inconvénients éminentsqui étaient disposés d’en ensuir ou préjudice de Nous et de notre bon peuple,et de employer en ce notre personne, nos amis et toute notre chevance […] de Nous et de notre Royaume.

notification
dispositif

Savoir faisons que Nous en considération aux choses par eux baillées et proposées, désirant de tout notre cœur y mettre bonnes provisions et convenables remèdes, afin que dorénavant lesdits abus et inconvénients cessent de tout en tout, et que les faits de la chose publique de notre Royaume, tant au regard de toutes nos dites Finances et de notre dite Justice, comme autrement, soient remis en bon état et dument gouv-ernées au bien de Nous et de notre peuple, avons pour ce fait assembler par plusieurs fois, tant en la présence de Nous, comme de notre très chère et très aimée Compagne la Reine, de notre très Chrétien et très aimé ainé Fils le Duc de Guyenne Dauphin de Vienne et autrement à part plusieurs de notre Sang et Lignage, et autre de notre Grand Conseil, en très grand nombre, et par grande et mure délibération de Conseil […] Grand Conseil, avons fait, voulu et ordonné, faisons, voulons et ordonnons les Ordonnances qui suivent.
(1) ET PREMIEREMENT

Parmi les formulations employées dans les actes législatifs royaux, il en est qui manifeste un absolutisme (Krynen, 1988). Tel est le cas avec la formule « de nostre grace especial, pleine puissance et autorité royale » ou « auctoritas regia, plenitudo potestatis, certa scientia ». L’utilisation de chacune de ces mentions et leur emploi regroupé datent du règne de Philippe IV. Tel est le cas en 1294 pour l’auctoritas regia, en 1297 pour la plenitudo potestatis et en 1303 avec l’expression certa scientia et auctoritate, et de plenitudine regiae potestatis. Le premier terme de cette formulation renvoie à sa relation avec la norme coutumière. Le terme scienter a d’abord été utilisé pour la coutume pour affirmer une supériorité normative ; elle a été ensuite reconnue au pouvoir royal. Cette science du roi liée à l’expression de sa volonté permet de conférer à la loi nouvelle une autorité sur la coutume ainsi que sur une disposition législative antérieure et contraire. Ensuite, l’emprunt à l’héritage romain républicain, puis impérial, est manifeste avec l’auctoritas distinguée de la potestas. La première correspondait à la faculté de confirmer et de donner force obligatoire à la décision prise par un autre organe (Sénat), alors que la potestas désignait, elle, la capacité à gouverner et à administrer. Les deux sont réunies au profit du roi de France. Les juristes royaux affirment ainsi la « plénitude de la puissance » royale reprenant un caractère déjà reconnu aux actes du pape et développé un siècle plus tôt par Innocent III (1198-1216).

Considérer le contenu de l’acte

Les domaines d’intervention des lois du roi sont divers : « les secteurs soumis à l’autorité de la loi n’ont cessé de s’élargir et d’augmenter, en fonction de l’autorité croissante de la monarchie bien sûr, mais aussi au gré des circonstances et de la prédilection de chaque roi pour tel ou tel domaine d’action » (Rigaudière, 2003). Les lois du roi traduisent tant l’affirmation du pouvoir capétien que le déploiement de la souveraineté royale. Elles intéressent ainsi l’organisation et le fonctionnement de l’État royal, la dévolution de la Couronne et le domaine royal. C’est aussi sous couvert de la police du royaume que le prince intervient. Les ordonnances royales concernent les relations avec le clergé, la police économique, la justice, l’armée, les finances, la fiscalité et bien d’autres domaines encore. De 1368 à 1380, 1685 actes ont été recensés, dont 51 % répondent à une requête. Ils portent avant tout sur la justice, puis les finances, la monnaie et enfin l’organisation de l’administration (Petit-Renaud, 2001 ; pour le règne de Louis XI : Martin, 2009).

Parmi les motifs de cette intervention, l’idée de réformation est essentielle au cours du Moyen Âge. Depuis saint Louis, la volonté politique est traduite en lois et par le recours à des agents chargés d’inspecter, d’enquêter et de réformer notamment les abus des agents royaux. Les ordonnances de réformation sont répétées aux XIVe et XVe siècles. C’est en 1303 que le modèle est fixé et que le texte royal pour la réformation est qualifié de Magna statuta. Cet acte a été confirmé 24 fois entre 1315 et 1357. Les sujets les plus divers sont alors visés avec la justice, les finances, le domaine royal, les offices ou bien encore la monnaie. L’idée de réformation connaît un regain d’intérêt au début du XVe siècle en période de crise politique. C’est le cas notamment avec l’ordonnance dite cabochienne en 1413 après une requête de l’Université de Paris. Ce texte royal désigne alors des « commis ordonnés à entendre et pourvoir au bien public du royaume ». L’ordonnance de réformation est un instrument de gouvernement servant autant à répondre aux contestations émanant des populations, spécialement contre les officiers du roi, que de consolider le pouvoir royal par l’intermédiaire d’une administration réformée et de son autorité sur les princes de sang. Claude Gauvard présente ainsi les ordonnances de réformation comme un « acte de contestation rituelle du pouvoir » (Gauvard, 2002).

La législation royale en matière de droit privé est généralement présentée comme étant plus rare, voire pour d’aucuns absente, jusqu’au milieu du XVIe siècle en raison d’un « principe de non-immixtion » (Olivier-Martin, 1997). Cependant, la distinction entre droit privé et droit public « n’apparaît nécessaire ni aux théoriciens ni aux officiers royaux » du Moyen Âge (Gouron, 1982 ; Giordanengo, 1987) et sa délimitation est sujette à discussion (Carbasse, 2003). Le pouvoir royal ne s’est pas abstenu d’une telle intervention jusqu’en 1556 avec l’ordonnance sur les mariages clandestins présentée comme une première manifestation de la législation royale en droit privé. Cette intervention existe dès les années 1125 jusqu’au milieu du XIIIe siècle dans un contexte d’une coutume « muette » ; les juristes royaux interviennent praeter consuetudinem (Carbasse, 2003). Des mesures royales existent pour le partage des fiefs (1209), pour le douaire des femmes nobles (1214), pour l’attribution des conquêts au mari en cas de prédécès de son épouse en l’absence d’enfants (1219). Puis, les dispositions royales sont moindre en ces domaines du fait d’autres sources du droit. L’ordonnance en 1278 portant sur le retrait lignager en Normandie est une exception pendant le règne de Philippe III le Hardi (1270-1285). La norme en matière « privée » est celle de l’Église pour la formation du mariage, des coutumes pour les régimes matrimoniaux, les biens et les personnes, ou encore du droit romain pour les obligations contractuelles.

Les lois du roi prennent place dans un « système juridique […] composite » (Carbasse, 2003). Les ordonnances royales s’en inspirent et reprennent des dispositions d’autres ordres juridiques. Tel est le cas en particulier avec l’influence du droit canonique. C’est le cas pour la formation du statut des officiers royaux qui revendiquent une stabilité dans leur carrière. La réglementation relative aux bénéfices ecclésiastiques sert de modèle. Le titulaire du bénéfice en dispose de manière stable durant sa vie. Deux causes de vacances existent avec la mort du titulaire et la résignation in favorem. Face à l’attitude de Louis XI de renvoyer de nombreux officiers, les officiers obtiennent des garanties statutaires. Le roi leur accorde par l’ordonnance du 21 octobre 1467 une plus grande stabilité. Il s’interdit, en principe, de pourvoir à un office non vacant. Le texte royal reprend alors des dispositions canoniques.

POUR FAIRE LE POINT

  1. Pourquoi parle-t-on d’une renaissance médiévale de la loi du XIIe siècle au XVe siècle ?
  2. Comment est pensé le roi législateur au Moyen Âge ?
  3. Identifier à partir de l’extrait de l’acte royal suivant l’invocation, la suscription, l’adresse, l’exposé et le dispositif du texte.

    Extrait de Lettres de Charles V du 9 novembre 1372, Ordonnances des Rois de France de la troisième race recueillies par ordre chronologique. Cinquième volume contenant les ordonnances de Charles V données depuis le commencement de l’année 1367 jusqu’à la fin de l’année 1373, Paris, 1736, p. 535-536.

    « Charles par la grace de Dieu Roy de France. Savoir faisons à tous presens [et] advenir, que comme il soit moult grant necessité de faire tailles sur le Maire, Bourgois et Jurez, et tous autres habitans de nostre Ville de Saint Jehan d’Angeli, pour les repparacions d’i[ce]lle ; ausquelles Tailles pluseurs [plusieurs] personnes qui ont et possident [possèdent] heritages, rentes et autres revenuës [revenus] en nostre dicte Ville et Suburbes [faubourgs] d’icelle, n’y ont voulu ou veulent contribuer, que ilz ne sont tenuz ad ce ; laquelle chose est ou grant grief, prejudice et domage des autres dessus dis ; en Nous suppliant que il Nous plaise pourveoir sur ce à la seureté [sûreté] de nostre dicte Ville. Nous considérans que la bonne garde et seurté d’icelle, touche et regarde universelment le proufit de tous ceuls qui en ladicte Ville et Suburbes ont heritages, rentes et autres revenuës, et que se perilz ou inconveniens advenoient, que ja Dieux ne vüeille [qu’à Dieu ne plaise], pour deffaut de repparacions et bonne garde, ce seroit semblablement leur dommage ; aux Maire, Bourgois et Jurez dessus dis, avons octroyé, et de nostre certaine science, auctorité Royal et grace especial, par ces presentes octroïons que yceulx Maire, Bourgois et Jurez, que appelé nostre Seneschal de Xantonge [Saintonge] son Lieutenant, ou autre personne commis de par lui sur ce, ilz puissent advisier [envisager] ensemble d’oresenavant perpetuelment, toutes les fois que le cas requerra, aucune Aide ou Subside, et le imposer pour les reparacions, fortiffications et garde d’icelle, sur toute maniere de gens lays [laïcs] qui ont et tiennent aucunes temporalitez en ladicte Ville et Suburbes d’icelle ; mais que toutevoies [toutefois] ad ce se consentent la plus grant et saine partie d’iceulx ; c’est assavoir, les diz Maire et Jurez, sur ceulx dont ilz auront la congnoissance, et nostre dit Seneschal, son Lieutenant ou autre Juge de par lui, sur tous autres ; pourveu toutevoies que aucune contrainte ne soit faite par les diz Mairez et Jurez, contre les reffusans à payer ladicte Aide ou Subside, fors que sur ceulx dont ilz ont la cohercion et congnoissance, et par nostredit Seneschal ou sondit Lieuteant, soïent executez et contrains tous autres reffusans à payer ledit Subside ou Aide ; et que de tout ce qui en sera receu et converti ès dictes reparacions, fortifficacion et gardes, les dis Maire et Jurez ne soïent tenus de rendrent compte ailleurs, fors que aus Commis et deputez de par nostredit Seneschal et d’eulx (…)

    Donné à Paris, en nostre Chastel du Louvre, le IXe jour du mois de Novembre, l’an de grace mil CCCLXXII et de nostre Regne, le IXe. Par le Roy, en son Conseil. J. Tabari ».

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La poussée normative du XIIIe siècle. Un changement dans le rapport au droit ?  

Loi, norme, normativité

Pour être fructueuses, l’approche et l’étude de la normativité médiévale supposent de consentir à une forme de dépaysement juridique qui peut aller jusqu’à une légère et provisoire désorientation. En effet, les cadres qui servent aujourd’hui à qualifier et à évaluer la norme juridique en général, législative en particulier, sont les produits de la modernité. À ce titre, ils sont assez peu opérants pour comprendre les causes, les circonstances et les caractères de la « fièvre normative » qui s’empare de l’Europe à partir du XIIIe siècle.

Il importe, en premier lieu, de se défaire de la définition rassurante de la loi comme « règle écrite, générale et permanente, élaborée par la représentation nationale » (Dalloz, 1999). Aujourd’hui, une loi peut être définie de façon procédurale (par la conformité aux règles d’édiction et de publication), organique (par l’autorité compétente), matérielle (par son objet ; ainsi, pour la France, c’est le sens de l’article 34 de la constitution de 1958). Elle s’inscrit dans une pyramide des normes et suppose une unité de commandement et des dispositifs de sanctions. Or, aucun de ces caractères n’est présent au cours du Moyen Âge. Même si la production législative se procéduralise quelque peu au cours du XIIIe siècle et surtout au-delà, elle ne présente pas le caractère de généralité, de permanence et d’unité qu’on lui reconnait aujourd’hui. Surtout, outre l’élaboration progressive et tâtonnante de règles formelles, la principale différence entre la loi médiévale et la loi moderne tient à la fragmentation de l’ordre juridique qui rend totalement inopérante toute idée de hiérarchie des normes. Au long du Moyen Âge, en effet, l’ordre juridique ne se présente pas comme un espace homogène peuplé de sujets égaux et soumis à des injonctions cohérentes ; il s’apparente plutôt à une zone d’échanges traversée par des instances édictales plurielles et des acteurs aux statuts divers, inégalement contraints (les clercs, les nobles, les bourgeois, les étrangers, etc.). D’ailleurs, comme le souligne Florent Garnier, le vocabulaire utilisé pour désigner la loi par ceux-là mêmes qui la font n’est pas encore fixé avant les XVe-XVIe siècles : ordonnances, établissements, édits, constitutions, le formulaire est instable pour décrire une réalité qui ne l’est pas moins. Ainsi, un texte aussi important que les Siete Partidas n’a laissé que peu de traces de son élaboration et aucune de sa promulgation initiale (Jesus Velasco, p. 373). Comment un document législatif majeur a-t-il pu opérer sans être promulgué ? Et inversement, comment saisir la centralité médiévale de cette source à partir de nos instruments de mesure actuels ? Ce n’est donc pas à l’aune de critères contemporains qu’il convient d’apprécier la production législative médiévale. Et pour la qualifier sans doute vaudrait-il mieux de parler de « norme juridique » ou de « norme législative » plutôt que de « loi », afin de prévenir les confusions éventuelles.

Dans la même perspective, il convient de délier la production normative du socle institutionnel qui lui est généralement associé dans la tradition juridique contemporaine. À ce titre, si l’idée de séparation des pouvoirs n’est pas pertinente, celle de « confusion des pouvoirs » n’est pas plus appropriée puisqu’elle renvoie implicitement à un état normal de distinction dont la confusion supposée serait un écart. Or, au Moyen Âge, le pouvoir ne se définit pas en terme fonctionnel (la fonction législative, la fonction judiciaire) mais plutôt en termes de légitimité (sacralité, « naturel seigneur ») ou d’intensité (souveraineté). Les modalités d’intervention normative sont d’ailleurs elles-mêmes mêlées, conformément au modèle impérial romain du rescrit ou du décret : une question particulière portant sur un cas précis peut donner lieu à une norme de portée générale. Entre ce que nous qualifions de législation et la casuistique judiciaire, la distinction n’est pas toujours aisée.

À l’aune de ces remarques et de ce contexte, la définition de la norme juridique comme injonction émise par une autorité qualifiée doit être précisée. Cette injonction doit en premier lieu présenter un certain caractère de généralité (un ordre donné à une seule personne ne constitue pas une norme) et de permanence, ce qui conduit à questionner les pratiques fréquentes de renouvellement des ordonnances royales (Florent Garnier, p. 341) ou, à l’inverse, la variabilité constitutives des statuts municipaux italiens (Sandro Notari, p. 389). Pour justifier son caractère injonctif, la norme juridique présuppose en outre qu’une contrainte (civile, pénale, sociale, religieuse) s’exerce sur ses destinataires, afin qu’ils s’y conforment. Quant à la question de l’autorité productrice de la norme, elle est particulièrement délicate à arbitrer. Si la norme est toujours le produit d’une volonté, il est en effet souvent difficile de qualifier celle-ci in concreto. Même lorsque l’acte est pris au nom du prince, les recherches récentes ont insisté sur le fait que sa production s’inscrivait dans le cadre d’un dialogue politique informel avec les gouvernés, qui en avaient fréquemment sollicité l’adoption ou la reconduction, bien au-delà de l’hypothèse des ordonnances de réformation et du gouvernement par conseil. Lorsque la volonté est expressément collective, comme c’est le cas par exemple dans les communes italiennes (Sandro Notari) ou avec la Diète polonaise (Kacper Górski et Maciej Mikuła, p. 419), il importe de questionner les mécanismes de représentation et/ou de médiation qui ont permis sa manifestation. Reste enfin l’hypothèse où la volonté, supposément collective, est en réalité inassignable, lorsqu’elle se confond avec la répétition des pratiques, comme dans le cas des coutumes, qui connaissent précisément une augmentation significative de leur mise par écrit à partir du XIIIe siècle.

D’un point de vue technique, en effet, le droit peut être analysé comme une pragmatique, dans les deux sens revêtus par ce terme. Pragmatique, le droit l’est en ceci qu’il constitue une modalité particulière d’action concrète sur le monde, qu’il vise toujours à transformer. C’est en ce sens qu’on parle par exemple « d’effets de droit » ou « d’action en justice ». Par-delà cette dimension opératoire, le droit peut également être compris comme une modalité particulière du langage et c’est ce constat qui rend pertinente, sous certaines conditions, l’utilisation des outils de la pragmatique linguistique, en centrant l’analyse sur l’articulation du texte juridique au contexte de son énonciation et de sa réception. Dans cette perspective, si l’on accepte d’appréhender la norme juridique comme un outil parmi d’autres de communication sociale, il devient essentiel d’inclure dans l’étude de sa production l’analyse des conditions de sa prise en charge par ses destinataires, virtuels ou réels. Il est tout aussi important de prendre au sérieux la rhétorique trop longtemps négligée des préambules, même si celle-ci ne comporte pas d’éléments dispositifs stricto sensu (Barret et Grévin, 2015).

Une norme, certes théoriquement pourvue d’une contrainte, mais concrètement inappliquée, cesse-t-elle pour autant d’être une norme ? L’application, entendue comme le respect des dispositions prescrites (ce qu’on qualifie de « dispositif ») relève-t-elle d’une définition substantielle de la norme ? Dans quelle mesure l’oubli, le mépris ou la désuétude disqualifient-ils la norme en neutralisant son principe actif ?

Application et effectivité

La question de l’effectivité normative est d’autant plus importante qu’elle permet de penser le rapport, fondamental, entre le droit et le réel, aussi bien d’un point de vue historique que d’un point de vue théorique. Pour simplifier, on peut considérer que deux écoles s’affrontent sur ce terrain. Selon l’école positiviste ou dogmatique, la validité du droit réside en lui-même, dans la logique de sa propre construction ; elle ne résulte pas de son degré de réalisation sociale, qui en constitue un élément contingent. Cette validité du droit, constitutive de la norme juridique, procède d’abord de son mode d’édiction, c’est-à-dire de son établissement par une autorité compétente qui suit une procédure établie. L’école sociologique a, pour sa part, développé une approche critique du droit, illustrée en France par les travaux de Jean Carbonnier, qui s’attache à mesurer la conformité (appliance to the law) ou les écarts éventuels (ineffectivité : gap approach) par rapport à la norme. Ce phénomène de réalisation sociale résulte lui-même d’interactions complexes (diversité des acteurs sociaux et des instances chargées de la mise en œuvre de la loi, clarté relative de la règle, existence d’effets symboliques, agissant moins sur les actes que sur les représentations, phénomènes d’effectivité différée, prise en compte d’effets non intentionnels de la norme, etc. Commaille, 2003). Ce dernier mode de compréhension du problème enregistre donc un déplacement par rapport à l’école positiviste : l’attention se décentre des conditions d’émission de la norme aux circonstances de son insertion dans le « réel » social.

Pour préciser un peu la question, il convient d’ajouter que la notion d’effectivité peut être comprise au moins de deux façons différentes. En premier lieu, le terme « effectivité » est souvent pris comme synonyme d’application, voire de réception d’une norme par l’ordre socio-politique auquel elle est destinée. Dans cette perspective, l’effectivité constitue moins une notion juridique qu’une vérification sociale et politique de l’efficacité du droit, étant entendu que cette efficacité se mesure à l’aune de sa capacité à transformer le réel. Il s’agit alors de vérifier le niveau d’adéquation entre une norme et sa mise en œuvre. Ainsi, Pierre Lascoumes (1993) identifie l’effectivité et « le degré de réalisation dans les pratiques sociales des règles énoncées par le droit ». En histoire, c’est une conception de ce type qui sous-tend la méthode visant à confronter la norme générale (ordonnance, décrétale, concile, statuts urbains, etc.) aux actes de la pratique (notariale et judiciaire principalement) censés en découler. En toute rigueur, il conviendrait d’ailleurs de distinguer effectivité (niveau de conformité à l’injonction normative) et efficacité (réalisation des objectifs poursuivis par la norme, par exemple la réduction de l’accidentologie routière ou la lutte contre les pratiques addictives). Une norme peut ainsi être juridiquement effective mais socialement inefficace (Commaille, 2003).

D’autre part, l’effectivité se conçoit également comme une notion interne à l’ordre juridique. Elle se rapproche ici de l’applicabilité plutôt que de l’application. La question posée revient alors à s’interroger sur l’articulation entre une applicabilité postulée (toute norme valide serait applicable par nature) et la consistance de l’ordre juridique tout entier. En d’autres termes, avant même d’évoquer le thème d’une application concrète de telle ou telle injonction normative particulière, il s’agit de préciser dans quelle mesure l’applicabilité constitue un élément substantiel dans la définition de la norme en général, étant entendu que l’applicabilité est à comprendre non comme un caractère factuel (une norme applicable serait alors une norme pourvue des moyens humains et institutionnels nécessaires à sa mise en œuvre), mais comme une sorte de vocation propre de la règle de droit, quelle que soit sa forme, à gouverner le réel. C’est cette conception de l’effectivité qui gouverne par exemple l’ancien article 1157 du Code civil – art. 1191 actuel, ainsi rédigé dans la version de 1804 : « Lorsqu’une clause est susceptible de deux sens, on doit plutôt l’entendre dans celui avec lequel elle peut avoir quelque effet, que dans le sens avec lequel elle n’en pourrait produire aucun ». C’est cette même conception qui est aujourd’hui connue sous le nom de « principe de l’effet utile ». En vertu de cette règle simple, en présence de deux interprétations contradictoires ou lorsque plusieurs sens peuvent être attachés aux termes d’un même acte juridique, on doit préférer l’interprétation qui conserve aux mots leur maximum de portée, plutôt que celle qui consiste à les écarter comme inappropriés ou absurdes.

La conjoncture inédite du second Moyen Âge

Sur le plan historique, les chapitres qui suivent présentent des configurations normatives variées, tenant notamment à la taille des entités considérées et à la diversité de leur culture juridique. Pour autant, ces situations disparates laissent apparaître des convergences qui dessinent, au XIIIe siècle, ce qui ressemble à un rapport renouvelé à la norme juridique. La première de ces convergences est la centralité du modèle romain, que ce dernier soit assumé explicitement ou présent indirectement via la médiation canonique, comme dans le cas polonais. À cet égard, l’étude du Liber Augustalis constitue un exemple topique du réinvestissement romain (Marta Cerrito, Beatrice Pasciuta, p. 357) : à côté de la référence attendue à Dieu, Frédéric II nomme la lex regia de imperio et le droit romain comme fondement séculier de son pouvoir (constitution Non sine grandi, Liber Augustalis, I 31). Si la justice et l’exigence de rendre à chacun son dû sont liées à la représentation traditionnelle de la royauté sacrée, la capacité de « faire loi » renvoie, elle, à un horizon d’impérialité, c’est-à-dire à une forme politique de gestion de la pluralité (Delle Donne et Leveleux-Teixeira, 2023) où la norme serait un puissant vecteur d’unité, puisqu’elle exprime un bien « commun » hypostasié. À cet égard, la question de la langue du droit n’est pas neutre. Si le latin est resté, au moins jusqu’au XVIe siècle, la langue d’expression privilégiée de la loi, les premiers essais de vernacularisation semblent témoigner, à la fin du Moyen Âge, d’un souci de rendre cette norme commune appropriable (Kuskowski, 2022 ; Grévin et Delle Donne, 2023).

La seconde convergence est chronologique. Elle met en lumière le XIIIe siècle comme point de bascule vers ce nouveau régime de normativité, avec une augmentation significative du nombre, mais aussi de l’ambition, des textes édictés, allant, comme les Siete Partidas, jusqu’à vouloir « tout légiférer », jusqu’au monde lui-même.

Précisions liminaires

Comme cela a été rappelé, les chapitres qui suivent envisagent la question législative dans différents espaces et à différentes échelles. Deux absences importantes doivent cependant être expliquées et justifiées. La première est celle de l’Église et de la législation ecclésiastique, dans sa diversité et dans son universalité : le choix a été fait de se centrer ici sur les seules normativités séculières, le droit canonique se voyant réservé deux chapitres spécifiques dans la partie du manuel consacré au ius commune.

La seconde absence concerne l’Angleterre, un modèle à la fois précoce sur le plan de la représentation politique et original sur le plan du droit, avec la formation de la procédure et des cours de Common Law, dès la fin du XIIe siècle. Sur le plan législatif, cette évolution n’a pas été neutre. Elle s’est notamment traduite par la persistance insulaire de la primauté du paradigme juridictionnel, à rebours du tropisme législatif de plus en plus marqué sur le continent. Or, cette évolution a été remarquablement bien étudiée dans des ouvrages à la fois récents et accessibles, auxquels nous nous permettons de renvoyer :

SUR L’ANGLETERRE

John Baker et Milsom, 2020, Sources of English Legal History: Private Law to 1750, Oxford, OUP.

David Crook, 1982, Records of the General Eyre, Londres, Her Majesty Stationary Office.

C. T. Flower, 1944, Introduction to the Curia Regis Rolls (1199-1230 a.d.), Selden Society, Vol. 62.

Alan Harding, 2020, The Law Courts of Medieval England, Londres, Routledge.

John Hudson, 2017, The Formation of the English Common Law, Londres, Routledge.

John Hudson, 2012, The Oxford History of the Laws of England, avec un appendice consacré aux sources pour la période 871-1216, Oxford, OUP.

Michael Lobban, 2012, « The Varieties of Legal History », Clio@ Themis. Revue électronique d’histoire du droit.

Frederic William Maitland, 1889 (sept.), « Materials for English Legal History », Political Science Quarterly, Vol. 4, No. 3, p. 496-518.

Frederic William Maitland, 1889 (déc.), « Materials for English Legal History II », Political Science Quarterly, Vol. 4, No. 4, pp. 628-647.

Bibliographie :

Code civil des Français, introduite par la loi du 17 février 1804

Jacques Commaille, art. « Effectivité », Dictionnaire de la culture juridique, 2003 Denis Alland et Stéphane Rials (dir.), Paris, Presses Universitaires de France, p. 583-585.

Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, 1993 Jean-André Arnaud (dir.) Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence.

Fulvio Delle Donne et Corinne Leveleux-Teixeira (dir.), 2023 Les espaces de la puissance. Stratégies et marqueurs de l’impérialité, Potenza, Basilicata University Press.

Fulvio Delle Donne et Benoit Grevin (dir.), 2023 Le roi et ses langues. Communication et impérialité, Potenza, Basilicata University Press.

Benoit Grévin et Sébastien Barret (dir.), 2015 Regalis Excellentia. Les préambules des actes des rois de France au xive siècle, Paris, École des Chartes.

Ada Maria Kuskowski, 2022 Vernacular Law. Writing and the Reinvention of Customary Law in Medieval France, Cambridge, Cambridge University Press.

Lexique des termes juridiques, 1999 Paris, Dalloz, 12e éd., art. « Loi ».

Les sources rhétoriques et dialectiques du droit médiéval

Les techniques d’argumentation et de dispute dans les écoles de droit

Les écoles médiévales ont créé toute une série de méthodes d’argumentation et de raisonnement juridique basées sur les disciplines de la rhétorique et de la dialectique. Ces deux disciplines faisaient partie de ce que l’on appelle les arts libéraux du Trivium, c’est-à-dire les artes sermocinales, ceux relatifs à la parole et qui dominaient l’enseignement scolaire de l’époque. Bien que la frontière entre ces deux arts se soit déplacée au cours de la période qui nous intéresse (Hohmann, 2000 ; Feteris, 2000), nous pouvons affirmer avec un certain degré de généralisation que la rhétorique se rapporte à l’utilisation de l’argumentation à des fins de persuasion, tandis que la dialectique utilise l’argumentation dans le cadre d’une forme de raisonnement plus rigoureuse et plus logique, dans le but de prouver et de démontrer la connaissance (Blair, 2012).

Dans cette optique, l’approche médiévale de la connaissance a été caractérisée, au moins à partir du IXe siècle, dans les disciplines de la rhétorique et de la dialectique, par une centralité croissante de la dispute (ars disserendi) en tant qu’outil cognitif, et par la progression conséquente des techniques de la dispute et de l’argumentation. Sur cette base, les écoles médiévales des XIe et XIIe siècles ont développé une méthode qualifiée de scolastique. Elle est devenue le principal moyen d’investigation dans tous les domaines de la connaissance humaine (Weijers, 2020) et, par conséquent, également pour l’exégèse des textes faisant autorité (Southern, 1995). La scolastique a également été adoptée par les écoles de droit, transformant profondément la culture juridique européenne et l’interprétation des sources du droit romain et du droit canonique (Giuliani, 1968). Cette méthode partait du principe que la vérité et la connaissance universelle ne pouvaient être atteintes que par la disputatio (Weijers, 2009), c’est-à-dire par la confrontation de positions contradictoires (oppositio contrariorum) et par leur résolution ultérieure (solutio contrariorum). Arrêtons-nous donc sur ces deux aspects.

Oppositio contrariorum

L’oppositio contrariorum consiste à opposer deux normes ou concepts contradictoires. Elle est au cœur de la méthode scolastique. Dans le domaine juridique, elle pouvait avoir deux objectifs différents. Le premier était l’obtention de la connaissance qui était permise par la résolution du cas douteux grâce aux outils de la dialectique et de la logique. Dans ce cas, l’oppositio était une voie d’accès à la formulation de la solutio. Dans les facultés de droit, l’utilisation de cette forme d’opposition avait donc une fonction herméneutique (comprendre les sources juridiques) et systématique (aplanir les contradictions internes). Elle était utilisée par le maître pour obtenir une harmonie à partir d’une dissonance (Kuttner, 1960). Cela apparaît clairement, par exemple, dans l’œuvre du précurseur du droit canonique médiéval, Gratianus-Gratien (fl. 1125-1140) : son Decretum (vers 1140), dont le nom officiel était Concordia discordantium canonum, était précisément fondé sur les techniques de la dispute et de l’opposition des contraires.

L’utilisation de l’oppositio contrariorum à des fins cognitives ne concernait pas seulement les écoles, mais aussi la pratique judiciaire. Le procès médiéval romano-canonique était en effet fondé sur une structure triadique dans laquelle le juge parvenait à la vérité judiciaire en évaluant les prétentions opposées du demandeur et du défendeur qui s’affrontaient dans un combat de positions juridiques : un véritable ars opponendi et respondendi (Giuliani, 1961). Cette approche dialectique de l’activité judiciaire a également eu une influence profonde sur la manière dont le droit était enseigné, conduisant à la naissance de genres littéraires tels que les quaestiones.

C’est précisément parce que le processus était fondé sur un modèle dialectique qu’il est arrivé que l’oppositio contrariorum dans les sources juridiques médiévales ne soit pas utilisée pour parvenir à la connaissance par la solutio. Elle était réalisée dans le seul but de fournir à la pratique du droit des outils permettant d’argumenter à la fois pour et contre un certain principe. Dans ces cas, l’ambiguïté de l’antinomie n’est donc pas construite pour être résolue, mais plutôt pour être exploitée. C’est le cas, par exemple, des premiers recueils de brocardica, qui sont dépourvus de solutiones contrariorum et s’adressent précisément aux juristes afin de leur fournir les éléments nécessaires à la réalisation de deux opérations : 1) qualifier juridiquement les faits discutés en justice, c’est-à-dire les rattacher à un cas juridique abstrait, afin d’identifier la règle applicable ; 2) mobiliser en conséquence les textes juridiques applicables afin d’étayer les raisons de l’une des deux parties (De Concilio, 2024).

Solutiones contrariorum

Lorsque l’utilisation de l’oppositio contrariorum visait la connaissance, elle était résolue par ce que l’on appelle la solutio. Cette dernière était également un instrument qui partageait les genres des écoles, juridiques et autres, comme les quaestiones et les collections de brocardica plus développées. Mais la solutio contrariorum était aussi un instrument à part entière (Weimar, 1994-1995). Elle a constitué l’un des moteurs de la jurisprudence du XIIe siècle (Kuttner, 1940). De telles solutions utilisées à des fins herméneutiques se trouvent déjà dans les plus anciennes gloses et annotations sur des passages contradictoires des sources juridiques, notamment du droit canonique, où l’antinomie est résolue par une approche dialectique. Plus tard, ces solutiones ont été organisées en recueils et diffusées parmi les premiers canonistes et occasionnellement parmi les légistes (Kuttner, 1937). Ce succès particulier des solutiones parmi les canonistes est largement attribuable à Gratien, qui a adopté la solutio contrariorum comme base méthodologique de son Decretum (Paciolla, 2008) et qui a été suivi par les auteurs des premières Summae canonistiques. Par conséquent, l’examen de la littérature juridique argumentative doit nécessairement prendre en compte cet outil, qui a été mis en œuvre aussi bien dans les genres littéraires conçus pour la dispute (Kuttner, 1982) que dans ceux destinés à l’exégèse et à la systématisation des textes.

Que signifie concrètement résoudre l’opposition entre deux normes contraires ? En général, cela n’implique pas du tout un choix de valeur entre les deux positions : la solutio ne proclame pas la validité d’une norme et l’invalidité de l’autre, mais cherche plutôt à les réconcilier. Il convient en effet de rappeler que le postulat fondamental auquel les juristes de l’époque se référaient était l’existence d’un système juridique cohérent et parfait en soi. Justinien lui-même, en promulguant le Digeste avec la Constitutio Tanta, avait établi un principe de non-contradiction des sources juridiques, garantissant que le droit romain ne contenait pas d’incohérences internes ne pouvant être résolues subtili animo. Fidèles à cette affirmation, les juristes de la renaissance juridique du XIIe siècle ont considéré le texte du Corpus Iuris Civilis (mais aussi celui des grandes compilations normatives de l’Église) comme correspondant à un idéal universel de vérité et de justice, et donc sacré, certain et immuable (Cortese, 1996 ; Bellomo, 2000). De là est né non seulement l’effort d’aplanir les antinomies au sein des ordres, mais aussi l’idée qu’aucune de ces contradictions ne pouvait être réelle mais seulement apparente (Kantorowicz, 1938). Les solutiones contrariorum procédaient donc sur la base d’une distinction logique : les deux normes opposées étaient considérées comme valables de façon abstraite pour un nombre indéfini d’hypothèses mais leur validité concrète était limitée à des cas particuliers. Cela distinguait ainsi, selon le schéma rhétorique de la distinctio, les domaines d’application de l’une et de l’autre qui ne se chevauchaient qu’en apparence. La solutio déclare donc que, dans une oppositio donnée, une certaine règle doit être préférée à une autre uniquement parce qu’elle se réfère à un certain cas spécifique. Les règles sont donc considérées comme n’étant pas réellement opposées mais simplement différentes (Weimar, 1967 et 1969) : « diversi sed non adversi » (Meyer, 2000). Nous pouvons prendre comme exemple le commentaire du canon Fugitivi (C.12 q.2 c.54) fait par Simon de Bisignano (fl. 1174-1179) dans la Summa au Decretum de Gratien. Ce canon admettait la possibilité de vendre les serfs appartenant à l’Église et qui persistaient à vouloir s’enfuir 1 . En ce qui concerne son contraste apparent avec les normes du droit romain, et même avec un certain nombre de canons qui refusaient une telle faculté, Simon observe :

Et notez que les lois interdisent la vente d’esclaves fugitifs qui ne peuvent être retenus, et que les canons ne semblent pas l’autoriser. Solution : cela est prévu tant qu’ils sont en fuite. Il s’agit cependant d’un cas spécial pour les serfs de l’Église […] 2 .

Il construit ainsi la solutio selon une distinction ratione materiae en termes de règle/exception ou général/particulier, sans nier la validité d’aucune des règles visées.

Les genres littéraires de nature argumentative

Ces deux techniques rhétorico-dialectiques de l’oppositio et de la solutio ont été appliquées par les juristes médiévaux aux instruments propres à l’enseignement du droit, tels que les gloses et les Summae, à travers une série de méthodes cognitives, persuasives et démonstratives typiques de la scolastique : distinctiones, quaestiones, argumenta. À leur tour, ces méthodes ont rapidement été rassemblées dans des ouvrages distincts qui ont commencé à circuler dans les facultés de droit, devenant ainsi de véritables genres littéraires. C’est à ces types de sources que nous consacrerons la suite de ce chapitre, en illustrant leurs principales caractéristiques, leur structure et leur forme dans les sources manuscrites.

Distinctiones

On a dit que la solutio contrariorum faisait un usage fréquent de la méthode de la distinctio. Cette dernière était un outil ductile d’approche de la connaissance, largement utilisé dans les écoles médiévales dans tous les domaines du savoir. Elle correspondait dans la logique scolastique au dispositif exégétique de la divisio (Otte, 1971), c’est-à-dire la subdivision d’un concept en parties logiques afin de spécifier ses différentes applications (Errera, 2003 ; Colli, 2005).

Les origines de la méthode de la distinctio remontent à l’Antiquité (Errera, 2007) ; au Moyen Âge, avant la redécouverte de la logique aristotélicienne au XIIe siècle, elle constituait l’outil conceptuel le plus puissant pour l’acquisition des connaissances (Errera, 2003 et 2007), représentant un véritable « passe-partout méthodologique » (Fried, 1997). Dans le domaine du droit, l’usage de la distinctio est né de l’influence des techniques des arts libéraux (Meyer, 2000) et se manifeste dès l’âge de Justinien puis, à l’époque médiévale, dans l’école lombarde de Pavie. Dans ce contexte, la distinctio consistait en un procédé de division et de subdivision des règles juridiques selon une logique binaire, en les classant hiérarchiquement du général au particulier et en soulignant leurs analogies et leurs différences. Cela mettait clairement en évidence les oppositions entre des règles contradictoires afin de résoudre les antinomies par la distinction logique entre le genre et l’espèce, en différenciant les différents domaines d’application.

Au XIIe siècle, les distinctiones sont devenues populaires parmi les juristes et les canonistes. Elles ont été utilisées pour réconcilier les textes juridiques et construire un système harmonisé de principes normatifs (Meyer, 2000 ; Errera, 2003 et 2007). La distinctio a donc d’abord été adoptée comme méthode dans les gloses marginales, déjà par Irnerius (fl. c. 1112-1125) lui-même (Kantorowicz, 1938). Elle a également été employée de manière extensive dans de nombreux autres genres littéraires juridiques : la structure même de la première partie du Decretum de Gratien est construite autour de la subdivision en distinctiones (Meyer, 2000). Cela a profondément influencé sa diffusion parmi les décrétistes jusqu’à en faire un véritable genre littéraire de recueils indépendants qui semblent avoir été particulièrement populaires dans les écoles anglo-normandes (Kuttner, 1937). On peut se faire une idée de cette popularité en examinant l’un des nombreux manuscrits qui rassemblent des groupes de diverses distinctiones, comme le ms. Bamberg, Staatsbibliothek, Can. 17 (P.I.11). L’usage et le fonctionnement des distinctiones apparaîtront plus clairement à l’aide d’un exemple, tiré d’un recueil d’arguments scolastiques produit dans les années 1170 et connu sous le nom de Perpendiculum (De Concilio, 2024) :

Il faut savoir que l’ignorance est soit une peine soit une faute 3 . L’ignorance qui est une faute nuit ; et à propos d’elle, il est dit : « Celui qui ignore sera ignoré » et « l’ignorance ne veut pas comprendre <ce qui est nécessaire> pour bien agir », et celle-ci n’excuse personne. L’ignorance qui est une peine excuse n’importe qui. L’ignorance en tant que peine se distingue selon qu’elle est de droit ou de fait. Celle qui est de droit se divise en ignorance du droit naturel, du droit civil, ou du droit canon. L’ignorance du droit naturel n’excuse aucun adulte. L’ignorance du droit civil excuse certaines personnes, comme les paysans, les soldats et les femmes. L’ignorance du droit canon n’excuse pas les clercs. L’ignorance des faits se divise en ignorance probable 4  et en ignorance grossière et insouciante. L’ignorance probable peut parfois excuser […]. Celle qui est crasse et supine ne s’excuse pas […] 5 .

Nous pouvons alors voir comment la distinctio procède selon une logique arborescente, descendant pour chaque subdivision en d’autres sous-catégories, ordonnant les conséquences juridiques des différents types d’ignorance du général au particulier (figure 1).

Fig. 1 Schéma logique de la distinctio de ignorantia.

Cette arborescence logique des distinctiones était parfois aussi reproduite graphiquement, surtout dans les distinctiones canoniques en les organisant sous forme tabulaire, c’est-à-dire selon un tableau logique qui présentait les différentes subdivisions en termes graphiques, au moyen de diagrammes, selon une coutume commune à toutes les branches du savoir scolastique (Even-Ezra, 2021). Cette forme tabulaire se retrouve déjà dans les premières distinctiones contenues dans les gloses marginales (Seckel, 1911 ; Genzmer, 1934) et était très répandue chez les canonistes transalpins : voir par exemple les Distinctiones Oxonienses (après 1171), la Summa « Inperatorie maiestati » (c. 1175-8), la Summa « Boni a deo patre crediti » (avant 1179) ou la Summa in Decretum de Sicardus Cremonensis (c. 1155-1215), composée entre 1179 et 1181. Ce dernier exemple illustre à la fois cette présentation visuelle et l’omniprésence de la distinctio dans le raisonnement juridique contemporain (figure 2).

Fig. 2 Sicardus Cremonensis, Summa in Decretum (München, Bayerische Staatsbibliothek, ms. Clm. 8013, fol. 49v).

Dans d’autres cas où les éléments graphiques manquent, c’est l’énumération des parties de la division logique (selon un schéma commun aux écoles théologiques) qui permet de distinguer les distinctiones au premier coup d’œil. C’est le cas par exemple à la fin du XIIe siècle des distinctiones « Tria sunt consideranda in electione » (Elliot, 2013) et « Hec sunt que suadent » (De Concilio, 2024). Voici un extrait pour ces dernières :

Il y a cinq choses qui font qu’une personne est moins punie : l’évitement du scandale […] ; les caractéristiques de la personne […] ; la confession spontanée […] ; la compensation de quelque chose d’autre […] ; le respect de la dévotion […] 6 .

Un autre élément à prendre en compte est que les distinctiones canonistiques, contrairement aux distinctiones civilistes, ne visaient pas seulement à exposer les contradictions entre les textes juridiques. Elles cherchent aussi à les résoudre précisément selon le modèle de Gratien de concordia discordantium canonum. Par conséquent, les canonistes ont également intégré la méthode de la solutio contrariorum dans le genre des distinctiones alors que chez les civilistes, les deux instruments sont restés largement séparés (Meyer, 2000).

C’est la raison pour laquelle le genre de la distinctio s’est souvent hybridé avec d’autres genres dialectiques tels que les quaestiones et les brocardica. C’est le cas, par exemple, des Distinctiones decretorum de Ricardus Anglicus (1161-1242), composées à Paris vers 1200 et conçues comme un outil systématique pour l’étude du Decretum. Elles représentent peut-être la collection canonique la plus significative de ce genre (Silano, 1982). Ricardus dote chaque distinction de deux allégations, l’une pour et l’autre contre, selon le schéma brocardien (Kuttner, 1951). Des expériences de ce type peuvent également être observées dans le Speculum (ou Opusculum) iuris canonici de Pierre de Blois le Jeune (fl. 1170), composé vers 1180 : cet ouvrage est organisé en distinctiones accompagnées d’allégations pro-contra, dans lesquelles l’auteur traite de propositions juridiques qu’il définit tantôt generalia, tantôt regulae, tantôt quaestiones. Concentrons-nous sur ces autres genres.

Quaestiones

Le genre qui a transposé le schéma de l’oppositio et de la solutio contrariorum par excellence est celui des quaestiones. Tout d’abord, le mot même de quaestio indique à la fois une méthode et un genre littéraire, qui tous deux présupposent un quaerere : une question sur un problème à étudier. La définition de quaestio donnée par le lexicographe Papias (c. 1040-1060) est emblématique en ce sens : « examen, controverse, cause, discussion, demander pour interroger » (Papias, 1496) 7 . En tant que méthode, la quaestio est liée au problème de l’interprétation et constitue l’un des outils pédagogiques les plus populaires et les plus novateurs de l’époque, dont l’utilisation domine tous les domaines du savoir aux XIIe et XIIIe siècles (Bazàn et al., 1985). Il s’agit d’une méthode d’enseignement qui consiste à rassembler et à confronter des opinions divergentes autour d’un texte controversé dont l’opposition est résolue par la dialectique. En tant que genre littéraire, le mot quaestio regroupe en revanche différents types de textes produits dans les écoles contemporaines, tous caractérisés par l’utilisation de la méthode que nous venons d’examiner. Dans les facultés de droit, la question étudiée était la quaestio iuris, c’est-à-dire une affaire dans laquelle le doute ne portait pas sur les faits mais sur leur qualification juridique (Bellomo, 1982 ; Fransen, 1985a). À son tour, l’investigation de la quaestio iuris pouvait prendre deux formes différentes, correspondant à autant de genres littéraires, selon que la quaestio était destinée à montrer et à résoudre une antinomie abstraite (avec la loi pour objet) ou un litige juridique (avec un cas pour objet). Dans le premier cas, on parle de quaestiones legitimae, dans le second de quaestiones disputatae.

Quaestiones legitimae

Les civilistes appelaient legitimae les quaestiones qui portaient sur l’interprétation des lois antinomiques (leges) du Corpus Iuris Civilis ; chez les canonistes, les quaestiones de ce type étaient plutôt appelées quaestiones decretales. Elles visaient donc, à la différence des disputatae, à résoudre non pas des cas, mais des contradictions entre différentes normes abstraites : ayant donc une fonction non pas casuistique mais systématique, les quaestiones legitimae étaient utilisées pour l’enseignement théorique plutôt que pour la formation pratique du juriste (Kantorowicz, 1938). Pour cette raison, les quaestiones legitimae faisaient normalement partie intégrante de la leçon du maître, alors que les disputatae, comme nous le verrons, étaient le produit d’un exercice de classe (Fransen, 1985a). Ce genre trouve son origine dans la tradition rhétorique (Kantorowicz, 1938) et peut être rapproché de celui des solutiones contrariorum (Genzmer, 1934). En droit romain, les plus anciennes quaestiones legitimae comprennent les Enodationes quaestionum super Codice et les Quaestiones super Institutis, toutes deux attribuées au juriste Rogerius (c. 1110-1162), actif en Provence (Kantorowicz, 1938). En droit canonique, la même approche se retrouve, avant l’apparition des recueils de quaestiones decretales, à l’origine même de la discipline dans le Decretum de Gratien, dont la deuxième partie adopte précisément la forme de la questio pour résoudre les antinomies entre les canons.

Du point de vue formel, les quaestiones legitimae présentent parfois un aspect dialogique (comme celles de Placentinus, Rogerius et Pillius de Medicina). Elles adoptent en revanche souvent la structure du quare, sous forme de questions et de réponses introduites par ce pronom interrogatif (Genzmer, 1927 ; Schulz, 1953), ou même la forme casuistique de la quaestio disputata que nous examinerons plus loin. C’est par exemple le cas du Decretum, dont les questions, bien que ressemblant en apparence à des quaestiones disputatae, ont un contenu proche des legitimae, présentant des problèmes abstraits sous l’apparence de faits pratiques (Kuttner, 1940).

Pour en avoir une idée plus claire, nous pouvons présenter un exemple de quaestio legitima tiré des Enodationes de Rogerius. Considéré comme le père du genre, il organisait ses quaestiones comme un échange de questions et de réponses entre lui et la personnification de la jurisprudence. Par exemple, le juriste traite du contraste apparent entre C. 1.14.1 (selon lequel l’interprétation entre la loi et l’équité ne dépend que de l’empereur) 8  et C. 3.1.8 (qui affirme que la considération de l’équité doit toujours prévaloir sur la loi stricte) 9  (Kantorowicz, 1938) :

Je me demande donc : La première constitution de ce titre (C. 1.14.1), qui ordonne de recevoir l’interprétation faite uniquement par le prince, contredit-elle celle qui se trouve plus bas concernant les jugements, à savoir Placuit (C. 3.1.8) ? Car puisque celle-ci ordonne de préférer l’équité au droit strict en toutes choses, il semble qu’en l’absence de l’interprétation royale, il soit permis à chaque juge de découvrir une nouvelle équité et de juger selon elle, bien qu’elle soit en désaccord avec le droit strict, ce qui contredit clairement cela 10 .

L’antinomie est résolue, là encore, en la considérant comme seulement apparente, et en différenciant, selon la méthode de la distinctio, deux sens différents du concept d’« équité » dans les deux normes :

Jurisprudence. Pour ceux qui examinent attentivement l’ambiguïté de l’équité, la solution de cette question que tu proposes est facile. En effet, on appelle « équité » tantôt dans un sens strict et en opposition au droit écrit, et dans ce sens on ne désigne par « équité » que ce qui n’a pas encore été traduit en précepte et enchaîné dans les filets du droit. Comme il n’y a aucune contradiction apparente entre cette équité et le droit, les juges sont toujours tenus de prononcer selon la teneur du droit et sont interdits de rechercher une nouvelle équité, jusqu’à ce que le prince romain l’ait traduite en précepte par son interprétation, comme le dit la première loi de ce titre. On appelle aussi « équité » tantôt dans un sens large et en opposition au droit strict, et dans ce sens, « équité » désigne également un certain droit écrit, tel que tout ce qui a été introduit par raison d’équité contre la rigueur des termes du droit strict et régulier […]. Cette équité, qui n’est pas en soi brute mais est un droit écrit, tout en étant en contradiction similaire avec le droit écrit et strict, les juges sont tous tenus de l’investiguer attentivement et de la distinguer par leur propre interprétation de la rigueur du droit, et de juger selon elle, comme le dit cette loi sur les jugements 11 .

Quaestiones disputatae

Alors que la quaestio legitima avait une fonction systématique et abstraite, la quaestio disputata était plutôt de nature casuistique, basée sur l’exposé des faits litigieux et leur qualification juridique. Ce genre apparaît également dans la sphère des outils pédagogiques : il s’agit d’un exercice de classe qui rend compte des discussions tenues dans les écoles certains jours de la semaine, visant à apprendre et à pratiquer la méthode du raisonnement juridique et de la dispute en droit. Le maître présentait un casus à ses élèves et ceux-ci, devant lui, devaient produire des argumenta pour et contre les solutions opposées au cas douteux, dans une sorte de litige fictif. À la fin, le maître donnait la solution à privilégier. Les plus anciennes quaestiones connues sont les quaestiones civiles débattues dans le deuxième quart du XIIe siècle à l’école bolonaise de Bulgarus (c. 1100-c. 1166), où le genre a peut-être vu le jour (Belloni, 1989). Cependant, les quaestiones disputatae ont rapidement été adoptées par les canonistes (Condorelli, 2002). Elles sont devenues extrêmement populaires, surtout en dehors de Bologne parmi les écoles transalpines (Gouron, 1992). Les quaestiones disputatae civilistes ont été largement étudiées et éditées par les historiens du droit (Kantorowicz, 1939 ; Belloni, 1989 ; Bellomo, 2008), tandis que les travaux de Gérard Fransen (Fransen, 2002) se sont concentrés sur les quaestiones disputatae de droit canon.

Quaestiones reportatae et redactae

A l’origine, les quaestiones disputatae étaient mises par écrit par un reportator, c’est-à-dire un étudiant qui notait la dispute dans ses notes. Elles ont donc été appelées par Kantorowicz quaestiones reportatae (Kantorowicz, 1938). La quaestio de Nicholas de Aquila des Quaestiones Londinenses, analysée par Sarah White, est un exemple de quaestio reportata.

Plus tard, les maîtres eux-mêmes ont commencé à rassembler leurs propres quaestiones : c’est le cas, par exemple, de la collection compilée par Pillius de Medicina (fl. 1175-c. 1210) entre 1186 et 1195 (Belloni, 1980) ; de telles collections ont été appelées quaestiones redactae.

Quaestiones de facto et ex facto emergentes

Les premières quaestiones disputatae concernaient des cas fictifs inventés par le maître (quaestiones de facto) ; plus tard, l’intérêt croissant pour la pratique du droit a conduit à la discussion de cas réels tirés des tribunaux (quaestiones ex facto emergentes). Cet intérêt pour l’aspect pratique résulte du travail effectué dans les écoles mineures de la vallée du Pô (Cortese, 1995), aux mains de juristes novateurs comme Iohannes Bassianus (fl. 1150-1200) et Pillius de Medicina. Le premier, très versé dans les arts libéraux, appréciait la méthode dialectique de l’oppositio contrariorum au point d’introduire de nombreuses innovations dans l’utilisation des quaestiones, les employant non seulement dans les activités à l’appui des cours ordinaires, mais aussi dans ses propres lecturae. Iohannes a également composé de nombreuses gloses sous forme de quaestiones et a compilé une petite collection de quaestiones redactae pour ses étudiants (Belloni, 1989). Pillius a fait de même, bien que Roffredus Beneventanus (c. 1170-c. 1244), dans ses propres Quaestiones de facto emergentes (v. 1220), l’accuse (apparemment injustement) de n’utiliser que des cas fictifs. La quaestio disputata sera ensuite définitivement intégrée dans les lecturae des maîtres du droit à partir du XIIIe siècle (Bellomo, 2000).

Présentation des quaestiones dans les manuscrits

Comme pour les distinctiones, il convient de s’arrêter brièvement sur la présentation de la structure des quaestiones dans les manuscrits médiévaux afin de mieux comprendre leur fonctionnement et de faciliter leur identification.

Souvent, le texte de la quaestio est présenté selon une organisation simple en deux colonnes : le début est souvent mis en évidence par la présence d’initiales rubriquées (en rouge) ou de marques de paragraphe (§), suivi de la liste des allégations juridiques (argumenta) pour et contre et, enfin, de la solutio (figure 3).

Dans d’autres cas, la liste des allégations juridiques (qui révèle que nous sommes en présence de quaestiones ou de brocarda) est rendue immédiatement visible par la structure en liste qu’elle prend sur la page (figure 4).

Les allégations peuvent aussi être mises en évidence en organisant la quaestio en trois colonnes, avec le casus au centre et les arguments à gauche (pro) et à droite (contra) (figure 5).

Enfin, il convient de noter que souvent, dans les quaestiones disputatae, en particulier en droit canonique, la technique logique de la distinctio est adoptée non seulement dans la solutio contrariorum, mais aussi dans l’analyse et la décomposition du casus sur lequel elles se fondent. Il est en effet tout à fait possible qu’un seul casus donne lieu à plus d’une quaestio. Par exemple, dans les Quaestiones Barcinonenses breves, l’exposé du cas est généralement suivi de l’expression « in hoc themate due formantur quaestiones » (Fransen, 1985b).

Argumenta

Le dernier instrument et genre littéraire dialectique à considérer est l’argumentum. Dans la tradition rhétorique médiévale, un argumentum est « un raisonnement qui donne foi à quelque chose de douteux » 12 (Cicéron, Topiques, 8, 426.35-37), ou « un raisonnement pour prouver ce qui est douteux au moyen de ce qui est certain » 13  (Quintilien, Institution oratoire, V, x, 8). Il s’agit donc d’un outil permettant de rechercher la solution d’un cas incertain et représentant la base sur laquelle la validité d’un certain concept peut être prouvée. En termes juridiques, l’argumentum permet de résoudre un problème dans un litige : il s’agit d’une preuve fondamentale selon les principes de la rhétorique (Weimar, 1967). Dans la méthodologie de la scolastique médiévale, l’argumentum peut être développé et identifié grâce à une technique heuristique spécifique, héritée de la tradition rhétorique, appelée Topica ou technique des loci : « Un objet bien dissimulé, lorsque le lieu où il est caché est indiqué et repéré, est facile à découvrir », disait Cicéron, « de même, lors que nous voulons dépister des arguments, nous devons savoir les lieux où on les trouve » 14  (Cicéron, Topiques, 7, 426.30-34). Pour indiquer le bon endroit où chercher les argumenta, la technique des topiques les regroupait selon des lieux communs ou des propositions générales, appelés loci ou sedes argumentorum : « Le lieu est le siège de l’argument ou l’endroit d’où l’on tire l’argument pour la question proposée » 15  (Papias, 1496). L’utilité d’une telle technique pour la pratique juridique est évidente et les recueils de loci juridiques ont d’ailleurs connu une longue fortune (Bellomo, 1974 ; Caprioli, 2006). Bien entendu, tous les lieux communs fondés sur le raisonnement (locus loicalis) n’avaient pas de pertinence juridique : pour être utilisé dans les litiges juridiques, l’argumentum contenu dans le locus devait trouver son origine dans des sources normatives grâce à l’auctoritas desquelles il se légitimait (Errera, 2008). À cette fin, les glossateurs préparaient différents types de genres et de gloses, dont deux seront examinés ici : les argumenta notabilia et les argumenta brocardica.

Argumenta notabilia

Un premier type d’argumenta que l’on trouve déjà dans les plus anciens appareils de gloses de textes normatifs sont les notabilia. Un argumentum notabile est, comme son nom l’indique, un argument digne d’être noté, et les notabilia tirent en effet leur origine des notae, c’est-à-dire des gloses marginales utilisées pour attirer l’attention du lecteur sur un point particulier du texte normatif (Kuttner, 1937). Certaines de ces notes servaient à résumer de manière synthétique les concepts contenus dans le texte et ont ensuite été utilisées comme outils d’argumentation juridique : d’où leur nom de argumenta notabilia (Weimar, 1967). Dans ces premiers cas, le notabile pouvait être identifié à l’argumentum qu’il contenait (Kuttner, 1937), mais il a rapidement commencé à incorporer une véritable maxime juridique accompagnée d’une allégation (Stickler, 1953 ; Speciale, 1987). Ces notabilia ont ensuite été élargis, ajoutant d’autres allégations d’argumenta parallèles, devenant ainsi des dépôts de sources normatives ou loci.

Au cours de la seconde moitié du XIIe siècle, des notabilia de ce type ont donc commencé à circuler dans des recueils, en tant que genre littéraire à part entière. Bientôt, d’ailleurs, les recueils sont organisés selon une classification systématique de leur contenu : les colletions canoniques suivent l’ordre interne du Decretum de Gratien et des recueils de décrétales, jusqu’à représenter une sorte d’épitomisation de ces œuvres sous forme de maximes, tandis que les recueils civilistes sont organisés sous des rubriques thématiques comme les recueils anglo-normands « Arg. quod religiosi » et « Arg. contra religiosos » (Brasington, 2022 ; De Concilio, 2024). Tous deux reflètent l’ordre suivi par les maîtres dans leurs cours. Ce processus de systématisation des notabilia suggère également un changement de leur fonction : de recueils d’argumenta pour la pratique à des appareils exégétiques pour l’enseignement du droit (De Concilio, 2022).

Prenons l’exemple de cette courte collection de notabilia sur le Code de Justinien (Figure 6). La première ligne indique le titre du Code dans lequel se trouve la règle à laquelle le notabile se réfère (« De hiis q(u)i uenia(m) etatis impet(ra)u(eru)nt » : C. 2.44). Sur la deuxième ligne, la marge gauche contient l’incipit de la lex spécifique dont est extraite la note (« § eos q(u)i » : C. 2.44. 1), tandis que la colonne principale contient la maxime juridique qui paraphrase le texte de Justinien : « Maiores p(ost) impet(ra)tam ueniam n(on) deb(e)nt restitui, ne q(u)i cu(m) hiis co(n)trah(e)ru(n)t a(u)ct(oritat)i p(r)incipali ci(r)cumsc(r)ipti uideantur ». Le titre de la note suivante passe ensuite à un autre titre du Code (« De t(em)p(or)ib(us) in in(tegru)m rest(itutionis) » : C. 2.52).

Fig. 6 Notabilia Codicis Justiniani (Fulda, Hochschul- und Landesbibliothek, ms. D. 12, fol. 102r).

L’image qui suit nous donne une idée de la manière dont les notabilia canoniques étaient organisés (Figure 7). Ici, les argumenta se déroulent dans un ordre progressif suivant celui du Liber extra. Le chiffre romain en haut au centre (ici « -I- ») nous indique dans quel livre de la compilation nous nous trouvons, tandis que chaque notabile est anticipé par l’incipit de la décrétale à laquelle il se réfère, souligné et introduit par une majuscule en style lombard, alternativement en bleu ou en rouge : (« Dampnamus quid(em) » : X. 1.1.2 ; « Canonum » : X. 1.2.1, etc.). Vient ensuite le notabile qui peut être composé d’un ou plusieurs argumenta, introduits par une marque de paragraphe rouge ou une lettre soulignée par un trait rouge : par exemple « Nota q(uo)d licet autor rep(ro)betur, t(ame)n eius acta non rep(ro)bantur ». Le passage d’un titre à un autre à l’intérieur du Liber extra est marqué dans la marge : par exemple, « d(e) c(on)stit(utionibus) » (X. 1.2) à gauche du deuxième notabile.

Argumenta brocardica

Très vite, les notabilia qui intègrent désormais des maximes juridiques et des listes d’allégations sont accompagnées par les glossateurs d’argumenta opposés selon la technique de l’oppositio contrariorum. Cette nouvelle forme d’argumentation a conduit à l’émergence de ce que les spécialistes ont communément appelé argumenta brocardica ou brocarda (Weimar, 1967). Il convient toutefois de noter que les juristes de la seconde moitié du XIIe siècle ont utilisé le terme brocardica pour désigner à des époques différentes divers instruments dont les caractéristiques ne se recoupent que partiellement, comme le montrent les études récentes sur le sujet (De Concilio, 2022). Sous leurs différentes formes, les brocards commencèrent également à circuler, d’abord dans des gloses marginales, mais furent bientôt rassemblés dans des collections indépendantes, non seulement dans les écoles de droit canonique et civil, mais aussi dans les écoles de droit lombard, comme en témoignent les Brocarda Lombardae (D’Amelio, 1969-1970) et celles du juriste mantouan Vaccella (fl. 1181-1205-6) (Besta, 1902). Le genre semble être né dans les cercles ecclésiastiques d’Europe du Nord : le plus ancien recueil que nous connaissons, le Brocardica « Dolum per subsequentia purgari », a été composé dans les années 1160 dans l’école d’une cathédrale anglaise (Schwaibold, 1985a). En outre, nombre de ces collections plus anciennes ne se distinguent absolument pas des premières collections de notabilia, ne présentant pas d’oppositio contrariorum et étant donc de simples ensembles de loci argumentorum. On peut l’observer en étudiant la structure de la collection de brocards suivante (figure 8). La phrase rubriquée est suivie d’une liste verticale d’allegationes, puis directement d’un nouveau brocard. Notez également que le nombre d’allégations peut également être très faible à l’instar des notabilia.

Fig. 8 Perpendiculum, Partie III (Leipzig, Universitätsbibliothek, ms. Rep. II 117, fol. 5v).

Dès les années 1170, certains recueils de brocardica se caractérisent par l’utilisation systématique de l’opposition dialectique. Celle-ci ne vise cependant pas la résolution d’antinomies, mais leur utilisation dans le cadre d’une dispute judiciaire, et ne comprend donc pas de solutiones. Ce type de brocard était associé à la fonction d’argumenta generalia, c’est-à-dire d’arguments juridiques autosuffisants de portée générale et indéfinie (Weimar, 1967), par opposition à l’argumenta specialia, applicable à un seul type de cas (Weimar, 1973). Seule la comparaison d’un argumentum avec d’autres argumenta pouvait démontrer sa validité (Weimar, 1973). Les plus anciens recueils de ce type que nous connaissons sont les première et deuxième parties du Perpendiculum de l’école parisienne (De Concilio, 2024). On y voit par exemple comment, après la première maxime (rubriquée) et une première liste d’allégations à l’appui, suit le principe opposé généralement introduit seulement par le mot « Contrarium » puis sa liste d’auctoritates (figure 9). Ce modèle a été rapidement adopté en Italie du Nord à partir de la première recension du Libellus Disputatorius (vers 1181-1185) de Pillius de Medicina et des brocards d’Otto Papiensis (fl. c. 1150), également produits dans les années 1180.

Fig. 9 Perpendiculum, Partie II (Leipzig, Universitätsbibliothek, ms. Rep. II 117, fol. 4r).

Enfin, à cette période précisément, des juristes comme Pillius commencent à appliquer le schéma de la quaestio aux brocards en les accompagnant non seulement d’oppositiones mais aussi de solutiones contrariorum afin de répondre aux objectifs de systématisation et d’harmonisation du droit. En résolvant les antinomies, ces nouveaux brocards se prêtent à être utilisés non seulement comme argumenta generalia mais aussi comme de véritables règles de droit (regulae iuris) universellement applicables et valides (Weimar, 1967). Ils connaissent ainsi un grand succès et commencent à incarner le sens définitif du genre (De Concilio, 2022). Dans leur structure définitive, les brocards étaient donc composés de trois parties différentes : 1) deux rubriques opposées qui énoncent des principes juridiques sous forme de maximes ; 2) une liste d’allégations d’arguments pour chacune de ces maximes, selon un schéma pro-contra ; 3) une solutio par laquelle, à l’instar de la quaestio, le juriste penche pour l’une des deux options, généralement selon le modèle logique règle/exception typique de la distinctio. Les plus anciens recueils de ce type sont les Generalia du canoniste Ricardus Anglicus (1161-1242), rédigés à Bologne entre 1191 et 1998, et la deuxième recension du Libellus disputatorius de Pillius composée en 1195. Les Brocardica (avant 1211) du civiliste Azo-Azon (c. 1160-c. 1230) (De Concilio, 2019) et ceux du canoniste Bartholomaeus Brixiensis (fl. 1234-1258) ont eu un succès plus durable au point d’être également imprimés au cours du XVIe siècle. Le premier avait retravaillé la collection d’Otto Papiensis (Schwaibold, 1985b), tandis que le second avait mis à jour les Brocarda (c. 1210-1215) de Damasus (fl. 1210-1217). En ce qui concerne leur structure, comme on peut le constater (figure 10), ce type de brocards suit le même modèle que la quaestio, puisque presque chaque brocard se termine par un long paragraphe discursif dans lequel le juriste expose sa solution.

Les Brocarda d’Azon étant l’une des rares œuvres de ce genre à avoir été diffusées sous forme imprimée, il est intéressant de noter la présentation du même texte dans l’édition du XVIe siècle de Caspar Hervag (Figure 11). Contrairement à d’autres (par exemple une édition vénitienne de 1566), cette édition s’est efforcée de conserver la disposition en listes.

Enfin, on a déjà mentionné comment le genre des brocards présente de nombreux points en commun avec celui des distinctiones. Non seulement, comme nous l’avons vu, les recueils de distinctiones les plus importants ont adopté la méthode des brocards dans leur forme pro-contra. Toutefois, les recueils de brocardica utilisent aussi l’instrument logique de la divisio, en adoptant parfois une division non binaire, comme c’est normalement le cas avec l’oppositio contrariorum, mais qui peut être décomposée en trois parties ou plus. Cela peut être observé à la fois dans des œuvres plus anciennes, comme le Perpendiculum, ou plus élaborées, comme les Brocarda d’Azon (De Concilio, 2024). Cela s’observe aussi dans les Brocarda du canoniste Damasus, dans lesquels le premier brocard de la collection est divisé en deux argumenta contraires, chacun d’entre eux disposant de sa propre distinction (Figure 12) :

« Ar. ignorantiam excusare in his que iuris sunt » ;

« In his que sunt iuris naturalis » ;

« Ar. con(tra) : ig(n)ora(tia(m) n(on) excusare i(n) his q(ue) s(unt) iuris po(s)it(iv)i » ;

« In hiis que facti sunt ».

Enfin, les recueils de brocards, comme ceux de distinctiones, recourent aussi fréquemment à la représentation tabulaire par le biais de diagrammes. On l’observe par exemple dans les figures 13 et 14, où la rubrique est placée à gauche des allégations et est reliée à elles par des connecteurs graphiques qui prennent la forme de lignes.

Fig. 13 Perpendiculum, Summula de presumptionibus (Munich, Bayerische Staatsbibliothek, ms. Clm. 8013, fol. 11v).

Conclusion. Différences et similitudes des genres argumentatifs

Dans ce chapitre, nous avons tenté d’examiner les différents genres rhétorico-argumentatifs des écoles juridiques médiévales. Nous avons vu qu’ils présentent de nombreux points de contact et de contamination. On peut alors se demander comment distinguer une quaestio, un brocardus, un notabile ou une distinctio dans les cas où les frontières entre les uns et les autres semblent floues. Cela peut s’avérer particulièrement problématique dans le cas des brocards, tant leur structure et leur fonction ont évolué au fil du temps.

Ainsi, par exemple, les premiers brocardica se distinguent à peine des notabilia, les deux étant des maximes soutenues par de courtes listes d’argumenta. Dans de tels cas, on peut généralement classer comme notabilia les maximes soutenues par seulement une ou deux allégations et se référant plus étroitement à un point spécifique du texte normatif. Le reste sera classé comme des brocardica.

Avec l’ajout de l’oppositio et de la solutio, le brocard se rapproche le plus de la quaestio, dont il se distingue toutefois par certains éléments. Les brocards dans leur phase finale et les quaestiones legitimae remplissent la même fonction (systématisation de normes abstraites), et tous deux sont en effet le résultat de l’application de la solutio contrariorum à un dispositif conçu pour la dispute. Les quaestiones legitimae, en revanche, ont une structure plus élaborée, parfois même de nature dialogique. Les différences entre les brocards et les quaestiones disputatae sont toutefois plus importantes. Tous deux tirent leur origine d’une incertitude et rassemblent des arguments pour et contre pour la résoudre ; cependant, ils diffèrent par le critère qui détermine cette incertitude : dans les brocardica, la validité d’un concept juridique abstrait, c’est-à-dire général ; dans les quaestiones, il s’agit d’un cas pratique (casus) dont la qualification est douteuse. Enfin, les deux genres (dans leur forme finale) visent à la résolution de l’oppositio par une solutio ; cependant, dans la quaestio disputata, la solution affirme la prévalence d’un argument spécifique dans un cas précis, tandis que dans le brocard, le but est la mise en ordre systématique des passages conflictuels, en rejetant l’antinomie comme apparente (Otte, 1971) et en séparant les champs d’application des normes antinomiques selon un schéma de règle/exception (distinctio). En somme, on peut dire que les deux genres ont des portées différentes : générale et abstraite pour l’un, spécifique et casuistique pour l’autre.

Enfin, les brocardica sont souvent hybridés avec des distinctiones et il est parfois difficile de les distinguer. Normalement, la distinctio procède par arborescence, tandis que le brocard se contente de diviser horizontalement un principe.

POUR FAIRE LE POINT

  1. Pourquoi certains genres littéraires peuvent-ils être définis comme « dialectiques » ?
  2. Quelles sont les principales caractéristiques de la distinctio ?
  3. Quels sont les différents types de quaestiones et en quoi diffèrent-ils ?
  4. Qu’est-ce que la technique des loci et pourquoi est-elle fondamentale dans l’argumentation juridique médiévale ?
  5. Qu’est-ce qu’un argumentum ?
  6. Comment la structure des brocards évolue-t-elle au fil du temps ?

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Les Libri feudorum. De la coutume locale au ius commune

Les Libri feudorum : une introduction

Peu de textes juridiques ont suscité un débat aussi passionné que les Libri feudorum, un débat qui a impliqué des spécialistes de l’histoire juridique, de l’histoire politique et de l’histoire sociale. Les Libri feudorum constituent un texte hétérogène, fruit d’un lent processus de sédimentation entre 1100 et 1250 environ, fondé sur un certain nombre de règles coutumières lombardes qui régissent à la fois la relation personnelle entre le seigneur féodal et le vassal et les droits réels que tous deux exercent sur les biens soumis à la concession féodale, connue sous le nom de « beneficium » ou « feudum ». Cet ensemble de droits et d’obligations, appelé relations féodo-vassaliques, est établi lorsque le seigneur (ou dominus) concède à une autre personne (le vassal) un bien (le fief ou le bénéfice), qui peut être un château ou un territoire sous sa juridiction, une simple parcelle de terre ou une rente foncière. La concession était sanctionnée par un acte cérémoniel d’investitura et un serment d’allégeance (fidelitas) de la part du vassal (dans certains contextes, notamment français, un acte formel d’assujettissement de la part de ce dernier, appelé homagium, était également requis, mais les Libri feudorum, liés à la coutume lombarde, n’abordent pas cette question).

Dès le XIIIe siècle, les juristes ont décomposé l’institution juridique du fief en deux éléments : la relation personnelle et le droit réel. La partie personnelle est constituée par ce que l’on appelle la « vassalité », c’est-à-dire l’ensemble des droits et obligations réciproques entre le seigneur et le vassal (y compris l’allégeance jurée du vassal et la fourniture éventuelle de services, l’obligation de protection et de tutelle du seigneur). L’élément réel est plutôt le fief ou le bénéfice, ce bien que le vassal reçoit du dominus et sur lequel il acquiert un droit effectif et immédiat. Ce bien peut être composé d’une chose matérielle et d’un ensemble de droits (choses immatérielles, res incorporales) qui sont attachés de manière permanente au bien. Par exemple, un château peut être accompagné d’un droit de juridiction qui sera attribué au vassal qui reçoit le château en beneficium.

Les Libri feudorum et les fiefs

Cette distinction est à la base de l’une des définitions les plus utilisées de la « féodalité », proposée avec succès par un historien du droit, le belge François-Louis Ganshof (Ganshof, 1944). Pour Ganshof, comme pour d’autres chercheurs avant lui, la « féodalité » serait l’union historique du « fief » et de la « vassalité », considérés comme deux institutions indépendantes, dotées d’une vie propre depuis le début de l’époque carolingienne ; leur union se produirait entre le Xe et le XIIIe siècle, l’époque de la « féodalité classique ». Dans cette perspective, les deux institutions auraient été des éléments constitutifs des principales formations politiques médiévales, à savoir l’empire carolingien et les principautés et les monarchies qui en sont issues ou qui en ont été influencées. Ce serait finalement le raffinement des instruments juridiques au cours du Moyen Âge tardif qui aurait favorisé une union stable des deux composantes, personnelle et royale.

Malgré la clarté de cette définition, la notion de féodalité soulève des problèmes importants. Tout d’abord, cette définition étroite et purement juridique coexiste avec d’autres notions plus larges, notamment :

  1. Le féodalisme de Marc Bloch, composé d’une série de paramètres, tels que l’établissement d’une élite militaire, la faiblesse de l’État, la prolifération des relations de pouvoir personnelles et le déclin de l’économie monétaire (Bloch, 1939) ;
  2. La féodalité des Lumières, qui désigne l’ensemble des privilèges de la classe aristocratique – cette féodalité contre laquelle les révolutionnaires français se sont déchaînés en 1789 ;
  3. Le féodalisme de Karl Marx, un stade évolutif de la société situé entre le mode de production esclavagiste de la Rome antique et le mode de production capitaliste moderne.

Cette multiplicité de significations, chacune avec ses propres ambiguïtés et implications idéologiques, a rendu les historiens plus prudents que par le passé dans l’utilisation d’expressions telles que « féodalisme » ou « société féodale » pour se référer à la société de l’Europe occidentale médiévale. Des expressions telles que « système féodal », ou des expressions similaires (en italien feudalità, en français féodalité, en allemand Lehnswesen) ont perdu leur sens totalisant pour se référer à des situations et des relations spécifiques qui correspondent à la définition juridique de Ganshof.

Débats sur le texte et son importance

Dans ce contexte de remise en cause des catégories féodales, l’historienne anglaise Susan Reynolds a également tenté de déconstruire la féodalité de Ganshof. À travers une relecture des sources médiévales, elle a essayé de démontrer que la vassalité et la féodalité ne sont pas des éléments caractérisant les âges carolingien et post-carolingien, mais des artefacts modernes, produits par des juristes inspirés par la terminologie des Libri feudorum pour lire tout le Moyen Âge occidental en termes « féodaux » (Reynolds, 1994). Cette profonde remise en cause des catégories « féodales », qui a initié un débat au carrefour de l’histoire et de l’histoire du droit, s’appuie avant tout sur le fait que les Libri feudorum ont connu un tel succès, à partir du XIIIe siècle, qu’ils ont été inclus dans les nouvelles éditions du Corpus Iuris Civilis de Justinien. Leur large diffusion aurait donc directement influencé toute notion de féodalité et de vassalité, et souvent de manière silencieuse, puisque Ganshof, dans l’élaboration de son modèle, n’a pas tenu compte des Libri feudorum parce qu’ils n’étaient pas considérés comme représentatifs d’une féodalité « pure », développée au Nord des Alpes, entre la Loire et le Rhin.

La vie de ce texte commence en Lombardie vers 1100, lorsque des auteurs, presque tous inconnus, rédigent des textes juridiques destinés à décrire certaines coutumes féodales locales. À proprement parler, ces textes n’étaient donc pas des normes juridiques à respecter à la lettre, mais des descriptions de ce qui relevait de la coutume. Au fil du temps, ils ont été rejoints par d’autres (commentaires d’experts locaux, constitutions impériales, textes juridiques de toutes sortes), à la fois cause et symptôme d’un intérêt pour les Libri feudorum qui dépassait les frontières de la Lombardie.

Cet intérêt a conduit à l’établissement d’une version définitive du texte, qui a commencé à être enseigné pour la première fois dans la petite école de Modène, où enseignait Pillius de Medicina (fl. 1175 – c. 1210). Pillius compila un appareil de gloses sur le texte, le traitant comme s’il était composé de normes législatives. Son apparat fut repris à Bologne par Accursius-Accurse (c. 1182 – post 1262), qui l’intégra dans son édition très réussie du Corpus Iuris Civilis, en le présentant comme un appendice à la collection des Novellae de Justinien. La version latine de cette collection, appelée Authenticum, étant divisée en neuf collationes, les Libri feudorum ont été présentés comme une dixième collatio. Inclus dans l’édition standard du Corpus Iuris Civilis, ils ont trouvé leur place dans le cinquième volume, appelé volumen parvum.

Ainsi, ce recueil de textes décrivant les règles sur les fiefs dans certaines régions de Lombardie (et en particulier à Milan), est désormais devenu un texte législatif de valeur universelle, qui a commencé à être étudié dans toute l’Europe. Au cours des derniers siècles du Moyen Âge, une littérature juridique féodale de plus en plus abondante a donc vu le jour, tout à fait semblable dans sa forme à celle qui est apparue pour compléter et commenter le corpus de Justinien (Giordanengo, 1992).

Les Libri feudorum ne sont donc pas un texte facile à intégrer dans les schémas de classification des sources juridiques, se situant quelque part entre un recueil privé de coutumes, semblable à d’autres qui ont fleuri en Europe, et un texte académique, comparable aux volumes qui composent le Corpus Iuris Civilis.

Ces premières considérations mettent en évidence quatre éléments qui font des Libri feudorum une source de première importance encore aujourd’hui. Premièrement, il s’agit d’une source unique et privilégiée pour l’étude des coutumes féodales en Lombardie et en Italie aux XIe et XIIe siècles. Deuxièmement, il s’agit du seul texte juridique médiéval ancré dans la coutume à être admis parmi les sources officielles du ius commune. Troisièmement, il a suscité l’intérêt de générations de juristes, inspirant la formulation de notions juridiques très importantes, notamment celle du duplex dominium. Enfin, il s’agit d’une source controversée, qui a donné lieu à l’un des débats historiographiques les plus animés de ces dernières décennies concernant l’histoire institutionnelle et juridique de l’ensemble de l’Europe occidentale. Pour comprendre comment cette source est devenue la principale référence pour l’analyse juridique des relations féodales à l’échelle européenne, il faut d’abord observer sa constitution originelle.

La formation du texte

Dans leur version finale, les Libri feudorum constituent un recueil composite compilant des règles coutumières sur les fiefs, des textes interprétant et actualisant des coutumes issues en partie de la pratique judiciaire milanaise, quelques constitutions impériales et un passage sur le serment d’allégeance tiré du Décret de Gratien. Cette composition hétérogène est le résultat d’un lent processus de sédimentation textuelle, auquel les spécialistes ont attribué, avec incertitude, trois étapes de codification, appelées recensiones (Weimar, 1990 ; Stella, 2023) :

  1. la recensio antiqua, qui contient huit traités rédigés entre la fin du XIe siècle et le milieu du XIIe siècle.
  2. la recensio ardizzoniana (ou intermédiaire), qui consiste en une série d’ajouts à l’antiqua dans la seconde moitié du XIIe siècle.
  3. la recensio vulgata, version standard établie à Bologne au milieu du XIIIe siècle et organisée en deux livres (d’où le pluriel Libri feudorum).

Avant de décrire les trois recensiones, il faut signaler les deux éditions les plus utilisées : celle d’Osenbruggen qui concerne seulement la vulgata (Osenbruggen, 1840), et celle de Lehmann, qui contient en plus l’antiqua (Lehmann, 1896). Dans cette contribution, je me réfère à la division en titres et chapitres proposée par Lehmann. L’antiqua, tel qu’elle apparaît dans son édition, est subdivisée en dix titres (chacun composé d’un ou plusieurs chapitres), constituant huit traités distincts, comme le montre le tableau suivant.

Traité

Titres dans l’Antiqua
(Lehmann, 1896)

Texte correspondant dans la Vulgata
(Lehmann, 1896)

A

Ant. 1-2

LF 1.1-6

B

Ant. 3-4

LF 1.7-12

C1

Ant. 9

abs.

C2

Ant. 6.1-6

LF 1.13-17

D

Ant. 6.7-14

LF 1.18-23

E

Ant. 7

LF 1.24-26

F

Ant. 8

LF 2.1-22 (sans 2.6-7pr)

G

Ant. 10

LF 2.23-24

Pour préciser les abréviations utilisées dans cette contribution, Ant. 1-2 renvoie aux titres 1 et 2 de l’antiqua ; Ant. 6.1-6 aux chapitres 1 à 6 du titre 6. En ce qui concerne la vulgata, LF 1.1-6 renvoie au livre 1, titres 1 à 6 ; LF 2.23-24 aux titres 23 et 24 du livre 2.

Les textes les plus anciens

Les traités les plus anciens (A-E) ont été composés indépendamment entre la fin du XIe siècle et les années 1240. Le lieu de leur rédaction n’est pas un hasard : la Lombardie était alors le berceau d’une importante école de droit lombard (connue sous le nom des « lombardistes »), l’un des centres d’étude du droit les plus raffinés de l’époque, et c’est dans ce contexte culturel et géographique qu’ont germé les pousses du droit féodal.

La tradition lombarde s’est développée sous la forme de commentaires (ou d’expositiones) du recueil de la législation royale et impériale, à partir de l’Édit de Rotari (643) jusqu’aux constitutions du début du XIe siècle, appelé Lombarda – la version antérieure était connue sous le nom de Liber Papiensis, le livre de Pavie. Ce n’est donc pas un hasard si le premier chapitre du premier traité des Libri feudorum (A) mentionne l’empereur Conrad II le Salique (1027-1039) et son edictum de beneficiis, promulgué lors du siège de Milan en 1037 et repris ensuite dans la Lombarda (texte 1).

Texte 1. LF Ant. 1.1
Voyons quelles sont les origines des fiefs. À une époque très ancienne, il était inhérent au pouvoir des seigneurs de reprendre, quand ils le voulaient, ce qu’ils avaient donné en fief. Plus tard, il a cependant été établi qu’ils n’auraient l’assurance de ce droit que pour une durée d’un an ; puis il a été décidé que celle-ci s’étendait à toute la vie du fidèle. Mais comme cela ne revenait pas aux fils par droit de succession, on procéda de manière à ce que cela passe aux fils […]. Mais comme Conrad était en route pour Rome, les fidèles qui étaient à son service lui demandèrent, par la promulgation d’une loi, de daigner étendre cela aussi aux petits-enfants par le fils, et [d’établir] qu’un frère puisse succéder à son frère décédé sans héritier légitime dans la jouissance du fief de leur père1.

L’intervention de Conrad (Stella, 2023), dictée par une situation d’urgence, la violente rébellion des chevaliers milanais, loin d’être un hasard, garantissait l’hérédité des fiefs (beneficia) par les chevaliers au service des autorités ecclésiastiques et publiques, en donnant à l’empereur la plus haute autorité judiciaire dans les litiges relatifs à ces biens. La constitution a souvent été copiée dans les manuscrits contenant les Libri feudorum mais n’a jamais fait partie de la collection, peut-être parce qu’elle avait déjà été incluse dans la Lombarda.

Tout cela semble placer les textes les plus anciens des Libri feudorum, dans la mesure où ils se réfèrent à un titre de la Lombarda, dans la continuité de la tradition lombarde. Mais si les seules sources explicitement citées dans les traités les plus anciens sont précisément des constitutions contenues dans ce recueil (par exemple dans LF 1.10), la plupart de ces traités consistent en un exposé de coutumes locales.

Les traités A-E (tab. 1) ont été composés approximativement dans le premier tiers du XIIe siècle dans différentes régions de Lombardie. Dans l’ensemble, ils traitent, selon des opinions parfois divergentes, des questions suivantes : 1) Comment un fief pouvait-il être acquis, c’est-à-dire par investiture ou succession ? ; 2) Comment et à qui pouvait-il être cédé ? ; 3) Qui pouvait en hériter ? ; 4) Pour quelles raisons pouvait-il être réquisitionné et à qui devait-il être remis ? ; 5) Quelles procédures devaient être suivies dans les litiges féodaux et qui devait les juger (le conseil des vassaux ou curia parium, le seigneur, l’empereur ou un juge) ? ; 6) Dans quels cas un serment devait-il être prêté ? Ces sujets ne sont pas analysés de manière systématique et aucun des traités ne les aborde dans leur totalité. Au contraire, chacun d’entre eux n’aborde que des questions spécifiques.

Les traités s’intéressent principalement aux grands vassaux de Lombardie, appelés capitanei, et les valvasores. Les capitanei formaient alors une puissante aristocratie militaire de tradition assez ancienne, dotée de vastes juridictions qui ne leur étaient que partiellement concédées en fief par l’empereur ou par de hauts dignitaires ecclésiastiques, comme l’archevêque de Milan ou les évêques lombards. Les valvasores constituaient en revanche une classe militaire de second rang, de formation plus récente, qui dépendait plus substantiellement de fiefs souvent concédés par un capitaneus ou par une église (Keller, 1979).

En ce qui concerne le style, les traités A-E ont un ton clairement didactique, lisible dans des expressions telles que videamus ou notandum est (« voyons » ou « notons »). En outre, les auteurs proposent souvent des situations hypothétiques (Si quis… c’est-à-dire : « Si quelqu’un… »), se présentant parfois comme l’une des parties du litige. On peut en déduire que le public auquel ils s’adressaient était composé de spécialistes, ou du moins d’apprentis, qui devaient connaître la pratique judiciaire en matière féodale dans les différentes curies lombardes, c’est-à-dire dans les tribunaux qui s’étaient constitués, en premier lieu, autour de l’archevêque de Milan et des évêques des autres villes lombardes.

La recensio antiqua et Obertus de Orto

Rédigés vers 1150 par Obertus de Orto (c. 1100-1175), juge et homme politique milanais, missus de l’empereur Lothaire III, élu plusieurs fois consul de Milan entre 1140 et 1174 et réglant de nombreux litiges en Italie du Nord, les traités F-G présentent quelques nouveautés. Par rapport aux textes précédents, le style est plus fluide et plus raffiné. On constate une évolution lexicale tendant vers plus de précision : le bien concédé par le seigneur est plus régulièrement défini comme feudum ; le détenteur du fief, auparavant désigné par plusieurs termes (fidelis, clientulus, vasallus, miles), est désormais identifié presque exclusivement par vasallus. Ce glissement lexical est également visible dans les sources archivistiques contemporaines (Brancoli Busdraghi, 1999).

Les interprétations juridiques des coutumes féodales locales sont également plus raffinées. L’interprétation de la détention du fief en tant que droit réel (un droit subjectif qui conférait au vassal un pouvoir immédiat et (presque) absolu sur le fief) est significative. Cette configuration du fief comme ius in re s’est produite dans un contexte de diffusion de plus en plus large sur le territoire italien de pratiques d’inféodation de propriétés foncières, de terres ou de châteaux, et de raréfaction de fiefs constitués de rentes fiscales, seigneuriales et ecclésiastiques, ou de simples dons de droits seigneuriaux (domini) (Brancoli Busdraghi, 1999). C’est essentiellement le lien de plus en plus étroit entre terres et fiefs qui aurait facilité l’utilisation en matière féodale de concepts issus du droit romain, tels que la possessio, le dominium, et précisément le ius in re.

Obertus est donc une figure fondamentale pour la définition du cadre juridique du fief. Le fait qu’il ait écrit les traités F-G a conduit à le considérer comme le compilateur de la recensio antiqua, autrefois appelée obertina. Sa figure incarne également les profonds changements de la société milanaise et italienne de l’époque : en particulier, l’émergence d’institutions communales et la montée d’une classe de juges dans le gouvernement de la ville, aux côtés de la classe militaire et d’un populus de plus en plus puissant.

L’évolution de la notion juridique de fief a eu lieu dans le contexte du renforcement des institutions communales pour lesquelles le droit romain était une source d’inspiration afin d’articuler de nouvelles procédures judiciaires basées sur les actiones. La définition des fiefs comme iura in re doit donc être replacée dans le contexte de cette vaste « romanisation » du droit italien et des coutumes locales. Dans un passage très important, Obertus soutient en effet qu’un vassal investi d’un fief peut « presque le revendiquer » devant n’importe quel possesseur, comme s’il en était le propriétaire (ou dominus) (texte 2).

Texte 2. LF 2.8.1
Quant à la chose qui a été cédée en bénéfice par une investiture légitime, le vassal a le pouvoir de « presque la revendiquer » (quasi vindicare) contre n’importe quel possesseur comme s’il en était le dominus2.

Il s’agit de la rei vindicatio, véritable action de protection de la propriété, mise à la disposition du propriétaire d’un bien contre les possesseurs illégitimes afin d’en obtenir la restitution. La position juridique du vassal vis-à-vis du fief était donc en quelque sorte assimilée à celle du propriétaire ou, situation rendue ambiguë par la polysémie de dominus, à celle du seigneur du fief lui-même. Obertus ne résout pas cette ambiguïté sur le plan formel, qui trouvera une solution plus complète quelques décennies plus tard, lorsque le juriste de Bologne Pillius de Medicina formulera le concept de rei vindicatio utilis et, avec lui, la théorie du duplex dominium, un véritable dédoublement de la propriété, qui suscitera de nombreuses discussions parmi les juristes au cours des siècles suivants (Conte, 2018).

L’attitude d’Obertus à l’égard du droit romain n’est pas toujours favorable et relève parfois de la méfiance, voire de la polémique. Ainsi, l’un de ses célèbres passages manipule le contenu et le sens d’un rescrit de l’empereur Constantin transmis par le Code de Justinien (C. 8.52.2) qui consacre la suprématie de la raison et de la loi sur la coutume (texte 3). Pour Obertus (texte 4), cette hiérarchie est littéralement inversée en matière de fiefs.

Texte 3. C. 8.52.2. L’empereur Constantin à Proculus, année 319
L’autorité de la coutume et des usages anciens n’est pas à dédaigner, mais sa valeur n’ira pas jusqu’à l’emporter sur la raison ou la loi3.

Texte 4. LF 2.1. Incipit du premier traité d’Obertus
Dans le jugement concernant les fiefs, il est d’usage de dire ce qui est contraire à nos lois [c’est-à-dire au droit romain] : car l’autorité des lois romaines n’est pas à dédaigner, mais sa valeur n’ira pas jusqu’à l’emporter sur la coutume et l’usage4.

Une autre invective, à l’égard de l’école de Bologne, peut sans doute être rapprochée de la forme narrative utilisée pour les deux traités. Ceux-ci sont rédigés sous la forme de deux lettres adressées à son fils Anselme (LF 2.1), qui étudiait alors le droit à Bologne. Il est plausible qu’avec cet expédient littéraire, qui semble faire référence au De officiis de Cicéron adressé à son fils Marcus qui étudiait la philosophie à Athènes, Obertus ait voulu critiquer le fait que le droit féodal n’était pas enseigné dans le studium de Bologne.

La recensio ardizzoniana ou intermédiaire

Avec les écrits d’Obertus s’achève ce que l’on appelle la recensio antiqua, une phase que les manuscrits conservés nous restituent sous une forme encore fluide et instable. Cette caractéristique est encore plus marquée dans ce que l’on a appelé la recensio ardizzoniana, parce qu’elle a été attribuée à tort au juriste italien Iacobus de Ardizzone (c. 1200 – post 1244), spécialiste de droit féodal, à tel point qu’aujourd’hui il est peut-être plus correct de parler d’une recensio intermédiaire. Nous sommes dans la seconde moitié du XIIe siècle, décennies au cours desquelles le caractère coutumier et localisé du texte s’accentue, mais où se manifeste également le premier intérêt des juristes de l’école de Bologne.

Le trait le plus marquant de cette phase tient dans la profonde interpénétration de ce matériau juridique avec les institutions civiques milanaises. Cette porosité apparaît clairement dans la codification des statuts de la ville de 1216 (éd. Besta, 1949), où plusieurs chapitres sur les fiefs reprennent presque mot pour mot des passages des Libri feudorum. Mais, paradoxalement, cette phase si liée à son contexte local correspond aussi au premier intérêt que nous connaissons de la part de juristes non lombards. Le plus célèbre d’entre eux est Pillius de Medicina, qui adopte les Libri feudorum comme texte d’enseignement au studium de Modène, en les traitant comme s’il s’agissait d’une source justinienne. Il en tira une summa, la première que nous connaissions, et un appareil de gloses. Il s’agit d’une opération d’une importance fondamentale dans l’histoire de la tradition juridique occidentale ; d’abord parce qu’elle élaborait pour la première fois la doctrine du domaine divisé, qui garantissait au seigneur féodal un droit réel sur les fiefs (dominium utile) sans compromettre le droit du seigneur (dominium directum) ; ensuite parce que l’appareil ouvrait la voie à l’établissement des Libri feudorum à Bologne (Conte, 2018).

Un autre signe important de cette délocalisation est l’inclusion de la constitution De pace tenenda (LF 2.27) de Frédéric Ier Barberousse (1155-1190) datant de 1152. Ce texte a probablement été interpolé, car Frédéric y est qualifié d’empereur, un titre qu’il n’obtiendra qu’en 1155, et parce que le texte ne traite des fiefs que dans deux courts paragraphes (2.27.7-8). D’autres indices de la délocalisation du texte proviennent des chapitres dits extravagantes, qui « erraient en dehors » du texte officiel (c’est-à-dire celui glosé par Pillius), ainsi appelés parce qu’ils étaient souvent copiés sans ordre précis à la fin de celui-ci. Peter Weimar a montré que les extravagantes contenaient déjà tout le matériel inclus plus tard dans la recensio vulgata (Weimar, 1990). L’aspect le plus pertinent est que nous y trouvons de nombreux textes de valeur générale. Le premier est une lettre de Fulbert, évêque de Chartres (1006-1028), sur le serment d’allégeance, déjà incluse dans plusieurs recueils de droit canonique, y compris le Décret de Gratien (Decr. C. 22, q. 5, c. 18) (Giordanengo, 1970). Plus substantielle est la présence d’une législation impériale émise par Frédéric Ier, Conrad II (1027-1039), Lothaire III (1133-1137), et peut-être Henri III (1039-1056) – mais plus probablement Henri VI (1191-1197).

Cette phase intermédiaire de la codification se caractérise donc par deux tendances opposées : d’une part, l’accentuation du caractère local du texte, solidement ancré dans la pratique judiciaire et législative milanaise, et d’autre part, l’intérêt croissant des juristes non milanais, lisible dans l’inclusion, même parmi les extravagantes, de divers textes de valeur générale.

La recensio vulgata

Le chemin vers une version stable n’a donc pas été linéaire. L’apparat produit par Pillius vers 1200 a constitué le pas le plus important dans cette direction, car il a conféré une autorité à une tradition spécifique, ce qui a permis aux interprètes ultérieurs de s’y référer plus facilement.

La vulgata, telle qu’elle apparaît dans les éditions modernes (Stella, 2023), est le résultat, vers le milieu du XIIIe siècle, d’une extension de cette version, d’une sélection et d’une remise en ordre de diverses extravagantes. La lettre de Fulbert mentionnée plus haut a été incluse dans le premier traité d’Obertus, avec un autre chapitre sur le serment (LF 2.6 et 2.7pr). Le petit traité C1 de l’antiqua, presque identique au C2, est abandonné. La division en deux livres est devenue un élément stable.

Ces réalisations sont principalement dues aux travaux d’Accurse, le grand systématiseur de la magna glossa ou « glose ordinaire » du Corpus Iuris Civilis. Il a finalement complété l’appareil de Pillius pour les Libri feudorum en l’étendant à tous ces nouveaux titres. Peter Weimar a mis en évidence les différentes étapes qui ont conduit à la formation de la vulgata proprement dite, en identifiant une proto-vulgata et une recensio accursiana (Weimar, 1990). La stabilisation textuelle s’est donc faite, là encore, de manière graduelle et non linéaire.

L’apparat de gloses complété par Accurse, véritable glossa ordinaria feudorum, a contribué de manière décisive à l’établissement de la vulgata, bientôt copiée dans les nouvelles éditions du corpus justinien comme dixième collatio de l’Authenticum. L’ensemble de textes enracinés dans la Lombardie des XIe-XIIe siècles est ainsi devenu une source officielle du ius commune. Il s’agit d’une trajectoire tout à fait exceptionnelle qui bouleverse les dogmes de l’école de Bologne. Jusqu’ici, seuls les textes de Justinien, autorités textuelles intrinsèques car compilées sur ordre de l’empereur, pouvaient être cités. Ce n’est donc pas un hasard si l’inclusion de la législation impériale dans la vulgata a été concomitante de l’intérêt des glossateurs bolonais pour le texte. En effet, elle a permis à la fois de conférer au recueil un caractère officiel et de combler, en partie, le fossé entre les coutumes lombardes des deux premières recensiones et les doctrines juridiques enseignées dans les facultés de droit.

La littérature juridique féodale

Les prémices d’une littérature juridique féodale étaient donc déjà visibles avant que les Libri feudorum ne fassent partie intégrante des sources du ius commune. L’évolution de cette littérature, composée de gloses, de summae et de traités divers, permet de reconstituer les voies par lesquelles le texte est devenu une référence théorique solide pour une discussion des relations féodales dans toute l’Europe occidentale (Giordanengo, 1992). Là encore, l’intégration des sources du droit dans les Libri feudorum n’a pas été un processus continu.

Au XIIe siècle, ou trouve des mentions de fiefs non seulement dans les sources archivistiques, sources narratives, constitutions impériales et décrets papaux, mais aussi dans les consilia et les quaestiones des civilistes ou dans les textes de droit canonique. Les sources juridiques auxquelles les juristes ont eu recours sont presque toujours celles de Justinien et de Gratien, les décrets rassemblés dans les compilaciones antiquae ou dans les constitutions impériales de l’époque médiévale. Les textes de droit romain, en particulier, n’offraient pas de points d’appui faciles pour interpréter les relations féodales : à la lumière de cela, il est aisé de comprendre comment un texte tel que les Libri feudorum pouvait être utile, en particulier pour les civilistes, pour fonder un débat commun sur le droit féodal (Ryan, 2010). C’est donc dans ce sens qu’il faut lire l’émergence d’une littérature juridique féodale fondée sur l’exégèse des Libri feudorum, qui s’incarne dans les mêmes « genres » que ceux qui caractérisent la littérature civiliste de l’époque (gloses, summae, lecturae ou commentaria).

La glose

La glose a déjà été mentionnée : dans les dernières années du XIIe siècle, Pillius de Medicina a compilé le premier apparat que nous connaissons (éd. Rota, 1938) et qui a été complété par Accurse au milieu du XIIIe siècle. En cristallisant le texte dans une version définitive, la glose fournit un « label de qualité » garanti par l’école bolonaise. Il s’agit d’une étape fondamentale, car cette glossa ordinaria feudorum restera pendant des siècles le principal outil exégétique pour l’étude des Libri feudorum. Elle facilite leur analyse et, surtout, relie leur contenu au reste du corpus justinien, jetant ainsi les bases de l’émergence du droit féodal en tant qu’émanation du ius commune. Mais l’importance de la glossa est aussi tangible en termes de contenu, puisque c’est là que se trouve la première distinction formelle entre dominium utile et dominium directum.

Les Summae

La floraison de traités féodaux composés de summae et de lecturae ou commentaria (à partir de 1300 environ) est la preuve la plus claire de l’absorption des Libri feudorum dans le système de droit commun, après la stabilisation de la glossa. Les summae fleurissent dès la fin du XIIe siècle, avec celle de Pillius de Medicina, aujourd’hui perdue et connue seulement grâce à un remaniement ultérieur (éd. Palmieri, 1892). Il s’agissait parfois de traités assez courts, des compendia des Libri feudorum (par exemple ceux de Pillius et de Jacques d’Orléans, vers 1250) (Stella, 2019). Cependant, il s’agissait souvent de vastes recueils de quaestiones et de commentaires sur le texte, organisés par thèmes ou sous forme de tractatus qui reproduisaient la division en titres et chapitres du texte de référence (Giordanengo, 1992). Dans l’ensemble, les auteurs des summae ont tenté de compenser le fait que les Libri feudorum n’étaient pas organisés de manière claire par thèmes. Ce faisant, ils ont créé des liens entre les différents lieux du texte et ont opéré une réorganisation conceptuelle du contenu au moyen de références croisées, également externes aux sources justiniennes et, selon l’auteur, aux sources canoniques, à la législation impériale et aux coutumes locales.

Lecturae et commentaria

Entre la fin du XIIIe et le début du XIVe siècle, de nouvelles techniques d’interprétation s’imposent dans les principales écoles juridiques européennes. À l’instar de l’étude du Corpus Iuris Civilis, l’analyse des Libri feudorum, qui en sont désormais une partie intégrante, commence à se fonder sur une approche inspirée de la philosophie scolastique.

Le juriste ou commentateur observe le texte à la lumière de la glose. Par cette exégèse, il cherche à dégager la ratio et à produire ainsi un droit nouveau. La diffusion des lecturae et des commentaria représente l’achèvement de l’intégration des Libri feudorum dans le ius commune, qui s’incarne surtout dans les œuvres des grands juristes comme Andreas de Isernia (c. 1220/30 – c. 1316), Iacobus Belvisi (post 1270-1335) et le célèbre Baldus de Ubaldis-Balde (c. 1327-1400).

La diffusion du texte : portée et limites

Au XIVe siècle, les Libri feudorum étaient également largement connus en France. Au siècle suivant, ils se sont imposés dans tout le continent. Des cours basés sur ces livres étaient dispensés dans les principales écoles italiennes et françaises (Giordanengo, 1992). Mais ce succès apparent ne doit pas tromper. Certains éléments tendent à minimiser son importance réelle. Ils jettent le doute sur la théorie qui voit dans le succès précoce des Libri feudorum l’incarnation la plus logique de la diffusion de la terminologie féodale en Europe occidentale dès la fin du XIIe siècle.

  1. La littérature juridique féodale est quantitativement faible par rapport à l’énorme corpus justinien.
  2. Pendant une grande partie du XIVe siècle, surtout en dehors de l’Italie, les cours de droit féodal ne faisaient pas partie du cursus ordinaire. Il s’agissait de leçons facultatives, souvent dispensées par de jeunes enseignants.
  3. Dans les quaestiones et surtout dans les consilia sur les questions féodales, les professeurs et les spécialistes en jurisprudence ont continué d’avoir un usage prépondérant des textes de Justinien. Les citations explicites des Libri feudorum sont très rares dans cette littérature, peut-être parce que le texte était encore perçu comme un corps étranger par rapport aux sources de Justinien, trop ancré dans les coutumes locales pour être universellement accepté comme preuve d’autorité (Giordanengo, 1999).

Ce dernier point nous conduit à un problème perçu dès la fin du XIIIe siècle, qui oppose deux écoles de pensée : l’une, italienne, qui soutient l’autorité des Libri feudorum et l’œuvre de ses interprètes ; l’autre, soutenue par plusieurs auteurs français, qui en conteste la validité et l’applicabilité générale (Danusso, 1991). Le fait que le débat se soit poursuivi pendant des siècles, indépendamment des jugements qu’il a suscités, prouve que les Libri feudorum s’étaient irréversiblement enracinés dans la tradition juridique occidentale, à tel point qu’aujourd’hui encore, neuf siècles après la rédaction des plus anciens traités de la collection, ils sont capables de susciter des discussions à l’échelle continentale.

POUR FAIRE LE POINT

  1. Dans quel contexte historico-géographique les textes les plus anciens constitutifs des Libri feudorum ont-ils été produits ?
  2. Combien y a-t-il de recensiones des Libri feudorum ? Quelles sont leurs principales caractéristiques ?
  3. Pourquoi la formation d’un appareil de gloses était-elle fondamentale pour le texte ?
  4. Qu’entend-on par « littérature juridique féodale » ?
  5. Quelles sont les principales raisons de la diffusion des Libri feudorum à partir du XIIIe siècle ? Quelles en sont les limites ?

Sources éditées

Eduard Osenbruggen (éd.), 1840 Corpus iuris civilis. Pars tertia novellas continens, Leipzig, Baumgaertner.

Giovanni Battista Palmieri (éd.), 1892, Hugolinus [Pillius]. Summa super usibus feudorum, dans Bibliotheca juridica medii aevi, II, Bologne, Societas Azzoguidiana, p. 181-194.

Enrico Besta et Gian Luigi Barni (éd.), 1949 Liber consuetudinum Mediolani anni 1216, Milan, Giuffrè.

Attilio Stella (éd.), 2023 The Libri Feudorum (the "Books of Fiefs"). An Annotated English Translation of the Vulgata Recension with Latin Text, Leyde, Brill.

Bibliographie :

Marc Bloch, 1939 La société féodale, vol. 2, Paris, Albin Michel.

Piero Brancoli Busdraghi, 1999 [1965] La formazione storica del feudo lombardo come diritto reale, Spolète, Centro Italiano di Studi sull’Alto Medioevo.

Emanuele Conte, 2018 « Modena 1182, The Origins of a New Paradigm of Ownership. The interface between historical contingency and the scholarly invention of legal categories », GLOSSAE. European Journal of Legal History, 15, p. 4-18.

Cristina Danusso, 1991 Ricerche sulla "Lectura feudorum" di Baldo degli Ubaldi, Milan, Giuffrè.

François-Louis Ganshof, 1944 Qu’est-ce que la féodalité ?, Bruxelles, Office de publicité.

Gérard Giordanengo, 1970 « Epistola Philiberti. Notes sur l’influence du droit féodal savant dans la pratique du Dauphiné médiéval », Mélanges d’archéologie et d’histoire, 82, p. 809-853.

Gérard Giordanengo, 1992 « Les feudistes (xiiᵉ-xvᵉ s.) », Aquilino Iglesia Ferreirós (éd.), El dret comú i Catalunya, Barcelone, Fundació Noguera, p. 67-140.

Gérard Giordanengo, 1999 « Consilia feudalia », Mario Ascheri, Ingrid Baumgärtner, Julius Kirshner (éd.), Legal Consulting in the Civil Law Tradition, Berkeley, Robbins Collection, p. 143-172.

Hagen Keller, 1979 Adelsherrschaft und städtische Gesellschaft in Oberitalien : 9. bis 12. Jahrhundert, Tübingen, Max Niemeyer.

Karl Lehmann, 1896 Das Langobardische Lehnrecht (Handschriften, Textentwicklung, ältester Text und Vulgattext nebst den capitula extraordinaria), Göttingen, Dieterich ; réimpression 1971, Aalen, Scientia Verlag.

Susan Reynolds, 1994 Fiefs and Vassals. The Medieval Evidence Reinterpreted, Oxford, Oxford University Press.

Antonio Rota, 1938 L’apparato di Pillio alle "Consuetudines feudorum" e il ms. 1004 dell’Arch. di Stato di Roma, Bologne, Cooperativa tipografica Mareggiani.

Magnus Ryan, 2010 « Succession to fiefs. A Ius Commune Feudorum ? », John W. Cairns et Paul J. Du Plessis (éd.), The creation of Ius commune. From "casus" to "regula", Édimbourg, Edinburgh University Press, p. 143-158.

Attilio Stella, 2019 « The Summa Feudorum of MS Parm. 1227 : A Work by Iacobus Aurelianus (1250 ca.) ? », Reti Medievali Rivista, 20-2, p. 271-327.

Peter Weimar, 1990 « Die Handschriften des "Liber feudorum" und seiner Glossen », International Journal of Common Law, 1, p. 31-98.

Casuistique et pouvoir législatif. Aux origines médiévales du renouvellement du droit de l’Église

Le droit canonique et la culture juridique occidentale

L’Église chrétienne occidentale et le droit qui régissait ses dimensions spirituelles et temporelles au Moyen Âge ont constitué une matrice de la société et de la culture européennes (Iogna-Prat, Rauwel et Gabriel, 2023). La tradition juridique continentale a en effet connu la coexistence du droit canonique (ius canonicum) et du droit civil romain (ius civile) en tant que droits de nature générale (iura communia), à côté d’une multiplicité de droits personnels et locaux de nature particulière (iura propria). Cet ensemble de droits a abouti à la création du ius commune à partir du XIIe siècle, un droit qui a régi l’ordre de l’Europe continentale jusqu’aux transformations introduites par les constitutions libérales, l’État de droit laïc, l’introduction de l’unicité du sujet de droit et la promulgation des codifications des droits nationaux.

Même lorsque la Réforme luthérienne de 1517 a définitivement rompu l’unité de l’Église occidentale, conduisant à l’émergence de nouvelles confessions beaucoup plus organiques par rapport aux pouvoirs des États et autres entités politiques territoriales, le droit canonique produit au fil des siècles par l’Église romaine est néanmoins resté une composante essentielle du ius commune.

Par un mécanisme constant d’osmose avec des éléments extérieurs à son propre système (Padoa Schioppa, 1999), le droit canonique a tissé un réseau de relations et de contaminations avec les différentes composantes du ius commune : le droit romain, la doctrine civile, la pensée théologique et les nombreux iura propria.

En 1991, l’historien et juriste Peter Landau a introduit le concept d’« influence » (der Einfluss) pour décrire la contribution très importante du droit canonique à la formation de la culture juridique européenne (Landau, 1991 et 1996). La science historico-juridique européenne a repris cette perspective et a montré comment le droit de l’Église médiévale est à la racine de valeurs, d’institutions et de mécanismes dans de nombreux domaines juridiques (Condorelli, Schmoeckel et Roumy, 2009-2020).

Prenons un exemple. Dès les premiers siècles de l’Église, l’évêque avait le devoir et le droit de visiter périodiquement son diocèse et de mener une enquête de nature pastorale sur ses subordonnés afin de vérifier sa bonne administration dans les domaines spirituel et temporel. La visite de l’évêque, connue sous le nom de visite pastorale, était conçue comme un instrument de connaissance destiné au contrôle et à la correction par l’autorité appelée à gouverner. Cette pratique a été reprise dès le début de l’époque moderne par les souverains absolus et adaptée aux objectifs de centralisation et de contrôle des autorités locales par les gouvernements centraux (Napoli, 2019 ; Di Paolo, 2018). Aujourd’hui encore, les principes élaborés pour justifier la visite et réglementer sa procédure constituent le modèle des inspections administratives menées par les autorités publiques et privées sur leurs subordonnés pour exercer une fonction de connaissance, de contrôle et de gouvernance (De Benedetto, 2019).

Les Corpora iuris de l’Église et de l’Empire : deux voies de formation et de réception en Europe

Le droit canonique se caractérise par le fait d’être un « droit religieux » (Padoa Schioppa, 1999 [2003]), c’est-à-dire un système juridique inspiré et réglementé par des valeurs métajuridiques qui découlent de préceptes religieux et éthiques consacrés par les textes bibliques, patristiques et conciliaires.

Comme nous le savons, le fondement du ius civile à la base du ius commune européen consiste plutôt en un complexe de textes qui a été promulgué en tant que compilation législative impériale au VIe siècle. Après une éclipse presque totale de cette compilation pendant environ cinq siècles, une activité croissante d’interprétation et d’enseignement de ces textes a commencé à partir du XIIe siècle et une version scolastique standard du Corpus Iuris Civilis a pris forme.

Le Corpus Iuris Canonici, quant à lui, a une histoire quelque peu différente : il s’agit d’un recueil de sources ecclésiastiques hétérogènes datant du IVe au XVe siècle, qui s’est formé progressivement entre le XIIe et le XVe siècle et qui n’a jamais fait l’objet d’une promulgation officielle. La première édition a été imprimée en 1500/1501 à Paris par le chanoine et éditeur français Jean Chappuis. Ses collections sont tantôt privées, tantôt officielles, et contiennent à la fois le ius vetus et le ius novum de l’Église médiévale.

Le Corpus Iuris Canonici a été repris à plusieurs reprises au début de l’époque moderne et mis à jour avec le ius novissimum, c’est-à-dire le droit constitué par les décrets du concile de Trente publiés en 1564. En réponse à la Réforme protestante, ces décrets ont joué un rôle central dans la définition des dogmes et ont également impulsé des réformes significatives qui ont modifié le ius decretalium médiéval (Sinisi, 2009).

En 1584, le pape Grégoire XIII a approuvé la version du Corpus Iuris Canonici révisée par une commission de correctores romani spécialement mandatée par le pape Pie V en 1566. L’approbation pontificale de 1584 diffère toutefois de la promulgation du Corpus de droit civil par Justinien entre 529 et 533. Ce dernier a promulgué l’entièreté de sa compilation : elle devient obligatoire dans son ensemble par sa faculté à légiférer. Grégoire XIII, quant à lui, a approuvé la version révisée du Corpus Iuris Canonici, mais n’a pas promulgué l’ensemble de la collection en tant que compilation officielle : il a laissé chaque partie de la collection garder sa légitimité originelle. L’Église occidentale n’a connu sa première codification unitaire officielle qu’en 1917 avec le code bénédictin, remplacé ensuite par le Code de droit canonique de 1983 qui est toujours en vigueur.

Les modalités et les formes par lesquelles l’Église médiévale s’est dotée d’un Corpus Iuris Canonici sont donc très éloignées de celles que Justinien a appliqué au VIe siècle avec le Corpus Iuris Civilis. Cependant, les deux corpora iuris ont été mis en contact par la doctrine des canonistes et des civilistes qui s’est développée autour d’eux dans les universités. Le lien entre le droit canonique et le droit civil a constitué un enchevêtrement indissociable, aussi bien quand les normes et les interprétations convergeaient que lorsqu’elles divergeaient. Leur participation à la création de la culture juridique a donc été commune.

Les civilistes travaillaient essentiellement sur un corpus juridique unique et bien défini, composé presque exclusivement du corpus justinien, complété par le droit féodal et additionné de quelques constitutions impériales médiévales. Les canonistes, en revanche, travaillaient sur un terrain très vaste et en constante évolution. Lié à la tradition et au ius vetus, il était toujours ouvert au changement et au ius novum, ainsi qu’à un recours constant à des sources extérieures à ce système, y compris le droit romain et des normes locales et individuelles (Padoa Schioppa, 1999).

Les décrétales et le ius novum : l’origine casuistique du droit général

Une particularité de l’Église occidentale médiévale est l’origine essentiellement casuistique du droit qui la régit. Comme on le sait, lorsque le pape se prononce sur une question controversée ou sur un cas soumis à son jugement, il émet une décrétale, sous la forme d’une littera decretalis. À partir de cette décrétale, il produit en fait un droit nouveau.

La décrétale répond à une demande d’avis d’un membre de la hiérarchie ecclésiastique concernant la résolution d’un cas concret. Disposant d’une force contraignante, elle n’a pas été créé dans le but de dicter une discipline générale. Les premiers canonistes qui ont glosé sur le Decretum de Gratianus-Gratien se sont attardés sur l’origine casuistique des décrétales et ont précisé leur nature de loi générale comme les canons des conciles (Landau, 2000).

Les décrétales étaient utilisées pro diversis negotiis. La fonction la plus fréquente était consultative, c’est-à-dire qu’elle consistait à donner un avis sur une question juridique ; mais d’autres fonctions comprenaient la clarification de la valeur d’une norme canonique, la promotion de l’application d’une disposition au niveau local, l’adoption d’une mesure d’exécution, l’instruction aux évêques locaux ou aux juges délégués de vérifier une situation dont le pape avait été informé par une plainte collective. Ce n’est que dans de rares cas que les décrétales ont été émises pour dicter des normes générales (Landau, 2000). En raison de leur nature jurisprudentielle, les décrétales des papes sont généralement comparées aux rescripta des empereurs romains qui les émettaient dans des circonstances similaires.

Les décrétales ont proliféré à partir de la fin du XIIe siècle, produisant un ius novum abondant, qui est toutefois resté en dehors du Decretum Gratiani. Le Décret est rapidement devenu le dépositaire du ius vetus, c’est-à-dire l’ensemble des sources les plus représentatives de la tradition juridique millénaire de l’Église du haut Moyen Âge.

La nécessité de mettre à jour le ius vetus conduit tout d’abord à l’ajout des nouvelles décrétales en annexe des manuscrits du Decretum, et bientôt à la rédaction de collections autonomes, les Quinque Compilationes Antiquae.

Ce sont les canonistes et les évêques qui s’attèlent à cette tâche afin de connaître et ordonner le ius novum, de disposer d’une collection de textes utiles pour étayer leurs arguments devant les tribunaux et d’enseigner le droit le plus récent dans les universités. Ce sont donc les canonistes qui ont formé le corpus juridique de l’Église en rassemblant ce que les pontifes ont promulgué par décrétale (Larson, 2016). Ces compilations ne parviennent toutefois pas à apporter ordre et certitude aux sources, car aucune n’exclut les autres, et ancore moins n’empêche l’émergence de nouvelles.

Avec les décrétales extravagantes, les papes ont exercé le pouvoir normatif absolu dont ils disposaient pour résoudre des cas particuliers. Lorsque ces textes qui avaient valeur de normes ont été réorganisés selon des critères systématiques, la doctrine a mis l’accent sur leur portée générale, qui allait au-delà de la nécessité de résoudre un problème contingent. Dans leurs travaux, les canonistes présentent ces normes particulières et singulières comme l’expression de principes généraux abstraits, établis par l’autorité de la norme souveraine. Les nombreuses solutions des cas individuels abandonnaient ainsi leur spécificité liée aux circonstances factuelles et devenaient des principes généraux du droit. La doctrine les interprétait dans le contexte d’un corpus textuel unique comprenant le ius vetus et le ius novum.

Si, dans un premier temps, ce sont les canonistes qui ont pris l’initiative de compiler des recueils de normes pontificales et de promouvoir leur diffusion, sans obtenir l’approbation de la Curie ou du pape, avec la Compilatio Tertia de 1210, élaborée par le canoniste Petrus Beneventanus, sur décision d’Innocent III (1198-1216), nous assistons pour la première fois à l’intervention du souverain pontife. Dans sa bulle Devotioni vestrae, Innocent III adresse à l’université de Bologne ce recueil. Il invite à ce qu’il soit appliqué dans les tribunaux et enseigné dans les universités, car il contient la version authentique de ses décrétales, c’est-à-dire celle qui correspond à la version dans les registres pontificaux (Thier, 2002).

Au début du XIIIe siècle, un pape publie donc pour la première fois un recueil officiel de droit de l’Église. La forme adoptée pour cette publication correspond aux besoins des docteurs de l’université qui vont justement l’enseigner aux étudiants. Il est conscient que les normes qu’il promulgue ne vivent qu’à travers la doctrine, parce que c’est elle qui les introduit dans le système en leur donnant une interprétation.

En 1226, la Compilatio Quinta d’Honorius III (1216-1227) inaugure une nouvelle ère dans la formation du corpus de droit canonique : ce sont les papes qui ordonnent de rassembler les normes existantes et chargent un canoniste de confiance de les fournir (Larson, 2016). L’université est le troisième acteur qui intervient pour parfaire la stabilisation du droit par sa propre exégèse. Avec la bulle Novae causarum, Honorius adresse au canoniste Tancredus, archidiacre de Bologne, la Compilatio Quinta qu’il avait fait rédiger et l’invite à la transposer sans hésitation dans les tribunaux et les écoles, car elle contenait des décrétales authentiques.

Cinq ans plus tard seulement, en 1231, Grégoire IX charge le canoniste dominicain Raymundus de Pennaforte – Raymond de Peñafort de produire un recueil de décrétales qui ne contiendrait que le droit effectivement en vigueur. Cette nouvelle compilation abroge tous les recueils de décrétales antérieurs. La particularité était que le pape autorisait à intervenir sur le texte même des décrétales. L’opération effectuée par le canoniste consistait alors à supprimer les références aux circonstances qui avaient donné lieu aux questions résolues par les décrétales et à transformer les décisions pontificales en déclarations de principe abstraites. Le degré de liberté avec lequel le compilateur est intervenu dans le contenu des décrétales, en énucléant leur raison d’être et en laissant le reste de côté, reflète le fait qu’il les considérait comme des véhicules de diffusion de valeurs et de principes de droit, plutôt que comme des textes législatifs officiels et non modifiables (Larson, 2016).

Avec la bulle de promulgation Rex Pacificus de 1234, Grégoire IX adresse le Liber extra (Liber extravagantium decretalium) à l’université de Bologne, sanctionnant son exclusivité, son universalité et établissant l’interdiction de créer de nouvelles collections sans l’autorisation préalable du Siège Apostolique. De cette très importante collection, entrée dans le Corpus Iuris Canonici et qui constitue le deuxième pilier après le Décret de Gratien, il reste aujourd’hui pas moins de 675 manuscrits (Bertram, 2014). Il s’agit là d’un nombre encore plus important que celui des environ 600 exemplaires du Decretum, qui, rappelons-le, a donné naissance à la science canonique au XIIe siècle.

Autour de l’authenticité des decretales extravagantes : la décrétale Pastoralis officii diligentia d’Innocent III

Les décrétales ont déterminé le développement du ius novum. La question qui reste ouverte est de savoir dans quelle mesure cela s’est produit dans et à travers les collections canoniques (Drossbach, 2022).

Un cas exemplaire qui nous permet d’observer la dynamique par laquelle les décrétales dans les collections ont introduit des principes dans l’ordre juridique est représenté par la décrétale Pastoralis officii diligentia que le pape Innocent III promulgue le 19 décembre 1204 en réponse à Eustache, évêque d’Ely dans le Cambridgeshire (1198-1215). Ce dernier avait consulté le pape pour savoir comment un juge devait se comporter lorsqu’il avait des motifs raisonnables de douter de l’authenticité d’une décrétale associée à un procès. En substance, sur quelle base peut-il considérer ce document comme fiable ?

La décrétale a circulé dans certains collections privées, puis a été sélectionnée en 1210 par le canoniste Petrus Beneventanus et incluse dans la Compilatio Tertia sous le titre De fide instrumentorum (III.Comp.2.13.3). Le texte entre ensuite dans le premier recueil officiel de l’Église et est repris en 1234 par Raymond de Peñafort, chargé par Grégoire IX de mettre de l’ordre et de certifier les sources du droit de l’Église, précisément parce que les décrétales étaient non seulement dispersées dans de nombreux volumes, mais présentaient aussi des versions incomplètes ou incorrectes.

Fig. 1 Innocent III, Pastoralis officii diligentia (X.2.22.8). Exemple tiré de l’édition de Grégoire IX, Liber extra decretalium, Rome, In aedibus Populi Romani, 1582, col. 777 (exemplaire conservé à Los Angeles, Library of the University of California Los Angeles).

La décrétale prévoit alors que (X. 2.22.8) : « lorsqu’une décrétale est jointe à un procès dont le juge a des raisons de douter, si elle est conforme au droit commun, il ne doit pas craindre de juger sur la base de cette décrétale, puisque c’est comme s’il jugeait sur la base de l’autorité non pas de la décrétale, mais du droit commun. Si, par contre, la décrétale est contraire au droit commun, il ne doit pas juger sur la base de cette décrétale, mais doit consulter son supérieur ».

La réponse d’Innocent III affirmait un principe important du droit : à savoir que la conformité au droit commun permet de surmonter les défauts formels ou les doutes quant à l’authenticité d’un texte normatif porté devant le tribunal et de juger sur la base de ce texte en raison de l’autorité du droit commun.

La décrétale Pastoralis officii diligentia a été placée sous la rubrique De fide instrumentorum (X.2.22.8), qui est consacrée aux instruments de preuve. Mais Innocent III a également traité des questions d’authenticité ou, à l’inverse, de falsification des documents pontificaux dans d’autres décrétales placées sous la rubrique De crimine falsi (Landau, 2000 [2013] ; Drossbach, 2022). Par ces autres déclarations, il est intervenu dans des cas spécifiques de falsification portés à son attention en adoptant des critères d’évaluation et en imposant des sanctions qui ont fini par constituer le crime de forgerie et la discipline qui s’y rattache.

Justinianus, Codex
Fig. 2 Innocent III, Dura saepe (X.5.20.4) et Licet ad regimen (X.5.20.5). Exemples tirés de l’édition de Grégoire IX, Liber extra decretalium, Romae, In aedibus Populi Romani, 1582, col. 1747-1748 ; 1749-1750 (exemplaire conservé à Los Angeles, Library of the University of California Los Angeles).

Dès la première année de son pontificat, Innocent III avait découvert le 19 mai 1198 que des lettres non authentiques portant le sceau de Célestin III et le sien avaient été produites. Il publia alors la décrétale Dura sepe (X.5.20.4), dans laquelle il dicta des règles générales pour protéger la procédure d’émission des bulles. Il établit également la peine d’excommunication et de suspension de l’ordre et du bénéfice respectivement pour les laïcs et les clercs qui recevaient des lettres pontificales d’une autre main que celle du pape ou de ses fonctionnaires. Les mêmes peines s’appliquaient également à toute personne qui, sachant qu’elle avait entre les mains de fausses lettres, ne les détruisait pas dans un certain délai.

Quelques mois plus tard (le 4 septembre 1198), par la décrétale Licet ad regimen (X.5.20.5), le pape indique à l’archevêque de Reims et à tous les autres archevêques le type d’examen à effectuer sur les lettres jugées suspectes. Il établit une liste de sept formes de forgerie qui peuvent être reconnues sur la base d’une analyse diligente des documents. Les techniques d’altération peuvent en effet toucher de multiples aspects : la composition formelle (forma), le style littéraire (stylus), le fil (filum), la qualité du parchemin (membrana), l’effacement des mots (litura) et le sceau (sigillum). Avec cette décrétale, Innocent III a donc formulé les principes de base de la diplomatique pontificale moderne.

Fig. 3 Innocent III, Ad falsariorum (X.5.20.7). Exemple tiré de l’édition de Grégoire IX, Liber extra decretalium, Romae, In aedibus Populi Romani, 1582, col. 1751-1752 (exemplaire conservé à Los Angeles, Library of the University of California Los Angeles).

En 1201, avec la décrétale Ad falsariorum (X.5.20.7), le pape étend les peines prévues pour les faussaires à ceux qui utilisaient des lettres apostoliques obtenues par d’autres sans les avoir préalablement examinées avec diligence pour en vérifier l’authenticité.

En 1204, lorsque Innocent III répond à l’évêque d’Ely, il a donc à l’esprit ce contexte d’incertitude généralisée quant à l’authenticité des extravagantes, due non seulement à la nature privée de leur circulation, mais aussi et surtout à la pratique de forgerie des lettres pontificales.

La décrétale Pastoralis officii diligentia introduit le principe de conformité au droit commun comme critère pour considérer comme fiable un document ne remplissant pas les conditions formelles d’authenticité. Elle montre comment le développement du droit canonique s’est souvent fait à travers l’extraordinaire abondance des décrétales. Ces déclarations juridiquement contraignantes avaient déjà augmenté de manière exponentielle dès le début du pontificat d’Alexandre III (1159-1181).

La transmission des décrétales du XIIe siècle s’est faite presque exclusivement par le biais de collections dont la préservation dans les manuscrits dépendait du zèle des clercs (Landau, 2000). Les premiers collectionneurs étaient principalement anglais, ce qui explique pourquoi 387 des plus de 700 décrétales d’Alexandre III conservées sont adressés à des établissements ecclésiastiques anglais (Landau, 2000 [2013] ; Drossbach, 2022). Les décrétales jugées dignes d’être transmises sont essentiellement de nature consultative. Parmi les plus de 300 incluses dans la Tertia Compilatio d’Innocent III, tous les types décrits ci-dessus sont représentés. Les décrétales consultatives prédominent ; seulement 3% peuvent être définies comme des règles générales, y compris celles qui réglementent le crime de falsification, qui était devenu extrêmement important dans un système juridique basé sur l’écriture (Landau, 2000).

La Pastoralis officii diligentia d’Innocent III constitue un cas exemplaire de décrétale de type consultatif. Si l’on met de côté les recueils canoniques dans lesquels elle a circulé et que l’on consulte les registres soigneusement édités des lettres d’Innocent III, on observe avec étonnement la longueur originale du décret.

Justinianus, Codex
Fig. 4 Innocent III, Pastoralis officii diligentia (X.2.22.8), exemple tiré de Die Register Innozenz’ III. 7. Pontifikatsjahr, 1204/1205 : Texte und Indices, Othmar Hageneder, bearbeitet von Andrea Sommerlechner et Herwig Weigl (éd.), Vienne, Verlag der Österreichischen Akademie der Wissenschaften, 2007, pp. 298-304.

Dans cette version originelle (qui n’est pas entièrement passée dans les recueils législatifs), s’adressant à l’évêque d’Ely, le pape écrit : « la diligence et la sollicitude de la fonction pastorale que vous exercez en remplissant nos mandats, et votre scrupule à éviter de commettre des erreurs, nous incitent, bien qu’accaparés par de nombreuses affaires, à les mettre de côté et à consacrer notre attention à répondre à vos questions de droit ». En effet, l’évêque a posé pas moins de dix-neuf questions concernant le procès, la délégation de juridiction, l’appel, les droits de patronage, les rentes ecclésiastiques, etc.

En ce qui concerne la question spécifique de l’authenticité des décrétales, dans la version originale du texte, on trouve une clarification omise dans les recueils canoniques. Le juge a des raisons de douter des décrétales, car nombre d’entre elles sont incluses dans des recueils savants et produits en justice. Mais il ne s’agit pas formellement de bulles pontificales et elles n’ont pas été transmises par des évêques métropolitains.

Le cas de la Pastoralis officii diligentia, qui était à l’origine très étendue, montre la variation textuelle qu’une décrétale peut connaître lorsqu’elle entre dans un recueil canonique et combien sa force normative est liée à la révision continue des recueils. L’édition des registres pontificaux promue par l’Österreichische Akademie dans la seconde moitié du XXe siècle constitue un véritable outil d’investigation au sujet des décrétales d’Innocent III. Cette entreprise remplace la transcription des sources disponibles dans la Patrologia latina de Jacques-Paul Migne (milieu du XIXe siècle). Les Regesta pontificum romanorum édités par August Potthast dans la seconde moitié du XIXe siècle sont également d’une grande utilité. Dans le cas de la Pastoralis officii diligentia, ils mentionnent le nombre original de questions posées au pape par l’évêque d’Ely, questions qui sont ensuite devenues autant de décrétales incluses dans la Tertia Compilatio et fusionnées dans le Liber extra.

Les extravagantes entre le Moyen Âge et l’époque moderne

Decretales, regulae cancellariae et decisiones Rotae

En raison de son inclusion dans le Liber extra, la décrétale Pastoralis officii diligentia d’Innocent III a fait l’objet d’un enseignement universitaire entre les XIIIe et XIVe siècles. Elle a été reprise au XVe siècle dans un paysage fortement modifié pour interpréter la situation des sources.

Après la consolidation réalisée par le Liber extra de Grégoire IX en 1234, le ius novum avait également été recueilli dans le Liber Sextus decretalium de Boniface VIII en 1298 et dans les Constitutiones de Clément V en 1317. C’est avec ces œuvres que le temps des compilations officielles de l’Église s’achève.

Les centaines de décrétales extravagantes publiées entre le pontificat de Boniface VIII (1294-1303) et celui de Sixte IV (1471-1484) circulaient largement dans les manuscrits sous la forme d’appendices aux recueils officiels ou dans des miscellanées de textes théologiques, juridiques ou autres. En raison d’une transmission officieuse et éloignée des bancs de l’université, ces normes étaient accompagnées de quelques gloses et commentaires, mais jamais d’un appareil exégétique systématique (Brown, 1987).

Dans certains cas, la glose d’un canoniste a donné un caractère unitaire à certaines de ces décrétales. C’est le cas de vingt extravagantes de Jean XXII (1316-1334) compilées en 1325 sous la forme d’un recueil avec des gloses de Jesselin de Cassagnes (c. 1300 – m. 1334/35) et de Guillaume de Montlauzun (m. 1343) (Tarrant, 1983).

Avec l’introduction de l’imprimerie, les extravagantes furent immédiatement éditées et, en règle générale, ajoutées en tant qu’appendices aux collections officielles de droit canonique, où elles étaient reportées sans glose et suivant des regroupements fixes (de 1 à 37 unités). De ce panorama éditorial se détache un unique incunable dans lequel vingt extravagantes accompagnées d’un apparat de gloses sont placées non pas à la suite d’un recueil canonique, mais après le Tractatus de visitatione praelatorum de Iohannes Franciscus de Pavinis (m. 1484), canoniste et auditeur de la Rote (auditor Rotae). C’est lui-même qui a promu et édité l’édition et l’a faite imprimer en 1475 à Rome dans l’imprimerie de Georgius Lauer (Di Paolo, 2018).

Trois ans plus tard, en 1478, toujours à Rome, Iohannes Franciscus de Pavinis a édité dans son editio princeps le recueil contenant la collection des vingt extravagantes de Jean XXII, toujours avec les gloses de Jesselin de Cassagnes et de Guillaume de Montlauzun. Placée après les Clementinae, cette collection est introduite par un praeludium de Pavinis lui-même.

Fig. 5 Iohannes Franciscus de Pavinis, Praeludium ad Extravagantes Iohannis XXII (1478). Exemple tiré de l’édition du Corpus Iuris Canonici, éditée par Jean Chappuis, imprimée par Ulrich Gering et Berthold Rembolt, 1500-1501 ; Heidelberg, Universitätsbibliothek Heidelberg (ISTC No. ib01014000), vol. III, fol. 1v.

Ce texte, qui accompagnera de manière permanente le recueil de Jean XXII dans toutes les éditions ultérieures, ouvre une fenêtre sur la réflexion contemporaine au sein de la Curie sur la valeur et l’utilité de trois sources de l’ordre juridique de l’Église (les decretales extravagantes, les regulae cancellariae et les decisiones Rotae) qui laissent entrevoir les symptômes du changement lié au passage entre Moyen Âge et époque moderne (Di Paolo, 2018).

Le premier profil considéré concerne la nature juridique des decretales extravagantes. Lorsque celles-ci étaient produites en justice, si elles ne portaient pas de sceau ou si elles n’étaient pas rédigées par un notaire public, on pouvait légitimement soupçonner qu’il s’agissait de copies qui ne correspondaient pas à l’original. L’Église a pris acte de cette situation d’incertitude et de confusion en adoptant certaines précautions contre les extravagantes. En l’absence de publication explicite dans une bulle pontificale, le texte d’une décrétale extravagans ne pouvait être présumé authentique que s’il était, au choix, conservé en archive, inclus dans une collection d’extravagantes, glosé par un juriste célèbre ou bien s’il avait circulé plusieurs fois dans la même version avec d’autres extravagantes ou s’il avait été durablement appliqué en procès. Ces circonstances empêchaient quiconque de créer et d’annexer une nouvelle décrétale en l’incluant simplement dans son propre recueil.

La définition de ces conditions d’authenticité est le fruit de la doctrine canoniste née autour de la décrétale Pastoralis d’Innocent III. Au XVe siècle, Felinus Sandeus (1444-1503), canoniste et auditeur de la Rote romaine, la commente en observant qu’une décrétale extravagans peut être dit « notoria » (son existence ne peut donc non être prouvée) lorsqu’elle exprime le droit commun, car la probabilis ignorantia due à son exclusion du corpus du droit fait défaut : « ratio est quia non est probabilis ignorantia quando extravagantes sunt notoriae » (Di Paolo, 2018).

Le passage à l’imprimé a favorisé la connaissance de ces normes pontificales et a stabilisé leur tradition textuelle. Cela permet de réaliser ainsi l’une des conditions élaborées par la doctrine médiévale pour en établir l’authenticité, à savoir la circulation commune de plusieurs extravagantes accompagnées de la glose d’un juriste célèbre.

Fig. 6 Iohannes Franciscus de Pavinis, Praeludium ad Extravagantes Iohannis XXII (1478). Exemple tiré de l’édition du Corpus Iuris Canonici, éditée par Jean Chappuis, imprimée par Ulrich Gering et Berthold Rembolt (éd.), 1500-1501 ; Heidelberg, Universitätsbibliothek Heidelberg (ISTC No. ib01014000), vol. III, fol. 1v.

Le deuxième profil examiné dans le praeludium est la nature juridique des règles de chancellerie pontificale (regulae cancellariae), c’est-à-dire une composante essentielle de la législation avec laquelle l’Église, après la fin des collections officielles de décrétales, a réglementé des aspects cruciaux de son administration temporelle, tels que l’attribution des bénéfices. Cette législation administrative ne régissait pas exclusivement les activités internes de la chancellerie, mais la gestion globale des biens dans toutes les provinces de la chrétienté (Meyer, 2016 et 2022).

La pertinence juridique des regulae était donc à la fois interne et externe à la Curie, comme en témoigne leur large diffusion dans les manuscrits et les éditions imprimées. L’intérêt de connaître les regulae n’était pas exclusif au personnel de la chancellerie. Cela servait aussi à tous ceux qui voulaient s’adresser à la Curie afin de demander l’attribution d’un bénéfice, car les regulae transposaient et actualisaient la discipline relative au pouvoir du pape d’attribuer ces biens (Meyer, 2016 ; Werhahn-Piorkowski, 2021).

Dans la seconde moitié du XVe siècle, la valeur juridique des règles commence à être assimilée à celle des normes générales, même si leur validité est circonscrite au pontificat du pape qui les avait émises. Leur validité était conditionnée par une nouvelle promulgation du souverain pontife : il pouvait les abroger, les modifier et en introduire d’autres.

Cette caducité des regulae fait douter non seulement de leur nature de loi générale, mais aussi de leur validité réelle. Comme les decretales extravagantes, elles circulaient dans des recueils sans caractère officiel et qui n’étaient pas envoyés dans les universités pour être transposés et enseignés. Elles étaient copiées dans des centaines de manuscrits, souvent à côté de règles abrogées ou partiellement modifiées (Meyer, 2022).

Fig. 7 Iohannes Franciscus de Pavinis, Praeludium ad Extravagantes Iohannis XXII (1478). Exemple tiré de l’édition du Corpus Iuris Canonici, éditée par Jean Chappuis, imprimée par Ulrich Gering et Berthold Rembolt (éd.), 1500-1501 ; Heidelberg, Universitätsbibliothek Heidelberg (ISTC No. ib01014000), vol. III, fol. 1v.

Le troisième profil considéré dans le praeludium est la valeur juridique des decisiones de la Rote (Rotae) romaine. Rappelons que la Rote romaine est le principal tribunal de la Chrétienté. Ces décisions ne constituaient pas des jugements à proprement parler ni des raisonnements motivés. Elles correspondaient plutôt au compte rendu des opinions exprimées par les auditeurs lors de la discussion du cas, ainsi qu’à la conclusion à laquelle la formation de jugement était parvenue. Les decisiones exprimaient donc la doctrine et l’orientation scientifique des auditeurs de la Rote (Dolezalek et Nörr, 1973 ; Dolezalek 1980 ; Santangelo Cordani, 2001).

La question était de savoir si les decisiones, en tant qu’opinions émises en haut lieu par les juges suprêmes de la Rote, étaient créatrices de droit et avaient la force de précédent contraignant pour les organes judiciaires interne et externe à la Curie. Ces sources constituaient un outil très efficace pour le développement du droit canonique. Elles possédaient : 1) la même autorité que les décisions du pape en vertu de la juridiction ordinaire déléguée à la formation de jugement des auditeurs de la Rote ; 2) la même autorité que les arguments formulés par la meilleure doctrine du droit commun. La valeur des decisiones en dehors du tribunal était alors assimilée à celle des responsa des anciens prudentes, tandis qu’àu tribunal, elles étaient considérées comme l’expression du stylus iudicandi que les auditeurs définissaient autour de certaines questions (Di Paolo, 2018).

Les decisiones avaient acquis une valeur autonome par rapport au cas individuel dont la résolution en était à l’origine : elles faisaient désormais partie du savoir de tout juriste. Les canonistes les tenaient en haute estime, comme en attestent leur circulation dans des centaines de manuscrits et leur référence fréquente dans toutes sortes d’argumentations. Les spécialistes de droit canon ne les soumettaient pour autant pas à une réflexion systématique (Dolezalek, 1989).

Comme les extravagantes et les regulae cancellariae, les decisiones de la Rote romaine du XIVe siècle n’avaient pas été compilées et officiellement validées par un tribunal. De Pavinis a donc utilisé l’impression pour déterminer et sélectionner la jurisprudence de la Rote du XIVe siècle qui faisait le plus autorité. Il a classé les decisiones de la plus récente à la plus ancienne, de manière à ce que chacune soit fonctionnelle pour une consultation quotidienne. Cette édition a été imprimée à Rome en 1475 dans l’atelier de l’imprimeur Georgius Lauer (Di Paolo, 2018).

La réflexion tardomédiévale autour de la nature des decretales extravagantes, des regulae de la chancellerie et des decisiones de la Rote romaine, ainsi que leur large diffusion dans les manuscrits et les éditions incunables, témoignent de leur considération comme des composantes essentielles de l’ordre canonique. Toutefois, ces sources circulaient dans des collections non officielles, ce qui entretenait des doutes sur leur authenticité lorsqu’elles étaient citées ou produites en procès.

Au début du XIIIe siècle, la décrétale Pastoralis officii diligentia d’Innocent III affirmait le principe de la nécessaire conformité au le ius commune comme condition préalable pour surmonter les difficultés en cas d’incertitude sur l’authenticité d’une décrétale. Rappelé à plusieurs reprises encore au début de l’époque moderne, ce critère de présomption d’authenticité se fonde sur des éléments non exclusivement intrinsèques mais externes au document. Cela a permis aux decretales extravagantes, aux decisiones de la Rote romaine et aux regulae de la chancellerie pontificale d’être appliquées de la même manière que d’autres normes générales, même si elles étaient extra-vagantes au Corpus Iuris Canonici.

POUR FAIRE LE POINT

  1. Les canons des conciles et les décrétales des papes sont-ils des sources générales de droit ? Ont-ils été créés pour dicter une discipline abstraite et uniforme ?
  2. Les décrétales ont-elles été compilées à l’initiative des papes dans le but de créer un code officiel pour l’Église ?
  3. Le texte d’une décrétale était-il considéré comme authentique lorsqu’il mentionnait le nom du pape qui l’avait rédigé ?
  4. Ceux qui utilisent une fausse lettre pontificale produite par d’autres sont-ils exonérés de toute responsabilité ?
  5. Les extravagantes ont-elles la même nature et la même efficacité que les décrétales incluses dans les recueils officiels ?
  6. Les regulae cancellariae étaient-elles des règles générales ou des dispositions appliquées uniquement au sein de la chancellerie ?
  7. Les decisiones Rotae étaient-elles des sentences rendues par le tribunal du pape ? Ont-elles eu force de précédent pour tous les juges ecclésiastiques ?

Sources éditées

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Le droit canonique dans le ius commune. Summae et commentaria

La critique des genres littéraires : écrits de forme et écrits d’usage

Dans la seconde moitié du XIIe siècle, coïncidant avec la phase finale de la rédaction du Decretum de Gratianus-Gratien, un riche apparat exégétique se développe autour du texte normatif recueilli par le magister. Des écrits interprétatifs prennent des formes différentes et répondent à des besoins de plus en plus variés.

Il serait improductif et méthodologiquement incorrect de définir et de classer ces types d’écrits interprétatifs dans les genres littéraires « typiques » qui ont inspiré les besoins definitionnels de l’historiographie la plus ancienne, sur la lancée cataloguante et schématisante d’une philologie classique, depuis longtemps dépassée. La raison principale insiste sur le fait que ces écrits interprétatifs sont liés à l’enseignement, ce sont des textes écrits dans les écoles et pour les écoles, qui sont nées en même temps que la diffusion du Decretum Gratiani à Bologne et ont fleuri dans toute l’Europe de l’époque. À l’instar de ce qui se passait à la même époque dans les écoles qui travaillent autour de la compilation du droit romain de Justinien, dans ce contexte vivant et animé, des hommes qui ne maîtrisaient pas encore ou pas complètement des connaissances juridiques raffinées et approfondies, commencent à définir les sphères d’autonomie du droit canonique, tentent de comprendre et de commenter le contenu des canons du Decretum, et de les confronter à la réalité de l’époque.

Une fois face aux normes, considérées comme un texte écrit, forme d’écriture par excellence sur laquelle se fonde la nouvelle science juridique, pour les premiers juristes la seule autre forme d’écriture admissible est celle qui clarifie pour le lecteur ou l’auditeur le contenu de ces normes (Caprioli, 1978). Aux écrits in forma représentés par les normes, s’ajoutent et se superposent des écrits interprétatifs aux caractéristiques variables qui reflètent le travail quotidien d’interprétation et de révision, la vivacité des écoles et l’évolution continue de la pensée juridique médiévale. Le caractère multiforme de l’interpretatio se reflète dans les écrits exégétiques définis avec efficacité par Stephan Kuttner, textes vivants ou sine forma (Kuttner, 1958 ; Stickler, 1958).

L’analyse de la formation et de la circulation de ces textes, fruit et patrimoine commun des écoles, permet de comprendre la dimension communautaire de la science juridique qui transmet aux textes de l’interpretatio le signe visible de la maturation continue de l’exégèse des maîtres du droit et de leur vitalité persistante auprès des étudiants (Speciale, 1994). Classer ces écrits dans un genre littéraire spécifique revient à altérer leur nature même, car ces « écrits d’usage » représentent la variété de la pensée formulée et communiquée oralement et ensuite annotée au texte, à l’écriture in forma (Bellomo, 1997).

Certains contenus ne sont pas originaux, des passages entiers sont copiés d’autres textes ; il est souvent impossible d’attribuer leur paternité à un seul maître, et ils échappent au concept moderne de propriété intellectuelle (Caprioli, 1978 ; Stickler, 1981). Mais le travail même de sélection des textes à utiliser et à copier implique en soi un choix visant la pensée que l’on veut soutenir ou l’idée que l’on veut critiquer. Il fait toute l’originalité de l’œuvre. Ce travail de construction interprétative ne se fait pas dans la dimension solitaire et isolée du sage. Il est le fruit d’une rencontre entre des maîtres et des étudiants qui se trouvent face à des sources à interpréter et des doutes à résoudre.

L’exégèse, projection du processus d’autonomisation du droit canonique

À partir du moment où le Decretum de Gratien est introduit dans les écoles, l’exégèse des sacri canones et des decreta sanctorum patrum, jusqu’alors considérés comme parties intégrantes de la Sacra Pagina et interprétés avec des outils propres à la théologie, commence progressivement à se transformer en une interprétation juridique autonome qui s’articule sur des critères internes au droit lui-même (Kuttner, 1953 ; Fantappié, 2017).

Les modèles interprétatifs traditionnels sont transformés et adaptés à la nouvelle méthode d’enseignement des canons dans les écoles, dans le but d’harmoniser les normes et de résoudre leurs contradictions afin de clarifier et d’autonomiser les problèmes juridiques. C’est dans les écoles que se déroule le processus révolutionnaire d’autonomisation du ius canonicum, qui commence à se distinguer « de la masse jusqu’alors indifférenciée des Sciences de la divinité » (Le Bras, Lefebvre, Rambaud, 1965). Les maîtres s’attachent à comprendre la nature théorique et technique des normes canoniques afin d’enseigner une scientia, qui trouve ses sources dans le Decretum, distincte du reste du savoir philosophico-théologique.

Il serait anachronique et trompeur de penser que, dès le début, les interprètes ont agi comme des juristes au sens propre du terme. La formation des décrétistes qui abordent l’étude du Decretum était encore liée aux arts libéraux et à la théologie. Surtout dans la première phase, les canonistes n’ont pas connaissance des techniques d’interprétation présentes dans le droit romano-justinien que les glossateurs bolonais apprennent simultanément. Les formes d’interpretatio s’inspirent de la tradition théologico-philosophique et révèlent l’effort réel de recherche d’outils adaptés à un nouveau contexte pour les interprètes eux-mêmes, des outils qui permettent de définir plus clairement les limites du langage juridique et de s’éloigner du langage théologique.

Donner une forme juridique aux premières pages du Decretum, au concept de droit naturel quod in Lege et Evangelio continetur, et définir la sphère du droit divin et du droit humain a exigé un effort titanesque. Il a également fallu clarifier la soumission de l’action humaine à la dimension morale et religieuse. Cela impliquait le risque évident de dépasser les limites des Saintes Écritures et du divin, qui imprégnait alors la vie des hommes. Pourtant, ces maîtres ont réussi, avec une lucidité extraordinaire, à tracer les contours fondamentaux de l’ordre temporel du droit.

La complexité des formes de l’interpretatio

Chaque jour, dans les écoles, les professeurs qui lisent enrichissent la littera legis de leur interpretatio. Dans le même temps, les élèves consignent par écrit les traces de ce qu’ils ont entendu afin d’aider et de soutenir leur mémoire : les normes sont flanquées de gloses, brocards, summae, quaestiones et commentaria. A l’instar de la vision du droit comme corpus ordonné et ordonnateur, saisi dans sa dimension vitale mutable, capable de croître au fil des générations et de représenter la projection humaine de règles sculptées dans la dimension divine, chaque écriture d’usage est conçue pour être révisée et reconstruite, car les normes doivent être commentées pour s’adapter aux transformations et aux changements de la société.

Les premiers écrits sont constitués d’excerpta, d’annotations non homogènes qui se résument à seulement quelques causae du Decretum que, probablement en raison de leur contenu, les maîtres ont intérêt à comprendre pour mieux les expliquer à leurs étudiants. La nécessité d’interpréter les normes recueillies par Gratien, de revoir et de relire les réflexions du Magister, de commenter et de repenser leur contenu transforme presque immédiatement l’approche du texte normatif, qui s’enrichit de glossae, notabilia, brocarda, quaestiones et abbreviationes, solutiones contrariorum et distinctiones. Malgré leur coïncidence formelle, ces outils interprétatifs ne peuvent pas se superposer abstraitement et n’ont pas toujours la même nature schématique adoptée par les glossateurs civilistes (Meyer, 2000).

À ce stade, la nécessité de rechercher l’ordre naturel exprimé dans les sources normatives canoniques pousse les interprètes à articuler leurs textes selon une méthode analytique qui leur permet de comprendre mot à mot l’essence juridique des canons. Au fil du temps, l’approche analytique, insuffisante en soi, a été flanquée d’une méthode plus systématique et organisée adoptée dans les Summae, dans le grand apparat de gloses et ensuite dans les commentaria monumentaux des célebres interprètes du XIVe siècle. Le rapport constant entre les écoles et la pratique et la nécessité de donner une apparence juridique aux faits quotidiens ont nourri la formation d’une génération de juristes résolument éloignés de toute spéculation abstraite et formelle. Le phénomène juridique vit et se manifeste dans cette confrontation continue d’opiniones et ne reste pas confiné à l’exercice rhétorique du raisonnement abstrait. Il est indissociable des facteurs humains du droit, il vit et se nourrit d’oppositions, de doutes, et expérimente des mécanismes de recherche d’une vérité qui émerge du conflit des perspectives. Le monde juridique médiéval est construit sur la logique du probable, sur la contraposition dialectique du raisonnement pour donner des solutions qui, à leur tour, peuvent être revues et corrigées (Giuliani, 1966 ; Bellomo, 2000)

Pour toutes ces raisons, les critères classiques utilisés pour distinguer une summa d’un commentaire ou d’un apparat s’avèrent souvent insuffisants. Il n’est pas rare que dans un même texte, apparemment homogène, l’auteur utilise différents instruments d’interprétation. Beaucoup de ces textes exégétiques présentent des caractéristiques similaires, certains relèvent d’une rédaction définitive, mais chacun d’entre eux répond à des besoins différents, à des approches personnelles que l’auteur, les auteurs, les professeurs, les étudiants donnent à l’écriture, reprenant et recomposant des enseignements entendus ou transmis. Il arrive en effet que des summae brèves et synthétiques soient annotées en marge du Decretum, à côté des gloses, pour être ensuite séparées du texte normatif et diffusées sous la forme d’un commentaire autonome. Par conséquent, pour comprendre le sens véritable de ces écrits, il est crucial d’identifier et de reconstruire la transmission et la forme de circulation du texte (das Überlieferungsgeschichtliche ; Kuttner, 1937) afin de reconnaître, par exemple, le commentaire autonome d’un auteur individuel exprimé sous forme de résumé et le différencier d’un apparatus glossarum, pour comprendre l’inclusion d’une quaestio dans un commentaire et de saisir le sens global de la position exprimée par son auteur.

Les Summae

Traditionnellement, la première Summa au Decretum est attribuée à Paucapalea (fl. 1140) (Pennington-Müller, 2008), probablement le premier élève de Gratien. L’ouvrage rédigé à Bologne entre 1140 et 1150 est composé d’excerpta du Décret et d’historiae bibliques. Il peut être considéré à ce jour comme l’une des premières expressions du mouvement d’initiation à l’interprétation canonique, mais peut difficilement être qualifié de summa au sens propre (Viejo-Ximénez, 2012 ; Fiori, 2013). Selon toute vraisemblance, il s’agit d’un ouvrage à vocation pédagogique (Schulte, 1890 ; Pennington-Müller, 2008) qui a eu le mérite d’avoir été le premier à mettre à jour un champ inexploré. Il suffit de penser aux considérations fructueuses que Paucapalea consacre dans son Prologue à l’ordo iudiciarius qui ont initié des réflexions ultérieures sur un sujet jusqu’alors presque inconnu (Pennington, 1993).

Lorsque la saison de l’enseignement du droit canonique commence à Bologne, la nécessité d’ordonner et de synthétiser les opinions favorise la floraison d’ouvrages de nature plus systématique qui ont été transmis et diffusés de manière autonome par rapport au Decretum, précision faite que, malgré leur nom, ces textes combinent, au moins à ce stade, des apparats de gloses et de summae (Kuttner, 1937).

Le plus ancien peut être considéré comme l’ouvrage intitulé Stroma Rolandi ex Decretorum corpore carptum de Rolandus 1  (fl. 1150-1160), magister bononiensis actif à Bologne dès 1154, à ne pas confondre avec Rolando Baldinelli, futur pape Alexandre III, actif dans la seconde moitié du XIIe siècle (Weigand, 1980 ; Sorice, 2012). Le travail continu de révision et d’ajouts à la Summa effectué au fil des ans par le magister bolonais, dont on connaît plusieurs recensions, reflète les caractéristiques d’une pensée formulée dans le cadre d’un enseignement, un work in progress de nature composite et complexe difficilement identifiable comme une œuvre unique (Kuttner, 1994). À Rolandus appartiennent également un nombre important de gloses et de quaestiones, ces dernières en collaboration avec Metellus (Weigand, 1986), et les Sententiae magistri Rolandi, publiées cependant sous le nom d’Alexandre III (Gielt, 1969).

Presque dans les mêmes années, à Bologne vers 1164, fut rédigée la Summa decretorum du magister Rufinus (fl. c. 1150-1190), considérée comme le premier grand ouvrage unifié sur le Decretum de Gratien (Gouron, 1986). Laissant de côté l’identité du juriste qui fait l’objet d’un débat passionné (Fiori, 2019), on s’accorde à dire qu’il enseigne à Bologne et que son école jouit d’une excellente réputation. Sa summa devient le prototype d’un modèle interprétatif alternatif fondé sur la méthode analytico-exégétique propre aux écoles de Bologne et sur la nécessité simultanée de commenter le contenu du Decretum dans une perspective systématique et synthétique (Kuttner, 1937). L’influence de Paucapalea et de Rolandus transparaît au sein de l’œuvre. On y trouve aussi quelques rares références au droit lombard (Lombarda), qui démontrent le lien du maître avec la réalité de son temps. Ce qui est certainement nouveau dans l’œuvre de Rufinus, c’est sa connaissance et son utilisation du droit romano-justinien et du travail de glossateurs qui lui sont contemporains. Cependant, il garde une certaine distance par rapport à ces deux éléments, ce qui est compréhensible pour un expert en Sacra Pagina qui lit des sources romaines « païennes », que les civilistes continuent à décliner et à harmoniser avec les principes chrétiens. Dès l’ouverture de sa Summa (D.1, pr. c.1), en effet, Rufinus critique sévèrement les legum periti pour leur interprétation du droit naturel et du principe vim cum vi repellere licet, qui s’oppose ouvertement à l’idée de ius naturale contenue dans le Decretum Gratiani. La renommée qui accompagne son enseignement garantit l’énorme succès de sa Summa, également en raison des thèmes pertinents et significatifs abordés par le magister dans une perspective qui parvient à harmoniser, en phase avec les changements en cours, la tradition des enseignements théologiques avec le devenir des normes canoniques, antiquitas et modernitas (Thier, 2020).

Quelques années plus tard, Étienne, évêque de Tournai (1192-1203) écrit sa propre Summa. Étienne est né à Orléans en 1128. Vers 1150, il étudie à Bologne au sein de l’école de Bulgarus (m. 1166), un célèbre glossateur civiliste auprès duquel il apprend le droit romano-justinien (Viejo-Ximénez, 2012). Bien qu’il ne mentionne jamais directement ses maîtres, l’influence de la pensée de Rufinus, qu’il a probablement entendu à Chartres ou à Paris, est certaine. Sa culture et ses compétences littéraires font de lui une figure de proue dans les cercles séculiers et ecclésiastiques, où circulent et sont appréciés ses lettres et ses Sermones, qui témoignent de l’élégance de son écriture et de sa maîtrise des procédés rhétoriques (Pennington, 2019). Sa Summa 2  est rédigée entre 1165 et 1167 (Pennington-Müller, 2008). Dès le prologue, l’intention de systématiser l’étude de la théologie avec le droit en poursuivant le travail entrepris dans la Summa de Rufinus est claire. Son œuvre se présente également comme un texte dans lequel la pensée de l’auteur n’est pas le résultat d’un travail isolé, mais témoigne au contraire de son expérience d’étudiant et d’enseignant. À de nombreux endroits, il cite les opinions précédemment exprimées dans certaines de ses nombreuses gloses marginales, déjà annexées au Decretum. Contrairement à Rufinus, Étienne utilise largement le droit romano-justinien qu’il a étudié in schola Bulgari pour comparer différents principes et faits, comme c’est le cas, par exemple, pour le droit naturel (Weigand, 1986). Il n’est pas faux de penser que le juriste a continué à réviser sa Summa bien après 1170, réexaminant nombre de ses positions (Weigand, 1991). Étienne a contribué de manière décisive à la circulation de la pensée de l’école bolonaise dans une grande partie de l’Europe, mais surtout dans le milieu français, favorisant certainement la formation de l’école anglo-normande dont nous allons parler.

Dans les années 1270, les écoles bolonaises sont très actives, les écrits exégétiques du Decretum se multiplient et les gloses ainsi que les summae se combinent dans différentes compositions. L’œuvre de Iohannes Faventinus en est un exemple. La biographie du maître (m. c. 1190 ; peut-être évêque de Faenza entre 1174-1177) est entourée de mystères, bien que son activité d’interprète soit extrêmement féconde (Pennington et Müller, 2008). Probablement rédigée en 1171, sa Summa est peut-être l’un des exemples les plus clairs d’un « texte vivant » dans lequel des gloses-apparatus se mêlent à des exposés systématiques au sujet de certaines parties du Decretum (Kuttner, 1937). Le nombre d’exemplaires en circulation de cette Summa est également surprenant, car il démontre le succès de la pensée de Iohannes et la faveur de ses élèves (y compris, par exemple, Bernardus Papiensis) malgré les accusations de manque d’originalité portées contre lui par les philologues du XIXe siècle en raison de la dépendance du texte à l’égard de Rufinus et d’Étienne de Tournai (accusations également portées contre la plupart des décrétistes médiévaux et fondées sur une méconnaissance de la nature de ces œuvres). Des études récentes ont démontré la contribution originale de Iohannes sur l’institution du mariage, le procès et la culpabilité (Bukowska Gorgoni, 2001).

Dans l’effervescence de l’école de Bologne, le moment était venu de surmonter, d’une part, la méfiance à l’égard des leges extraneae (Corpus Iuris Civilis) et des interprétations des légistes, et d’autre part, de commencer à examiner les normae novae du droit canonique promulguées abondamment après la rédaction du Decretum. C’est avec cette dernière intention que Simon de Bisignano (fl. 1174-1179) rédige sa Summa entre 1177 et 1179. Ce manuscrit englobe les changements survenus dans les écoles juridiques bolonaises qui avaient surmonté la nécessité de donner une autonomie aux processus d’interprétation des normes du droit canonique et du droit romano-justinien. Simon, comme les autres interprètes après lui, fort du grand travail d’exégèse réalisé par les maîtres précédents, a utilisé les instruments disponibles pour sélectionner les canons à expliquer dans sa Summa, en les commentant également à la lumière des nouvelles décrétales et des nouveaux canons conciliaires (Aimone, 2014). Il donne ainsi vie à une œuvre originale, qu’il a lui-même voulu garder autonome par rapport à ses nombreuses gloses écrites en marge du Décret (Pennington-Müller, 2018).

Entre la fin des années 1180 et le début des années 1190, les transformations en cours affectent substantiellement l’exégèse des canonistes. La rédaction de la Compilatio I (1187-1191) par Bernardus Papiensis a renforcé la nécessité (déjà pressentie par Simon) de se tourner vers le novum, sans pour autant rompre avec la tradition exégétique alors sédimentée sur les principes du Decretum. Bologne était alors devenu un centre européen d’étude du droit et deux générations de glossateurs civilistes avaient disséqué le contenu du Corpus Iuris Civilis. C’est dans ce contexte que la Summa Decretorum d’Huguccio (fl. 1180-1210) a vu le jour. Sa rédaction incarne le moment de synthèse et de systématisation de la pensée de ses prédécesseurs. Huguccio enseigne à Bologne pendant ces années, au moins jusqu’en 1190, date à laquelle il est nommé évêque de Ferrare. Selon l’hypothèse la plus vraisemblable, le canoniste Huguccio ne doit pas être confondu avec le grammairien Uguccione, auteur du Liber derivationum (Müller, 1994). Avec Huguccio, on assiste à un changement dans l’exégèse des canons, qui sont également relus à la lumière du droit de Justinien. Son travail joue ainsi un rôle déterminant dans le déplacement, rendu nécessaire par les besoins interprétatifs du ius novum, de la formation juridique des canonistes vers une connaissance approfondie du Corpus Iuris Civilis. Dans sa Summa, la culture et la formation du maître, pas seulement tournée vers la science juridique, convergent vers une connaissance approfondie de la Sacra Pagina, des Auctoritates et des classiques romains (Térence, Cicéron, Virgile). Dans sa structure, l’ouvrage s’écarte de l’ordre de Gratien pour aborder de manière systématique de nombreux nœuds doctrinaux complexes, afin de les rendre plus clairs pour ses élèves. Huguccio réussit à synthétiser la substance des thèmes abordés par ses prédécesseurs pour offrir aux lecteurs des opinions doctrinales qui harmonisent et ordonnent des problèmes controversés visant à clarifier, par exemple, le rapport entre l’Église et l’Empire, entre l’ordre spirituel et l’ordre temporel comme au sujet de la compétence de la juridiction ecclésiastique (Fiori, 2013 ; Bisanti-Sol, 2020).

L’ampleur du phénomène en Europe. Le cas des écoles transalpines

À partir de la fin des années 1150, dans le sillage de ce qui se passe à Bologne, on assiste à une prolifération des écoles dans toute l’Europe (Weigand, 2008). L’existence d’écoles où l’on lisait les canons et où l’on produisait de nombreuses gloses du Decretum est désormais bien établie tant dans le royame de France qu’en Rhénanie (Kuttner-Ratbone, 1949 ; Gouron, 1980 ; Landau, 1986).

L’école franco-rhénane

La diffusion de la Summa d’Étienne de Tournai à la fin des années 1160 favorise la création d’une école à Paris. Elle maintient un lien étroit avec les écoles ecclésiastiques où les clercs apprennent la grammaire, la philosophie et la théologie. En effet, l’usage d’un style rhétorique propre à ces milieux est encore fréquent (Meyer, 2000), et c’est au sein de ces écoles que les juristes professionnels doivent trouver leur place (Gouron, 1999). Ce n’est qu’à la fin du XIIe siècle qu’une dimension proprement juridique de l’enseignement et de l’interprétation s’impose dans l’école française. Dans les dernières summae, on note l’utilisation directe du droit romain et la citation de la pensée des glossateurs bolonais pour résoudre des problèmes non traités par les normes canoniques. La production de cette période se distingue par la capacité des maîtres français à combiner la réflexion philosophique et théologique avec la dimension strictement juridique, un aspect qui caractérise l’exégèse des canonistes français et la distingue des maîtres bolonais (Lefebvre-Teillard, 2008).

L’une des premières œuvres interprétatives autonomes de cette école est la Summa ‘Magister Gratianus in hoc opere’, également connue sous le nom de Summa Parisiensis 3 , composée vers 1170 (Kuttner, 1937). Comme toutes les summae de l’époque, l’auteur anonyme s’inspire largement des maîtres bolonais, en particulier Rolandus, Rufinus et, bien sûr, Étienne de Tournai. Il ne mentionne que rarement le Codex de Justinien (Weigand, 2008).

Après la rédaction de la Summa Parisiensis, un auteur également anonyme rédige une Summa ‘Inperatorie maiestati’ ou Summa Monacensis (1175-1178), dont l’appartenance à l’école française ne peut être établie 4 . La complexité de l’organisation interne et de l’histoire du texte conduit à penser la Summa comme une miscellanée de gloses rassemblées par un même maître à l’intention de ses élèves (Weigand, 2018).

La Summa Antiquitate et tempore (vers 1170) doit être retenue parce que : 1) en son sein émerge le processus de contamination entre ius civile et ius canonicum qui s’exprime par l’utilisation des figurae du droit romain pour clarifier le contenu des canons, et 2) d’autres œuvres exégétiques s’en inspirent. C’est le cas, par exemple, des Distinctiones ‘Si mulier eadem hora’ seu Monacenses (vers 1170). L’œuvre, qui ne peut être identifiée au genre littéraire des Distinctiones, est composée par un maître originaire de Westphalie mais qui a étudié dans le milieu parisien. La dépendance de l’œuvre à l’égard de Paris est évidente en raison de l’utilisation abondante de la Summa Parisiensis et de la Summa Antiquitate et tempore, sur lesquelles le maître anonyme articule une grande partie du texte selon un schéma typique de compositions en mosaïque. Malgré sa provenance française évidente, il y a une référence significative à l’enseignement que Gérard Pucelle (dont nous parlerons plus tard) donne à Cologne.

Voici un exercice pour s’entraîner à lire et à comprendre un passage des Distinctiones ‘Si mulier eadem hora’ seu Monacenses.

À la fin des années 1180 est apparue la Summa Reverentia sacrorum canonum, probablement composée à Reims entre 1185-1187 (Wei, 2018 ; avec quelques doutes Landau, ibid. 2018). La summa a suscité l’intérêt des chercheurs en raison de ses positions originales sur le droit naturel, de son utilisation et de son commentaire de seize Paleae. Le décrétiste, anonyme, s’inspire des commentaires de Iohannes Faventinus et de Simon de Bisignano (Wei, 2018). Vers 1186 est composée la Summa ‘Omnis qui iuste iudicat’ seu Lipsiensis 5 , elle aussi largement inspirée de la pensée des maîtres bolonais avec l’omniprésent Étienne de Tournai.

En ce qui concerne une grande partie de cette production, il est utile de rappeler que beaucoup de ces summae, bien que définies comme telles parce qu’elles manifestent une plus grande stabilité et fixité, rassemblent souvent en leur sein des formes exégétiques de diverses natures, quaestiones, distinctiones, casus, ou sont plus proches d’un apparatus. L’exemple le plus évident est celui de la Summa Animal est substantia ou Summa Bambergensis (vers 1206-1216), dont trois versions textuelles différentes ont été identifiées. Elles font davantage penser à un apparatus plutôt qu’à une summa (Coppens, 2009).

Bien qu’italien de naissance, Sicardus Cremonensis (c. 1155-1215, évêque de Crémone à partir de 1185) est traditionnellement considéré comme un maître de l’école anglo-normande. Sicardus, qui a probablement étudié à Bologne ou à Paris en 1180, est chanoine de la cathédrale de Mayence où il enseigne peut-être à l’école épiscopale. C’est précisément pendant son séjour en Rhénanie entre 1179 et 1183 qu’il rédige sa Summa, un texte à caractère unitaire et systématique destiné à l’enseignement, à l’intérieur duquel l’utilisation de quaestiones et de distinctiones sert à contextualiser et à expliquer les sujets traités (Fiori, 2013). Sicardus représente un véritable intermédiaire entre les canonistes ultramontains et l’école bolonaise comme en témoigne le fait que sa Summa soit souvent copiée aux côtés de celle de Simon de Bisignano.

Presque simultanément à la formation de l’école française, l’intérêt pour l’étude du droit canonique s’est développé en Rhénanie. L’impulsion est donnée par Gérard Pucelle (c. 1115-1183, évêque de Coventry à partir de 1183), probablement Anglais d’origine qui a étudié à Paris, où il a également enseigné entre 1155 et 1165. Accompagnant Thomas Becket lors de son exil en France, il se rend également à Cologne où il enseigne d’abord entre 1165 et 1168, et très probablement entre 1180 et 1182. À son retour en Angleterre en 1168, il continue de servir l’archevêché de Canterbury. L’enseignement de Pucelle a favorisé la prolifération, dans les années 1170, de nombreuses summae dans la région franco-rhénane (Kuttner-Ratbone, 1949). La Summa ‘Elegantius in Iure divino’, mieux connue sous le nom de Summa Coloniensis 6  (vers 1169), gravite certainement autour de l’école de Cologne. L’auteur anonyme organise et sélectionne les canons commentés de manière claire afin d’offrir aux étudiants une synthèse facile : « nostra summa paucis ad multa iuvetur » (Pars. I, p.1). Le texte s’appuie sur les Summae de Rufinus et d’Étienne de Tournai, la Summa Parisiensis et les gloses de l’école bolonaise.

La production substantielle des summae rédigées à cette époque, et qu’on peut rattacher directement ou indirectement à l’enseignement de Gérard Pucelle, a permis de supposer qu’entre 1169 et 1190 environ, Cologne était un centre de référence à la formation des canonistes de l’époque (Landau, 2008).

L’école anglo-normande

À la fin des années 1160, l’étude du droit canonique suscite également un intérêt croissant en territoire anglo-saxon, alimenté par le retour au pays de nombreux étudiants anglais qui avaient étudié en Europe (Kutter-Rathbone, 1949).

L’introduction du droit romain sur le territoire anglais est attribuée à Vacarius (c. 1115/20 – c. 1200 ?), juriste formé à l’école des légistes bolonais, qui enseigne les leges dans les écoles ecclésiastiques à partir de 1149, probablement à Oxford (Loschiavo, 2020). Vacarius voyage beaucoup en Europe, s’installe en France et entretient certainement des contacts avec Pucelle. Il rédige entre 1166 et 1170 une Summa de matrimonio qui apparaît plus comme un ouvrage composé par un civiliste expert en leges justiniennes que comme un commentaire de droit canonique (Kutter-Rathbone, 1949). Ce n’est donc pas à lui qu’il faut attribuer l’introduction de l’étude des canons en territoire anglo-saxon.

En effet, la circulation des gloses, quaestiones et brocarda de l’école française et en particulier de la Summa ‘Omnis qui iuste iudicat’ seu Lipsiensis a alimenté la formation des canonistes anglais. Une place de choix est occupée par le maître Honorius (m. c. 1210/13), originaire du Kent, qui, entre 1185 et 1195, a étudié à Paris où il a probablement enseigné. Durant cette période, il rédige la Summa ‘de quaestionibus decretalibus tractaturi’ et la Summa ‘de iure canonico tractaturus’ (Sorice, 2012). Sa Summa quaestionum (1186-1188) est construite selon une méthode originale et innovante. Divisée en quatre parties ou distinctiones (procédure, ordres et offices ecclésiastiques, mariage), elle adopte un classement, interne à chaque distinctio, en titres, composés d’un grand nombre de quaestiones. Ces titres sont reliés par des summulae et des continuationes se rapportant aux concepts de base exprimés dans le titre précédent. Dans la praefatio de la Summa quaestionum, Honorius indique au lecteur que la voie suivie et utilisée pour commenter les canons de Gratien est celle des quaestiones decretales. Elles n’expriment cependant pas le genre littéraire indiqué par le maître mais reflètent plutôt la méthode des quaestiones civilistes scolastiques, généralement basées sur la nécessité concrète de résoudre des cas réels. Dans d’autres cas, le magister explique les règles de droit sous la forme d’une question et d’une réponse et propose à la fin différentes solutions dans le but de faire connaître aussi les opinions qui divergent. La Summa ‘de iure canonico tractaturus’, malgré les nombreuses coïncidences textuelles avec la Summa quaestionum, n’en retrace pas les grandes lignes. Elle apparaît plutôt comme une source précieuse mettant à jour des réflexions de la doctrine sur les cas les plus controversés et débattus, où les anciens doutes sont confrontés à de nouvelles opiniones. Parmi les auteurs cités, Gandulphus (fl. 1160-1170) et Iohannes Faventinus apparaissent fréquemment, rarement d’autres glossateurs. Parmi les théologiens, on retrouve Pierre le Chantre (m. 1197) et Adam de Saint Victor (m. 1192) (Kutter-Rathbone, 1949).

Vers de nouvelles exigences et de nouveaux modèles d’interprétation : le ius commune et les décrétalistes

Au début du XIIIe siècle, le droit canonique fait partie intégrante de l’enseignement universitaire et les étudiants obtiennent des diplômes in utroque iure, en droit civil et en droit canonique. La scientia canonique, jusqu’alors concentrée, à quelques rares exceptions près, sur l’interprétation du Decretum, est confrontée au développement de la nouvelle production normative de l’Église.

Nous entrons dans l’âge « mûr » du ius commune, un âge dans lequel les juristes interprètent les deux systèmes de droit civil et de droit canonique non pas comme alternatifs et conflictuels, mais comme interconnectés. La vision du droit se concentre sur la dimension universelle de l’utrumque ius en tant que projection terrestre des deux autorités, le pape et l’empereur, et dont la connaissance est considérée comme indispensable dans l’enseignement du droit.

Les premiers signes de la transformation en cours sont visibles à la fin du XIIe siècle, lorsque Bernardus Papiensis (m. 1213 ; évêque de Faenza en 1192, puis de Pavie en 1198), sur la base des enseignements de son maître Huguccio de Pise, rédige la première Summa decretalium au cours de son épiscopat à Faenza. La Summa, créée pour les écoles, suit l’ordre déjà adopté dans son Breviarium Extravagantium (voir l’entrée ci-dessous Compilatio I). Les décrétales y sont commentées dans le même ordre, avec une méthode claire et compréhensible, dans le style caractéristique des œuvres de Bernardus. Dans l’interprétation des cas traités, le canoniste se sert du Decretum et des enseignements de ses prédécesseurs Rufinus, Iohannes Faventinus et surtout Huguccio. L’innovation tient dans un recours constant au droit romain et aux outils d’interprétation qu’il fournit pour élaborer des solutions aux cas complexes que les décrets envisagent. Avec ce nouvel ordre donné au Breviarium et à sa Summa, c’est certainement le travail de Bernardus qui inaugure le temps des décrétalistes.

Les premières décennies du XIIIe siècle marquent la suprématie de l’école juridique bolonaise dans toute l’Europe. La ville de Bologne devient un centre d’attraction international pour l’étude du ius commune : les étudiants étudient le Corpus Iuris Civilis et se confrontent à la pensée que les glossateurs civilistes, avec leurs gloses, ont exprimée et expriment encore sur les figurae juridiques contenues dans les Libri Legales. En même temps, l’enseignement du Decretum s’accompagne de la nécessité de connaître le contenu de la quantité considérable de textes du ius novum. Ces textes ont été promulgués dans ces années-là par les papes et les conciles et ont été rassemblés dans divers recueils connus sous le nom de Quinque Compilationes Antiquae. Le processus d’intégration entre les deux systèmes juridiques est inévitable et immédiat.

Une nouvelle génération de canonistes naît, capable de coordonner les normes et les pensées dans une perspective juridique systématique qui s’éloigne définitivement de la dimension interprétative théologique encore présente dans les travaux antérieurs. Entre 1210 et 1230, on assiste à une production extraordinaire d’œuvres canoniques ; des summae sont rédigées par des juristes de toute l’Europe, parmi lesquels on peut citer Richardus Anglicus et Alanus Anglicus pour l’Angleterre et les espagnols Laurentius Hispanus, Bernardus Compostellanus antiquus, Vincentius Hispanus et Iohannes de Deo.

Cette génération d’auteurs de summae s’éteint avec la publication en 1234 du Liber extra de Grégoire IX. La glossa ordinaria délimite avec précision les frontières de la théologie et déplace la production scientifique de manière plus marquée en faveur du droit. À la frontière se trouve la Summa super titulis Decretalium de Goffredus de Trani (m. 1245), juriste de l’école bolonaise et élève d’Azo et d’Huguccio (Bertram, 2013). La Summa (1241-1243) suit une méthode didactique bien établie : continuatio, diffinitio, tractatus, quaestiones, notabilia, summarium. Grâce à sa structure et à la clarté de son exposé, elle se répand rapidement dans les écoles et devient le texte didactique le plus populaire, comme en témoignent les quelque 300 manuscrits qui nous sont parvenus.

Pour aller plus loin dans l’étude de la Summa super titulis Decretalium de Goffredus, voir la reproduction digitale du manuscrit du Mont Cassin 266 proposée en italien par Martin Bertram.

Le changement de rythme qui suivit la publication du monumental recueil de décrétales officielles du pape rend inévitable une transformation de l’approche des nouveaux textes normatifs, une approche qui reflétait les changements survenus dans les écoles, au sein desquelles les quaestiones assument un rôle substantiel et le raisonnement des doctores absorbe les systèmes logiques d’Abélard. Les premiers signes de ce changement se lisent déjà dans l’œuvre interprétative de Sinibaldus Fieschi (ante 1200-1254) qui, avant d’accéder au trône pontifical sous le nom d’Innocent IV, s’est formé in utroque iure à Bologne (1213-1225) en écoutant des juristes de renom tels que les canonistes Laurentius Hispanus, Vincentius Hispanus, Iacobus de Albenga et Iohannes Teutonicus et les civilistes Azo, Accurse et Iacobus Balduini. Sinibaldus a rédigé un solide et important Apparatus in quinque libros decretalium, qui, sous la forme d’un commentaire systématique, rassemble ses contributions juridiques novatrices, dont la célèbre doctrine sur la persona ficta (Melloni, 2013).

Henricus de Segusio : Summa et Commentarium

À la fin du XIIIe siècle, plus d’un juriste s’est disputé la réputation de grand canoniste et parmi eux se trouvait certainement Henricus de Segusio dit « Hostiensis » (c. 1200-1271, évêque de Sisteron à partir de 1244, évêque d’Embrun entre 1250 et 1261 et cardinal-évêque d’Ostie à partir de 1262). Henricus a étudié à Bologne et a ensuite enseigné in decretalibus à Paris (Pennington, 1993). Il n’a pas choisi une carrière universitaire, mais ses liens avec les maîtres bolonais étaient forts et fréquents, tout comme ses liens avec la curie pontificale et les cours royales française et anglaise. Son influence découle de ses compétences juridiques incontestées et va au-delà des fonctions ecclésiastiques qu’il occupe. Son œuvre la plus réussie est certainement la Summa (1230 ?-1253), connue aujourd’hui sous le nom de Summa Aurea, titre qui n’apparaît pour la première fois que dans l’édition romaine de 1477. Henricus reprend systématiquement les titres des Décrétales de Grégoire IX, en y ajoutant une cinquantaine de nouveaux titres. Sa Summa confirme l’absorption définitive des normes justiniennes dans la structure interprétative de la production scientifique canonique. Celle-ci utilise désormais de manière constante non seulement les leges, mais aussi les interprétations des glossateurs civilistes à leur sujet. En retour, ces derniers ont commencé à s’intéresser à des institutions propres au droit canonique, jusqu’alors étrangères à leurs travaux.

Dans sa Summa, Henricus consacre le lien entre les deux droits universels, l’utrumque ius, dont l’interprète doit s’inspirer pour expliquer les figurae juridiques, avec un regard constant sur l’equitas, qui sert à corriger la dureté du ius civile et son application rigide dans les cas où le salus animarum est en danger (Padovani, 2020). Henricus transfère sa brève expérience d’enseignant dans la Summa, et le texte devient l’œuvre la plus connue et la plus étudiée de cette génération de canonistes, à égalité avec la Summa d’Azo. Sa pensée ne se cristallise pas dans des spéculations abstraites, mais se transforme en s’adaptant aux différentes réalités rencontrées. Il est convaincu que les professeurs et les étudiants ne peuvent être des érudits dont le savoir est eloigné de l’interprétation des cas pratiques. Cette tendance est soutenue par l’utilisation de la technique interprétative de la quaestio comme méthode de résolution des cas les plus complexes, qui revient constamment dans la Summa, même sous une forme non isolée (Pennigton, 1986). Les canonistes, en effet, bien qu’avec quelques années de retard (vers 1180) par rapport aux civilistes, ont adopté la méthode des quaestiones dans les écoles. Cet espace est vital, car il permet aux normes du ius commune de rencontrer les faits du quotidien, qui prennent une forme juridique dans la recherche de solutiones compatibles (Bellomo, 2000 ; Fransen, 2002). Vers 1265, à la fin de sa vie, Henricus achève son Commentum super decretalibus ou Lectura. L’histoire du texte, transmise sous la forme d’une glose marginale dans le manuscrit d’Oxford, New College, 207 (Pennington, 1993), nous montre comment les écrits de l’époque ne peuvent pas être catalogués abstraitement, comme en témoignent également les différentes révisions de la Summa et de ses lecturae ou Commentaria que le cardinal lui-même envoyait aux écoles (Pennington, 2017).

Iohannes Andreae : Quaestiones et Commentaria

Nous sommes arrivés à l’époque d’un décrétalisme mûr qui a perfectionné et affiné les techniques d’interprétation en confiant également l’enseignement du droit canonique aux laïcs. C’est précisément Iohannes Andreae (1270-1348), un juriste laïc qui représente peut-être le mieux les transformations de la scientia canonistique à la fin du XIIIe siècle. Iohannes apprend le droit canonique auprès d’Egidius de Fuscarariis (fl. 1252-1289) et de Guido de Baysio (c. 1246/56-1313) en 1298 et devient doctor decretorum. Il étudie le droit civil à l’école de Martinus de Silimanis (c. 1250-1306) et de Ricardus Malombra (m. 1334). Il enseigne également le droit canonique à Bologne à partir de 1301, avec de brefs intermèdes à Pavie. Sa production canonique est immense, puisqu’il écrit des commentaires sur tous les recueils de décrets (Condorelli, 2012).

Ce genre littéraire qui s’impose dans l’école bolonaise trouve également ses limites dans la classification mentionnée ci-dessus. À partir de la seconde moitié du XIIIe siècle, l’utilisation du commentaire 7  est plus fréquente parce qu’il permet de systématiser l’exposé de manière plus discursive, en combinant ensemble gloses, summae et quaestiones, toujours dans une perspective qui n’est jamais spéculative, mais qui au contraire reflète de manière significative les expériences et les transformations de la didactique médiévale, qui trouve dans les salles de classe un moment de synthèse entre la science et la pratique

La transition, déjà perceptible dans les œuvres d’Henricus de Segusio et de Sinibaldus Fieschi, est plus évidente dans les textes de Iohannes Andreae, qui écrit des lecturae et des repetitiones qui circulent séparément dans les manuscrits sous le nom de commentaire (Pennington, 1988). La relation forte et incontournable avec un long enseignement marque sa production savante. Le juriste réussit, peut-être le premier parmi les canonistes, à créer un rapport étroit entre ius commune et iura propria qui se condense ouvertement dans le recours fréquent aux quaestiones disputatae dont Iohannes est maître. Cette pratique lui permet de donner une forme juridique, à la lumière des leges et des decretales, aux doutes interprétatifs qui investissent les normes (statuta) promulguées par les communes de l’Italie du Nord.

La série d’ouvrages s’ouvre avec l’Apparatus glossarum in Sextum (vers 1305), enrichi par la suite des Additiones qui donneront naissance à l’ouvrage connu sous le nom de Novella in Sextum (1338-1342). Il rédige également un apparatus sur les Clementinae (1322), constamment mis à jour par des apostillae. Il traite de la procédure dans ses Additiones ad Speculum Guillelmi Durantis (1338-1347). Son œuvre la plus célèbre, écrite entre 1311 et 1338, est la Novella in quinque Decretalium libros commentaria. Iohannes décrit lui-même l’objectif du commentaire, à savoir rationaliser la prolixité des opinions sédimentées sur le Liber extra à partir de 1234. Le commentaire suit le modèle bolonais de composition par mots-clés, à tel point que Iohannes lui-même le définit comme une novella compilatio glossarum, que résument les apparats de générations entières de canonistes enrichis d’opinions personnelles (Condorelli, 2012).

Le commentaire Novella in titulum de regulis iuris du Liber Sextus, également connu sous le nom de Quaestiones Mercuriales, est tout aussi important et doit être distingué de la Novella in Sextum, rédigée plus tôt, entre 1338 et 1342. Pour construire son commentaire sur les regulae iuris, Iohannes adopte une méthode singulière et peu commune. En effet, le texte n’est pas composé d’un recueil de ses quaestiones comme on l’a longtemps cru. Tout d’abord, le juriste ne suit pas l’ordre établi dans le De regulis iuris du Liber Sextus, mais organise les regulae par ordre alphabétique sur la base de leur incipit, suivi de son commentaire personnel. Il ajoute immédiatement après une ou plusieurs quaestiones que lui-même ou d’autres ont effectivement contestées in scholis et qu’il considère comme pertinentes pour la regula traitée. Tout aussi significatif est le fait qu’à la fin du commentaire des regulae canonistes, le juriste ajoute toujours des règles de droit civil qui commencent par la même littera que la règle précédemment commentée. Il est probable que Iohannes, bien avant la rédaction de la Novella, ait commencé à rassembler ses quaestiones, réunies par la suite dans le sylloge Quaestiones Mercuriales, utilisé ensuite, en perspective et avec un système logique différent, pour la rédaction du commentaire du De regulis iuris (Condorelli, 1992).

Pour un retour sur la tradition textuelle des Quaestiones Mercuriales, voir les différents liens de ce fichier.

L’histoire du texte, sa constante révision à la lumière des modifications normatives, parsemée d’ajouts et de changements, témoigne de l’évolution continue de la production scientifique des doctores médiévaux, qui se présente dans sa dimension la plus vivante de « texte ouvert » reflétant une manière d’interpréter et de construire le droit étroitement liée à la réalité de l’époque et fruit de la rencontre fructueuse des lecturae, des cas, des pratiques, des doutes et des solutiones qui se déroulaient au sein des universités.

Pour faire le point

  1. Quand et pourquoi l’étude du droit canonique est-elle devenue autonome ?
  2. Existe-t-il des différences entre la summa et le commentaire ?
  3. Quelles sont les principales caractéristiques des œuvres des canonistes ?

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Sources et littérature du droit canonique médiéval

Le droit canonique peut être défini largement comme l’ensemble des normes gouvernant l’Église et ses fidèles. Il n’est plus guère besoin, aujourd’hui, de souligner l’importance de son étude dès lors que l’on s’intéresse au droit, aux institutions ou aux pratiques sociales, culturelles et intellectuelles du Moyen Âge latin. Le droit de l’Église a, en effet, vocation à traiter d’un vaste ensemble de questions, soit à raison des personnes et des institutions concernées (clercs, chapitres, monastères, etc.), soit à raison de leur objet (institutions ecclésiales, sacrements, en premier lieu le mariage, successions, obligations confirmées par serment, infractions à caractère religieux, etc.). Par ailleurs, la dimension totalisante de l’Église médiévale explique que le discours juridique, des papes aux enseignants et aux praticiens, puisse porter sur l’ensemble des champs juridique, social ou politique.

Deux limites de ce chapitre doivent être précisées d’emblée. La première tient à la nature des sources qu’il envisage. Seule la production savante, élaborée le plus souvent dans le cadre d’un enseignement, y est en effet présentée. Le lecteur ne trouvera donc d’indications sur l’immense activité normative de l’Église médiévale (de la Curie aux diocèses, des papes aux Églises locales, des conciles généraux aux synodes) que dans la mesure où elle a fait l’objet d’une exégèse savante. C’est également le cas des pratiques administratives et judiciaires, locales ou centrales, qui ont été sciemment écartées. Le résultat est quelque peu paradoxal, puisque le chapitre semble accréditer une vision héritée du XIXe siècle, aujourd’hui largement dépassée, qui postulait l’autonomie d’une science juridique médiévale imperméable aux autres savoirs et peu sensible aux faits. Le choix opéré, loin de témoigner d’une telle perspective, s’explique avant tout par la répartition thématique des subdivisions du manuel.

La seconde limite est d’ordre chronologique. En débutant au XIIe siècle, le chapitre s’inscrit dans une tradition ancienne, remontant elle aussi au XIXe siècle, qui considère que la science canonique naît avec la diffusion du Décret de Gratianus-Gratien, autour de 1140. Ce discours, comme l’idée d’une césure radicale opérée au XIIe siècle tant du point de vue des supports que des méthodes, sont aujourd’hui largement remis en cause (Rolker, 2019). Les limites matérielles comme thématiques du chapitre conduisent, cependant, à ne fournir que des indications succinctes sur la littérature antérieure, en particulier celle des collections canoniques. C’est ensuite, classiquement, avec la diffusion du Décret de Gratien vers 1140 que se poursuit ce chapitre.

Les sources du droit canonique avant 1150

Pour la période 1000-1150, on peut maintenant se référer à Christof Rolker, 2023, à compléter avec Lotte Kéry, 1999. On trouvera des descriptions analytiques comme la possibilité de rechercher les canons de très nombreuses collections canoniques s’échelonnant du début du Moyen Âge au XIIe siècle dans la base Clavis canonum. Aujourd’hui coordonnée par Christof Rolker et Danica Summerlin, elle prolonge le travail de Linda Fowler-Magerl, 2005. Le wiki du projet, enrichi de manière continue, regroupe de nombreuses informations particulièrement utiles.

Certaines des œuvres les plus influentes du XIe siècle sont disponibles en ligne. C’est le cas pour le Decretum de Burchardus Wormatiensis, dont il faut préférer l’édition de Cologne de 1548 (sous le titre Decretorum libri XX, réimprimée dans Fransen, 1992) à celle de la Patrologia latina. Un projet éditorial, Burchards Dekret Digital, est en cours mais ne devrait pas aboutir avant plusieurs années.

Une édition des œuvres canoniques d’Yves de Chartres, menée par Bruce Brasington et Martin Brett, est également en cours. On peut consulter la Panormia comme le Decretum d’Yves en ligne. On y trouve encore ses lettres, qui ont également été éditées dans le cadre du projet Telma.

Bibliographie

Il n’existe, pour la période plus directement concernée par ce chapitre, c’est-à-dire à compter du Décret de Gratien, aucune synthèse récente en français. La bibliographie la plus à jour a été publiée en langue anglaise.

L’ouvrage de présentation des sources le plus complet, mais limité à la période 1140-1234, est : Wilfried Hartmann et Kenneth Pennington, 2008. Il faut y adjoindre à présent : Anders Winroth et John C. Wei, 2022. Pour une présentation synthétique de l’histoire du droit canonique médiéval, voir : James A. Brundage et Melodie H. Eichbauer, 2023, à compléter avec Keith Sisson et Atria A. Larson, 2016 (en particulier les contributions d’Atria Larson et Danica Summerlin).

En langue française, les anciennes synthèses publiées dans la collection Histoire du droit et des institutions de l’Église en Occident, dirigée par Gabriel le Bras, sont toujours utiles mais doivent être comparées avec la littérature plus récente : Gabriel Le Bras, Charles Lefebvre et Jacqueline Rambaud, 1965 ; Paul Ourliac et Henri Gilles, 1971. L’ouvrage de Jean Gaudemet, 1993 (spé. p. 77-173), est aujourd’hui daté.

Le chapitre de Knut Wolfgang Nörr, 1973-1, dans le manuel dirigé par Helmut Coing, bien qu’en grande partie obsolète notamment pour la bibliographie, peut encore se révéler utile pour les canonistes les plus tardifs (p. 376-382).

Les ouvrages des érudits du XIXe et du premier XXe siècle, en particulier Johann Friedrich von Schulte, 1875-1877, peuvent être utilisés si l’on n’ignore pas la littérature postérieure. Les travaux de Stephan Kuttner, auquel tous les historiens du droit canonique médiéval sont redevables, peuvent toujours être consultés avec profit.

Toute recherche sur les sources canoniques médiévales peut bénéficier du remarquable répertoire en ligne des auteurs et des œuvres, réalisé par Kenneth Pennington (avec la collaboration de Charles Donahue et Atria A. Larson), Bio-Bibliographical Guide to Medieval and Early Modern Jurists. Le site, à présent hébergé par l’Ames Foundation de l’université de Harvard, propose pour chaque notice des éléments biographiques et bibliographiques ainsi qu’une liste des éditions et manuscrits. Il est parfois souhaitable de compléter les résultats obtenus avec les dictionnaires biographiques parus récemment, tels ceux publiés en France (Patrick Arabeyre, Jean-Louis Halpérin et Jacques Krynen, 2015) ou en Italie (Italo Birocchi, Ennio Cortese, Antonello Mattone et Marco Nicola Miletti, 2013). Le Dictionnaire de droit canonique (Raoul Naz, 1935-1965), peut encore être consulté, non sans prudence. On trouvera un répertoire renvoyant à un ensemble de notices fiables par auteur dans la version numérique de ce manuel.

Identifier les sources du droit canonique médiéval

Plusieurs guides des sources juridiques médiévales ont paru depuis la fin du XXe siècle. Ils conservent généralement un intérêt, sous réserve de mise à jour. On peut citer par exemple, en langue allemande : Eltjo J. H. Schräge, 1992 (spé. p. 84-122) pour le droit canonique ; en français le chapitre « droit canonique » in Jacques Berlioz et al., 1994 (p. 145-176), rédigé par Gérard Giordanengo ; Robert Feenstra et Guido Rossi, 1961 (traduction anglaise in William Hamilton Bryson, 1996, p. 17-21), pour le mode de citation des sources, ou encore Osvaldo Cavallar et Julius Kirshner, 2020 (p. 849-852). L’ouvrage de J. A. Clarence Smith, 1975, est en revanche dépassé.

I. Le Décret de Gratien et les décrétistes

Le Décret de Gratien

Depuis le XIXe siècle, la plupart des historiens du droit canonique médiéval considèrent qu’une rupture décisive s’opère avec la rédaction du Décret de Gratien, qui marquerait le point de départ du « droit canonique classique » au mitan du XIIe siècle. Si les travaux les plus récents tendent à nuancer cette affirmation (Rolker, 2019 ; Dusil, 2018), l’œuvre de Gratien n’en marque pas moins une étape décisive à plusieurs égards.

Le Décret présente, au premier abord, les traits d’une collection canonique traditionnelle. Il consiste, en effet, en une collation d’extraits de centaines de sources de la tradition chrétienne, pour l’essentiel des canons conciliaires, des textes d’origine pontificale et des extraits des Pères de l’Église, auxquels s’ajoutent des fragments de pénitentiels et de droit séculier. Gratien a d’ailleurs puisé l’essentiel de ses sources, appelées « autorités » (auctoritates), dans des collections immédiatement antérieures.

L’originalité formelle du Décret est double : à la différence de la plupart des collections plus anciennes, qui se contentent de regrouper les extraits par thème, Gratien organise le Décret autour de questions et de cas. Pour chacun d’eux, il classe les autorités en fonction de la position qu’elles permettent d’appuyer, selon le mouvement dialectique du pro et contra. La structure de l’œuvre est elle-même singulière : les deux premières parties sont composées, pour l’une, de cent-une « distinctions » (distinctiones), pour l’autre de trente-six « causes » (causae), elles-mêmes subdivisées en « questions » (questiones). Si les subdivisions du Décret sont présentes dès le départ, les noms qu’on leur a attribués semblent postérieurs à sa diffusion. Par ailleurs, la troisième question de la cause 33 forme un traité séparé sur la pénitence (De penitentia), lui-même subdivisé en sept distinctions. Un dernier traité portant sur les sacrements (De consecratione), formé de cinq distinctions, a été ajouté à une date ultérieure. Toutes les distinctions et questions sont divisées en canons, dont chacun rapporte une autorité.

Surtout, Gratien, à la différence de la plupart de ses prédécesseurs, ne laisse pas de question en suspens, proposant lui-même une solution pour résoudre les contradictions apparentes des autorités qu’il réunit (sauf dans le De consecratione). C’est tout le sens du titre original de l’œuvre, la Concorde des canons discordants (Concordia discordantium canonum). Chaque passage dans lequel la voix de l’auteur s’exprime est dénommé dictum (ce que dit Gratien). Ce geste inaugural a valu à Gratien le titre exagéré de « père de la science du droit canonique » (Kuttner). Les recherches les plus récentes (Larson, 2014 ; Wei, 2016 ; Dusil, 2018) tendent plutôt à inscrire le Décret dans le cadre d’une évolution plus ample de la méthode des canonistes et, plus largement, des savoirs médiévaux.

L’identité de Gratien a longtemps été un mystère. Si on l’identifie aujourd’hui à un évêque toscan mort au début des années 1140, peu de documents le concernant nous sont parvenus (Winroth, 2013). Il a sans doute enseigné, comme semble l’indiquer le titre de maître (magister) qui est immédiatement accolé à son nom. L’origine italienne de l’œuvre, sans doute rédigée à Bologne, semble cependant établie.

Une découverte majeure, effectuée au cours des années 1990, a permis de faire progresser considérablement notre connaissance du Décret. Anders Winroth a, en effet, pu démontrer de manière décisive l’existence de deux versions successives du Décret, dont on ne sait d’ailleurs avec certitude si elles ont été rédigées par le même auteur (Winroth, 2000). La première rédaction, datée du début des années 1140 par la plupart des historiens, est beaucoup plus brève et cohérente. Elle comprend moins de deux mille autorités, ne connaît pas le droit romain et semble avoir été destinée à l’enseignement. La seconde rédaction, peu avant 1150, lui adjoint près de 2000 fragments, ce qui nuit considérablement tant à la clarté de l’exposition, beaucoup plus touffue, qu’à sa cohérence, puisque les deux versions se contredisent à de multiples reprises. C’est dans cette seconde version que des fragments de droit romain issus des compilations justiniennes ont été ajoutés. Alors que le traité sur la pénitence est bien présent dès la première version, celui sur la consécration a été adjoint postérieurement à la seconde, peut-être après le milieu des années 1150.

Si la découverte des deux rédactions du Décret a grandement amélioré la compréhension de la formation du texte par étapes, cette dernière n’a eu qu’une incidence limitée sur ses contemporains. La première rédaction, présente dans de rares manuscrits, a en effet peu circulé. C’est bien la seconde rédaction qui est non seulement diffusée dans toute l’Europe latine, mais encore glosée puis commentée à compter du milieu du XIIe siècle par des canonistes qu’on nomme décrétistes. Encore faudrait-il s’entendre sur l’identification d’une « seconde rédaction », dont plusieurs versions ont été transmises en Europe (Burden, 2020). Précisons enfin que plusieurs dizaines d’autorités, en particulier des extraits de droit romain, ont été ajoutées à la deuxième rédaction du Décret peu après sa diffusion. Elles sont signalées dès cette époque comme des additions, nommées paleae, dont l’histoire se révèle particulièrement complexe.

Sur le fond, le Décret se distingue peu des collections canoniques qui lui sont immédiatement antérieures. Il comporte, sans surprise, un grand nombre de passages relatifs au clergé (ordination, promotion, statut, hiérarchie, gouvernement, biens, relations avec les pouvoirs séculiers, discipline). Signe d’un détachement encore incertain par rapport à la théologie, les sacrements (baptême, mariage, pénitence) y occupent une place considérable. Toutefois, les sections consacrées aux sources du droit dans les vingt premières distinctions – habituellement désignées comme Tractatus de legibus (traité des lois) – ou à la procédure judiciaire témoignent de la conscience nouvelle de la spécificité, sinon de l’autonomie progressive des questions juridiques, que Gratien désigne parfois comme des negotia ou des causae. Le caractère grégorien du Décret a été débattu, l’insistance sur la continence des clercs comme la répression de la simonie plaidant, a minima, pour une forte dépendance à l’égard du contexte. Il faut encore relever l’évolution perceptible entre les deux versions du Décret : la seconde rédaction introduit non seulement de larges extraits de droit romain (dont elle connaît le Digeste vieux et neuf), mais modifie régulièrement le texte afin de faire primer la rigueur du droit sur la bienveillance pastorale.

Notons enfin l’influence du Décret jusqu’à la fin du Moyen Âge en tant que réservoir de textes. On a pu, en effet, démontrer que de très nombreux auteurs, théologiens (à commencer par Petrus Lombardus pour ses Sentences) ou liturgistes (Guillaume Durand pour son Rationale), avaient largement sinon exclusivement puisé leurs sources chez Gratien, quand bien même ils n’aborderaient pas des questions juridiques. Le Décret a ainsi joué un rôle de filtre de la tradition antérieure (patristique en particulier) pour la suite du Moyen Âge.

Éditions

Anders Winroth a récemment présenté une édition de la première rédaction du Décret, à ce jour disponible seulement en ligne. Elle vient remplacer les extraits précédemment édités, par exemple pour les causes sur le mariage (Werckmeister, 2011).

L’édition de la seconde rédaction du Décret est une tâche ardue en raison de la complexité de sa tradition manuscrite et du grand nombre de manuscrits conservés (Burden, 2020). Les éditions anciennes, antérieures comme postérieures à la révision pontificale des Correctores romani de 1582, doivent être utilisées avec précautions. Bon nombre sont disponibles en ligne, comme celles de Venise (1525) ou Rome (1582). Les chercheurs utilisent cependant celle donnée par Emil Friedberg à la fin du XIXe siècle, en dépit de limites relevées depuis longtemps (Friedberg, 1879-1). Elle a été entièrement numérisée. Le site propose à la fois les images de l’édition et son texte. Dans l’édition de Friedberg, les subdivisions et les dicta de Gratien sont introduits par les mentions « Gratian » ou « Gratianus », qui ne relèvent pas de la tradition manuscrite. Pour davantage de clarté, chaque dictum est imprimé en italique. Les autorités sont, pour leur part, systématiquement précédées d’un titre ou rubrique (absente dans le texte d’origine mais adjointe peu après sa diffusion) et de leur source (pape, concile, Père de l’Église…). Les paleae sont également signalées, sans que l’édition puisse être entièrement suivie sur ce point. Il faut noter que le Décret comprend dès l’origine de nombreuses attributions fautives, corrigées pour partie dans l’édition de 1582. Friedberg, pour sa part, propose un appareil critique très dense, parfois difficile à manier, qui entend à la fois présenter les variantes de la tradition manuscrite, corriger les attributions erronées et indiquer la source dans laquelle Gratien aurait, selon lui, puisé chaque autorité – pour l’essentiel dans les collections canoniques antérieures.

Il existe des traductions partielles et peu nombreuses du Décret. Une traduction française médiévale a été éditée par Leena Löfstedt à la fin du XXe siècle (Löfstedt, 1992-2001). Les distinctions 62 et 63 ont été traduites par Jean Gaudemet (Gaudemet, 1979). Plus récemment, Jean Werckmeister a édité et traduit les dix causes traitant du mariage (C. 27 à 36, à l’exclusion du traité sur la pénitence), en distinguant les deux rédactions du Décret (Werckmeister, 2011). Une traduction anglaise des vingt premières distinctions, avec la Glose ordinaire, est également disponible (Gratian. The Treatise on laws (Decretum DD. 1-20) with the ordinary Gloss, 1993), d’autres concernent les causes sur le mariage (Marriage canons from the Decretum of Gratian and the Decretals, Sext, Clementines and Extravagantes, 1993) ou, plus récemment, le Tractatus de penitentia (Larson, 2016).

Citation du Décret

On désigne aujourd’hui les différentes parties du Décret de la manière suivante (parfois sans espace après les points) :

D. 1 c. 1 = distinction 1, canon 1

C. 1 q. 1 c. 1 = cause 1, question 1, canon 1

De Pen. (ou DP) D. 1 c. 1 = De penitentia, distinction 1, canon 1

De Cons. D. 1 c. 1 = De consecratione, distinction 1, canon 1

d.a.c. = dictum ante canonem

d.p.c. = dictum post canonem

Il faut relever que cette nomenclature d’usage récent, puisqu’elle remonte au XXe siècle, n’est utilisée de cette manière ni dans les éditions du XIXe siècle, ni dans les sources médiévales ou modernes, ne serait-ce que parce que la numérotation des canons n’avait pas cours. Le mode de citation du Décret employé au XIXe siècle est toutefois suffisamment proche de l’usage contemporain pour être transparent pour un lecteur averti.

Les sources médiévales et modernes identifient les canons du Décret par leur incipit, les lettres « d », « q » et « c » signifiant respectivement distinction, question et canon. La structure de l’œuvre est suffisamment originale pour qu’il ne soit pas utile de rappeler son nom. On peut ainsi trouver :

ut i d omnes (comme dans le canon de la première distinction commençant par le mot omnes) = D. 1 c. 1.

ut i q i gratia (canon commençant par le mot gratia) = C. 1 q. 1 c. 1

ut de conse d i de ecclesiarum = De Cons. D. 1 c. 1

ut de pen d i petrus = De Pen. D. 1 c. 1

Parfois, l’usage d’« infra » ou « supra » immédiatement après « ut » permet au scribe d’éviter de rédiger l’ensemble de l’allégation, en particulier dans une glose pour laquelle l’espace disponible est limité. Seul l’incipit du canon est alors allégué. La référence vise, dans ce cas, un canon de la même distinction ou question. L’incipit peut être remplacé par ult (= ultimo), fin (= finale) ou penult (= penultimo) lorsque le canon concerné est le dernier ou l’avant-dernier d’une distinction ou d’une question. Il faut encore relever que la nomenclature médiévale et moderne ne distingue pas les autorités des dicta de Gratien qu’elle allègue par leur incipit, sauf lorsqu’ils sont situés au début d’une question ou distinction. Ils sont alors souvent signalés par in pr. (= in principio). Certains usages atypiques méritent d’être relevés : c’est le cas des premières gloses au Décret, qui utilisent une nomenclature légèrement différente (par exemple « s di. xci. clericus » pour D. 91, c. 3 dans la manuscrit Admont 43), ou encore des premiers glossateurs du droit romain au XIIe siècle qui ouvrent les allégations du Décret par « ut in decretis ».

Recherche dans le Décret

Pour identifier un canon du Décret (dans l’hypothèse où l’on ne disposerait par exemple que d’un incipit), il faut recourir à l’Indices canonum, titulorum et capitulorum Corporis Iuris Canonici (Ochoa et Diez, 1964). Deux index, qui renvoient à l’édition de Friedberg (laquelle comprend elle-même un index alphabétique des canons du Décret), peuvent se révéler utiles : le premier est alphabétique (mais comprend également les collections de décrétales postérieures), le second suit l’ordre du Décret. L’ouvrage n’est cependant pas exempt d’erreurs.

Il est également possible d’effectuer une recherche par mot-clé dans l’édition de Friedberg sur le site de la Bayerische Staatsbibliothek, qui ne se révèlera pas nécessairement plus rapide. L’édition de la première rédaction par Anders Winroth permet également les recherches plein-texte.

On trouve par ailleurs, sur le site de Denis Muzerelle, une liste alphabétique des canons par distinction ou question, très pratique lorsque l’on travaille à partir de sources manuscrites ou d’éditions modernes.

Il n’existe pas de moyen idéal permettant d’effectuer des recherches thématiques dans le Décret. Plusieurs outils peuvent y aider. Les Indices Corporis Juris Canonici (Germovnik, 2000) comprennent un index latin d’un choix de mots jugés les plus pertinents pour entrer dans le Décret. Germovnik renvoie généralement d’abord aux définitions données par Gratien, puis à différents emplois regroupés en paragraphes thématiques. La Wortkonkordanz zum Dekretum Gratiani (Reuter et Silagi, 1990) propose pour sa part un relevé exhaustif des occurrences, dans le Decretum, d’un important choix de termes.

Il est enfin toujours possible d’utiliser les index thématiques médiévaux et modernes qui accompagnent très souvent les manuscrits et éditions du Décret. Le plus diffusé, intitulé Tabula ou Margarita Decreti (« table » ou « perle » du Décret), a été rédigé par le dominicain Martinus Polonus à la fin du XIIIe siècle. On le trouve en ligne dans l’édition de Rome (1582).

Les décrétistes

Signe du besoin qu’il venait combler, le Décret est massivement diffusé dans l’Europe latine dès sa rédaction, comme en témoignent les quelques 600 manuscrits médiévaux qui nous sont parvenus. De très nombreuses abréviations du texte, permettant de le synthétiser comme de le copier plus rapidement et à moindre coût, ont également circulé dès 1150.

La singularité de l’œuvre tient au fait qu’elle ne repose pas tant sur l’autorité des extraits rapportés que sur l’interprétation proposée par Gratien, rapidement désigné par les canonistes comme l’auteur du texte. Si l’exégèse de la doctrine sacrée est l’affaire des théologiens, les raisonnements de Gratien – souvent confus en raison des strates de composition du Décret – peuvent être discutés par une nouvelle catégorie de savants, les décrétistes.

Œuvres et méthodes

C’est sans doute sous l’influence des méthodes des premiers glossateurs du droit romain que les décrétistes appliquent un traitement similaire au Décret, bien que la glose soit une technique ancienne en théologie. Les collections pré-gratianiques ont au reste parfois donné lieu à des pratiques similaires. Les premières gloses, dans les marges ou entre les lignes du texte, sont rédigées dès la diffusion du Décret, signe qu’il sert immédiatement de support à l’enseignement (Dusil et Thier, 2022). Elles consistent, pour la plupart, en des définitions ou des renvois internes pour expliciter le sens d’un passage (allégations), avant de gagner en taille et en complexité, qu’il s’agisse d’introduire, de résumer ou de discuter un passage. Les manuscrits du Décret sont ainsi massivement glosés jusqu’au début du XIIIe siècle.

D’autres genres littéraires se développent rapidement, en particulier la « somme » (summa) qui consiste en un exposé linéaire, plus ou moins synthétique, qui suit l’ordre du Décret. La distinction entre somme et apparat, que l’on retrouve chez les glossateurs du droit romain à cette époque, est d’importance moindre en droit canonique pour une double raison : d’abord parce que les sommes canoniques entrent souvent dans le détail des différents canons ; ensuite parce que les premiers apparats publiés séparément par des décrétistes ne remontent qu’au début du XIIIe siècle. Les canonistes adoptent également la technique de la « distinction » (distinctio), forme de rationalisation du texte par laquelle l’argument est résumé de manière schématique, que l’architecture du raisonnement soit ou non apparente. Quantitativement moins importantes, d’autres œuvres voient le jour dans la deuxième moitié du XIIe siècle, à l’instar des questiones, recueils de questions auxquelles sont apportées des réponses plus ou moins étendues, destinées au départ à l’enseignement (voir, sur ce point, les travaux de Gérard Fransen). À l’image des romanistes, les canonistes produisent également, dès cette époque, des traités décrivant les procédures civile et criminelle appelés ordines. Sur les ordines, les ouvrages de base restent ceux de Linda Fowler-Magerl, 1984 et 1994, à compléter à présent avec Wilfried Hartmann et Kenneth Pennington, 2016.

Ces œuvres doivent nécessairement être lues en conservant avec soi un exemplaire du Décret, auquel les décrétistes renvoient en permanence sans en citer les extraits. Comme la plupart des savoirs médiévaux, la science canonique emploie en effet une méthode consistant à recomposer le sens d’un texte par la mise en réseau d’un ensemble composite d’autres textes. Par ailleurs, le lien entre le passage glosé et la glose qui l’accompagne est parfois ténu, sinon accidentel : un mot, dans une autorité, peut avoir suffi à un premier glossateur pour évoquer une question qu’il décide de traiter à cet endroit, les décrétistes successifs prolongeant la discussion au même endroit parfois pendant plusieurs siècles. C’est ce que l’on nomme un sedes materiae, c’est-à-dire l’autorité qui sert de siège ou de support à la discussion d’une question.

Le recours progressif à d’autres sources que le Décret (qu’il s’agisse d’en expliciter le sens ou d’en dépasser la lettre), constitue l’un des traits marquants de l’évolution de la science canonique de la seconde moitié du XIIe siècle. Si les premières gloses sont autoréférentielles (c’est-à-dire qu’elles expliquent Gratien par lui-même), elles ne tardent pas à faire une large place à d’autres types de références. Introduit dès la seconde rédaction du Décret, le droit des compilations justiniennes se voit massivement employé par les décrétistes dès le mitan des années 1160. C’est le cas, en particulier, à partir d’Étienne, évêque de Tournai (1128-1203), qui a étudié le droit civil à Bologne. Formés au droit romain de manière plus ou moins approfondie, les décrétistes utilisent le droit justinien pour corriger, compléter ou dépasser les solutions du Décret, qui paraissent rapidement datées face au développement rapide de la technique juridique. Toute étude de la science canonique à compter des années 1160 implique donc de pouvoir déchiffrer les allégations du corpus justinien, extrêmement fréquentes, et de consulter un tant soit peu les sources romaines et leur interprétation médiévale.

Les décrétistes ne pouvaient ignorer l’essor du pouvoir normatif pontifical, traduit par l’édiction, inédite par sa masse, de textes législatifs toujours plus nombreux à partir des années 1160 : ils répondaient, en effet, beaucoup mieux que Gratien lui-même aux besoins juridiques toujours plus pointus des institutions ecclésiales. Avant même la publication des principales compilations – qui débute autour de 1190 –, des décrétales sont très fréquemment alléguées dès la fin des années 1170. Les exemples antérieurs, tel celui de la somme Elegantius in iure divino à la fin des années 1160, sont en effet rares.

Notons enfin qu’il arrive encore que des sources pré-gratianiques, à l’instar du Decretum de Burchardus Wormatiensis, soient alléguées dans les œuvres canoniques, au moins jusque dans les années 1160. Les scribes ont parfois mal compris cette référence, ce qui conduit des manuscrits à rapporter la leçon « in brocardis » (« dans les brocards ») à la place de « in burchardo » (« chez Burchard »).

Il n’est pas utile (ni possible) de dresser ici la liste de l’ensemble des auteurs, des écoles et des œuvres des décrétistes. Pour la période, on recueillera toutes les informations utiles à partir de la bibliographie, en particulier dans les chapitres 5 et 6 (« The Decretists : The Italian School » et « The Transmontane Decretists ») dans Wilfried Hartmann et Kenneth Pennington, 2008. On peut cependant relever que la science canonique du XIIe siècle ne se développe pas uniformément d’un centre d’enseignement principal vers la périphérie. Elle est constituée, à l’inverse, d’une série d’écoles, étudiées de longue date par les historiens. Si le Nord de l’Italie, Bologne en particulier, demeure un lieu d’étude privilégié, d’autres espaces se singularisent rapidement, dans les aires anglo-normande et rhénane ainsi qu’en France du Nord. Chaque école, à l’unité relative, développe jusqu’à un certain point des techniques et usages distincts, comme ses interprétations propres. Il n’est donc pas possible de traiter le corpus de la seconde moitié du XIIe siècle de manière uniforme sans prêter attention à l’école à laquelle la source se rattache, bien que les manuscrits aient largement circulé, y compris par-delà les Alpes ou la Manche. L’une des difficultés tient, cependant, à ce que l’attribution et le rattachement des œuvres fassent encore l’objet de débats continus entre historiens. Au moins la remise en cause de la centralité bolonaise fait-elle aujourd’hui consensus au point de reconsidérer le lieu de production et la diffusion de sommes longtemps considérées comme italiennes, à l’instar de celle de Simon de Bisignano (fl. 1174-1179).

Une étape décisive contribue néanmoins à cristalliser l’interprétation du Décret au début du XIIIe siècle. Il s’agit de la rédaction par Iohannes Teutonicus, professeur à Bologne dans les années 1210-1220, de la Glose dite ordinaire au Décret. Dans cet apparat rédigé après 1215, Iohannes synthétise soixante ans d’exégèse du texte tout en y ajoutant ses propres gloses. Bien qu’il existe d’autres apparats similaires à cette époque, c’est bien celui de Iohannes qui s’impose rapidement comme base de l’enseignement et fixe, en grande partie, l’interprétation du Décret pour la suite du Moyen Âge. Les manuscrits (comme les éditions modernes) produits à partir de cette date encadrent ainsi systématiquement le texte de Gratien par sa Glose ordinaire. Les canonistes postérieurs souhaitant s’informer sur l’interprétation du Décret se contentent, dès lors, de consulter la Glose sans retourner aux auteurs antérieurs. Cet effet de filtre à l’égard de la tradition des décrétistes, combinée au désintérêt progressif pour le Décret qui passe de mode en à peine plus d’un demi-siècle, explique sans doute l’oubli relatif dans lequel ils sont tombés jusqu’au XIXe siècle, comme l’absence d’édition moderne de leurs œuvres.

Manuscrits

En dépit d’un nombre croissant d’éditions, des œuvres majeures de la science canonique du XIIe siècle n’existent qu’à l’état manuscrit. On songe, par exemple, aux sommes au Décret de Iohannes Faventinus (m. 1190), Sicardus Cremonensis (c. 1155-1215) ou, pour la plus fameuse d’entre elles, d’Huguccio (fl. 1180-1210). C’est le cas aussi pour des dizaines d’œuvres et des centaines, voire des milliers de gloses à l’influence peut-être moindre mais néanmoins dignes d’intérêt.

Toute recherche sur les manuscrits doit commencer par le Repertorium de Kuttner (Kuttner, 1937), classique toujours utile en dépit des immenses progrès de la connaissance des sources canoniques au XXe siècle. Plusieurs suppléments ont été publiés par Kuttner et Bertram dans les revues Traditio et Bulletin of Medieval Canon Law. Plus récemment, Rudolf Weigand a décrit un grand nombre de manuscrits glosés du Décret (Weigand, 1991).

Pour identifier les manuscrits d’une œuvre, deux solutions simples se présentent : se reporter aux chapitres 5 et 6, consacrés aux décrétistes (Hartmann et Pennington, 2008), qui comportent de nombreuses références aux manuscrits ; consulter Pennington, Bio-Bibliographical Guide to Medieval and Early Modern Jurists, qui comprend de manière systématique une liste de manuscrits lorsqu’ils sont connus (sans toutefois décrire précisément leur contenu ni leurs caractéristiques). La base de données de manuscrits juridiques médiévaux mise en ligne par Gero Dolezolek peut également se révéler très utile.

Pour davantage de détails, il faut se reporter aux catalogues particuliers de chaque bibliothèque, lorsqu’ils ne sont pas trop anciens. Une recherche portant spécifiquement sur les manuscrits de la bibliothèque vaticane pourra s’appuyer sur le répertoire établi par l’équipe regroupée autour de Kuttner dans les années 1980 (Kuttner, 1986-1987). Si les deux premiers volumes ont été publiés, le troisième, grâce à la diligence de Gero Dolezalek, se trouve en ligne. Dernièrement, un catalogue des manuscrits juridiques cotés Palatini latini 621 à 813 de la Bibliothèque vaticane a été publié en ligne par l’université de Heidelberg (2024).

La plupart des bibliothèques disposant d’un important fonds de manuscrits médiévaux ont aujourd’hui une bibliothèque numérique permettant d’en consulter une partie (plus ou moins importante) en ligne : c’est le cas de la Biblioteca Vaticana, de nombreuses bibliothèques allemandes (Bayerische Staatsbibliothek, Staatsbibliothek Bamberg, Universitätsbibliothek Leipzig…), anglaises (British Library…), espagnoles ou italiennes. En France, il faut combiner le site Gallica pour la Bibliothèque nationale et Arca pour les autres bibliothèques ou archives publiques. Certains sites regroupent les manuscrits disponibles à l’échelle d’un pays (pour l’Autriche, la Suisse, etc.).

La plupart des types d’œuvres (sommes, casus, questiones, distinctiones, ordines) se lisent de façon linéaire, même si elles sont parfois rédigées sur deux colonnes. Encore faut-il repérer la distinction ou le canon du Décret dont il est précisément question, ce qui implique d’avoir un exemplaire du Decretum à côté de soi. Les auteurs indiquent, en effet, systématiquement sur quel passage de Gratien porte leur exégèse.

Les gloses, en revanche, sont moins faciles à manier. Elles se répartissent autour du texte glosé, en l’occurrence le Décret, soit entre les lignes (glose interlinéaire), soit dans la marge du texte (glose marginale). Avec le temps, des glossateurs successifs ont pu rédiger plusieurs couches de gloses sur un même manuscrit, qu’il est parfois difficile de différencier pour un néophyte. Par ailleurs, si les gloses interlinéaires, souvent anciennes, sont rédigées à proximité du mot ou de l’expression qu’elles viennent éclairer, ce n’est pas le cas des gloses marginales. Le mot glosé est marqué par un signe ou appel de glose, que l’on retrouve dans la marge avant la glose. Les apparats n’étant que des gloses mises bout à bout, sans le texte glosé, leur compréhension nécessite également d’avoir un exemplaire du Décret sous la main. Les mots glosés y sont le plus souvent soulignés, à l’inverse du texte qui les interprète.

Éditions

Pour des raisons liées tant au contexte scientifique que politique et religieux (en particulier en Allemagne et en France), les canonistes du XIIe siècle ont suscité l’intérêt d’érudits du XIXe siècle qui ont commencé, sans plan concerté, à éditer gloses et sommes. Ces éditions, qui ne répondent pas toujours aux meilleurs standards de qualité, sont néanmoins toujours utilisées par les historiens, faute d’alternative. Sous l’influence notamment de Stephan Kuttner, l’un des principaux initiateurs du renouveau de l’étude du droit canonique médiéval dans l’après-guerre, de nombreuses éditions critiques ont vu le jour, en particulier dans la série des Monumenta Iuris Canonici (MIC).

La plupart des éditions du XIXe siècle se trouvent aujourd’hui en ligne en version numérique, ce qui n’est pas le cas, généralement, des éditions du XXe siècle. On trouvera des liens, loin d’être exhaustifs, sur le site The Medieval Canon Law Virtual Library. Les ouvrages sont également disponibles sur un grand nombre de sites (Bibliothèque Cujas à Paris, Gallica, Archive.org, Bayerische Staatsbibliothek, etc.).

L’ouvrage de référence sur les gloses au Décret jusqu’à la Glose ordinaire (incluant de nombreuses transcriptions) est celui de Rudolf Weigand, 1991. Un bon résumé se trouve dans les chapitres rédigés par le même auteur dans Hartmann et Pennington, 2008. Weigand a édité, dans ses ouvrages et articles, un nombre considérable de gloses comme, de manière générale, de nombreux articles, ouvrages ou thèses portant sur l’histoire du droit canonique médiéval auxquels il faut se référer en fonction du sujet concerné. Dès la fin du XIXe siècle, les érudits ont entamé la publication de gloses extraites des manuscrits. À ce titre, Weigand prolonge les travaux anciens de Schulte, Gillmann ou Juncker qui peuvent toujours être consultés avec profit sous réserve de ne pas ignorer la littérature postérieure. Cette remarque vaut également pour les très nombreux articles sur les gloses au Décret parus depuis la Seconde guerre mondiale dans les Studia Gratiana, Traditio ou le Bulletin of Medieval Canon Law.

Quelques indications bibliographiques peuvent se révéler utiles, sans prétendre à l’exhaustivité. Parmi les œuvres des décrétistes qui ont fait l’objet d’éditions avant le milieu du XXe siècle, il faut mentionner la somme de Paucapalea (Schulte, 1890), la stroma de Rolandus, que l’on n’identifie plus guère au futur pape Alexandre III (Thaner, 1874) ou encore la summa de Rufinus (Singer, 1902). L’œuvre publiée fautivement sous son nom par Schulte (Schulte, 1892) rapporte une partie de la Summa « Conditio ecclesiastice religionis » (ca. 1171). La confusion provient du fait que cette somme française plagie largement celle de Rufinus. Il faut encore citer l’édition de la summa d’Étienne de Tournai (Schulte, 1891) qui doit être maniée avec précaution, ne serait-ce qu’en raison de son caractère partiel. La même prudence doit guider l’utilisation de l’édition du Speculum iuris canonici de Pierre de Blois (Reimar, 1837), qui mériterait d’être révisée. Deux ordines canoniques du XIIe siècle ont également été publiés au XIXe siècle : l’ordo dit « Tractaturi de judiciis » (Gross, 1870) et l’ordo « Olim edebatur » de Rodoricus Modicipassus, qui n’avait pas été identifié par ses éditeurs. On le trouvera aux §218 à 618 dans Tamassia et Palmerio, 1892 (comme dans une édition de Mayence, 1536, sous le titre de Summa Othonis). De larges extraits (environ un tiers) de la Summa « Et est sciendum » ont été publiés par Gillmann (Gillmann, 1988).

Un sort particulier doit être réservé au Rosarium de Guido de Baysio, 1481. Bien que l’œuvre ait été achevée autour de 1300 et qu’on ne dispose d’aucune édition récente, sa consultation revêt un intérêt particulier pour la période 1190-1220, puisque le Rosarium rapporte un grand nombre de gloses de décrétistes, tels Huguccio ou Laurentius Hispanus, qui n’ont pas été incluses dans la Glose ordinaire. L’œuvre a fait l’objet de nombreuses éditions à l’époque moderne.

L’entreprise d’édition des décrétistes menée par Stephan Kuttner à compter des années 1960 a conduit à la publication de nombreux travaux de grande qualité. C’est le cas de la Summa dite Coloniensis (Fransen et Kuttner, 1969-1990), de la somme d’Honorius (Weigand, Landau et Kozur, 2004-2010), de la Summa dite Lipsiensis (Weigand, Landau et Kozur, 2007-2018), de celle de Simon de Bisignano (Aimone-Braida, 2014) et de la Summa Reverentia sacrorum canonum (Wei, 2018), dont il faut noter qu’elle s’interrompt à la C. 1 q. 7 c. 2. Dans la même collection, l’édition des Distinctiones Monacensis (Sorice, 2002) remplace celle d’A. J. De Groot donnée en 1996. L’édition de la Summa d’Huguccio est en projet depuis des décennies. Seules les vingt premières distinctions, de l’ordre de 5% de l’œuvre, ont fait l’objet d’une publication (Prerovský, 2006) dont la qualité a été largement discutée.

On peut encore relever, dans d’autres cadres, une édition de la Summa dite parisiensis (McLaughlin, 1952), des gloses de Laurentius Hispanus au De penitentia (García y García, 1956 dans l’appendice, p. 93-148) ou encore des Distinctiones Decretorum de Ricardus Anglicus (Silano, 1981). Plus récemment, le traité de Rolandus sur le mariage a fait l’objet d’une réédition (Jacobi, 2004). Certaines œuvres ne sont, par ailleurs, disponibles qu’en ligne. C’est le cas de l’édition partielle de l’Apparatus Animal est substantia (Coppens), qui s’interrompt à la C. 9 q. 3 c. 21, comme de l’édition en cours de la Summa questionum d’Honorius (Becker, Kozur et Miethaner-Vent).

Il faut enfin relever que plusieurs préfaces d’œuvres de décrétistes (Paucapalea, Rolandus, Rufinus, Étienne de Tournai, la Summa Parisiensis et la Summa « Antiquitate et tempore ») ont été traduites par Robert Somerville et Bruce C. Brasington, 2020.

Il n’existe pas d’édition critique de la Glose ordinaire de Iohannes Teutonicus. Rapportée par la plupart des manuscrits du Décret à partir du XIIIe siècle, elle accompagne également les éditions modernes, par exemple celle de Rome, 1582. Les historiens s’appuient généralement sur ces éditions pour la citer, ce qui ne va pas sans poser problème. Dès la publication du Liber extra, la Glose ordinaire au Décret a, en effet, fait l’objet d’une mise à jour par Bartholomaeus Brixiensis, entre 1234 et 1241 (Rudolf Weigand in Hartmann et Pennington, 2008, p. 91). Bartholomaeus ne s’est toutefois pas contenté d’actualiser le mode de citation des décrétales à la lumière de la nouvelle compilation pontificale. Il a également ajouté ses propres solutions, modifié par endroits celles de Iohannes quand il ne les a pas, parfois, purement et simplement omises. Comme l’écrit Kenneth Pennington (Hartmann et Pennington, 2008), on ne peut donc se fier entièrement à la version transmise par la tradition pour étudier la Glose ordinaire. C’est bien, cependant, la version révisée qui sera diffusée et étudiée dans les universités à compter du milieu du XIIIe siècle. Dans les éditions modernes, il faut, par ailleurs, veiller à bien distinguer la Glose ordinaire des ajouts postérieurs. Il peut s’agir d’additions (additiones) situées formellement au-delà de la première couche de gloses qui encadre le texte. Elles sont parfois signées, ce qui peut fournir un indice de datation qui n’emporte pas nécessairement preuve définitive, la glose d’un auteur antérieur au début du XIIIe siècle pouvant avoir été ajoutée postérieurement à la Glose ordinaire. On trouve également en marge du Décret les corrections, en particulier d’attributions fautives d’autorités, effectuées par les correctores romani à la fin du XVIe siècle.

Identification des décrétistes

À compter du Décret, la formation d’une science canonique conduit les décrétistes soit à vouloir identifier leur travail – en signant leurs gloses, par exemple –, soit à citer leurs pairs, qu’il s’agisse de s’appuyer sur une opinion antérieure ou de la contester. La difficulté tient à ce que les noms sont systématiquement abrégés quand ils ne se résument pas à une simple initiale, sans même mentionner les erreurs de copistes. Les gloses manuscrites signées d’une simple lettre – « g », « w », « j » – sont ainsi légion. L’attribution d’une glose ou l’identification d’une référence peuvent se révéler d’autant plus difficiles qu’il arrive fréquemment que plusieurs canonistes partagent la même initiale, voire le même nom. Ces questions font l’objet de débats réguliers entre historiens.

Les éditions les plus récentes, à compter du XIXe siècle, explicitent généralement allégations et références. Ce n’est pas le cas des éditions modernes ni, a fortiori, des manuscrits. Il n’existe pas de liste exhaustive des noms abrégés des décrétistes. On peut toutefois s’appuyer, dans la plupart des cas, sur celle dressée par Rudolf Weigand dans Hartmann et Pennington, 2008, p. 95-97, à compléter avec Hamilton Bryson, 1996, p. 33-139. La liste de Guillaume Mollat, 1930, p. 31-71 (qui explicite toutes sortes d’abréviations) comme celle de Pietro Sella (1932), peuvent toujours être consultées mais sont à présent dispensables.

Il vaut mieux, le plus souvent, vérifier directement dans l’œuvre que l’on croit citée si la référence la concerne bien, avant d’envisager les explications possibles en cas d’échec à retrouver le passage visé (mauvaise identification, erreur de l’auteur, erreur de copiste).

II. Les collections de décrétales et les décrétalistes

Les collections de décrétales
Les collections antérieures à 1190

Comme montrent l’insertion immédiate de paleae et la rédaction d’appendices au Décret, la nécessité de compléter la compilation de Gratien a été perçue d’emblée par ses contemporains. Ce besoin s’est accru rapidement en raison tout à la fois des limites techniques du texte et des évolutions rapides de la société et des institutions médiévales. Au même moment, le rôle du pape au sein de l’Église s’est singulièrement renforcé, fruit d’une évolution engagée au siècle précédent dans le cadre du mouvement grégorien. S’il n’est pas encore le législateur exclusif qu’il s’apprête à devenir au XIIIe siècle, il est déjà juge suprême, auquel tous peuvent recourir au sein de l’Église, notamment en appel des décisions des justices épiscopales. La transformation de l’Église en une institution monarchique se traduit notamment, dans la seconde moitié du XIIe siècle, par l’accroissement considérable des avis juridiques sollicités du pape (par des évêques, abbés, chanoines, moines voire de simples clercs) comme des décisions d’appel rendues par la curie. Les réponses (responsa) dans le premier cas, rescrits (rescripta) dans le second (selon une nomenclature traditionnellement admise par l’historiographie), sont appelées décrétales, ou lettres décrétales, pontificales. Si la pratique est loin d’être nouvelle (les registres pontificaux comme les collections canoniques l’attestent amplement), elle connaît alors un accroissement sans précédent. Durant le pontificat d’Alexandre III (1159-1181), la chancellerie expédie entre sept et douze-mille décrétales, contre un peu plus de dix-mille pour l’ensemble de ses prédécesseurs (Gisela Drossbach in Winroth et Wei, 2022) !

Il était dès lors logique que les canonistes, cherchant à compléter le Décret, commencent à rassembler des décrétales pontificales qui précisent la collection de Gratien ou abordent un pan de droit inédit. C’est ce qu’on appellera bientôt le nouveau droit, ius novum. Ce travail n’a rien d’évident puisque les décrétales, envoyées uniquement à leurs destinataires, ne faisaient l’objet d’aucune publication. Il faut, par ailleurs, préciser qu’un certain nombre de collections post-gratianiques collectent, en proportion variable, des matériaux antérieurs au Décret de différentes natures. Dès lors que l’extrait figure dans une collection, il peut prendre le nom générique de décrétale, quand bien même il ne serait pas d’origine pontificale. Les collections ne rapportent en effet pas uniquement des réponses ou des rescrits du pape, puisqu’on y trouve également, par exemple, des confirmations de privilèges ou des fragments d’une tout autre nature (patristique, droit séculier, etc.). Ces compilations répondent quoi qu’il en soit à un besoin pratique, généralement celui de juges délégués par le pape ou de juges locaux, dans l’entourage des évêques. Elles leur permettent de connaître le droit voire, plus concrètement, de trancher directement un litige.

La tradition manuscrite des collections de décrétales antérieures à 1190 est complexe, aujourd’hui encore débattue. Si les premières collections, dites primitives, rassemblent les textes sans ordre apparent, elles sont remplacées, autour de 1180, par des collections dites systématiques. Œuvres de canonistes formés dans les écoles, elles répartissent les matériaux par matière dans des livres ou des titres distincts, parfois les deux. Les collections systématiques sont elles-mêmes rapidement glosées, comme l’attestent de nombreux témoins manuscrits. C’est également à ce moment que l’habitude se prend de rapporter, parfois dans plusieurs titres, des passages différents d’une même décrétale, au sein de laquelle plusieurs questions juridiques pouvaient être traitées. L’histoire de la diffusion des collections explique que les décrétistes soient en mesure d’alléguer des décrétales surtout à partir de la fin des années 1170. Elle témoigne également d’un mouvement opposé à celui qui a présidé à la diffusion du Décret : non pas d’un centre scolaire unique, italien, vers l’Europe latine, mais de besoins pratiques périphériques (sans doute en Grande-Bretagne au départ) vers les écoles et l’Italie.

Les cinq compilations anciennes (Quinque compilationes antiquae)
Le Breviarium extravagantium de Bernardus Papiensis ou compilatio prima

Autour de 1190, Bernardus, prévôt de Pavie, rédige une compilation de décrétales déterminante dans l’évolution du droit canonique médiéval (il est sans doute déjà l’auteur d’une collection antérieure inédite, peu diffusée, dite Parisiensis secunda). Elle s’intitule Breviarium extravagantium, c’est-à-dire un abrégé de sources extérieures au Décret de Gratien. Bernardus y améliore le classement systématique des textes rassemblés en les disposant en cinq livres auxquels il ne donne pas de nom. Une formule mnémotechnique permet, dès le Moyen Âge, de se rappeler leur contenu : iudex (juge), iudicium (jugement), clerus (clerc), connubia (mariage), crimen (crime). Bien que la formule soit largement réductrice (le livre 1 étant, par exemple, très loin de se limiter à la seule question du statut du juge canonique puisqu’il traite de la hiérarchie ecclésiale), elle n’en traduit pas moins le succès immédiat du plan du Breviarium, qui sera repris par toutes les compilations postérieures. Chaque livre est divisé en titres, pour lesquels Bernardus s’est inspiré directement du Digeste et du Code de Justinien, y compris en reprenant leur ordre. Les décrétales, que l’on désigne comme des chapitres (capitula), sont ensuite classées par ordre chronologique, leur source étant systématiquement mentionnée.

Comme Bernardus l’indique lui-même, il s’est agi de compiler « du droit ancien et nouveau » qui ne figurait pas dans le Décret. On trouve ainsi rassemblées aussi bien des autorités antérieures à Gratien – pour l’essentiel des canons conciliaires et des décrétales (mais aussi des canons synodaux, des fragments patristiques et du droit séculier) – que des décrétales plus récentes, d’Alexandre III à Clément III, ces dernières formant la majorité du contenu. Le Breviarium comprend ainsi près de mille fragments.

La compilation de Bernardus devait immédiatement être reçue à Bologne et glosée par des canonistes auxquels on donne le nom de décrétalistes.

Les compilations postérieures au Breviarium extravagantium

Les canonistes n’ont pas cessé de rassembler des textes nouveaux après la publication du Breviarium. Des collations continuent à être réalisées, en particulier à partir du pontificat d’Innocent III (1198-1216), au cours duquel la production normative comme le développement de l’administration pontificale s’intensifient.

Parmi la nombreuse production de l’époque, la tradition retient quatre compilations principales, désignées de manière ordinale (de la seconde à la cinquième, la première étant celle de Bernardus). Cet ordre n’est toutefois pas chronologique : la secunda, compilée après la tertia, ne doit en effet son nom qu’à l’antériorité des textes qu’elle contient.

La compilatio tertia, première compilation à caractère officiel, est rassemblée par Petrus Beneventanus (m. 1220) autour de 1210 à la demande d’Innocent III. Uniquement composée de décrétales de ce pape, qui forment près de 500 chapitres, elle est officiellement adressée à l’université de Bologne, une lettre pontificale attestant l’authenticité des textes qu’elle rapporte.

La compilatio secunda, compilée entre 1210 et 1215, est l’œuvre de Iohannes Galensis (actif à Bologne vers 1210-1215). Sa rédaction s’explique sans doute par la nécessité de faire circuler à nouveau des décrétales de pontifes de la fin du XIIe siècle (d’Alexandre III à Célestin III) absentes de la compilatio prima, sans y faire figurer aucune décrétale d’Innocent III pour lesquelles il fallait à présent se référer uniquement à la tertia.

Dès la publication de la compilatio secunda, de nombreux manuscrits réunissent à la suite les trois compilations, immédiatement glosées en milieu scolaire. C’est à ce moment, entre 1210 et 1215, que le Breviarium de Bernardus Papiensis prend le nom de compilatio prima.

Peu après cette date se tient, à la fin de l’année 1215, le quatrième concile de Latran. La dimension fortement juridique et, en grande partie, novatrice des canons conciliaires conduit les canonistes à les gloser aussitôt. Iohannes Teutonicus, l’un d’entre eux, travaille même à leur insertion dans une nouvelle collection qui combine canons conciliaires et décrétales d’Innocent III. Iohannes semble avoir demandé au pape son approbation, à l’instar de celle accordée à Petrus Beneventanus pour la compilatio tertia, qui lui aurait été refusée. La compilatio quarta, que seul Iohannes a glosée, est pourtant utilisée par les enseignants bolonais dès les années 1220, en dépit d’une méfiance initiale.

Une dernière compilation est rédigée par Tancredus (c. 1186-1236) sur ordre du pape Honorius III (1216-1227) qui souhaitait y voir réunies ses propres décrétales. Publiée en 1226, la compilatio quinta, qui reçoit sanction officielle, rencontre pourtant un succès mitigé, comme l’atteste le faible nombre de témoins manuscrits et les gloses peu nombreuses qui les accompagnent.

Les quinque compilationes sont restés des textes vivants, auxquels les copistes ne s’interdisaient jamais d’ajouter l’un ou l’autre texte qui leur paraissait pertinent. La compilatio quinta marque cependant un tournant, en ce qu’elle démontre la volonté du pape de contrôler la production des recueils de législation pontificale. Elle annonce ainsi la parution du principal monument législatif de la papauté médiévale qui devait conduire, à l’exemple de Iohannes Andreae au début du XIVe siècle (Schulte, 1875) à qualifier les compilations antérieures d’anciennes (antiquae).

Les Decretales ou Liber extra de Grégoire IX (1234)

Dès 1230, le pape Grégoire IX (1227-1241) confie au dominicain Raymundus de Pennaforte – Raymond de Peñafort, canoniste et théologien accompli (c. 1180-1275) le soin de rédiger une compilation de décrétales qui remplacerait toutes les collections antérieures. Elle sera rapidement désignée sous le nom abrégé de Liber extra pour liber extravagantium decretalium (livre comprenant des décrétales extérieures au Décret). Les plus de 700 témoins manuscrits médiévaux de l’œuvre attestent le succès de l’entreprise. Si l’on ne dispose d’aucune information précise sur le travail de Raymond, on sait à quels objectifs il répond.

D’un point de vue pratique, Grégoire entend mettre un terme aux incertitudes juridiques que faisaient peser la diversité des collections de décrétales comme des variantes des mêmes textes. À compter de la promulgation du Liber extra, seules les décrétales figurant dans le recueil, dans la forme précise dans laquelle elles se trouvent rapportées, peuvent être étudiées dans les universités et utilisées en justice. Raymond, comme tous ses prédécesseurs, a en effet sélectionné uniquement certains passages des textes qu’il a colligés. Aucun recours aux textes complets tels qu’ils sont contenus dans les registres pontificaux n’est possible, puisque c’est leur appartenance à un ensemble législatif promulgué par le pape qui seule leur confère une portée singulière. On comprend dès lors que l’objectif n’est pas uniquement pratique mais également politique. À travers le Liber extra, le pape affirme sa prééminence au sein de l’Église, ce dont le livre constitue la preuve juridique éclatante. La question ancienne de la hiérarchie entre pape et concile est (provisoirement) tranchée : les canons conciliaires rapportés par Raymond sont présentés comme émanant des papes « en concile », qu’il s’agisse, par exemple, du troisième – « Alexander III in concilio Lateranensi » (X 1, 6, 6) – ou du quatrième concile de Latran – « Innocentius III in concilio generali » (X 1, 1, 1). Le monopole législatif dont Grégoire s’affirme le titulaire est également une réponse aux prétentions impériales, en particulier aux constitutions de Melfi ou Liber augustalis, ensemble législatif promulgué par Frédéric II en 1231. Imitant le geste de Justinien, l’un et l’autre rejouent la promulgation de son Code par l’empereur byzantin du VIe siècle. Le processus, engagé un siècle auparavant, aura donc conduit le droit canonique de la diversité à la consonance puis à l’unité (Kuttner, 1956 ; Mayali, 2006).

Le Liber extra est promulgué en 1234, précédé de la bulle Rex pacificus qui en résume les objectifs. Elle confirme que le pape contrôle désormais les sources du droit de l’Église, auxquelles rien ne peut être dérogé « sans son autorisation spéciale ».

Sur la forme, Raymond a repris le plan en cinq livres des collections antérieures. Les livres sont divisés en titres, dont beaucoup font écho au droit romain. Pour constituer son recueil, Raymond a puisé dans les cinq compilationes antiquae, auxquelles il a adjoint des décrétales de Grégoire IX. Sur 1871 extraits, le Liber extra rapporte environ 200 décrétales de ce pape, dont un tiers semblent avoir été rédigées spécialement en vue de leur insertion dans la compilation.

Le lecteur contemporain qui découvre les compilations de décrétales ne doit pas s’attendre à y trouver, pour chaque titre, un exposé exhaustif et cohérent qui épuiserait la matière. Elles ne reposent pas davantage sur une logique principielle et déductive caractéristique des codes des XVIIIe et XIXe siècles. On n’en constate pas moins une volonté de dégager des règles générales, déjà présente dans de nombreuses décrétales pontificales. Cette même logique conduit Raymond de Peñafort, par son travail d’édition, à gommer le plus possible les aspects singuliers des cas pour faire apparaître un principe ou une interprétation susceptible d’être transposée à des situations similaires. Restent donc, dans la plupart des cas, l’exposé des faits qui permet la qualification du problème juridique et la réponse pontificale, exposée de la manière la plus abstraite possible.

Les décrétales postérieures au Liber extra

Si le Liber extra met un terme à l’usage et l’étude des compilations antérieures, des collections non officielles n’en continuent pas moins à circuler par la suite, ne serait-ce qu’en raison de l’immense production législative de la curie qui ne s’interrompt pas après 1234. Plusieurs papes du XIIIe siècle ont entendu contrôler la diffusion de leurs décrétales, en publiant leurs propres compilations. C’est le cas d’Innocent IV (1243-1254), qui promulgue trois séries de Novellae (nouvelles décrétales, selon une terminologie empruntée au droit romain) réunies en une seule collection en 1253. Elles sont immédiatement reçues et glosées par les canonistes. Des compilations sont également promulguées par Grégoire X (1271-1276) en 1274 (dont les décrétales sont en partie reprises des canons du IIe concile de Lyon), et Nicolas III (1277-1280) en 1280. Des décrétales d’Alexandre IV (1254-1261) et Clément IV (1265-1268), pour leur part non officielles, ont aussi circulé sous forme de collections privées jusqu’à la fin du siècle. On leur adjoint, dans certains manuscrits, des décrétales extravagantes d’autres pontifes, parfois antérieures au Liber extra.

Le Liber sextus de Boniface VIII (1298)

Pour résoudre des problèmes similaires à ceux que le Liber extra était censé résoudre (incertitude du droit, doutes sur les textes), le pape Boniface VIII (1294-1303) charge une commission de préparer une nouvelle collection officielle de décrétales. Elle aboutit à la promulgation, en 1298, du Liber sextus decretalium, c’est-à-dire du sixième livre des décrétales. Le chiffre « six » vaut ici en tant que symbole de perfection, comme l’affirme Boniface dans la bulle de promulgation, Sacrosancte romane ecclesia. Le pape entend tout à la fois parfaire la législation pontificale et se hisser au niveau de son prestigieux prédécesseur, au début d’un pontificat qui devait marquer l’entrée de la papauté dans une ère de troubles. Le Sexte est une compilation de taille modeste, puisqu’il contient 350 chapitres environ, contre près de 2000 pour le Liber extra. S’il ne reprend pas la structure des collections antérieures, suivant son titre, il est rapidement réorganisé suivant le plan en cinq livres alors que telle n’était pas, semble-t-il, la volonté initiale de ses compilateurs. Plus des deux tiers des décrétales du Liber sextus, pour une grande part rédigées pour l’occasion, proviennent de Boniface VIII, le tiers restant puisant dans les collections intermédiaires antérieures, officielles ou non.

Le Sexte témoigne de l’abstraction croissante du droit canonique médiéval et de sa propension à se penser régi par des principes. Deux aspects l’attestent : c’est, tout d’abord, l’important travail de reformulation, voire de transformation des textes originaux par la commission pontificale, sans commune mesure avec le toilettage opéré quelques décennies auparavant par Raymond de Peñafort (au point de supprimer les habituels moyens de les identifier) ; c’est, ensuite, l’insertion, à la fin de la compilation, de quatre-vingts huit règles de droit (regulae iuris), brefs adages juridiques d’application générale dont certains ont traversé les siècles.

À l’instar du Liber extra, le Sexte devait être adressé aux centres universitaires de l’Europe latine et aussitôt soumis à l’interprétation des canonistes.

Les extravagantes du XIVe siècle

Pas davantage que la compilation de Grégoire IX, celle de Boniface VIII ne devait assécher le besoin des universitaires comme des praticiens pour les décrétales les plus récentes. Des collections privées, telles les Extravagantes de Boniface VIII (qui comprennent des décrétales ultérieures de ce pape et de plusieurs successeurs), circulent au début du XIVe siècle.

Plusieurs collections officielles sont, cependant, promulguées par des papes d’Avignon. Il s’agit tout d’abord, en 1317, des Constitutiones Clementinae ou Clémentines, achevées sous Clément V (1305-1314) (qui leur donne leur nom) et promulguées par son successeur Jean XXII (1316-1334). Il s’agit d’une collection de taille modeste, qui comprend les principaux canons du concile de Vienne et des décrétales de Clément V. Elle suit le plan en cinq livres. Dans un appendice, Jean XXII y a ajouté quelques décrétales de son cru. À la différence du Liber extra et du Sexte, les Clémentines n’entendaient pas ôter leur force juridique aux décrétales émises depuis la précédente compilation, en l’occurrence le Liber sextus.

À la fin de son pontificat, en 1324, Jean XXII adresse quatre décrétales à l’université de Paris, qui circulent peu sur le moment. Il s’agit de la dernière compilation médiévale à caractère officiel.

L’histoire des collections de décrétales s’obscurcit alors, puisqu’elle est moins liée à la volonté des papes d’assurer la diffusion de leur législation qu’à des processus complexes de circulation et d’édition. La tradition en retient deux principales : les Extravagantes Iohannis XXII, compilées à la fin des années 1320, qui réunissent vingt décrétales de Jean XXII et les Extravagantes communes, qui rassemblent une cinquantaine de décrétales, de Boniface VIII à Sixte IV (1471-1484). Elles ne doivent l’une et l’autre leur fortune, comme leur nom, qu’à leur intégration dans les éditions de la fin du XVe siècle.

Le tarissement du modèle de la collection de décrétales à compter du milieu du XIVe siècle n’est pas nécessairement lié à l’affaiblissement de la papauté pendant la résidence à Avignon, le Grand Schisme ou la crise conciliaire. C’est peut-être, à l’inverse, la surabondance de sources et leur diversité croissante qui a rendu le modèle obsolète. L’intérêt des canonistes tend, par exemple, à se concentrer davantage sur les décisions, en particulier de la Rote romaine, que sur la législation. Il n’en demeure pas moins que les compilations médiévales portent témoignage de l’apogée des prétentions universalistes des papes du XIIIe siècle.

À la fin du XVIe siècle, en 1580, Grégoire XIII (1572-1585) promulgue un ensemble de textes corrigés par une commission qu’il avait appointée, dite des correctores romani (« correcteurs romains »). Il s’agit du Decretum de Gratien, du Liber extra, du Liber sextus, des Clementinae, des Extravagantes de Jean XXII et des Extravagantes communes. L’ensemble prend le nom de Corpus Iuris Canonici (corps du droit canonique), déjà employé par certains éditeurs au début du XVIe siècle. Ces textes devaient rester en vigueur jusqu’au Code de droit canonique de 1917.

Éditions des collections de décrétales

Peu de compilations de décrétales ont été éditées en regard du nombre de celles qui ont circulé dans l’Europe médiévale.

Les collections antérieures au Breviarium de Bernardus Papiensis sont, pour la plupart, restées inédites. Seules existent de rares éditions anciennes, à la fiabilité discutable. C’est le cas de l’édition par Mansi de l’Appendix Concilii Lateranensis, qui ne doit son nom qu’à sa présence à la suite des canons du concile dans un manuscrit (Mansi, 1768) ou de la Collectio cassellana éditée par Böhmer dans son édition du Corpus Iuris Canonici (Böhmer, 1747)

Il faut se contenter pour les autres, c’est-à-dire pour la quasi-totalité des collections, de listes ou, dans le meilleur des cas, de descriptions analytiques des canons qu’elles contiennent, sans qu’ils soient reproduits. Un bon exemple est donné par Emil Friedberg, 1897. Voir aussi Walther Holtzmann, 1979, qui étudie également des collections postérieures au Breviarum. D’autres analyses ont paru depuis, pour la Collectio Francofurtana (Landau et Drossbach, 2007) ou la Collection Cheltenhamensis (Drossbach, 2014).

Le Stephan Kuttner Institute of Medieval Canon Law a, par ailleurs, mis en ligne le fichier dactylographié de Walther Holtzmann qui permet de retrouver les collections dans lesquelles figurent les décrétales, notamment à partir de leur incipit.

On ne dispose pas d’édition récente des quinque compilationes. Toutefois, l’ouvrage d’Emil Friedberg, 1882 permet largement d’y remédier. Il est paru quelques années après son édition du Liber extra. Comme la plupart des décrétales des cinq compilations anciennes ont été reprises dans les Decretales de Grégoire IX, Friedberg s’est contenté, pour celles-ci, de renvoyer à son édition du Liber extra. Il a en revanche édité les décrétales des cinq compilations qui n’avaient pas été sélectionnées par Raymond de Peñafort. C’est ce qui explique la dimension très réduite du volume. La lecture de l’édition de Friedberg des Quinque compilationes antiquae impose donc d’avoir sous la main celle du Liber extra. Cela ne va pas sans poser problème, puisque pour établir cette dernière, Friedberg s’était contenté de reprendre la version des correctores romani. Une édition scientifique des compilationes antiquae serait donc utile.

La Compilatio romana de Bernardus Compostellanus (1208) a, pour sa part, été éditée suivant le même principe par Heinrich Singer, 1914.

En dépit de projets réguliers depuis les années 1950, aucune édition récente des Décrétales de Grégoire IX n’a vu le jour. On utilise donc toujours celle de Friedberg, 1879-2. Elle est largement disponible en ligne, dans sa version numérisée ou au format texte (par exemple ici, ou encore ici ou ). Il s’agit d’une reprise de l’édition romaine de la fin du XVIe siècle, dont Friedberg connaît pourtant bien les défauts. S’il la reprend, c’est, comme il l’indique dans l’introduction, parce qu’elle a, à l’époque, force de loi dans l’Église catholique.

Il faut noter que Friedberg a entendu présenter le texte des décrétales dans leur intégralité, tel qu’il figure dans les registres pontificaux. C’est pourquoi il a intégré, en italique, des passages qui ne font pas partie du Liber extra : ils représentent précisément ce que Raymond de Peñafort a retiré des textes originaux avant de les insérer dans la compilation. Dans les manuscrits comme dans les éditions modernes, les passages coupés sont indiqués par la mention « et infra »(« et plus bas »). La numérotation des chapitres, comme les rubriques qui résument leur contenu, ne sont pas d’origine mais ont été ajoutées par les éditeurs modernes.

Parmi les collections officielles situées entre le Liber extra et le Sexte, la première collection d’Innocent IV, qui regroupe les canons du premier concile de Lyon, comme les Novellae de Grégoire X, qui reprennent en partie les canons du deuxième concile de Lyon, ont été éditées in Conciliorum oecumenicorum decreta, 1973, respectivement p. 283-293 et p. 314-331. Les deuxième et troisième collections d’Innocent IV ont fait l’objet, pour reprendre le mot de Kuttner (1977), d’une édition critique « implicite » dans Peter-Jossef Kessler, 1943, p. 156-182 et 198-202.

Les collections postérieures au Liber extra formant l’ensemble du Corpus Iuris Canonici ont été éditées par Friedberg à sa suite. On trouve donc le Sexte, les Clémentines, les Extravagantes de Jean XXII et les Extravagantes communes dans l’édition de Leipzig de 1879. Aucune édition plus récente n’est disponible, sauf pour les Extravagantes de Jean XXII, qu’on consulte à présent dans Jacqueline Tarrant, 1983.

On peut enfin relever que les préfaces des compilationes prima, tertia et quinta, du Liber extra, du Sexte et des Clémentines ont été récemment traduites en anglais (Somerville et Brasington, 2020).

L’allégation de décrétales dans les sources

Les textes extérieurs au Décret sont rapidement désignés comme extravagantes. Avant même la compilatio prima, l’abréviation utilisée par les décrétistes pour les désigner est donc « extra ». Ainsi, la Summa de Simon de Bisignano, l’une des premières à en faire un usage massif, renvoyant à plus de deux-cents décrétales pontificales, les allègue de la manière suivante : « ut in extra » suivi de l’incipit du texte. S’il existe une édition critique récente, il y sera fait mention, sinon de la source, du moins d’un recueil où l’on pourra identifier la décrétale. Dans le cas d’une œuvre non éditée, il faut utiliser les différents outils à disposition, notamment le fichier de Walther Holtzmann.

Après l’émergence des collections systématiques, en particulier du Breviarium de Bernardus Papiensis, il est d’usage de mentionner, outre l’incipit, le titre dans lequel se trouve la décrétale.

À titre d’exemple, « ut extra de iudi et si clerici » renverra, dans une œuvre des années 1190, à la compilatio prima, au titre de iudiciis, au chapitre dont l’incipit est « et si clerici » (qui correspond au livre 2, titre 1, chapitre 6 du Breviarium ou 1 comp. 2.1.6). Le mode de citation des décrétales n’évolue pas après la parution des quatre autres compilations dites anciennes. Ainsi, on ne trouvera pas, dans les gloses des années 1210 ou 1220, de mention du nom de la collection dans laquelle il faut rechercher la décrétale alléguée. Les canonistes connaissaient suffisamment bien les différentes compilations pour pouvoir vraisemblablement s’en passer. Les décrétales de la compilatio secunda à la quinta sont donc, elles aussi, mentionnées par « extra », suivi du titre et de l’incipit.

Après 1234, les collections antérieures aux décrétales de Grégoire IX ne sont plus alléguées. À compter de cette date, « extra » ou simplement « X » renvoie à un chapitre du Liber extra. Ainsi, « ut extra de collu dete scripta » vise le Liber extra, au titre De collusione detegenda, au chapitre dont l’incipit est « scripta » (qui correspond au livre 5, titre 22, chapitre 1 ou X 5.22.1). Il faut toutefois relever que l’origine de la décrétale (Extra ou X) n’est pas toujours mentionnée lorsqu’elle relève de l’évidence pour le lecteur de l’époque.

Le Sexte de Boniface VIII (1298) est, pour sa part, désigné dans les allégations en tant que sixième livre, soit en toutes lettres (« li. sext. », liber sextus ou libro sexto), soit en chiffres romains (« VI »). Suivent, généralement, le titre et l’incipit de la décrétale visée.

Il faut noter que les collections officielles publiées entre le Liber extra et le Sexte, telles les Novellae d’Innocent IV, sont fréquemment utilisées et citées par les canonistes avant la parution du Sexte. C’est le cas, parmi de nombreux exemples, de la Margarita decretalium de Martinus Polonus, dont voici une allégation : « Ex Novel. Inno., De confes., Statuimus ». Elle renvoie au chapitre Statuimus du titre De confessis des Novellae d’Innocent IV.

Lorsque la décrétale des Novellae a été reprise au Sexte, ce qui est le cas de la quasi-totalité de la collection, il est assez simple de l’identifier. Les manuscrits plus tardifs, comme les éditions modernes qui reprennent une partie de la Margarita (Rome, 1582), rapportent d’ailleurs l’allégation tout en la faisant suivre de « lib. VI », quand elles n’ont pas directement corrigé la référence initiale.

Il faut, enfin, mentionner encore l’allégation des Clémentines, qui suit exactement les mêmes principes, la collection étant généralement désignée par son abréviation « Clem. ». Les Extravagantes de Jean XXII et les Extravagantes communes sont suffisamment rarement alléguées pour que les références qui y sont faites soient généralement transparentes (de type « Extra. Ioan. XXII » ou « Extra. com. »).

La nomenclature contemporaine

Il est aujourd’hui d’usage de citer les décrétales de la manière suivante :

1 (ou I) Comp. 1.1.1 = Compilatio prima livre 1, titre 1, chapitre 1

La même nomenclature vaut pour les quatre autres compilationes antiquae :

2 Comp. = Compilatio secunda

3 Comp. = Compilatio tertia

4 Comp. = Compilatio quarta

5 Comp. = Compilatio quinta

X 1.1.1 = Liber extra livre 1, titre 1, chapitre 1

VI 1.1.1 = Liber sextus livre 1, titre 1, chapitre 1

Clem. 1.1.1 = Clementinae livre 1, titre 1, chapitre 1

Extrav. Jo. 1.1.1 = Extravagantes Iohannis XXII livre 1, titre 1, chapitre 1

Extrav. co. 1.1.1 = Extravagantes communes livre 1, titre 1, chapitre 1

Retrouver une décrétale

L’édition de Friedberg comprend deux index alphabétiques pour chacune des cinq compilations (Liber extra, Sexte, Clémentines, Extravagantes de Jean XXII, Extravagantes communes), l’un pour les titres, l’autre pour les chapitres. On trouve également, dans les prolégomènes, et ce pour chaque collection, des tableaux indiquant l’origine et la source des chapitres. L’introduction comprend enfin un tableau de correspondance entre le Liber extra et les cinq compilations. Pour retrouver un chapitre dans le Corpus Iuris Canonici, on peut également recourir à Xaverio Ochoa et Aloisio Diez, 1964, qui propose, pour chaque collection, un index alphabétique des chapitres rangés par titre, à la différence de ceux de Friedberg. Par ailleurs, Stephan Kuttner propose un vaste index des titres (et non des chapitres) d’une grande série de collections : non seulement le Liber extra, le Sexte et les Clémentines mais encore les Quinque compilationes antiquae, les Novellae d’Innocent III et de Grégoire X ainsi qu’une vingtaine de compilations antérieures à la compilatio tertia (Kuttner, 1977).

Pour sa part, le site de Denis Muzerelle propose un tableau de correspondance entre les titres des cinq collections du Corpus. En effet, les compilations postérieures au Liber extra, de taille plus modeste, sautaient régulièrement un titre lorsqu’il n’y avait aucune décrétale à y faire figurer, ce qui entraîne un décalage dans la numérotation.

On peut, enfin, utiliser les nombreux index médiévaux et modernes afin d’effectuer des recherches par matière au sein du corpus des collections officielles de décrétales. C’est notamment le cas de la Margarita de Martinus Polonus et des autres indices qui accompagnent la plupart des éditions modernes. Le « riche » (copiosus) index d’Esteban Daoiz peut également servir à cet usage, même si ce n’est pas là son intérêt premier (Daoyz, 1745).

Les décrétalistes

On appelle, depuis le XIIIe siècle, décrétalistes les canonistes qui ont analysé les collections de décrétales. Si la tradition des XIIe et XIIIe siècles est relativement bien connue, celles des deux siècles suivants est encore aujourd’hui considérée, pour partie, comme une « zone grise » (Martin Bertram). Le rôle des éditeurs modernes doit être souligné : en raison de la désuétude des compilations anciennes, presque aucune œuvre antérieure à 1234 n’a été éditée. Les éditions postérieures, de qualité variable, se sont pour la plupart concentrées sur les canonistes les plus célèbres (ou les plus vendeurs), laissant de côté un grand nombre de sources. Par ailleurs, en raison de leur taille considérable, les œuvres des décrétalistes n’ont, à quelques exceptions près, fait l’objet d’aucune édition critique aux XIXe et XXe siècles. Seules diverses réimpressions à l’identique d’éditions modernes peuvent, dans l’immense majorité des cas, être relevées. Cette donnée doit être présente à l’esprit de toute personne souhaitant étudier des canonistes actifs entre la fin du XIIe et celle du XVe siècle, la remarque valant également pour les romanistes. Faute de consulter les manuscrits (dont la tradition n’est pas toujours bien établie), elle n’aura qu’une vision parcellaire, et en partie recomposée, des auteurs et des doctrines. Il n’en demeure pas moins que la plupart des travaux actuels reposent sur les éditions modernes dont il n’est guère possible, ni forcément souhaitable, de se passer.

Il n’existe, par ailleurs, pas d’ouvrage de synthèse récent sur les œuvres ou les méthodes des décrétalistes à partir du Liber extra, sans doute en raison de l’ampleur de la tâche à réaliser (sur ce point, voir Martin Bertram dans Anders Winroth et John C. Wei, 2022). Pour la période 1190-1234, on doit consulter Wilfried Hartmann et Kenneth Pennington, 2008, notamment le chapitre de Kenneth Pennington, « The Decretalists 1190-1234 ». Pour la période postérieure à 1234, il n’existe guère, en français, que deux volumes anciens de la collection « Histoire du Droit et des Institution de l’Église en Occident » dirigée par Gabriel Le Bras (jusqu’en 1378 : Gabriel Le Bras, Charles Lefebvre et Jacqueline Rambaud, 1965 ; pour la période comprise entre 1378 et 1500 : Paul Ourliac et Henri Gilles, 1971). Des indications pourront être également retirées de : Knut Wolfgang Nörr, 1973-1 ; Eltjo J. H. Schräge, 1992. Hermann Lange, 2007, évoque quelques décrétalistes, parmi ceux qui ont le plus influencé les romanistes ou produit des commentaires de droit romain. Pour des études plus pointues, voir par exemple Martin Bertram, 2013.

Les décrétalistes entre 1190 et 1234

La plupart des premiers décrétalistes travaillent également sur le Décret de Gratien. Les méthodes qu’ils transposent aux collections de décrétales sont donc largement similaires : gloses (réunies sous forme d’apparats), sommes, casus, questiones, notabilia, distinctiones… Dès les premiers travaux d’ampleur, dans les années 1190, l’interprétation médiévale du droit romain est largement reçue par les décrétalistes. La plupart d’entre eux ont, en effet, étudié les compilations de Justinien et ne manquent pas de s’y référer, quitte à souligner l’écart entre les dispositions canoniques et romaines. Les deux disciplines juridiques (droit romain et droit canonique) ne devaient cesser, dès lors, de s’entremêler et de s’influencer réciproquement.

Si les gloses les plus anciennes portant sur les collections antérieures à 1190 sont relativement mal connues, elles semblent consister, pour la plupart, en des renvois internes ou des allégations du Decretum. Les choses évoluent rapidement à compter du Breviarium de Bernardus Papiensis. Ce dernier publie même, dans les années 1190, une somme sur sa propre compilation destinée à en synthétiser le contenu, qui s’appuie fortement sur le droit romain. Il est également l’auteur de sommes plus restreintes, sur l’élection et le mariage, et de casus decretalium. De nombreux canonistes glosent les trois premières compilationes, pour la plupart d’entre eux en Italie. Pour la compilatio prima, on peut notamment citer Ricardus Anglicus (1161-1242), Petrus Hispanus (fl. c. 1170-1190), Alanus Anglicus (fin XIIe – début XIIIe siècle), Bernard Compostellanus antiquus (fl. 1200-1217). Comme l’a montré Anne Lefebvre-Teillard, une école parisienne active au tournant du XIIIe siècle s’organise autour de Petrus Brito, produisant plusieurs travaux sur le Breviarium. Quelques années plus tard, la compilatio tertia suscite l’intérêt de nombreux canonistes. C’est le cas, par exemple, de Iohannes Teutonicus (c. 1170-1245), Vincentius Hispanus (m. 1248), Laurentius Hispanus (m. 1248), et Damasus (fl. c. 1210-1217), qui publient des apparats conséquents après 1210. Il en ira de même pour la compilatio secunda dès sa publication.

Autour de 1220, le canoniste Tancredus (c. 1186-1236) achève, à Bologne, un apparat de gloses sur les trois premières compilations, rapidement qualifié de glose ordinaire et reçu dans les écoles. Non éditée mais présente dans de nombreux témoins manuscrits, l’œuvre se présente avant tout comme une compilation des travaux de ses prédécesseurs. Elle sera largement reprise dans la glose ordinaire au Liber extra.

Les premiers décrétalistes rédigent, par ailleurs, de très nombreuses œuvres de nature variée, qu’il serait trop long d’énumérer ici. La plupart des travaux produits entre 1190 en 1234 demeurent à l’état manuscrit. Parmi les principales éditions, il faut citer celle de la Summa de Bernardus Papiensis par Ernst A. T. Laspeyres, 1860. L’ouvrage comprend également une publication partielle des Casus decretalium de Bernardus et de Ricardus Anglicus. Deux apparats sur la compilatio tertia ont été édités. Celui de Iohannes Teutonicus, par Kenneth Pennington, est disponible en ligne. Les deux premiers livres avaient parus in Pennington, 1981. Celui de Laurentius Hispanus a été édité dans sa thèse par Brendan J. McManus, 1991. On peut encore trouver les apparats de Iohannes Teutonicus et Vincentius Hispanus sur les canons du IVe concile de Latran de 1215 à la suite des canons conciliaires dans : Constitutiones Concilii quarti Lateranensis una cum Commentariis glossatorum, 1981. Plusieurs œuvres de Tancredus ont également été éditées, tel son ordo (Bergmann, 1842) ou sa Summula de criminibus (Fraher, 1979). C’est aussi le cas de plusieurs travaux de Raymond de Peñafort, telle sa Summa iuris canonici (Raimundus de Pennaforte, 1975, édition qui a fait l’objet de critiques importantes).

Les décrétalistes après 1234

Après la publication du Liber extra, en 1234, la production savante se concentre sur l’exégèse de la compilation de Grégoire IX. S’amorce alors ce que l’on présente généralement comme l’âge d’or de la science canonique médiévale, entre le milieu du XIIIe siècle et celui du siècle suivant. C’est durant cette période que sont rédigées les grandes sommes et apparats qui seront lus jusqu’à la fin du Moyen Âge et édités à l’époque moderne, à l’instar de la Summa d’Hostiensis (c. 1200-1271), de l’Apparatus d’Innocent IV ou encore, au début du XIVe siècle, des Commentaria de Iohannes Andreae (c. 1270-1348). La masse des œuvres canoniques publiées entre le XIIIe et le XVe siècle, comme l’absence de synthèse historiographique récente, impose de limiter le propos concernant cette période à quelques remarques.

Les gloses ordinaires aux compilations de décrétales

Une première remarque concerne la publication, pour chacune des principales compilations de décrétales du XIIIe et du XIVe siècle, d’une glose ordinaire. Celle du Liber extra, rédigée à partir de 1241 et corrigée jusqu’à son décès, est l’œuvre de Bernardus Parmensis (c. 1200-1266). Elle figure dans la plupart des manuscrits des décrétales de Grégoire IX comme dans les éditions modernes. Élève de Tancredus à Bologne, Bernardus a intégré à son propre apparat de nombreuses gloses aux compilationes antiquae, dont la plupart des chapitres ont été repris dans le Liber extra. Il ne faut donc pas s’étonner de retrouver dans la Glossa ordinaria des gloses signées d’auteurs morts bien avant 1234, à l’instar d’Alanus Anglicus ou de Iohannes Teutonicus. Une édition de l’apparat de Bernardus, fondée sur l’Editio Romana, a été mise en ligne par Edward A. Reno. On peut également continuer à utiliser les éditions modernes, à l’exemple de celle de Rome, 1582, non sans quelques précautions. Il faut, en effet, non seulement écarter les ajouts de la commission pontificale mais encore toutes les additions postérieures au XIIIe siècle, que l’on trouve notamment sous forme de gloses et de casus, dans les marges mais aussi, par endroits, au cœur de la Glose ordinaire. La tâche est facilitée par le fait que ces ajouts sont généralement signés (notamment par Iohannes Andreae, Antonius de Butrio ou Nicolaus de Tudeschis). L’édition d’Edward A. Reno a le mérite de les écarter pour offrir une version la plus fidèle possible à l’apparat de Bernardus, sans recourir toutefois à la tradition manuscrite.

On peut relever que le Sexte, tout comme les Clémentines, donnent lieu à la rédaction d’une glose ordinaire, rédigée dans l’un et l’autre cas au début du XIVe siècle par Ioannes Andreae et dont témoignent les éditions modernes des deux compilations. L’index d’Esteban Daoyz (Daoyz, 1745) fournit un guide précieux pour se repérer dans l’ensemble des matières traitées par la glose.

Œuvres et auteurs

Il n’est possible, dans le cadre limité de ce chapitre, ni de dresser la liste des décrétalistes actifs entre la promulgation du Liber extra et la fin du Moyen Âge (voir par ex. Le Bras, Lefebvre et Rambaud, 1965; Ourliac et Gilles, 1971), ni de décrire la diversité des œuvres produites. Outre les sommes, lectures ou apparats sur les collections de décrétales, on rencontre ainsi toute une série d’écrits, moins connus peut-être, dont les exemples fournis par Martin Bertram (Winroth et Wei, 2022) donnent un aperçu : abbreviationes, compendia, casus, concordantiae, dictionaria, differentiae, flores, inventaria, margaritae, practicae, promptuaria, specula, summaria, repertoria, vocabularia, etc. Les deux derniers siècles du Moyen Âge voient, en particulier, le développement des recueils de consilia, c’est-à-dire de la résolution de cas précis dans le cadre de consultations juridiques (réelles ou supposées) données par leur auteur. De nombreux juristes, à compter du XIVe siècle, publient par ailleurs, à parts parfois inégales, des écrits tant en droit canonique qu’en droit romain. Un autre trait marquant des décrétalistes tardifs réside dans l’importance croissante qu’ils accordent à la jurisprudence (en particulier aux décisions de la Rote romaine, qui font l’objet de publications non officielles à l’époque) et dont ils proposent le commentaire.

Le rôle de filtre joué par les éditions modernes dans l’accès aux œuvres postérieures à 1234 explique que des canonistes importants en leur temps fassent l’objet d’une attention très relative. C’est le cas, par exemple, du décrétaliste portugais Iohannes de Deo (c. 1190-1267), étudiant puis professeur à Bologne après 1229, auteur d’une vingtaine d’œuvres rapportées par plus de 200 manuscrits. Ses travaux, pourtant régulièrement cités par ses contemporains, n’ont pas été édités à l’époque moderne (à quelques mineures exceptions près), ce qui explique que son apport soit souvent négligé dans les études portant sur le droit canonique du XIIIe siècle.

Il faut encore relever qu’une tradition historiographique ancienne, qui remonte pour une part à l’humanisme, pour une autre au XIXe siècle (à l’image de Savigny), porte un jugement particulièrement négatif sur les auteurs savants, romanistes comme canonistes, du Moyen Âge tardif. On leur reproche non seulement d’être verbeux mais encore de se contenter de répéter, sans rien y ajouter, les théories de leurs prédécesseurs. Ce jugement hâtif, lui-même répété inlassablement par plusieurs générations d’historiens, doit être révisé. Ces écrits méritent, en effet, une historicisation comme une contextualisation qui permettent d’en saisir les usages intellectuels, culturels et sociaux.

Identification des auteurs et des œuvres

Les décrétalistes, plus encore que les décrétistes, se réfèrent de façon permanente à d’autres juristes, canonistes comme romanistes, qu’il s’agisse d’appuyer leur propre argumentation ou de contester une interprétation antérieure. Les noms des auteurs et des œuvres sont abrégés, selon une nomenclature relativement stable du XIIIe au XVe siècle.

Pour les identifier, on peut se reporter à William Hamilton Bryson, 1996. Dans la plupart des cas, la référence est assez aisément compréhensible. Quelques usages spécifiques méritent d’être relevés, tels « Spe. » (Speculator), qui renvoie à Guillaume Durand (1236-1296), auteur du Speculum iudiciale, traité de procédure le plus diffusé jusqu’à la fin du Moyen Âge. Au XVe siècle, c’est comme « Card. » (Cardinalis) que Franciscus Zabarella (1360-1417) est cité, tandis que Nicolaus de Tudeschis (1386-1445) est désigné comme « Panorm. » (Panormitanus, « palermitain ») ou « Abb. sic. » (Abbas siculus, « abbé sicilien »). Le nom abrégé de l’auteur peut être suivi d’une référence à l’une de ses œuvres. Le plus souvent, le nom de l’œuvre citée est implicite, l’allégation renvoyant uniquement à une décrétale (pour une lectura ou un apparatus) ou à un titre (pour une summa). Toute référence autre que le nom de l’auteur visé est omise lorsque le passage concerné porte sur la décrétale ou le titre en train d’être commentés.

L’identification d’une œuvre peut parfois se révéler délicate. C’est notamment le cas lorsque son auteur a commenté une collection de décrétales intermédiaire à laquelle on songe moins immédiatement qu’à celles du Corpus Iuris Canonici, voire produit un apparat spécifique sur une décrétale unique. À titre d’illustration, on trouve dans la Glose ordinaire au Sexte de Iohannes Andreae, à la décrétale « Si postquam » (VI 1.6.33), la mention suivante : « hoc tenet Gar in decret cupientes » (« c’est ce que soutient Gar. [dans ses remarques] sur la décrétale Cupientes »). Il y a bien, dans le Sexte, une décrétale de Nicolas III (1277-1280) dont l’incipit est « Cupientes » (VI 1.6.16). Toutefois, aucun décrétaliste dont le nom commence par « Gar » n’a rédigé de gloses au Sexte. Pour identifier cet auteur, il faut se souvenir que des collections officielles de décrétales ont été publiées par Innocent IV, Grégoire X et Nicolas III entre le Liber extra et le Sexte. Par la suite, la plupart ont été intégrées au Sexte. Un canoniste d’origine espagnole, Iohannes Garsias Hispanus (fl. 1270-1280 à Bologne), a non seulement glosé les Novelles de Grégoire X mais aussi rédigé un apparat spécifique sur la décrétale Cupientes de Nicolas III – plus tard reprise au Sexte – dont on conserve plus de dix témoins manuscrits. C’est à cette œuvre, largement diffusée à Bologne à la fin du XIIIe siècle, que Iohannes Andreae fait référence dans la Glose ordinaire au Sexte.

Comprendre le mode de citations des décrétalistes peut également se révéler utile lorsque l’on étudie les actes dits de la pratique. On trouve ainsi, dans un jugement de l’officialité de Strasbourg de 1459, l’allégation suivante : jo an in add spe ti de ho § I ver sed pone, qu’il faut développer de la manière suivante : « johannes andreae in additionibus [super] speculo titulo de homicidio § I verbis sed pone ». Le jugement se réfère ici aux additions de Iohannes Andreae au Speculum iudiciale de Guillaume Durand, c’est-à-dire à ses commentaires additionnels souvent reportés dans la marge du traité de procédure. Pour retrouver le passage allégué, il faut consulter le premier paragraphe du titre consacré à l’homicide, à partir des mots « sed pone »

Il faut enfin noter qu’il n’est pas rare que les décrétalistes renvoient aux écrits de théologiens. C’est le cas, par exemple, d’Hugues de Saint Cher, souvent allégué par Hostiensis, ou plus encore de Thomas d’Aquin, très souvent cité à partir du XIVe siècle.

Éditions

À l’époque moderne, les œuvres des décrétalistes ont fait l’objet de dizaines, voire de centaines d’éditions. Les historiens avaient pris l’habitude d’utiliser en priorité les réimpressions effectuées, pour la plupart, dans les années 1960. C’est le cas, à Turin, pour la Summa (1963) et la Lectura (1965) d’Hostiensis, les Commentaria sur les décrétales de Iohannes Andreae (1963 et 1966) et les commentaires d’Antonius de Butrio sur le Liber extra (1967) ; à Francfort pour l’apparat d’Innocent IV sur le Liber extra (1968) ; à Aalen pour l’apparat au Sexte de Jean Lemoine (1968), le Speculum de Guillaume Durand (1975), la Summa de Goffredus de Trani (1992) et les Commentaria de Baldus de Ubaldis – Balde sur les trois premiers livres du Liber extra (1970). Les numérisations nombreuses effectuées au XXIe siècle ont rendu cet usage obsolète. On trouve aisément, en effet, la plupart des œuvres éditées des décrétalistes dans les diverses bibliothèques numériques disponibles en ligne, publiques ou privées. On peut consulter des listes indicatives, loin d’être exhaustives, dans la Medieval Canon Law Virtual Library et sur les sites Rechtshistorie et Scholastic Commentaries and Texts Archive. Des œuvres moins connues (et généralement moins longues) ont été éditées dans des florilèges, tels les Tractatus universi iuris, dont l’édition de Venise 1584-1586 est en ligne sur le site de l’Ames Foundation, accompagné d’index. Un guide complet des œuvres éditées des décrétalistes, dressant la liste des différentes éditions comme de leurs mérites et de leurs défauts, reste à écrire.

POUR FAIRE LE POINT

Cliquez ici pour voir les solutions des exercices.

Déchiffrez les allégations en gras dans les extraits suivants en respectant la nomenclature contemporaine :

Rufinus, Summa Decretorum, éd. H. Singer, Paderborn, 1902, D. 51 :

  1. supra dist. proxima, cap. II
  2. infra Cs. XVI. q. I. c. Precipimus (53)
  3. ut in Burch. libr. I cap. “Placuit et illud”
  4. infra Cs. VII q. I. c. Mutationes (34.)

Jugement de l’officialité de Strasbourg, 1459 :

« Creditur perito in arte sua ut in c proposuisti de proba cum ibi notatur per glo et doc »

Hostiensis, Summa, Venise, 1574 :

  1. 21 q. 4 præcipimus
  2. infra de reg ut clerici
  3. 81 dist. tantis
  4. supra de temp. ordin. literas et ca. dilect.
  5. ut notatur secundum Goff in e[odem] uer[siculo]

Iohannes Andreae, Novellae super titulo de regulis iuris, 1536 :

  1. Dama. allegabat quod […]
  2. supra de iud c pe
  3. Guil in spe

Sources éditées

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Sources juridiques médiévales et outils numériques

Introduction

Aujourd’hui, à l’ère de la société de l’information, la numérisation généralisée facilite la vie quotidienne. Il en va de même pour les chercheurs. Il y a encore une douzaine d’années, l’étude des sources primaires, fondement de toute activité académique en histoire et en histoire du droit, nécessitait de se rendre dans des bibliothèques ou des archives. Aujourd’hui, Internet les ramène à la maison et offre un accès facile, souvent gratuit, à des ressources qui n’étaient auparavant disponibles que dans des institutions spécialisées.

Ce chapitre vise à présenter la variété des ressources accessibles sur Internet du point de vue de l’histoire juridique médiévale. Il présente tout d’abord les dépôts d’archives en ligne, en accordant une attention particulière à ceux qui offrent un accès aux manuscrits, aux incunables et aux imprimés anciens, ainsi qu’aux éditions critiques des sources primaires. Dans la seconde partie, des outils en ligne sélectionnés pour faciliter l’examen des sources juridiques médiévales sont discutés, y compris les nouvelles technologies qui sont de plus en plus audacieusement utilisées dans la recherche historique, telles que la Reconnaissance de l’écriture manuscrite (HTR).

Bien entendu, il est impossible d’énumérer toutes les ressources disponibles en ligne. C’est pourquoi la plus grande partie de l’article a été consacrée aux portails à profil historico-juridique, c’est-à-dire ceux où la grande majorité des sources sont de nature juridique, ainsi qu’aux portails consacrés aux manuscrits médiévaux. La même retenue a été observée en ce qui concerne les outils. Ceux qui peuvent s’avérer les plus utiles pour l’étude des sources juridiques médiévales sont discutés plus en détail. Le catalogue des ressources en ligne, plus large, continuellement mis à jour et développé, est disponible sur le site du projet FONTES – FOstering iNnovative Training in the use of European legal Sources.

Les archives juridiques en ligne : catalogues, collections, portails et médias

L’expansion d’Internet et des nouvelles technologies a conduit à une numérisation omniprésente des collections de bibliothèques et d’archives et, par conséquent, à une croissance rapide des dépôts de sources en ligne. En conséquence, des millions de livres, de documents et de matériel d’archives conservés dans des institutions du monde entier sont facilement accessibles à partir de votre ordinateur ou de votre appareil mobile. Presque tout le monde a eu l’occasion d’utiliser des portails tels que Google Books, HathiTrust ou Internet Archive, qui offrent un accès en ligne gratuit à des dizaines de millions de publications. Les bibliothèques traditionnelles ouvrent également leurs collections, souvent par l’intermédiaire de portails distincts appelés bibliothèques numériques.

Au cours d’une recherche, les portails nationaux méritent d’être visités. On trouve par exemple le portail français Gallica (bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale de France), le portail allemand Deutsche Digitale Bibliothek, le portail italien Internet Culturale ou le portail polonais Polona. Les sites qui proposent des métamoteurs sont également intéressants. En agrégeant les résultats de recherche d’autres moteurs de recherche, ils permettent d’interroger simultanément les ressources de nombreux dépôts numériques. Des exemples de tels portails sont la Federacja Bibliotek Cyfrowych (Fédération des bibliothèques numériques) polonaise, qui permet d’interroger les ressources de plus de 150 bibliothèques numériques polonaises (dont Polona), ou Europeana, développé sous l’égide de l’Union européenne.

Ces portails donnent accès à divers objets, dont des manuscrits. Il existe cependant des sites web dont l’objectif principal est de cataloguer ou de mettre en ligne des manuscrits médiévaux. La Bibliothèque nationale de France leur a même consacré un portail spécifique (BnF Archives et manuscrits). D’autres sites similaires méritent d’être visités. Ils sont classés par ordre alphabétique des pays où les archives juridiques sont conservées.

Des catalogues nationaux pour la recherche

Et enfin le moteur de recherche européen fédéré d’Archives Portal Europe.

Pour une recherche concernant les sources juridiques médiévales

Concernant les sources médiévales du droit, certains portails spécifiques ne peuvent pas être omis pour mener à bien de futures recherches. Vous pouvez trouver de nombreux sites web qui offrent un accès aux textes originaux ou édités de manière critique, qui les cataloguent ou qui fournissent des guides sur les sources primaires et secondaires. Il convient de prêter attention à :

Recherches concernant le droit romain

Recherches concernant le droit canon

Coutumes et législations locales

Catalogues et bases de données remarquables

La Collection de sources du droit suisse ou Sammlung Schweizerischer Rechtsquellen (SSRQ) est une plateforme suisse pour l’édition électronique de textes juridiques du passé, du début du Moyen Âge à la fin du XVIIIe siècle. Les textes sont disponibles dans la norme d’édition électronique TEI (Text Encoding Initiative) à l’aide de la plateforme TEI-Publisher. En 2024, elle contient près de 4 500 objets numériques. L’utilisateur dispose de plusieurs options de recherche. Il est possible d’effectuer une recherche par division historico-géographique (c’est-à-dire par cantons) mais aussi à l’aide de plusieurs attributs, notamment le titre, la langue et les dates. L’interface est disponible en français, allemand, italien et anglais. L’édition électronique en TEI permet d’afficher une série de données, telles que l’explication des personnes et des lieux mentionnés dans le texte, ou des notes relatives à d’autres copies de la source.

IURASources of Law from the Past est un répertoire contenant des sources historiques juridiques polonaises numérisées du Moyen Âge au XXe siècle. Il est hébergé par la faculté de droit et d’administration de l’Université Jagellon. Il est continuellement développé, à la fois en termes d’outils et de présentation du contenu. Il vise à rendre les sources aussi largement disponibles que possible et sans délai de consultation. Pour cette raison, le dépôt contient plusieurs types d’objets. Tous sont facilement consultables. Tout d’abord, il y a des scans d’éditions de sources critiques traditionnelles – telles que la législation de la Diète polonaise (Sejm) publiée dans la série Volumina Constitutionum, disponible dans une collection spéciale. Ensuite, des sources inédites y sont numérisées. On trouve par exemple les transcriptions de manuscrits des archives des tribunaux ruraux du Sud de la Pologne (préparées il y a plus de 40 ans), qui sont disponibles sous forme de lectures consultables avec les commentaires nécessaires. Enfin, de nouvelles éditions critiques en ligne sont préparées pour être publiées dans IURA, comme la collection de droit municipal médiéval (Ius municipale Magdeburgense) ou des écrits juridiques (XVIe-XVIIIe siècles). Le texte transcrit est généralement accompagné de scans d’un manuscrit ou d’un imprimé ancien. Les ouvrages sont répartis en collections thématiques et chronologiques. Outre la recherche dans les collections, IURA propose d’autres méthodes d’interrogation, notamment la recherche dans le champ de recherche (le contenu et les métadonnées sont filtrés) ou dans les index. Ces derniers regroupent les métadonnées en catégories selon le système Dublin Core 1.1.

La base de données est encore en cours de développement et une grande attention est accordée à la normalisation des métadonnées qui décrivent les recueils. Cet objectif est atteint, par exemple, en reliant les données géographiques à la liste Geonames et en travaillant sur des vocabulaires contrôlés. Ces derniers rassembleront des métadonnées pour décrire le contenu des objets de manière structurée. Grâce à ce système descriptif, la recherche dans les index peut devenir encore plus précise. IURA comprend également un outil supplémentaire pour comparer les versions de texte (Collatex, voir un manuel ici). L’interface est disponible en polonais et en anglais, tandis que les sources sont publiées dans les langues originales. En outre, une collection de traductions anglaises des sources a été lancée.

Paralipomena Iuris, le guide de João Carlos Mettlach sur les ressources en ligne (de nature normative et doctrinale) du droit romain, du droit canonique, du ius commune et de bien d’autres est également intéressant.

Il convient également de prêter attention aux sites web des projets tels que : Irnerius (collection de codices juridiques du Reale Collegio di Spagna de Bologne), CLCLCL (Civil Law, Common Law, Customary Law), la base de données des manuscrits juridiques médiévaux Manuscripta juridica supervisée par Gero Dolezalek, et enfin le Bio-Bibliographical Guide to Medieval and Early Modern Jurists, catalogue des canonistes et civilistes médiévaux et du début des temps modernes, basé sur un guide préparé par Kenneth Pennington.

Sur l’histoire du droit

Enfin, il existe des sites qui peuvent servir à mieux connaître l’histoire du droit. Il s’agit, entre autres, des guides préparés par l’Edinburgh Law School, les Bodleian Libraries (University of Oxford), la Harvard Law School Library, la Duke Universit (histoire du droit anglais) ou l’American Society of Legal History.

On trouve aussi des sites internet portés par des chercheurs comme ceux de Gero Dolezalek ou Kenneth Pennington ainsi que par des blogs, par exemple European Society for Comparative Legal History, Legal History Blog, Forum historiae iuris, Legal History on the Web, Rechtshistorie, ou la série de podcasts sur l’histoire du droit préparée par Emanuele Conte, Legal History from the European Perspective (disponible sur Apple Podcasts, Google Podcasts et Spotify).

Les outils digitaux pour faciliter l’étude des sources juridiques

La numérisation ne concerne pas seulement les sources en elles-mêmes. Elle concerne également toutes sortes d’outils qui facilitent l’étude des sources juridiques. Tout d’abord, les dictionnaires et glossaires latins en ligne sont abordés. Ensuite, d’autres outils facilitant le travail sur les manuscrits sont présentés.

Traduire le latin grâce aux dictionnaires en ligne

Internet permet d’accéder facilement et souvent gratuitement à de nombreuses version numérisées de dictionnaires consacrés au latin. En voici quelques-uns :

Dans les années 1920, l’Union académique internationale a lancé un appel visant à remplacer le glossarium de Du Cange. Les travaux ont commencé et ont abouti à la publication de dictionnaires de latin médiéval dans plusieurs pays. Certains d’entre eux sont disponibles gratuitement en ligne. Il s’agit notamment du Dictionary of Medieval Latin from British Sources (DMLBS), Lexicon Mediae et Infimae Latinitatis Polonorum (LMILP), Latinitatis Medii Aevi Lexicon Bohemorum (Lex. Bohemorum), Mittellateinische Wörterbuch (MLW), et du dictionnaire français Novum Glossarium Mediae Latinitatis (NGML).

En ce qui concerne les dictionnaires juridiques, il convient de consulter le Frühmittellateinisches Rechtswörterbuch de Gerhard Köbler, un dictionnaire latin-allemand de termes juridiques du haut Moyen Âge.

Enfin, les métadictionnaires, c’est-à-dire les dictionnaires en ligne qui regroupent les résultats de recherche de plusieurs dictionnaires, s’avèrent particulièrement utiles. La plateforme Logeion de l’université de Chicago est entièrement gratuite (elle comprend, entre autres, le Lewis & Short, le DMLBS, le Du Cange et Le Gaffiot). Au contraire, la base de données Latin Dictionaries (DLD) de Brepols est payante : elle peut être accessible via abonnement des bibliothèques universitaires. Elle contient de nombreux dictionnaires de latin classique et médiéval (y compris le LTL de Forcellini et plusieurs dictionnaires nationaux de latin médiéval). Enfin, il ne faut pas oublier que l’intelligence artificielle devient de plus en plus compétente en matière de traduction de textes, y compris en latin. Son usage doit rester particulièrement raisonné.

Des outils en ligne pour lire et comprendre les sources juridiques

Internet permet non seulement d’accéder aux manuscrits, mais aussi d’en faciliter la lecture. Le lecteur en ligne Enigma, développé par le CIHAM et le CNRS permet d’identifier les mots manuscrits qui n’ont pas été entièrement déchiffrés. Lors de la saisie des lettres dans le moteur de recherche, les caractères problématiques peuvent être remplacés par des caractères génériques (astérisques, etc.). Enigma répondra en fournissant une liste de solutions possibles. En outre, lorsque l’on est confronté à des abréviations, des dictionnaires spécialisés peuvent s’avérer utiles. Le Lexicon abbreviaturarum d’Adriano Cappelli est notamment disponible en ligne gratuitement pour déchiffrer les écritures anciennes.

Pour l’étude des monuments du droit romain et du droit canonique – le Corpus Iuris Civilis et le Corpus Iuris Canonici – la base de données Repertorium utriusque iuris peut s’avérer un outil utile. Elle recense tous les titres des corpus du droit civil et canonique avec les premiers mots de chaque norme. Sa consultation facilite ainsi grandement l’identification des références citées dans les ouvrages du passé. Un index similaire préparé par Heino Speer est disponible ici (il concerne seulement le Corpus Iuris Civilis).

Des outils peuvent également aider à lire les manuscrits et les textes imprimés. La technologie de Reconnaissance de l’écriture manuscrite (HTR en anglais) est particulièrement prometteuse. En se basant sur un large échantillon de documents manuscrits et grâce à une formation basée sur l’apprentissage automatique, il est possible d’obtenir des lectures de haute qualité du manuscrit. Il est certain qu’avec le temps, ces outils seront en mesure d’aider à la lecture d’éléments plus petits et accessoires de sources manuscrites, tels que des notes marginales sur des manuscrits ou de vieilles gravures. Le logiciel le plus connu est le logiciel européen TRANSKRIBUS, mais on peut trouver d’autres programmes similaires. Il est intéressant de consulter la liste disponible sur le site Adfontes de l’Université de Zurich.

Conclusion

Internet et les technologies de numérisation ont ouvert une nouvelle ère dans le domaine de l’étude des sources juridiques médiévales. Derrière un écran d’ordinateur, les étudiants, les enseignants et les chercheurs ont accès à des manuscrits, des imprimés et des éditions critiques de textes juridiques de toutes sortes (normatifs, doctrinaux, pratiques) provenant du monde entier. Des bibliographies, des inventaires et des catalogues en ligne et consultables facilitent les recherches. Les dictionnaires, métadictionnaires et bases de données disponibles sur le web accélèrent l’examen des sources. Cependant, il faut être conscient qu’ils ne remplaceront jamais les êtres humains. Même si un logiciel HTR lit un manuscrit, cette lecture doit être vérifiée. Même le meilleur dictionnaire ne tiendra pas compte du contexte (social, politique, économique, juridique) dans lequel un mot apparaît. Une analyse automatique des données nécessite une vérification et une interprétation compétente. Enfin, le texte juridique lui-même doit être interprété en tenant compte de nombreux facteurs internes et externes, y compris les circonstances de sa création et de son application. La richesse d’Internet et des nouvelles technologies doit être utilisée avec habileté et prudence, sous peine de perdre la compréhension critique des sources.

POUR FAIRE LE POINT

  1. Citez au moins cinq endroits où vous pouvez trouver des informations utiles sur les collections de manuscrits médiévaux européens.
  2. Quelles sont les caractéristiques des bases de données SSRQ et IURA ?
  3. Quels (méta)dictionnaires en ligne peuvent être utiles lors de l’étude de documents médiévaux latins ?
  4. Comment la technologie HTR peut-elle aider à examiner les sources médiévales ?

Sitographie :

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La paléographie des sources juridiques

Le premier obstacle auquel l’historien est confronté lorsqu’il consulte des documents anciens en latin est l’écriture. Les styles anciens d’écriture varient en fonction de l’époque, de la calligraphie et du scribe. Il existe de nombreux styles d’écriture, allant des plus clairs et familiers, comme la minuscule caroline, à des écritures dont les lettres peuvent sembler à première vue impossibles à déchiffrer. La paléographie est la discipline qui étudie l’histoire de l’écriture, le processus de production de documents écrits et les produits de ce processus. Sa connaissance est essentielle pour tous les chercheurs qui souhaitent étudier et travailler avec des sources anciennes.

La paléographie est née en aide aux études diplomatiques dans le but de déterminer les caractères des différents types d’écriture et leur chronologie, et ce afin d’en vérifier l’authenticité. Elle constitue désormais l’une des branches des sciences dites auxiliaires de l’histoire au même titre que la codicologie, par exemple. L’année 1681 est traditionnellement considérée comme l’année de naissance de la paléographie avec la publication du De re diplomatica de Jean Mabillon (1632-1707). Cependant, le terme « paléographie » apparaît pour la première fois au XVIIIe siècle avec la publication en 1708 de Palaeographia Graeca, sive de ortu et progressu litteram graecarum de Bernard de Montfaucon (1655-1741). Au milieu du XIXe siècle, un petit manuel scolaire rédigé par Wilhelm Wattenbach (1819-1897) a commencé à proposer une nouvelle approche théorique des études paléographiques qui mettait l’accent sur les aspects dynamiques de l’évolution de l’écriture. L’orientation historiciste, inaugurée par Léopold Delisle (1826-1910), trouve sa pleine réalisation dans l’activité de Ludwig Traube (1861-1907), dont l’enseignement exerce une grande influence tant par ses résultats que par le nombre important d’étudiants qui poursuivent son œuvre. Parmi les paléographes de la première moitié du XXe siècle, Luigi Schiaparelli (1871-1934) a apporté une contribution importante à l’étude de la tachygraphie et de la paléographie. La seconde moitié du XXe siècle est marquée par les contributions de Jean Mallon (1904-1982) et de Giorgio Cencetti (1908-1970). Jean Mallon est le fondateur et le principal représentant de la Nouvelle École française, qui a profondément influencé les chercheurs contemporains en repensant à la fois la méthodologie et la nomenclature des écritures. Giorgio Cencetti a exercé une grande influence en proposant une nouvelle interprétation de l’évolution de l’écriture selon la conception typiquement historique d’une matrice de Croce sur la base de laquelle il existerait deux catégories d’écriture : « l’écriture ordinaire » (scrittura usuale) et « l’écriture formelle » (scrittura canonizzata). Selon cette théorie, l’écriture ordinaire (c’est-à-dire celle qui est utilisée quotidiennement) est soumise à une transformation constante, constituant la base sur laquelle les écritures livresque et de chancellerie sont établies en tant qu’« écritures canonisées ». Leurs caractéristiques très précises survivent à la transformation constante de l’écriture ordinaire selon un schéma évolutif prévisible : une période de formation, une phase de raffinement et un temps de décadence.

Les mots de la paléographie

Une question préliminaire de grande importance concerne la terminologie spécifique propre à la paléographie. Un premier aspect concerne l’analyse de l’écriture, qui est traditionnellement distinguée en majuscules si les signes qui composent la lettre peuvent idéalement s’inscrire sur deux lignes droites parallèles, ou en minuscules si la lettre peut s’inscrire sur quatre lignes parallèles.

Une autre distinction d’ordre général porte sur la manière plus ou moins rapide d’écrire. Elle concerne la distinction entre 1) le ductus « soigné » ou « formel » lorsqu’il est exécuté avec attention aux proportions entre les différents signes et éléments et 2) le ductus « cursif » lorsque, à l’inverse, l’écriture est riche en ligatures et inclinée sans souci particulier du résultat esthétique.

Actuellement, il est convenu que les éléments à évaluer pour une analyse correcte de l’écriture sont les suivants :

  • la forme ou le dessin, soit l’aspect extérieur des lettres et des signes individuels.
  • le module, soit la comparaison entre le signe graphique et la figure géométrique de référence (par exemple module carré ; module rectangulaire, etc.).
  • l’angle d’écriture déterminé par la position de l’instrument d’écriture par rapport à la ligne de base de l’écriture. Il a été introduit par la Nouvelle École française.
  • le ductus qui concerne le nombre, l’ordre et la direction des traits qui composent une lettre (ce concept ne doit pas être confondu avec le ductus général).
  • la gravité ou le poids qui dépend de l’élasticité de l’instrument d’écriture utilisé. L’utilisation d’une pointe flexible entraîne un fort contraste entre les lignes pleines et les traits (gravité accentuée) ; l’utilisation d’une pointe dure entraîne une épaisseur de trait uniforme.

Il existe également d’autres mots que le paléographe utilise fréquemment pour étudier et décrire l’écriture, dont beaucoup peuvent être consultés sur la riche base Codicologia de l’Institut de Recherche er d’Histoire des Textes.

Les abréviations

L’écriture latine a commencé à utiliser des abréviations bien avant l’ère chrétienne. Les Romains abrégeaient les prénoms, les jours du calendrier et certains termes juridiques dans les inscriptions grâce aux litterae singulares. À partir du Ier siècle de notre ère, de nouvelles abréviations ont été créées pour les particules, les pronoms relatifs et démonstratifs et, surtout, les termes juridiques. Ces abréviations sont indiquées dans la plupart des cas par un trait court au-dessus du mot abrégé ou par un trait d’union entrecroisé. L’utilisation fréquente du système d’abréviation a entraîné une grande incertitude dans le texte, à tel point que lors de la promulgation du Code de Théodose en 438, il a été expressément interdit d’utiliser des notae iuris (un ensemble stable et défini d’abréviations) dans les copies officielles.

Six types différents d’abréviations sont traditionnellement identifiés au Moyen Âge :

  1. Les abréviations par troncature : Ce type d’abréviation consiste à omettre les lettres finales d’un mot. Une barre horizontale, oblique ou un point au-dessus ou à côté de la dernière lettre restante signale cette omission. (exemples : « īn » pour « inde » ; « AUG. » pour « Augustus »)
  2. Les abréviations par contraction : Les lettres intermédiaires sont omises dans ces abréviations. Elles sont souvent signalées par un signe suscrit comme un trait horizontal ou un crochet. (exemples : « ds » pour « Deus » ; « pbr » pour « presbyter » ; « mm » pour « matrimonium »)
  3. Les abréviations par symboles spécifiques : Ces abréviations reposent sur des signes qui ne sont pas directement liés aux lettres du mot, mais qui sont des conventions utilisées pour des sons ou des syllabes spécifiques. (exemples : « 9 » pour « con » ; « 7 » pour « et »)
  4. Les signes abréviatifs à signification relative : Ce type d’abréviation se base sur des signes indiquant l’omission de lettres spécifiques, comme « ¯ » pour « m » ou « n ». D’autres abréviations suivent un schéma fixe pour indiquer des groupes de lettres ou des terminaisons courantes. (exemples : « q » pour « quae » ; « pp » pour « propter » ; « 3 » terminal pour « ue », « et » et « is »)
  5. Les ligatures (des lettres qui se chevauchent) : Les ligatures combinent plusieurs lettres en un seul caractère ou un seul symbole graphique. (exemples : « illm » pour « illum » ; « at » pour « ante » ou « aliqui »)
  6. Les signes conventionnels et les notes tironiennes : Cette catégorie regroupe les signes qui servent à indiquer des mots ou des expressions courantes, souvent utilisés pour gagner du temps dans la transcription. Ils peuvent inclure des symboles de ponctuation ou des signes utilisés pour désigner un mot ou une expression spécifique. (exemples : « ÷ » pour « est » ; « & » pour « et » (note tironienne) ; « = » utilisé pour des expressions spécifiques)

Les écritures latines au Moyen Âge

Les écritures minuscules utilisées dans la rédaction des documents manuscrits de la période qui nous intéresse dérivent toutes de la minuscule caroline. Cette écriture s’est répandue et imposée rapidement dans presque tous les territoires de l’Empire carolingien entre la fin du VIIIe et les premières décennies du IXe siècle. Sa diffusion met ainsi fin au particularisme graphique qui avait caractérisé le Haut Moyen Âge. L’unité de l’écriture avait déjà commencé à vaciller avec la chute de l’Empire romain d’Occident (476 ap. J.-C.) pour s’achever définitivement aux environs du VIIe siècle. Les raisons en sont multiples. La chute de l’Empire a entraîné, d’une part, une forte diminution du nombre de personnes sachant lire et écrire et, d’autre part, un changement radical dans le système de production des livres. Les ateliers séculiers ont cédé la place à la production de livres dans les centres d’écriture religieux (cathédrales et monastères).

Le Haut Moyen Âge a vu l’apparition de nombreuses écritures minuscules. Dans certains cas, elles ont bénéficié d’une diffusion large, presque à l’échelle de régions entières. Parmi les exemples d’écritures nationales, on peut citer l’écriture insulaire, répandue dans les îles britanniques, l’écriture wisigothique, valable dans la péninsule ibérique, l’écriture minuscule mérovingienne, propre au territoire français, et l’écriture bénéventaine, bien implantée dans le Sud de l’Italie. Dans d’autres cas, chaque centre d’écriture pouvait disposer de sa propre écriture. Comme nous l’avons déjà souligné, les écritures que nous souhaitons analyser dans ces pages sont d’origine caroline. Il est tout de même utile de mentionner brièvement trois écritures altimédiévales qui, quoiqu’elles témoignent d’un particularisme graphique, ont eu une histoire plus longue que les autres.

Trois écritures altimédiévales

L’Angleterre était la région la moins romanisée de tout l’Empire, de sorte que l’écriture et la culture romaines s’y sont moins répandues. Lorsque les Romains ont quitté l’île au Ve siècle, le clergé britannique s’est principalement installé en Irlande. C’est au sein des monastères et grâce à la conversion de la population celtique irlandaise au catholicisme qu’est née une écriture livresque dite insulaire. La culture celtique irlandaise précédente était principalement orale et avait récemment développé l’écriture oghamique, qui ne comportait pas de lettres de formes différentes, mais chacune avec un nombre différent de lignes incisées. La christianisation a donc été à l’origine de l’émergence d’une nouvelle écriture irlandaise.

À partir de la seule Irlande, elle s’est rapidement répandue au reste de l’Angleterre. Les écritures insulaires présentent un système d’abréviations particulier, en partie descendant direct de celui répandu dans les écritures latines préexistantes (comme l’utilisation fréquente des notae iuris) et en partie très innovant. En Angleterre, la minuscule caroline est apparue plus tard que dans le reste de l’Europe, seulement après la conquête des Normands (1066) (Figure 1).

Fig. 1 Exemple d’écriture insulaire. Exemple tiré d’un exemplaire d’Adamnanus de Iona, Vita Columbae; Irlande, entre 688 et 713 (Schaffhausen, Stadtbibliothek, Gen. 1, fol. 1. https://e-codices.ch/it/sbs/0001/1).

L’Espagne a été l’une des premières colonies romaines en dehors de la péninsule italique. Dès l’époque classique, elle a compté d’illustres écrivains tels que Sénèque (4 av. J.-C. – 65 ap. J.-C.) et Martial (40-104). Dans la seconde moitié du Ve siècle, l’Espagne est presque entièrement occupée par les Wisigoths, déjà milites foederati et, par conséquent, connaisseurs de la langue latine et de la romanité. Sous leur domination, on assiste entre les VIe et VIIe siècles à une floraison intellectuelle notable, dont Isidore de Séville (560-636) est l’un des plus célèbres représentants, et à la diffusion de ce que l’on appelle l’écriture wisigothique dans le royaume éponyme (également connue sous le nom de littera toletana ou littera mozarabica). En péninsule ibérique, cette écriture a continué à être utilisée jusqu’à la réforme ecclésiastique du XIe siècle (Figure 2).

Fig. 2 Exemple d’écriture wisigothique. Exemple tiré d’un fragment du Glossarium Latinum;
France, début du IXe siècle (Bern, Burgerbibliothek, Cod. A 92.3, fol. 2v https://www.e-codices.ch/it/list/one/bbb/A0092-03).

Dans le Sud de l’Italie, la diffusion de la minuscule caroline a été très faible puisque l’écriture bénéventaine n’a été remplacée par l’écriture gothique qu’à la fin du XIIe siècle. Les plus anciennes traces de cette écriture spécifique remontent à la fin du VIIIe siècle. Elle a connu sa plus grande diffusion dans le territoire du duché de Bénévent (d’où elle tire son nom). Dès le Xe siècle, elle présente certaines de ses caractéristiques typiques comme un ductus fluide et des lettres arrondies et juxtaposées (comme vous pouvez le voir en cliquant ici) (Figure 3).

Fig. 3 Exemple d’écriture bénéventaine. Exemple tiré d’Urbarium de Salerne et palimpseste des Etymologiae d’Isidore de Séville; Salerne, XIIe siècle (Soleure, Staatsarchiv, R 1.4.225, fol. 43r https://www.e-codices.ch/it/list/one/staso/R0001-0004-0225).
La minuscule caroline

Alors que le processus de diversification de l’écriture latine avait commencé au VIe siècle, une nouvelle écriture s’est développée et répandue dans toutes les régions où le latin était parlé et écrit à partir de la fin du VIIIe siècle. Grâce à une forte impulsion politique et culturelle en faveur de la reductio ad unum, cette écriture dit caroline devient l’écriture commune pour la production de livres. Elle deviendra gothique au cours du XIIe siècle.

Le nom de caroline donné à cette écriture est étroitement lié au grand mouvement culturel qui a vu le jour en Occident sous le règne de Charlemagne. Cette écriture était appelée soit francisca en raison de son origine franque, soit antiqua par les humanistes qui l’opposent à l’écriture gothique moderne. La grandeur renouvelée de l’Empire se traduit autant par la renaissance du latin comme langue commune que par ce processus de standardisation de l’écriture. En ce sens, la minuscule caroline constitue l’écriture dans laquelle la nouvelle culture universaliste romano-chrétienne du monde carolingien s’est répandue. Il s’agit d’une écriture en lettres minuscules qui se caractérise par son aspect régulier et élégant et par sa facilité de lecture. Elle présente une séparation claire entre les lettres et les mots et comporte peu de ligatures et d’abréviations (Figure 4) (cliquez ici pour voir une version manuscrite de la Panormia d’Yves de Chartres écrite en minuscule caroline). Voici quelques-unes de ses caractéristiques les plus remarquables :

  • le a se trouve sous des formes onciale et italique, soit : de c+c ou o+c ;
  • le c n’est pas crêté ;
  • le e bénéficie d’une sous forme semi-circulaire, ronde avec une petite boucle fermée ;
  • le g dispose d’une boucle fermée avec un trait d’union dans le coin supérieur droit et une extension inférieure courbée qui tend à se refermer sur la boucle ;
  • le i est toujours court ;
  • le r reste en bas de la ligne et n’apparaît que rarement lié à d’autres lettres ;
  • le s dispose d’une partie supérieure qui monte ;
  • le t a soit un trait inférieur droit soit une forme de faucille ;
  • le z reste petit.
Fig. 4 Exemple d’écriture minuscule caroline. Exemple tiré d’un exemplaire d’Yves de Chartres, Panormia ; Einsiedeln, XIIe siècle (Einsiedeln, Stiftsbibliothek, Codex 196 (488) fol. 1 https://www.e-codices.ch/it/list/one/sbe/0196).

Au XIIe siècle, la minuscule caroline est remplacée par l’écriture gothique qui en est l’évolution. Mais son usage ne disparaît pas complètement : au XVe siècle, les humanistes italiens la reprennent et la diffusent sous le nom de minuscule humaniste. Le succès de la minuscule caroline ne s’est pas non plus arrêté avec l’avènement de l’imprimerie, puisqu’aujourd’hui encore, ses formes sont celles couramment utilisées dans les écritures électroniques telles que Garamond, Times New Roman, Courier, Palatino Linotype, Cambria, etc.

L’écriture gothique

L’écriture généralement connue sous le nom de gothique était appelée littera textualis au XIIe siècle et littera moderna au XIVe siècle, en opposition à la littera antiqua, la minuscule caroline des siècles précédents. Au XVe siècle, les humanistes italiens ont utilisé le terme gothique comme un terme péjoratif désignant les écritures du début du Moyen Âge et, de la même manière, au siècle suivant, ce nom a également été appliqué à la littera (qui n’est plus) moderne. Largement répandue, l’écriture gothique s’est parée de caractéristiques différentes en fonction de la région géographique et du type d’environnement où elle était utilisée. La littera textualis était largement utilisée dans la rédaction des livres universitaires, très souvent produits à l’aide du système de la pecia. Dans le contexte académique également, il existe une différenciation de l’écriture en fonction de la région d’utilisation. Par exemple, le style adopté dans l’école bolonaise, connu sous le nom de littera Bononiensis, présente les caractéristiques du gothique rond italien, bien qu’il s’avère disposer d’hampes plus courtes et de traits obliques généralement plus fins. Le trait de la littera Parisiensis, en revanche, très répandue dans la région parisienne, est d’aspect plus accidenté, plus petit et moins arrondi. Dans l’espace franco-anglo-allemand, où elle est apparue, l’écriture gothique est présente dans une forme originale et rigoureuse. Dans les espaces italiens et hispaniques, cette écriture s’est répandue plus lentement et à des époques différentes selon les régions. Par exemple, au cours du XIIIe siècle, les régions d’Italie centrale ont vu se répandre l’écriture gothique rotunda, caractérisée par des lettres aplaties. En général, la forme des lettres reprend celle de la minuscule caroline mais, en raison de l’utilisation d’une plume coupée à gauche, elle présente quelques différences esthétiques en étant plus compacte et plus lourde.

Le style graphique gothique présente des caractéristiques générales constantes telles que la rupture des courbes, le faible développement des hampes, l’aspect serré et étroit de l’écriture sur la ligne et l’utilisation fréquente d’abréviations (cliquez ici pour essayer de lire un manuscrit écrit en gothique) (Figure 5). Parmi les caractéristiques les plus importantes, on peut citer :

  • l’utilisation d’un s majuscule à la fin du mot ;
  • l’emploi du v aigu au début du mot ;
  • l’utilisation de ç au lieu de z ;
  • l’emploi du symbole q2 pour le terme « quia ».
Fig. 5 Exemple d’écriture gothique. Exemple tiré d’un exemplaire des Institutes de Justinien ; France, XIVe siècle (Saint-Gall, Stiftsbibliothek, Cod. Sang. 744, fol. 3 https://www.e-codices.ch/it/list/one/csg/0744)].

À partir de la fin du XIIIe siècle, le climat culturel commence à changer et on assiste à une forte redécouverte du monde classique. Ce retour à l’antiquité représente l’une des principales caractéristiques du pré-humanisme, mouvement intellectuel et artistique qui a affecté toutes les branches de la culture, y compris le style d’écriture. En Italie, la production graphique du XIVe siècle se caractérise par de nombreux courants et tendances, parmi lesquels l’influence de Pétrarque (1304-1374) est particulièrement importante. Très critique à l’égard de l’écriture gothique, l’érudit italien loue la sobriété et l’élégance de la minuscule caroline, à laquelle il est nécessaire de revenir et de se référer pour créer une nouvelle écriture répondant aux exigences de simplicité, de clarté, de lisibilité et de correction orthographique. Cette voie de la réforme graphique atteint sa perfection vers 1400 avec Poggio Bracciolini (1380-1459), qui réalise le plus ancien exemple de minuscule humaniste (cliquez ici pour voir un exemple de manuscrit écrit en minuscule humaniste).

Le cas de la paléographie juridique

La paléographie se résumant à l’étude scientifique de l’écriture, on pourrait supposer, dans l’absolu, qu’il existe autant de branches dans cette science auxiliaire que de types d’écriture. Cependant, pour des raisons historiques, la discipline s’est principalement développée autour des systèmes d’écriture dont on peut dénombrer un nombre important de traces. Ainsi, par exemple, nous avons la paléographie latine, grecque et arabe, et la paléographie musicale, qui étudie les systèmes de notation musicale, notamment médiévaux.

Existe-t-il une discipline appelée paléographie juridique ? Il a récemment été écrit que la paléographie et la philologie juridiques se sont développées de manière si importante au cours des deux derniers siècles qu’elles apparaissent désormais comme de véritables sciences (Menzinger, 2017). Ce constat est certainement vrai pour la philologie juridique, qui compte désormais de nombreuses études spécialisées et a obtenu des résultats importants (Mari, 2005). En ce qui concerne la paléographie juridique, d’excellentes études paléographiques sur les textes juridiques sont aujourd’hui disponibles, mais il manque peut-être une réflexion organique sur la discipline. Pour ne citer que les plus importantes, on pourra se référer aux études de Gero Dolezalek, Antonio Ciaralli et Charles Radding (Dolezalek, 2021 ; Dolezalek-Ciaralli, 2010 ; Radding-Ciaralli, 2000 et 2007). À l’aide des techniques paléographiques, ces derniers ont efficacement critiqué le récit historiographique dominant sur la circulation du Corpus Iuris Civilis au Moyen Âge. Ces chercheurs ont rejeté à des dates antérieures à la fin du Xe siècle la rédaction de manuscrits du Code et des Institutes, allant ainsi dans le sens d’une disparition presque totale du Corpus (à la seule exception de l’Epitome Iuliani) dans l’Occident médiéval précoce.

Sans prétendre à l’exhaustivité, on peut affirmer que la paléographie juridique s’intéresse aux manuscrits juridiques, qu’il s’agisse de sources législatives, doctrinales ou d’écrits pratiques. Elle s’intéresse également aux signes interponctifs et abréviatifs, et en particulier au système abréviatif des auctoritates, c’est-à-dire des textes autoritaires et normatifs qui ont constitué la base des études juridiques en Occident pendant des siècles. La seule tentative de tracer les lignes essentielles de la paléographie juridique remonte à 1925, date de la parution d’un article d’Emil Seckel, édité par son élève Erich Genzmer, intitulé Paläographie der juristischen Handschriften des 12. bis 15. und der juristischen Drucke des 15. und 16. Jahrhunderts, dans la revue Zeitschrift der Savigny-Stiftung für Rechtsgeschichte (Seckel, 1925). Il s’agit d’un outil, facilement accessible en ligne, toujours indispensable pour qui veut s’attaquer à la lecture des sources juridiques.

Les systèmes de référencement des gloses

La forme graphique des gloses est traitée dans ce livre aux chapitres consacrés à la codicologie des manuscrits juridiques et au système des gloses entre 1100 et 1150. Au moins pour la période pré-accursienne, on peut distinguer, selon la classification de Gero Dolezalek (Dolezalek, 2021), trois types de gloses : les notabilia, les allégations et les gloses « explicatives » (des gloses plus étendues contenant des explications et des interprétations détaillées). La paléographie juridique s’intéresse également aux modalités de référencement des gloses : dans le cas des notabilia et des simples allégations, la localisation du passage auquel elles sont apposées est généralement très aisée, car ces gloses sont habituellement placées dans la marge de la page, à côté du mot ou du passage auquel elles se réfèrent (Figure 6). Il convient toutefois de mentionner l’utilisation de petits dessins pour relier des passages éloignés du texte : il s’agit d’une pratique attestée dans les manuscrits juridiques de la première moitié du XIIe siècle, mais qui s’est éteinte assez rapidement, et dont on ne trouve peu d’exemples dans la seconde moitié du siècle.

Fig. 6 Exemples d’allégations. Exemples tirées d’un exemplaire du Decretum Gratiani ; Italie (?), deuxième moitié du XIIe siècle (Munich, Bayerische Staatsbibliothek, Clm 28161, fol. 263r).

Pour comprendre de quoi il s’agit, prenons par exemple le fragment du Digeste contenu dans le manuscrit BAV, ms. Vat. Lat. 1739 (fol. 3r) dans lequel on voit le dessin d’un arbre que l’on retrouvera, à l’identique, un peu plus loin, ce qui indique que les deux passages sont étroitement liés (pour un lien vers le manuscrit, cliquez ici). Quant aux gloses que l’on qualifie, par commodité, d’« explicatives », l’affaire est plus complexe : avec la diffusion du système des peciae dans la première moitié du XIIIe siècle, les copistes ont développé diverses techniques pour relier les gloses marginales à des mots particuliers. Savoir reconnaître les systèmes décrits ci-dessous peut fournir des indices précieux pour la datation des différentes couches de gloses, ainsi que des informations utiles sur l’utilisation des manuscrits eux-mêmes. Gero Dolezalek a identifié trois tendances principales sur les 634 manuscrits qu’il a examinés (Dolezalek, 2021) :

  1. Le copiste peut placer dans la marge du texte une copie du lemme qu’il entend gloser, dûment soulignée pour la distinguer de la glose elle-même.
  2. Le copiste peut utiliser un signe (typiquement une combinaison de points, virgules, tirets, lignes verticales, cercles et demi-cercles) placé juste avant la glose : le même signe se retrouve dans le texte principal, généralement au-dessus du mot clé glosé (Figure 7).
  3. Enfin, à partir de la seconde moitié du XIIIe siècle en Italie, les lettres de l’alphabet commencent à apparaître dans les manuscrits, tandis que l’utilisation des signes mentionnés ci-dessus devient de plus en plus rare.
Fig. 7 Systèmes de référence aux gloses. Exemple tiré d’un exemplaire des Institutes de Justinien ; Rome ou à proximité, fin du Xe siècle (Bamberg, Staatsbibliothek, Msc.Jur.1, fol. 21r).

Pour les lettres de l’alphabet, les copistes considèrent d’abord les deux pages côte à côte comme une unité, c’est-à-dire du verso d’un folio au recto du folio suivant. Une fois qu’il est arrivé à z, le copiste a recours à des abréviations courantes (par exemple avec ou et) ou revient à l’ancienne méthode consistant à combiner des points, des virgules et des tirets. Par la suite, les copistes traitent la page comme une unité, en commençant une nouvelle série alphabétique chaque fois que z est atteint. Un exemplaire du Décret de Gratien glosé par Bartholomaeus Brixiensis (c. 1174-1258), probablement réalisé à Bologne avant le milieu du XIVe siècle, en est un bon exemple (ms. Urb. lat. 161) (Cherubini-Pratesi, 2010). Ici, les lettres de l’alphabet sont suivies d’une ligne ondulée ou d’un point, lorsqu’on arrive à z et que la série recommence.

Les allégations

Comme nous l’avons vu plus haut, les gloses contenant des allégations sont placées en marge de la page, à côté des passages que le juriste entend gloser. Mais comment lire une allégation ? Et comment trouver les passages qui y sont rattachés ?

Chaque allégation se réfère à un fragment précis contenu dans le Corpus Iuris Canonici ou le Corpus Iuris Civilis, qui, comme on le sait, se compose de quatre parties. Ainsi, pour indiquer le fragment, l’allégation commence par une lettre identifiant la partie dans laquelle se trouve le fragment : Digeste, Code, Institutions ou Novelles.

Le Digeste est la partie du Corpus justinien qui a sans doute causé le plus de maux de tête aux chercheurs, car au lieu d’un D., les manuscrits et les livres imprimés utilisent l’abréviation ff. À l’origine, dans les premiers manuscrits de la période connue sous le nom de Renaissance juridique, le Digeste est simplement cité avec la mention « in dig. ». Plus tard, la méthode a changé et les manuscrits ont reçu une petite minuscule « d » avec un trait d’union horizontal la coupant : « đ ». L’abréviation « đ. » ne doit pas être confondue avec l’abréviation « de », comme on le voit par exemple ici (Figure 8).

Fig. 8 Le signe « đ. » comme abréviation « de ». Exemple tiré d’un exemplaire du Digestum Infortiatum et Novum ; France, troisième quart du XIIe siècle (Paris, BnF, lat. 4454, fol. 4v).

Plus tard, les copistes ont commencé à ajouter des lieux du Digeste en utilisant la lettre majuscule « Đ ». Il est donc facile de voir que l’abréviation ff. provient probablement d’une mauvaise compréhension du « Đ » (Figure 9).

Fig. 9 L’origine de l’abréviation ff. Exemple tiré d’un fragment du Code de Justinien ; Italie, dernier quart du XIIe siècle (Leipzig, Bundesverwaltungsgericht Bibliothek, MS 2° B 3565, fol. 15r).

Voici un passage du Digeste qui témoigne de ce système (Figure 10) :

ff. de testibus, ob carmen.

L’abréviation ff. est suivie du titre et de l’incipit du fragment. Le passage cité est donc le L. Ob carmen famosum damnatus du titre De testibus du Digestum Vetus, qui correspond à la citation moderne D. 22, 5, 21.

Fig. 10 Allégation du Digeste. Exemple tiré d’un exemplaire du Decretum de Gratien ; Bologne, XIIIe-XIVe siècles (Munich, Bayerische Staatsbibliothek, Clm 28175, fol. 18v).

Comme pour le Digeste, le Code de Justinien, dans les manuscrits les plus anciens, est d’abord entouré de la mention « in cod. ». Plus tard, la méthode change avec l’utilisation d’un « c » minuscule suivi d’un point, jusqu’à la méthode qui est encore utilisée aujourd’hui, c’est-à-dire un « C. » majuscule suivi d’un point. Voici un passage du Code qui témoigne de ce système (Figure 11) :

C. de naturalibus liberis, l. divi.

Il s’agit du L. Divi Constantini qui veneranda du titre De naturalibus liberis du Code, qui correspond à la citation moderne C. 5, 27, 5.

Fig. 11 Allégation du Code de Justinien. Exemple tiré d’un exemplaire du Decretum de Gratien ; Bologne, XIIIe-XIVe siècles (Munich, Bayerische Staatsbibliothek, Clm 28175, p. 53).

Au lieu de cela, les Institutions de Justinien sont généralement citées par « Inst. » ou par « Insti. », comme on peut le voir dans la marge de cet exemplaire (Cité du Vatican, BAV, ms. Vat. Lat. 2705, fol. 5r).

Dans le Corpus Iuris Canonici, ouvrage entièrement médiéval, les difficultés sont moindres et se manifestent surtout à propos du Decretum de Gratien, dont la subdivision en trois parties a toujours suscité la perplexité des juristes médiévaux eux-mêmes. La première partie du Decretum était ordinairement citée avec le numéro de la distinctio (généralement en chiffres romains) suivi de l’incipit du canon. Par exemple (Figure 12) :

de. L, postquam

indique le canon numéro onze, c’est-à-dire le canon Postquam, de la distinctio numéro 50 (D. 50, c. 11).

Fig. 12 Allégation de la première partie du Decretum de Gratien. Exemple tiré d’un exemplaire du Decretum de Gratien ; Italie, deuxième moitié du XIIe siècle (Munich, Bayerische Staatsbibliothek, Clm 28161, fol. 56r).

Pour les allégations de la deuxième partie de l’œuvre de Gratien, les manuscrits médiévaux indiquent le numéro de la causa (avec l’omission du « C. » majuscule pour causa), le numéro du quaestio et l’incipit du canon. Par exemple (Figure 13) :

xxii, q. i, si peccatum

L’allégation de l’image se réfère au canon Si peccatum, c’est-à-dire au numéro 14, quaestio prima, causa 22 (C. 22, q. 1, c. 14).

Fig. 13 Allégation de la deuxième partie du Decretum de Gratien. Exemple tiré d’un exemplaire du Decretum de Gratien ; Bologne, XIIIe-XIVe siècles (Munich, Bayerische Staatsbibliothek, Clm 28175, fol. 23r).

Cependant, la méthode de citation utilisée n’est pas toujours celle qui vient d’être décrite. Il faut savoir que dans les manuscrits de la première moitié du XIIe siècle, il est courant de rencontrer les abréviations « a. » et « r. », c’est-à-dire « antea » et « retro », suivies du titre et de l’initium du passage. Plus tard, au cours du XIIe siècle, les abréviations « i. » pour « infra » et « s. » pour « supra » commencent à apparaître. Voici quelques exemples qui peuvent éclairer la signification de ces abréviations.

Comme le montre l’image suivante (Figure 14), les initiales « i. », indiquées par les flèches, précèdent les allégations et sont destinées à indiquer que les passages joints se trouvent plus loin dans le texte.

Fig. 14 L’abréviation « i. ». Exemple tiré d’un exemplaire du Decretum de Gratien ; Bologne, XIIIe-XIVe siècles (Munich Bayerische Staatsbibliothek, Clm 28175, fol. 23r).

Pour un exemple tiré de la littérature de droit civil, prenons le manuscrit Paris, BnF, ms. lat. 4454, qui contient une partie du Digestum Infortiatum et du Digestum Novum (Figure 15). Dans le détail du fol. 5 verso, on lit :

Supra, de peculio, ex facto quaeritur

L’autorité citée est le L. Ex facto quaeritur du titre De peculio, contenu dans le Digestum Vetus (D. 15, 1, 52), dont il est facile de voir que l’abréviation « supra » avertit le lecteur que pour l’endroit annexé il est nécessaire de regarder plus haut dans le texte, c’est-à-dire dans une section antérieure (dans ce cas, dans le Digestum Vetus).

Fig. 15 L’abréviation « s. ». Exemple tiré d’un exemplaire du Digestum Infortiatum et Novum ; France, troisième quart du XIIe siècle (Paris, BnF, ms. lat. 4454, fol. 5v).

Comment trouver les textes joints ? La maîtrise de la lecture des manuscrits juridiques demande du temps et beaucoup de pratique, même si les outils mis à disposition des chercheurs se sont considérablement améliorés ces dernières années. Nous renvoyons, par exemple, au site Repertorium utriusque iuris, qui peut grandement faciliter la recherche des textes annexés, ainsi que la lecture de la source. Le site contient tous les titres et initia des lois du Corpus Iuris Civilis et du Corpus Iuris Canonici, classés par ordre alphabétique.

En l’absence d’outils tels que celui mentionné ci-dessus, des générations entières de chercheurs se sont appuyées sur les index des éditions imprimées des deux Corpus Iuris, principalement à partir du XVIe siècle. Une excellente édition numérisée du Corpus Iuris Civilis peut être trouvée ici (en tapant « Corpus iuris civilis » dans la barre de recherche). Pour le Corpus Iuris Canonici, une excellente numérisation de l’editio romana se trouve sur le site de l’UCLA Digital Library.

POUR FAIRE LE POINT

Apprendre la paléographie médiévale est une affaire d’entraînement. Les débutants pourront ainsi être renvoyés au manuel incontournable de Michel Parisse (Parisse, 2006). La maîtrise du vocabulaire est fondamentale. Pour cela, nous renvoyons à la riche base de l’Institut de Recherche et d’Histoire des Textes : https://codicologia.irht.cnrs.fr/theme. Pour le reste, en plus des formations proposées à l’université, d’excellents sites permettent de s’entraîner soi-même à la lecture des écritures médiévales. Une bonne partie est répertoriée sur cette page du carnet Hipothèses de l’université de Montpellier.

  1. Voir D. 1.3.1 sur le folio 8r du manuscrit Digestum Vetus contenant la définition de lex de Papinien.
    1. Reconnaissez-vous l’écriture et les abréviations utilisées ?
    2. Que veut dire la loi pour Papinien ? Essayez de compléter les quatre mots manquants : Lex est commune praeceptum, virorum prudentium consultum, delictorum quae sponte vel ignorantia contrahuntur coercitio, communis rei publicae sponsio.
  2. Quelles sont les caractéristiques de la minuscule humaniste ?
  3. Résolvez l’allégation dans l’encadré rouge.
    Exemple d’allégation. Exemple tiré d’un exemplaire du Decretum de Gratien ; Bologne (?), XIIIe-XIVe siècles (Munich, Bayerische Staatsbibliothek, Clm 28175, fol. 3v).
  4. Résolvez les allégations soulignées en rouge.
    Exemples d’allégations. Exemple tiré d’un exemplaire du Liber extra ; France (?), première moitié du XIVe siècle (Munich, Bayerische Staatsbibliothek, Clm 28163, fol. 21r).
  5. Résolvez l’allégation dans l’encadré rouge.
    Exemple d’allégation. Exemple tiré d’un exemplaire des Institutes de Justinien ; Toscane (?), fin du Xe siècle, (Bamberg, Staatsbibliothek, Msc.Jur.2, fol. 4r).

Manuscrits cités :

Bâle, Universitätsbibliothek, C I 1 – Digestum vetus cum glossaen ligne.

Bern, Burgerbibliothek, Cod. A 92.3 – Glossarium Latinum (fragment) – en ligne.

Cologny, Fondation Martin Bodmer, Cod. Bodmer 47 – Catulle, Carminaen ligne.

Einsiedeln, Stiftsbibliothek, Codex 196 (488) – Ivo Carnotensis, Panormiaen ligne.

Paris, Bibliothèque nationale de France, ms. lat. 4454 – Iustinianus, Infortiatum ; Digestum Novumen ligne.

Schaffhausen, Stadtbibliothek, Gen. 1 – Adamnanus de Iona, Vita Columbaeen ligne.

Soleure, Staatsarchiv, R 1.4.225 – Urbarium de Salerne et palimpseste des Etymologiae d’Isidore de Séville – en ligne.

Saint-Gall, Stiftsbibliothek, Cod. Sang. 744 – Institutiones Iustiniani et les Libri feudorum avec la Glossa ordinaria en ligne.

Vatican, Biblioteca Apostolica Vaticana, ms. Urb. Lat. 161 – Gratiani Decretum cum glossa ordinaria Bartholomaei Brixiensis et scholiisen ligne.

Vatican, Biblioteca Apostolica Vaticana, ms. Vat. Lat. 1739 – Digesta, fragmentum [4, 6, 43 – 4, 8, 31] – en ligne.

Vatican, Biblioteca Apostolica Vaticana, ms. Vat. Lat. 2705 – Digesta, libb. I-XXIV (tit. 3,1) cum Accursii glossa, praemissa constitutione "Omnem" en ligne.

Vatican, Biblioteca Apostolica Vaticana, ms. Vat. Lat. 3245 – en ligne.

Sources imprimées :

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